TUE, 8e ch., 25 juin 2025, n° T-366/22
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Ryanair DAC (Sté)
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Kornezov (rapporteur)
Juges :
M. de Baere, Mme Kingston
Avocats :
Me Vahida, Me Rating, Me Metaxas-Maranghidis
LE TRIBUNAL (huitième chambre),
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Ryanair DAC, demande l’annulation de la décision de la Commission européenne du 26 juillet 2021 relative à l’aide d’État SA.56867 (2020/N, ex 2020/PN) – Allemagne – Indemnisation pour le dommage causé par la crise de COVID-19 à Condor Flugdienst GmbH (JO 2022, C 177, p. 1, ci-après la « décision attaquée »).
I. Antécédents du litige
2 Condor Flugdienst GmbH (ci-après « Condor ») est une compagnie aérienne allemande qui assure, en particulier, des vols charter. Elle fournit des services de transport aérien à des clients individuels et à des voyagistes à partir de plusieurs aéroports, notamment en Allemagne, en se concentrant sur le marché des voyages de loisirs.
3 Sur la période 2019-2021, Condor a bénéficié de plusieurs mesures d’aides d’État qui peuvent être catégorisées en deux groupes, à savoir, d’une part, des mesures d’aide visant à remédier à ses difficultés financières causées par la faillite de son ancienne société mère, Thomas Cook Group plc (ci-après « Thomas Cook ») et, d’autre part, des mesures d’aide visant à remédier aux dommages qu’elle avait subis en raison de l’imposition de restrictions de voyage liées à la pandémie de COVID 19.
4 Ces mesures d’aide se résument, dans leur ordre chronologique, comme suit.
5 Tout d’abord, à la suite de la faillite de Thomas Cook, laquelle a cessé ses activités et a été mise en liquidation judiciaire le 23 septembre 2019, et de la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité pour Condor, la République fédérale d’Allemagne a notifié à la Commission, le 25 septembre 2019, une mesure d’aide individuelle en faveur de Condor sous la forme d’un prêt au sauvetage d’un montant de 380 millions d’euros, octroyé par la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW – établissement de crédit pour la reconstruction) et assorti d’une garantie d’État. Cette mesure était limitée à une durée de six mois et visait à maintenir un transport aérien ordonné et à limiter les conséquences négatives pour Condor, ses passagers et son personnel qui seraient causées par la liquidation de Thomas Cook, en permettant à Condor de poursuivre ses activités jusqu’à ce qu’elle parvienne à un accord avec ses créanciers et que la vente de la société soit effectuée (ci-après l’« aide au sauvetage »).
6 Par la décision C(2019) 7429 final, du 14 octobre 2019, relative à l’aide d’État SA.55394 (2019/N) – Allemagne – Aide au sauvetage en faveur de Condor (JO 2020, C 294, p. 3, ci-après la « décision sur l’aide au sauvetage »), la Commission, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, a conclu que cette mesure constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et qu’elle était compatible avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. En outre, la Commission a constaté que les autorités allemandes s’étaient engagées à lui transmettre, dans un délai maximal de six mois à compter de l’autorisation de l’aide au sauvetage, soit la preuve du remboursement du prêt, soit un plan de restructuration ou de liquidation. La décision sur l’aide au sauvetage a fait l’objet d’un recours devant le Tribunal, lequel a été rejeté par l’arrêt du 18 mai 2022, Ryanair/Commission (Condor ; aide au sauvetage) (T 577/20, EU:T:2022:301), devenu définitif.
7 Parallèlement à l’adoption de la décision sur l’aide au sauvetage, en octobre 2019, Condor a commencé à mettre en œuvre un plan de restructuration, dont la durée devait s’étendre jusqu’au 30 septembre 2023. Le 1er décembre 2019, l’Amtsgericht Insolvenzgericht Frankfurt am Main (tribunal de district compétent en matière d’insolvabilité de Francfort-sur-le-Main, Allemagne) a ouvert la procédure d’insolvabilité de Condor. Dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, trois offres d’achat de Condor ont été soumises et celle de Polska Grupa Lotnicza (PGL) a été retenue. Même si un accord d’achat de Condor par PGL a été signé le 24 janvier 2020, cette dernière s’est ensuite retirée de cet accord le 13 avril 2020.
8 Ensuite, la pandémie de COVID-19 ayant entre-temps affecté le secteur aérien dans l’Union européenne, Condor s’est vu accorder consécutivement deux mesures d’aide individuelles visant à remédier aux dommages subis en raison de l’imposition de restrictions de voyage liées à ladite pandémie pendant la période allant du 17 mars au 31 décembre 2020 (ci-après l’« aide COVID-19 de 2020 »), et pendant la période allant du 1er janvier au 31 mai 2021 (ci-après l’« aide COVID-19 de 2021 »).
9 D’une part, par la décision C(2020) 2795 final, du 26 avril 2020, relative à l’aide d’État SA.56867 (2020/N, ex 2020/PN) – Allemagne – Indemnisation des dommages causés par la pandémie de COVID-19 à Condor (JO 2020, C 310, p. 5, ci-après la « décision antérieure »), la Commission, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, a conclu que l’aide COVID-19 de 2020, prenant la forme de deux prêts d’un montant total de 550 millions d’euros octroyés par la KfW et assortis d’une garantie d’État, était compatible avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE. Dans cette décision, elle a noté que, le montant des dommages subis par Condor ayant été calculé sur la base d’une estimation ex ante, les autorités allemandes s’étaient engagées à vérifier ex post si le montant de l’aide dépassait le montant des dommages ainsi qu’à récupérer auprès de Condor toute surcompensation qui aurait pu en résulter.
10 Le montant nominal des prêts en faveur de Condor notifiés par la République fédérale d’Allemagne se présentait, pour un total de 550 millions d’euros, comme suit :
– Prêt 1 :
– Tranche A : 256 millions d’euros
– Tranche B : 273,8 millions d’euros
– Prêt 2 : 20,2 millions d’euros.
11 L’élément d’aide approuvé par la décision antérieure était de 267,1 millions d’euros et se présentait comme suit :
– Prêt 1 :
– Tranche A : 18,9 millions d’euros
– Tranche B : 246,8 millions d’euros
– Prêt 2 : 1,4 million d’euros.
12 Par arrêt du 9 juin 2021, Ryanair/Commission (Condor ; Covid-19) (T 665/20, EU:T:2021:344), le Tribunal a annulé la décision antérieure, en raison d’un défaut de motivation, tout en suspendant les effets de cette annulation jusqu’à l’adoption d’une nouvelle décision par la Commission. Il a considéré, en substance, que, à la lumière des motifs de ladite décision, il lui était impossible de contrôler si la Commission avait pu conclure, sans éprouver de doutes, qu’il existait un lien de causalité direct entre, d’une part, les coûts encourus par Condor dans le cadre de la prolongation de sa procédure d’insolvabilité, laquelle avait été engagée à la suite de ses difficultés préexistantes non liées à la pandémie de COVID-19, étant précisé que lesdits coûts étaient inclus dans l’indemnisation prévue par l’aide COVID-19 de 2020 et, d’autre part, le fait générateur du dommage tel que défini dans cette décision, à savoir l’annulation et la reprogrammation des vols de Condor en raison des restrictions de voyages imposées dans le contexte de ladite pandémie [voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Ryanair/Commission (Condor ; Covid 19), T 665/20, EU:T:2021:344, point 61].
13 À la suite de l’arrêt du 9 juin 2021, Ryanair/Commission (Condor ; Covid 19) (T 665/20, EU:T:2021:344), la République fédérale d’Allemagne a procédé à l’évaluation ex post des dommages subis par Condor pour la période allant du 17 mars au 31 décembre 2020. Cette évaluation excluait les coûts encourus dans le cadre de la prolongation de sa procédure d’insolvabilité et chiffrait les dommages subis par Condor en raison des mesures de restriction de voyage et de confinement pendant ladite période à 175,355 millions d’euros. Par conséquent, l’élément d’aide ayant fait l’objet de la décision antérieure, d’un montant total de 267,1 millions d’euros, excédait de 91,745 millions d’euros le montant des dommages réellement subis, de sorte que Condor était surcompensée de ce dernier montant. Condor était ainsi en principe tenue de rembourser ledit montant.
14 D’autre part, le 23 juillet 2021, la République fédérale d’Allemagne a notifié à la Commission l’aide COVID-19 de 2021, laquelle consistait en une annulation partielle d’une dette de 60 millions d’euros faisant partie de la tranche B du prêt 1 de l’aide COVID-19 de 2020 ayant fait l’objet de la décision antérieure, et laquelle avait pour objectif d’indemniser les dommages subis par Condor sur la période allant du 1er janvier au 31 mai 2021.
15 Le 24 juillet 2021, la République fédérale d’Allemagne a notifié à la Commission son intention d’accorder à Condor une aide à la restructuration, laquelle comportait deux volets. Le premier volet consistait, d’une part, en la modification des conditions des prêts tels qu’ils figuraient dans la décision antérieure et, d’autre part, en l’annulation partielle de dettes d’un montant de 90 millions d’euros de la tranche B du prêt 1 de l’aide COVID-19 de 2020 ayant fait l’objet de ladite décision. Le second volet consistait en un renoncement de 20,2 millions d’euros correspondant aux intérêts dus sur la tranche B du prêt 1 de l’aide COVID-19 de 2020 ayant fait l’objet de cette décision (ci-après l’« aide à la restructuration »).
16 Les deux dernières aides, mentionnées aux points 14 et 15 ci-dessus, représentaient au total une annulation de dettes de 150 millions d’euros de la tranche B du prêt 1, ce qui a eu pour conséquence de réduire le montant nominal de cette tranche à 123,8 millions d’euros.
17 Dans ce contexte, la République fédérale d’Allemagne a présenté à la Commission une notification modifiée de l’aide COVID-19 de 2020 (ci-après la « mesure en cause »). Le montant nominal total des deux prêts envisagés a ainsi été rapporté à 400 millions d’euros, tandis que le montant de l’aide a été rapporté à 144,1 millions d’euros, en raison des annulations partielles de dettes correspondant à la tranche B du prêt 1. En outre, la notification modifiée n’incluait plus les coûts liés à la prolongation de la procédure d’insolvabilité de Condor.
18 Partant, le montant nominal des prêts dans le cadre de la mesure en cause se présentait désormais ainsi :
– Prêt 1 :
– Tranche A : 256 millions d’euros
– Tranche B : 123,8 millions d’euros
– Prêt 2 : 20,2 millions d’euros.
19 L’élément d’aide se présentait désormais, quant à lui, comme suit :
– Prêt 1 :
– Tranche A : 18,9 millions d’euros
– Tranche B : 123,8 millions d’euros
– Prêt 2 : 1,4 million d’euros.
20 La République fédérale d’Allemagne a indiqué que les annulations partielles de dettes prévues par l’aide COVID-19 de 2021 et par l’aide à la restructuration avaient ainsi pour conséquence, notamment, l’absorption complète de la surcompensation de 91,745 millions d’euros reçue par Condor pour la période allant du 17 mars au 31 décembre 2020 (voir point 13 ci-dessus).
21 Par la décision C(2021) 5731 final du 26 juillet 2021 sur l’aide SA.63617 (2021/N) – Allemagne – COVID-19 : Compensation des dommages de Condor II, devenue définitive faute de recours juridictionnel à son égard, la Commission a approuvé l’aide COVID-19 de 2021.
22 Le même jour, par sa décision C(2021) 5729 final relative à l’aide d’État SA.63203 (2021/N) – Allemagne – Aide à la restructuration en faveur de Condor (ci-après la « décision sur l’aide à la restructuration »), la Commission a approuvé l’aide à la restructuration. Cette décision a été annulée par l’arrêt du 8 mai 2024, Ryanair/Commission (Condor ; aide à la restructuration) (T 28/22, sous pourvoi, EU:T:2024:301), au motif que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la question de savoir si la mesure litigieuse satisfaisait à l’exigence prévue au point 67 des lignes directrices S&R en matière de juste répartition des charges [arrêt du 8 mai 2024, Ryanair/Commission (Condor ; aide à la restructuration), T 28/22, sous pourvoi, EU:T:2024:301, point 234].
23 Par la décision attaquée, la Commission, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, a conclu que la mesure en cause constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et qu’elle était compatible avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.
II. Conclusions des parties
24 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
25 La Commission, la République fédérale d’Allemagne et Condor concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
III. En droit
26 À l’appui du recours, la requérante soulève quatre moyens, tirés, en substance, le premier, d’une application erronée de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE et d’une erreur manifeste d’appréciation, le deuxième, d’une violation des principes de non-discrimination, de libre prestation des services et de liberté d’établissement, le troisième, d’une violation de ses droits procéduraux et, le quatrième, d’une violation de l’obligation de motivation.
A. Sur la recevabilité du recours en tant qu’il vise à contester le bien-fondé de la décision attaquée
27 La requérante soutient qu’elle est « intéressée » au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et « partie intéressée » au sens de l’article 1er, sous h), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), et que, dès lors, elle a qualité pour agir afin de défendre ses droits procéduraux. Elle fait également valoir qu’elle est directement et individuellement concernée par la décision attaquée, ce qui lui permettrait d’introduire un recours en annulation à l’encontre de cette décision, prise sans ouverture de la procédure formelle d’examen, visant à la fois la sauvegarde de ses droits procéduraux et la contestation du bien-fondé de ladite décision.
28 La Commission, la République fédérale d’Allemagne et Condor ne contestent pas que la requérante a qualité pour agir afin de défendre ses droits procéduraux. En revanche, selon elles, l’argumentation de la requérante ne serait pas recevable à contester le bien-fondé de la décision attaquée.
29 Dans la présente affaire, la Commission a décidé, à l’issue d’un examen préliminaire, de ne pas soulever d’objections à l’encontre de la mesure en cause, au motif qu’elle était compatible avec le marché intérieur. Dans la mesure où la procédure formelle d’examen n’a pas été ouverte, les parties intéressées, qui auraient pu déposer des observations durant cette phase, ont été privées de cette possibilité. Pour y remédier, il leur est reconnu le droit de contester, devant le juge de l’Union, la décision prise par la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen. Ainsi, un recours introduit par une partie intéressée au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE qui vise à l’annulation de la décision de ne pas soulever d’objections est recevable dès lors que l’auteur de ce recours tend à faire sauvegarder les droits procéduraux qu’il tire de cette disposition (voir arrêt du 18 novembre 2010, NDSHT/Commission, C 322/09 P, EU:C:2010:701, point 56 et jurisprudence citée).
30 Au regard de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, une entreprise concurrente de la bénéficiaire d’une mesure d’aide figure parmi les « parties intéressées », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE [voir arrêt du 8 mai 2024, Ryanair/Commission (Condor ; aide à la restructuration), T 28/22, sous pourvoi, EU:T:2024:301, point 18 (non publié) et jurisprudence citée].
31 En l’espèce, il n’est pas contesté que Ryanair est une concurrente de Condor et que, dès lors, elle est une partie intéressée au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, ayant qualité pour agir afin de sauvegarder les droits procéduraux qu’elle tire de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.
32 En ce qui concerne la qualité de la requérante pour contester le bien-fondé de la décision attaquée, il convient de relever que cette décision ne constitue pas un acte réglementaire aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dès lors qu’elle n’est pas un acte de portée générale (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C 583/11 P, EU:C:2013:625, point 56). Dès lors, la requérante doit démontrer qu’elle est directement et individuellement concernée par cette décision, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
33 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223 ; du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169/84, EU:C:1986:42, point 22, et du 22 novembre 2007, Sniace/Commission, C 260/05 P, EU:C:2007:700, point 53).
34 Ainsi, lorsqu’une partie requérante met en cause le bien-fondé d’une décision d’appréciation d’une aide prise sur le fondement de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ou à l’issue de la procédure formelle d’examen, le simple fait qu’elle puisse être considérée comme « intéressée », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours. Elle doit alors démontrer qu’elle a un statut particulier au sens de la jurisprudence rappelée au point 33 ci-dessus. Il en est notamment ainsi lorsque la position de la partie requérante sur le marché concerné est substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision en cause (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 37 et jurisprudence citée).
35 S’agissant des éléments admis par la jurisprudence pour établir une telle atteinte substantielle, il convient de rappeler que le simple fait qu’un acte soit susceptible d’exercer une certaine influence sur les rapports de concurrence existant dans le marché pertinent et que l’entreprise concernée se trouve dans une quelconque relation de concurrence avec le bénéficiaire de cet acte ne saurait suffire pour que ladite entreprise puisse être considérée comme étant individuellement concernée par ledit acte. Dès lors, une entreprise ne saurait se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 60 et jurisprudence citée).
36 En l’espèce, la requérante se borne à invoquer, en substance, le fait qu’elle est une concurrente de Condor sur le marché pertinent et à décrire dans des termes généraux certaines caractéristiques de ce marché, à savoir qu’il serait « concentré », que la concurrence y serait faussée par des aides d’État octroyées à ses concurrents, que la mesure en cause « aggrave[rait] [sa] situation », qu’elle serait « isolée en tant qu’acteur important non bénéficiaire d’une aide d’État » et qu’il existerait une « surcapacité sur le marché allemand et, plus largement, sur le marché de l’Union ».
37 Toutefois, de telles affirmations générales ne suffisent pas pour démontrer que la mesure en cause était susceptible de porter substantiellement atteinte à la position concurrentielle de la requérante sur le marché concerné.
38 En effet, d’une part, comme cela a été discuté lors de l’audience, la requérante était en concurrence avec Condor uniquement pour les ventes de « sièges secs », c’est-à-dire les ventes de sièges directement aux clients finaux, et, contrairement à elle, Condor était une compagnie aérienne charter pour laquelle la vente de tels « sièges secs » ne représentait qu’une part limitée de ses ventes. En revanche, il n’existait pas de rapport de concurrence entre la requérante et Condor pour les ventes de billets d’avion aux voyagistes et aux agences de voyages, y compris pour des vols long-courriers et de niche, ce qui constituait l’activité principale de Condor [arrêt du 8 mai 2024, Ryanair/Commission (Condor ; aide à la restructuration), T 28/22, sous pourvoi, EU:T:2024:301, point 26 (non publié)]. Il en découle que si la requérante était, certes, une concurrente de Condor, les rapports de concurrence entre elles étaient plutôt limités. Cela est corroboré par le fait que, selon la requérante elle-même, elle n’était en concurrence directe avec Condor que sur seize liaisons au départ ou à destination de l’Allemagne en 2021.
39 D’autre part, même à supposer que, à la différence de Condor et d’autres compagnies aériennes, la requérante n’ait pas bénéficié d’une aide d’État octroyée par l’État allemand, cela n’apporte aucune information quant à l’impact concret de la mesure en cause sur sa position concurrentielle, contrairement à ce qu’exige la jurisprudence. Il en va de même s’agissant de l’allégation de la requérante selon laquelle ce marché est « concentré » ou caractérisé par une « surcapacité ».
40 Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que la requérante n’a pas démontré être individuellement concernée par la décision attaquée et n’a, dès lors, pas qualité pour contester le bien-fondé de celle-ci.
41 Il s’ensuit que les deux premiers moyens, portant sur le bien-fondé de la décision attaquée, sont irrecevables.
42 En revanche, le troisième moyen, relatif à la sauvegarde par la requérante de ses droits procéduraux, est recevable.
43 Cela étant, la requérante est en droit, pour démontrer la violation de ses droits procéduraux en raison des doutes que la mesure en cause aurait dû susciter quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, d’invoquer des arguments tendant à démontrer que le constat de la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur auquel la Commission était parvenue était erroné, ce qui, a fortiori, est de nature à établir que la Commission aurait dû éprouver des doutes lors de son appréciation de la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur. Partant, le Tribunal est habilité à examiner les arguments de fond présentés par la requérante dans le cadre de ses deux premiers moyens, auxquels celle-ci renvoie dans le cadre de son troisième moyen, afin de vérifier s’ils sont de nature à conforter le moyen expressément formé par elle concernant l’existence de doutes justifiant l’ouverture de la procédure visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE [voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2022, Ryanair/Commission (Condor ; aide au sauvetage), T 577/20, EU:T:2022:301, point 20 et jurisprudence citée].
44 S’agissant du quatrième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation, il convient de souligner que la méconnaissance de l’obligation de motivation relève de la violation des formes substantielles et constitue un moyen d’ordre public qui doit être soulevé d’office par le juge de l’Union et ne se rapporte pas à la légalité au fond de la décision attaquée [voir arrêt du 18 mai 2022, Ryanair/Commission (Condor ; aide au sauvetage), T 577/20, EU:T:2022:301, point 21 et jurisprudence citée].
B. Sur le bien-fondé des troisième et quatrième moyens
1. Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des droits procéduraux de la requérante
45 La requérante relève, afin de démontrer que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur, deux groupes d’indices correspondant, en substance, à ses deux premiers moyens, auxquels elle renvoie. Ces indices concernent la conformité de ladite mesure, d’une part, avec l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE et, d’autre part, avec les principes généraux de non-discrimination, de libre prestation de services et de liberté d’établissement.
46 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, lorsque la Commission ne peut pas acquérir la conviction, à la suite d’un premier examen mené dans le cadre de la procédure visée par l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qu’une mesure d’aide d’État soit ne constitue pas une « aide » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, soit, si elle est qualifiée d’aide, est compatible avec le traité FUE, ou lorsque cette procédure ne lui a pas permis de surmonter les difficultés sérieuses soulevées par l’appréciation de la compatibilité de la mesure considérée, cette institution est dans l’obligation d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, sans disposer à cet égard d’une marge d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2005, Italie/Commission, C 400/99, EU:C:2005:275, point 47). Cette obligation est d’ailleurs expressément confirmée par les dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 15, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 (voir, par analogie, arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C 487/06 P, EU:C:2008:757, point 113).
47 L’article 4 du règlement 2015/1589 indique à cet égard que, pour autant que la mesure notifiée par l’État membre concerné constitue effectivement une aide, c’est la présence ou l’absence de « doutes » quant à la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur qui permet à la Commission de décider ou non d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’issue de son examen préliminaire.
48 La notion de « doutes » énoncée à l’article 4, paragraphes 3 et 4, du règlement 2015/1589, laquelle se traduit par l’existence de difficultés sérieuses que la Commission a rencontrées lors de l’examen du caractère d’aide de la mesure en cause ou de sa compatibilité avec le marché intérieur, revêt un caractère objectif. L’existence de tels doutes doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de l’acte attaqué que dans son contenu, d’une manière objective, en mettant en relation les motifs de la décision avec les éléments dont la Commission pouvait disposer lorsqu’elle s’est prononcée sur la compatibilité de l’aide en cause avec le marché intérieur. Il en découle que le contrôle de légalité effectué par le Tribunal sur l’existence de doutes dépasse, par nature, la recherche de l’erreur manifeste d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 2009, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C 431/07 P, EU:C:2009:223, point 63, et du 10 juillet 2012, Smurfit Kappa Group/Commission, T 304/08, EU:T:2012:351, point 80 et jurisprudence citée).
49 Il appartient à la partie requérante de prouver l’existence de doutes, preuve qu’elle peut fournir à partir d’un faisceau d’indices concordants (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission, T 68/15, EU:T:2018:563, point 63 et jurisprudence citée).
50 Il convient également de rappeler que l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE prévoit que les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres évènements extraordinaires sont compatibles avec le marché intérieur. Les aides qui remplissent les trois conditions énoncées à l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE (une calamité naturelle ou un évènement extraordinaire a eu lieu, un lien direct existe entre les dommages à indemniser et l’évènement extraordinaire et l’aide est proportionnelle aux dommages causés par l’évènement extraordinaire) doivent être déclarées compatibles avec le marché intérieur (voir arrêt du 25 juin 2008, Olympiaki Aeroporia Ypiresies/Commission, T 268/06, EU:T:2008:222, point 51 et jurisprudence citée).
51 En outre, il ressort de la jurisprudence que le traité FUE ne s’oppose pas à une application concomitante de l’article 107, paragraphe 2, sous b), et de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, pour autant que les conditions de chacune de ces deux dispositions soient réunies. Ainsi, rien ne s’oppose à ce que le bénéficiaire d’une aide au titre de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE soit une entreprise en difficulté [arrêt du 18 octobre 2023, Ryanair/Commission (Alitalia I ; COVID-19), T 225/21, non publié, EU:T:2023:644, point 47].
52 Partant, le fait que Condor soit une entreprise en difficulté ayant bénéficié d’une aide au sauvetage et d’une aide à la restructuration n’empêche pas qu’elle bénéficie également d’une aide au titre de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, à condition que les conditions prévues par cette disposition soient remplies. Cette circonstance ne peut pas non plus justifier une appréciation différente ou plus stricte de ces conditions pour une telle entreprise.
53 Pour autant, le fait générateur du dommage, tel que défini dans la décision attaquée, doit être la cause déterminante du dommage auquel l’aide en cause vise à remédier et être directement à l’origine de ce dernier. Un lien direct n’existe que lorsque le dommage est la conséquence directe de l’évènement en question et ne dépend pas de l’interposition d’autres causes. Ainsi, il incombe à la Commission de s’interroger avec une attention particulière sur la question de savoir si ledit fait générateur était véritablement la cause déterminante du dommage causé au bénéficiaire de l’aide concernée ou si, au contraire, une partie de ce dommage était due aux difficultés préexistantes de ce bénéficiaire [voir arrêt du 18 octobre 2023, Ryanair/Commission (Alitalia I ; COVID-19), T 225/21, non publié, EU:T:2023:644, point 46 et jurisprudence citée].
54 C’est au regard de ces considérations qu’il convient d’examiner les indices invoqués par la requérante.
a) Sur le premier groupe d’indices, concernant la conformité de la mesure en cause avec l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE
55 La requérante invoque, premièrement, une série d’indices relatifs à l’absence de lien de causalité direct entre les restrictions de voyage et les dommages causés à Condor, deuxièmement, une série d’indices liés à la quantification du dommage, troisièmement, un indice tiré du risque de débordement de l’aide en faveur des filiales de Condor, quatrièmement, un indice tiré de la méconnaissance par la Commission de l’avantage concurrentiel obtenu par Condor, cinquièmement, un indice tiré de la sous-estimation du montant de l’aide et, sixièmement, un indice tiré d’un risque de double compensation découlant du cumul de l’aide prévue par la mesure en cause avec l’aide au sauvetage.
56 Il ressort de la décision attaquée que l’objectif de la mesure en cause est d’indemniser Condor des dommages subis en raison des mesures de restriction de voyage et autres mesures de confinement prises par l’Allemagne et d’autres États au cours de la période allant du 17 mars au 31 décembre 2020 dans le contexte de la pandémie de COVID-19. L’évaluation des dommages a été opérée selon deux périodes de compensation distinctes, sur la base des données contenues dans le plan d’entreprise de Condor établi en janvier 2020, c’est-à-dire avant l’éclatement de ladite pandémie (ci-après le « plan d’entreprise pour 2020 »). C’est sur ce fondement que la Commission a fondé le scénario contrefactuel, tendant à estimer les résultats financiers de Condor dans l’hypothèse où les mesures de restriction de voyage et autres mesures de confinement n’avaient pas été adoptées. D’une part, pour la période comprise entre le 17 mars et le 30 juin 2020 (ci-après la « première période de compensation »), les dommages ont été calculés en comparant le bénéfice avant impôts (ci-après le « BAI ») réel de Condor pendant cette période avec le BAI prévisionnel de celle-ci, issu dudit plan, pour cette même période, lequel reflétait les résultats que celle-ci pouvait espérer en l’absence de restrictions de voyage et autres mesures de confinement imposées au niveau national, européen et international. Le montant des dommages pour cette première période a été estimé par la Commission à 71,9 millions d’euros.
57 D’autre part, pour la période allant du 1er juillet au 31 décembre 2020 (ci-après la « seconde période de compensation »), les dommages ont été évalués selon une méthode « liaison par liaison » afin de ne prendre en considération que les liaisons directement touchées par les restrictions imposées dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et qui étaient toujours en vigueur pendant ladite période. Cette méthode différente est justifiée par le fait que, durant cette période, les limitations imposées n’étaient pas aussi importantes que durant la première période de compensation et visent à écarter l’impact d’autres facteurs indirects tels que la chute de la demande due à l’incertitude ou la généralisation du télétravail. En effet, durant cette période, la plupart des restrictions de voyage entre les États membres ou à l’intérieur de l’espace Schengen ont été levées progressivement, même si de nombreuses restrictions de voyage depuis et à destination d’États tiers demeuraient en vigueur. Ainsi, pour établir, dans le cadre du scénario contrefactuel, le nombre de passagers directement empêchés de voyager en raison des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement durant la seconde période de compensation, la méthode a consisté à identifier les liaisons opérées par Condor qui n’étaient plus affectées par les mesures de restriction de voyage ou de confinement et à comparer le nombre de passagers enregistré sur ces liaisons pendant la période en question avec celui prévu dans le plan d’entreprise pour 2020. L’objectif était d’identifier le plus précisément possible le nombre de passagers qui auraient voyagé en l’absence des restrictions par comparaison avec le nombre de passagers qui n’auraient en tout état de cause pas voyagé, même en l’absence de restrictions de voyage. En effet, les dommages se rapportant au premier groupe de passagers correspondaient aux coûts de Condor pouvant être compensés, tandis que les dommages se rapportant au second groupe de passagers n’étaient pas éligibles à une compensation. Sur la base de ladite méthode, la Commission a estimé qu’environ 45 % du nombre de passagers prévisionnel auraient voyagé sur les destinations affectées par des restrictions de voyage ou de confinement en l’absence de telles mesures. Le montant des dommages a donc été calculé, sur la base des BAI réel et prévisionnel de Condor sur la période concernée, comme étant la perte de revenus résultant de la différence entre le nombre de passagers transportés par Condor pendant la seconde période de compensation sur les liaisons affectées par des mesures de restriction de voyage ou de confinement et les 45 % de passagers que Condor aurait pu espérer faire voyager en l’absence de telles restrictions. Le montant des dommages pour cette dernière période a été estimé à 103,414 millions d’euros.
1) Sur la série d’indices relatifs à l’absence de lien de causalité direct entre les restrictions de voyage et les dommages causés à Condor
58 La requérante fait valoir que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à l’existence d’un lien de causalité direct entre les restrictions de voyage imposées dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et les dommages causés à Condor. Elle soulève à cet égard six indices révélant, selon elle, l’absence d’un tel lien.
i) Sur l’utilisation d’un indicateur erroné pour le calcul du dommage
59 La requérante soutient que la Commission a utilisé un indicateur erroné, à savoir le BAI, pour calculer le montant des dommages subis par Condor. Selon elle, dans la mesure où le BAI reflète, d’une part, la structure du capital de l’entreprise par la prise en compte des coûts liés aux intérêts versés et, d’autre part, la nature de la base des actifs de l’entreprise par la prise en compte des dépréciations et des amortissements, il reflète des coûts qui ont augmenté pour des raisons étrangères à la pandémie de COVID-19. Elle estime que toute hausse des charges d’intérêts, de dépréciation et d’amortissement potentiellement imputables à l’insolvabilité de Condor est susceptible de réduire le BAI de cette entreprise dans le scénario factuel et d’augmenter ainsi le dommage estimé. Partant, la Commission aurait dû, pour tenir compte de la fluctuation des intérêts, des dépréciations et des amortissements d’une entreprise en difficulté, telle que Condor, utiliser un autre indicateur, à savoir le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements (EBITDA), pour calculer les dommages. En outre, l’utilisation de l’EBITDA serait considérée par la Commission elle-même comme préférable dans un document intitulé « Notification template for State aid measures notified under Article 107(2)(b) TFEU in the context of the COVID-19 outbreak ».
60 La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et Condor, conteste ces arguments.
61 À titre liminaire, il convient de noter que le BAI est un indicateur permettant de mesurer la performance financière d’une entreprise selon la formule recettes moins dépenses, hors impôts. L’EBITDA, en revanche, exclut des dépenses, non seulement les impôts, mais également les coûts de dépréciation, d’amortissement et des intérêts.
62 Il n’est pas contesté que ces deux indicateurs font partie des indicateurs reconnus et fréquemment utilisés pour mesurer la performance d’une entreprise.
63 Partant, comme le fait valoir la Commission, dans la mesure où tant l’EBITDA que le BAI sont des indicateurs valides et reconnus, le simple fait qu’il existe plusieurs indicateurs pour mesurer la performance d’une entreprise n’implique pas que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant au caractère approprié de celui choisi par la République fédérale d’Allemagne à cette fin.
64 Il convient donc d’examiner si la requérante est parvenue à démontrer que, en l’espèce, il existait des éléments concrets susceptibles de faire naître des doutes quant à l’utilisation du BAI.
65 La différence entre le BAI et l’EBITDA concerne, en substance, la prise en compte de certains coûts, à savoir ceux liés à la dépréciation, l’amortissement et les intérêts. Selon la requérante, ces coûts peuvent avoir augmenté en 2020 par rapport à ceux enregistrés en 2019 pour des raisons qui ne seraient pas liées à la pandémie de COVID-19. À cette fin, elle se réfère aux états financiers de Condor dans lesquels elle identifie certains éléments de coûts « potentiellement imputables » à l’insolvabilité de sa société mère et supportés par Condor en 2019, faisant valoir qu’il est « possible » qu’une partie des coûts liés à l’insolvabilité de Thomas Cook ou de Condor aient été comptabilisés dans les résultats financiers de Condor en 2020, ce qui aurait conduit à une surcompensation des dommages.
66 D’une part, ces exemples, dans la mesure où ils se fondent sur les résultats de Condor enregistrés en 2019, sont d’une pertinence limitée, car la Commission a décidé de ne pas fonder le scénario contrefactuel sur les résultats enregistrés par Condor en 2019 car ceux-ci étaient affectés par la faillite de Thomas Cook et n’a donc pas quantifié le dommage sur la base de ces résultats.
67 D’autre part, quant au risque de surcompensation auquel se réfère la requérante, il convient de relever que ses arguments en ce sens sont purement spéculatifs et ne sont pas suffisamment étayés. En effet, la requérante se borne à affirmer que le BAI « peut » refléter des éléments de coûts qui auraient augmenté en 2020 par rapport à ceux enregistrés en 2019 pour des raisons qui ne seraient pas liées à la pandémie de COVID-19 ou encore qu’il est « possible » qu’une partie des coûts liés à l’insolvabilité de Thomas Cook ou de Condor auraient été comptabilisés dans les résultats financiers de Condor en 2020. Or, de telles affirmations, lesquelles ne reposent que sur de simples hypothèses, ne sont pas susceptibles de démontrer que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à l’utilisation du BAI.
68 De surcroît, en l’espèce, il est constant que le BAI a été utilisé de manière uniforme pour mesurer la performance de Condor tant dans le scénario factuel que dans le scénario contrefactuel, de sorte que les coûts liés aux intérêts, à la dépréciation et à l’amortissement ont été pris en compte dans les deux scénarios.
69 En tout état de cause, les arguments de la requérante tirés d’un risque de surcompensation doivent être rejetés comme inopérants. En effet, il ressort du tableau 26 de la décision attaquée, dont la confidentialité des données a été levée par la Commission en réponse à une question écrite du Tribunal, que, contrairement à ce qu’allègue la requérante, la Commission a bel et bien évalué les résultats financiers de Condor tant sur la base de l’EBITDA que sur la base du BAI, en ce qui concerne la première période de compensation. Il en ressort une différence de 0,7 million d’euros, selon l’indicateur utilisé.
70 Or, comme cela ressort du point 222 de la décision attaquée, le dommage causé à Condor par les restrictions de voyage et autres mesures de confinement, s’élevant à 175,355 millions d’euros, est supérieur de 31,255 millions d’euros au montant de l’élément d’aide, lequel s’élève à 144,1 millions d’euros. Partant, une différence de 0,7 million d’euros quant à la quantification du dommage, selon que celui-ci est calculé sur la base du BAI ou de l’EBITDA, ne changerait en rien le fait que le montant des dommages dépasse de loin le montant de l’élément de l’aide, de sorte qu’aucune surcompensation ne saurait en résulter quel que soit l’indicateur utilisé.
71 Quant à la seconde période de compensation, s’il est vrai que la décision attaquée ne contient pas de données relatives à l’EBITDA, rien n’indique, et la requérante ne l’allègue même pas, que, à la différence de la première période de compensation, l’EBITDA de Condor serait de plus de 30 millions d’euros plus bas que son BAI, de sorte que l’utilisation de l’EBITDA aurait pour conséquence que le montant du dommage subi par Condor au cours de la période de compensation globale serait inférieur à celui de l’élément de l’aide. En effet, même après avoir pris connaissance des données contenues dans le tableau 26 de ladite décision, la requérante est restée en défaut d’identifier un quelconque élément susceptible de suggérer que les coûts de dépréciation, d’amortissement ou des intérêts de Condor encourus ou prévus pour la seconde période de compensation auraient varié de ceux encourus ou prévus pour la première période de compensation à un tel point que l’utilisation de l’EBITDA, au lieu du BAI, aurait eu un impact décisif sur la proportionnalité de la mesure en cause.
72 Enfin, quant aux arguments de la requérante tirés du document intitulé « Notification template for State aid measures notified under Article 107(2)(b) TFEU in the context of the COVID-19 outbreak », il suffit de relever, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la question de savoir si ce document liait juridiquement la Commission, que celui-ci n’exprime qu’une préférence adressée aux États membres tendant à ce que, dans leurs notifications, ils utilisent l’EBITDA pour calculer le dommage. En revanche, ce document ne contient aucun engagement ferme de la part de la Commission indiquant que cet indicateur, à l’exclusion de tout autre indicateur reconnu, soit le seul sur la base duquel elle effectuera son examen des mesures d’aide fondées sur l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE dans le contexte de la pandémie de COVID-19.
73 Dans ces circonstances, ces arguments doivent être rejetés.
ii) Sur l’utilisation du BAI prévisionnel de Condor pour 2020
74 Premièrement, la requérante reproche à la Commission d’avoir fondé le scénario contrefactuel du calcul du dommage sur le plan d’entreprise pour 2020, lequel ne serait pas réaliste dans la mesure où il se fondait sur l’hypothèse selon laquelle Condor serait acquise par un investisseur, à savoir PGL. Selon elle, rien n’indique pourtant que l’échec de cette vente soit lié à la pandémie de COVID 19, de sorte que la Commission aurait dû également examiner un tel scénario contrefactuel fondé sur l’échec d’une telle vente, même en l’absence de pandémie. Elle estime que, en l’absence d’investisseur, la restructuration de Condor n’aurait pas abouti, entraînant sa liquidation et donc la diminution de ses bénéfices prévisionnels dans ledit scénario contrefactuel.
75 Dans la décision attaquée, le scénario contrefactuel retenu par la Commission est fondé sur le plan d’entreprise pour 2020, lequel avait été établi avant la pandémie de COVID-19, de sorte qu’il n’a pas été affecté par celle-ci. Selon la Commission, ce plan dressait les résultats que Condor pouvait s’attendre à obtenir en l’absence de cette pandémie. Il convient également de noter que la Commission a décidé de ne pas fonder le scénario contrefactuel sur les résultats enregistrés par Condor en 2019, car ceux-ci étaient affectés par la faillite de Thomas Cook, Condor ayant fait partie de ce groupe pendant une grande période de cette année, tandis que ledit plan était élaboré sur la prémisse que Condor n’en faisait plus partie.
76 Or, rien n’indique que la Commission aurait dû éprouver des doutes lorsqu’elle a décidé de fonder le scénario contrefactuel sur le plan d’entreprise pour 2020.
77 En effet, d’une part, pour les raisons exposées au point 75 ci-dessus, le plan d’entreprise pour 2020 constituait une base plus fiable pour l’évaluation des résultats auxquels Condor pouvait s’attendre en l’absence des restrictions de voyage et autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID 19 que les résultats réellement dégagés par elle en 2019, en raison du fait que ces derniers étaient contaminés par la faillite de Thomas Cook. D’autre part, comme cela est constaté dans la décision attaquée, ce plan avait été approuvé par un expert indépendant ainsi que par l’Amtsgericht Insolvenzgericht Frankfurt am Main (tribunal de district compétent en matière d’insolvabilité de Francfort-sur-le-Main) dans le cadre de la procédure d’insolvabilité de Condor. Dans ces circonstances, la Commission pouvait, sans éprouver de doutes, considérer que les données contenues dans ledit plan étaient fiables.
78 De surcroît, comme le fait valoir à juste titre la Commission, plusieurs éléments prévalant à l’époque des faits permettaient d’envisager la vente de Condor en l’absence des effets néfastes que la pandémie de COVID-19 a notamment provoqués dans le secteur du transport aérien. En effet, Condor était une entreprise intrinsèquement saine dont les résultats financiers ont été négativement impactés par les difficultés de sa société mère. Cela a été constaté par l’Amtsgericht Insolvenzgericht Frankfurt am Main (tribunal de district compétent en matière d’insolvabilité de Francfort-sur-le-Main) ainsi que par la Commission dans des décisions antérieures, notamment la décision sur l’aide au sauvetage, laquelle fait partie du contexte dans lequel s’insère la décision attaquée. Il ressort de cette dernière décision que les résultats financiers de Condor pris isolément étaient positifs avant ladite pandémie, ce qui a amené ledit tribunal national à conclure que le besoin de restructuration de Condor n’était pas dû à des lacunes de son modèle d’entreprise, mais à l’insolvabilité de Thomas Cook. En outre, si la vente de Condor à PGL n’a finalement pas eu lieu, il n’en reste pas moins que plusieurs autres offres d’achat avaient été soumises, ce que la requérante ne conteste pas. Cela tend à démontrer que, avant l’éclatement de cette pandémie, plusieurs investisseurs avaient manifesté un intérêt pour racheter Condor.
79 Au vu de ces éléments, le scénario contrefactuel retenu par la Commission, reposant sur le plan d’entreprise pour 2020, lequel prévoyait notamment le rachat de Condor en 2020 par un investisseur, était un scénario plausible sur lequel la Commission pouvait se fonder sans éprouver de doutes.
80 En tout état de cause, la requérante ne démontre pas que le scénario contrefactuel qu’elle préconise, à savoir un scénario dans lequel Condor n’aurait trouvé aucun investisseur, même en l’absence de pandémie de COVID-19, aurait nécessairement abouti à sa liquidation.
81 Deuxièmement, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir vérifié « de manière indépendante » le plan d’entreprise pour 2020. À cet égard, il suffit de relever, comme il a été constaté au point 77 ci-dessus, que ce plan a été approuvé, d’une part, par un expert indépendant et, d’autre part, par l’Amtsgericht Insolvenzgericht Frankfurt am Main (tribunal de district compétent en matière d’insolvabilité de Francfort-sur-le-Main), de sorte que la Commission pouvait, sans éprouver de doutes, considérer que les données contenues dans ledit plan étaient fiables.
82 Troisièmement, la requérante fait valoir que les prévisions figurant dans le plan d’entreprise pour 2020 s’avéraient proches des résultats de Condor enregistrés en 2019, de sorte que la Commission aurait supposé que Condor aurait atteint en 2020 quasiment les mêmes recettes et dépenses qu’en 2019, ce qui serait une hypothèse irréaliste. À cet égard, elle se réfère au point 66 de la décision attaquée dans lequel il est indiqué que, en mars 2020, le nombre de passagers transportés par Condor aurait baissé de près de 50 %, à la fois par rapport à la même période en 2019 et par rapport aux prévisions réalisées avant la pandémie de COVID-19. Elle illustre également cet argument par le fait que le BAI de Condor se serait détérioré et aurait été négatif lors de chaque exercice entre 2016 et 2019, ce qui laisserait supposer que son BAI se serait encore détérioré en 2020 par rapport à celui mesuré en 2019.
83 À cet égard, dans la mesure où l’argument de la requérante pris de ce que la Commission a supposé de manière irréaliste que Condor aurait atteint en 2020 quasiment les mêmes recettes et dépenses qu’en 2019 est fondé sur le paragraphe 66 de la décision attaquée, force est de constater que ce paragraphe porte sur le nombre total de passagers transportés par Condor, et non sur l’ensemble des coûts et revenus de celle-ci. En outre, il convient de rappeler que, comme il a été constaté au point 78 ci-dessus, Condor était une entreprise intrinsèquement saine, dont les résultats isolés montraient qu’elle était rentable. Partant, la requérante a tort de soutenir qu’il était irréaliste de s’attendre à ce que le nombre de passagers transportés par Condor tel que prévu dans le plan d’entreprise pour 2020 soit proche de celui de 2019.
84 S’agissant des coûts et revenus de Condor prévus dans le plan d’entreprise pour 2020, par rapport à ceux enregistrés en 2019, il convient de constater, à l’instar de la Commission, que, contrairement à ce qu’allègue la requérante, les données figurant dans les tableaux 27 et 29 de la décision attaquée démontrent que ledit plan prévoyait, en réalité, des résultats plus modestes que ceux enregistrés en 2019. Ainsi, ce plan reflète une approche prudente en prévoyant une certaine détérioration des résultats du BAI de Condor en 2020. Partant, l’argument de la requérante manque en fait.
85 Dès lors, il y a lieu de rejeter l’argumentation de la requérante.
iii) Sur la distinction entre les dommages subis par Condor en raison de l’imposition de restrictions de voyage liées à la pandémie de COVID-19 et les pertes dues à ses difficultés préexistantes
86 La requérante soutient que la décision attaquée ne fait pas de distinction entre, d’une part, le dommage causé par l’imposition de restrictions de voyages et les autres mesures de confinement dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et, d’autre part, les pertes dues aux difficultés préexistantes de Condor. Selon elle, la Commission a omis de s’assurer que l’aide à la restructuration et la mesure en cause ne compensaient pas les mêmes coûts deux fois.
87 En premier lieu, s’agissant des recettes de Condor, la requérante fait observer une fluctuation et une dégradation du BAI de Condor au cours de la période 2015-2019 en raison de la « situation incertaine » de Thomas Cook, de sorte qu’il aurait été difficile de prévoir avec précision les résultats futurs de Condor pour l’année 2020. Partant, elle réitère son argument selon lequel la Commission aurait dû examiner « de manière indépendante » le caractère plausible du plan d’entreprise pour 2020.
88 À cet égard, premièrement, et comme le reconnaît d’ailleurs la requérante elle-même, les résultats de Condor au cours de la période 2015-2019 ont été lourdement impactés par l’appartenance de celle-ci à Thomas Cook. Cette circonstance tend donc plutôt à démontrer que l’approche de la Commission consistant à ne pas utiliser ces données ne laissait place à aucun doute quant à la base la plus appropriée pour le scénario contrefactuel.
89 En outre et en tout état de cause, les résultats de Condor, enregistrés au cours de la période 2015-2019 et répertoriés par la requérante, ne démontrent pas l’existence d’une tendance claire à la baisse, laquelle aurait justifié des résultats encore plus négatifs que ceux prévus dans le plan d’entreprise pour 2020. En effet, il ressort de ces données que les résultats financiers de Condor n’étaient pas en baisse constante, mais présentaient tantôt des baisses, tantôt des hausses selon les années.
90 De même, dans la mesure où la requérante fait valoir que ces fluctuations auraient dû amener la Commission à examiner « de manière indépendante » les prévisions contenues dans le plan d’entreprise pour 2020, cet argument doit être écarté pour les mêmes raisons que celles énoncées au point 81 ci-dessus.
91 Deuxièmement, la requérante fait valoir dans la réplique, en substance, qu’un plan d’entreprise prospectif doit s’appuyer sur des résultats financiers couvrant une période de trois à cinq ans au minimum, ce qui démontrerait la pertinence des données de Condor pour la période 2015-2019. Toutefois, il convient de noter, à l’instar de la Commission, que, dans les circonstances de l’espèce, caractérisées par le fait que le bénéficiaire a connu des changements drastiques induits par la faillite de sa société mère et la mise à terme de son appartenance au groupe Thomas Cook au cours de l’année précédant la survenance de la pandémie de COVID-19, le plan d’entreprise pour 2020 pouvait être utilisé comme base du scénario contrefactuel. En outre, la Commission fait valoir à juste titre que l’analyse permettant de calculer les dommages subis par Condor consiste à examiner sa situation juste avant la survenance de ladite pandémie, pour déterminer les résultats qu’elle aurait pu atteindre en l’absence de celle-ci de sorte que des données antérieures de plusieurs années ne sont pas directement pertinentes à cet égard. Partant, les arguments en ce sens de la requérante doivent être rejetés.
92 En second lieu, la requérante fait valoir que plusieurs coûts prévus dans le scénario contrefactuel sont dus aux difficultés préexistantes de Condor.
93 Premièrement, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir pris en compte les coûts de maintenance croissants de la flotte vieillissante de Condor entre 2019 et 2020. Elle se réfère à cet égard à une étude de la RAND Corporation de 2006 intitulée « The Maintenance Costs of Aging Aircraft » (ci-après l’« étude RAND »). Dans la réplique, elle se réfère à une publication de l’Association du transport aérien international (IATA), laquelle indiquerait que les coûts de maintenance seraient en général plus élevés pour les appareils plus anciens.
94 À cet égard, d’une part, il convient de constater que l’étude RAND date de l’année 2006 et est fondée sur les données de seulement quatre compagnies aériennes actives sur le marché nord-américain, pour la période allant de 1965 à 1997. Par conséquent, compte tenu de l’ancienneté et de la portée géographique de l’étude, sa valeur probante afin de déterminer si les coûts de maintenance de la flotte de Condor auraient augmenté en l’absence de restrictions de voyage ne peut qu’être limitée [voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2023, Wizz Air Hungary/Commission (TAROM ; COVID 19), T 332/21, non publié, EU:T:2023:645, point 67].
95 D’autre part, il convient de relever que, selon l’étude RAND, dans le cas des aéronefs âgés de plus de douze ans, les coûts de maintenance n’augmentent que très peu, soit de 0,7 %, pendant chaque année additionnelle de leur vie utile. Par conséquent, compte tenu du fait que, selon les informations fournies par la requérante, l’âge moyen de la flotte de Condor était de 19,3 ans, il ne saurait être conclu, sur la base de cette étude, que les coûts de maintenance de la flotte de Condor auraient changé de manière significative en 2020 par rapport à 2019 [voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2023, Wizz Air Hungary/Commission (TAROM ; COVID-19), T 332/21, non publié, EU:T:2023:645, point 68].
96 S’agissant de la publication de l’IATA, celle-ci indique, certes, que les coûts de maintenance augmentent avec l’âge de l’aéronef. Toutefois, il en ressort également que « pour évaluer avec précision l’évolution des coûts de maintenance au cours de la durée de vie d’un aéronef, il faudrait disposer de données cohérentes sur une période d’au moins deux décennies, provenant de plusieurs exploitants dans plusieurs régions du monde » et que, en substance, il était difficile, en 2018, de calculer l’augmentation des frais de maintenance car il n’existait pas à cette date de méthode établie pour ce faire. Ainsi, cette publication ne permet pas de démontrer que les coûts de maintenance de la flotte de Condor auraient augmenté de façon significative entre 2019 et 2020, ce qui aurait justifié un ajustement des coûts dans le scénario contrefactuel. En effet, les éléments produits par la requérante démontrent tout au plus que les frais de maintenance d’une flotte vieillissante sont difficiles à prédire.
97 Deuxièmement, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir vérifié si le BAI de Condor dans le scénario factuel prenait en considération des coûts exceptionnels ou extraordinaires dus aux difficultés préexistantes de Condor. Elle fait référence aux états financiers de Condor de 2020, lesquels feraient apparaître des « pertes de valeurs sur stocks » d’un montant de 26,9 millions d’euros pendant la période allant du 1er décembre 2019 au 30 novembre 2020, lesquelles auraient dû être exclues du calcul des dommages.
98 En réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a précisé que la dépense identifiée par la requérante correspondait au montant cumulé de diverses « créances douteuses » intervenues durant la période allant du 1er décembre 2019 au 30 novembre 2020. Selon elle, lesdites créances étaient détenues par Condor et n’étaient plus recouvrables en raison du fait que les débiteurs étaient dans l’incapacité de payer. Étant donné que ces créances ne pouvaient pas être recouvrées, Condor a dû les déprécier dans ses états financiers. Afin d’étayer ces éléments, la Commission a produit une version non expurgée des tableaux 26 et 28 de la décision attaquée en faisant observer qu’aucune dépense exceptionnelle d’un montant de 26,9 millions d’euros ne figurait dans ces tableaux et que, plus généralement, sur la première période de compensation, aucune dépense n’était supérieure à ce montant.
99 Dans ces circonstances, il convient de constater, à l’instar de la Commission, qu’il ne ressort pas des tableaux 26 et 28 de la décision attaquée ni d’aucun autre élément du dossier que les dommages pris en compte dans le scénario factuel comprenaient une dépense exceptionnelle d’un montant de 26,9 millions d’euros.
100 Par ailleurs, le seul fait que la décision attaquée ne mentionne pas explicitement que Condor n’a pas supporté de coûts exceptionnels ou extraordinaires pendant la période de compensation n’est pas de nature à étayer l’argument de la requérante [voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2024, Wizz Air Hungary/Commission (TAROM II ; Covid 19), T 827/22, non publié, EU:T:2024:784, point 94].
101 Troisièmement, la requérante estime que la Commission aurait dû tenir compte, dans le scénario contrefactuel, des coûts supplémentaires engendrés par les mesures de restructuration que Condor devait mettre en place. Selon elle, la décision sur l’aide à la restructuration indiquait que des « mesures de transformation » étaient nécessaires, en particulier un renouvellement de la flotte long-courrier de Condor, de sorte que, en l’absence de la pandémie de COVID-19, Condor aurait mis en œuvre de telles mesures, ce qui aurait engendré des coûts supplémentaires liés à l’acquisition de nouveaux aéronefs.
102 Cet argument n’est pas étayé. En effet, la requérante ne démontre pas que de tels coûts, notamment ceux liés au renouvellement de la flotte de Condor, auraient été engagés pendant la période de compensation globale en l’absence de la pandémie de COVID-19. Au contraire, il ressort de la décision sur l’aide à la restructuration qu’une telle éventualité était assez improbable, dans la mesure où le renouvellement de la flotte n’était pas prévu avant plusieurs années à la suite de l’adoption de cette décision.
103 Dans la réplique, la requérante fait référence à d’autres coûts associés à des mesures de restructuration, concernant « le personnel, les contrats et les processus », lesquels consisteraient notamment en des coûts d’indemnités de licenciement. Toutefois, de tels arguments restent trop généraux pour permettre de constater que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la plausibilité du scénario contrefactuel.
104 Eu égard à ces éléments, il convient de rejeter l’argumentation de la requérante.
iv) Sur l’absence de prise en considération de certains facteurs externes
105 La requérante fait valoir que le plan d’entreprise pour 2020, et donc le scénario contrefactuel, ne tient pas suffisamment compte de plusieurs risques externes susceptibles d’affecter les résultats prévisionnels de Condor.
106 Premièrement, la requérante estime que les coûts de carburant varient de manière significative d’une année à l’autre et, partant, que la Commission ne pouvait pas présumer que ceux-ci resteraient stables entre 2019 et 2020. Au contraire, selon elle, il fallait s’attendre à une augmentation des prix du kérosène en 2020 par rapport à 2019. À cet égard, elle renvoie à des données montrant l’évolution des prix du carburant pour avion et de l’huile brute pendant la période allant de juin 2014 à juin 2021. Elle invoque également les prévisions de l’Energy Information Administration (Agence d’information sur l’énergie, États Unis) de janvier 2020, selon lesquelles le prix du carburant augmenterait de 4,2 % en 2020 par rapport à 2019.
107 Toutefois, les éléments relevés au point 106 ci-dessus tendent, en réalité, plutôt à démontrer qu’il n’existait aucune certitude quant à l’évolution du prix du carburant pour avion pendant la période concernée. En effet, il ressort des données auxquelles se réfère la requérante, d’une part, que le prix du carburant a fluctué de manière significative pendant la période allant de juin 2014 à juin 2021, connaissant des baisses et des hausses abruptes à de courts intervalles de temps et, d’autre part, que ledit prix était significativement plus élevé en 2019 qu’en 2020, ce qui contredit l’allégation de la requérante, fondée notamment sur les prévisions de l’Agence d’information sur l’énergie, selon laquelle il fallait s’attendre à une hausse du prix du kérosène en 2020 par rapport à 2019. En outre, compte tenu de la nature hautement volatile desdits prix, comme le démontrent les données présentées par la requérante elle-même, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir omis d’anticiper leur évolution [voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2024, Wizz Air Hungary/Commission (TAROM II ; Covid-19), T 827/22, non publié, EU:T:2024:784, point 74 et jurisprudence citée].
108 Deuxièmement, la requérante tire argument de l’évolution des taux d’intérêt et de change, de l’intensification de la concurrence, du déclin du marché des vols charter ainsi que d’autres risques de nature environnementale, économique et politique tels que le Brexit.
109 Cependant, la requérante ne démontre pas concrètement quel aurait été l’impact de ces facteurs sur le calcul des dommages.
110 En effet, d’une part, s’agissant de l’évolution des taux d’intérêt et de change, la requérante se borne à renvoyer aux états financiers de Condor dont il ressort, certes, que « Condor est exposée aux risques de taux d’intérêt [et] de change ». Toutefois, il en ressort également, en substance, que le risque d’augmentation des taux d’intérêt est limité, car ceux applicables aux prêts de la KfW sont fixes et que, pour le reste, « des instruments financiers sont utilisés pour limiter ces risques ». En outre, ces constatations sont de simples observations générales figurant dans une partie introductive, laquelle liste l’intégralité des risques financiers pouvant survenir. Elles ne démontrent donc pas qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce que les taux d’intérêt et de change, que ce soit de manière générale ou les taux spécifiques de Condor, fluctuent de manière inhabituelle en 2020.
111 D’autre part, s’agissant de l’intensification de la concurrence, du supposé déclin du marché des vols charter ainsi que d’autres risques de nature environnementale, économique et politique tels que le Brexit, il convient de constater, à l’instar de la Commission, que la requérante n’explique pas comment la Commission aurait pu tenir compte de tels risques en les quantifiant. Partant, cet argument est trop peu étayé et trop spéculatif pour prospérer [voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2024, Wizz Air Hungary/Commission (TAROM II ; Covid-19), T 827/22, non publié, EU:T:2024:784, point 76 et jurisprudence citée]. En tout état de cause, s’agissant de l’argument tiré des « difficultés globales » des compagnies charter, la requérante se contente de se référer à des études indiquant que ces compagnies enregistrent de mauvais résultats depuis plusieurs années en raison de la concurrence de compagnies à bas coûts. Toutefois, bien que les articles et études cités par la requérante dans ses écritures semblent effectivement illustrer des difficultés sur le marché des vols charter en Europe, ces éléments ne remettent pas en cause la conclusion figurant dans la décision attaquée. En effet, la situation des autres compagnies charter n’a que peu de pertinence, dans la mesure où, comme cela est constaté au point 78 ci-dessus, Condor était, indépendamment de sa relation avec Thomas Cook, une entreprise intrinsèquement saine.
112 Troisièmement, par un argument tiré de la dégradation des résultats financiers de Condor, la requérante soulève, en substance, des éléments identiques à ceux analysés dans le cadre des points 78 et 89 à 91 ci-dessus, de sorte qu’il convient de le rejeter pour les mêmes raisons que celles énoncées auxdits points.
113 Eu égard à ces éléments, il convient de rejeter l’argumentation de la requérante.
v) Sur la date de séparation entre les périodes de compensation
114 La requérante conteste la date de séparation fixée par la Commission entre la première période de compensation et la seconde période de compensation, soit le 30 juin 2020. Selon elle, cette date n’est pas justifiée, étant donné que l’Allemagne avait levé ses mesures de restriction de voyage entre le 15 et le 30 juin 2020. Dès lors, dans la mesure où les restrictions pendant ces quinze jours n’ont été que partielles, il ne saurait être exclu qu’une partie du dommage subi par Condor entre le 15 et le 30 juin 2020 ne soit pas directement imputable auxdites restrictions.
115 D’une part, s’agissant, en particulier, des restrictions imposées par l’Allemagne, la Commission a indiqué, aux paragraphes 37 à 44 de la décision attaquée, que les autorités allemandes avaient adopté diverses mesures entre le 17 mars et le 15 juin 2020 visant à endiguer la propagation de la pandémie de COVID-19, lesquelles comprenaient notamment un avertissement officiel généralisé aux voyageurs concernant le monde entier, s’agissant des voyages non essentiels au départ de l’Allemagne. Un tel avertissement était décrit par lesdites autorités comme la mesure la plus stricte à leur disposition pour limiter les déplacements, dans la mesure où une interdiction de voyage pure et simple n’était pas permise par le droit constitutionnel allemand. Cet avertissement a été levé à partir du 15 juin 2020 s’agissant des voyages vers les États membres, les États membres de l’espace Schengen et le Royaume-Uni, pour être remplacé par des avertissements individuels, détaillant la situation sanitaire de chaque pays concerné. En revanche, l’avertissement officiel généralisé aux voyageurs a été maintenu au-delà du 30 juin 2020 s’agissant des voyages vers les États autres que la Suisse, le Royaume-Uni et les États membres de l’Espace économique européen.
116 De même, s’agissant des voyages à destination de l’Allemagne et en provenance d’États non membres de l’espace Schengen, les autorités allemandes ont introduit, le 17 mars 2020, des restrictions d’entrée sur le territoire pour l’intégralité de la première période de compensation, restant applicables jusqu’au 30 juin 2020.
117 D’autre part, aux paragraphes 45 à 50 de la décision attaquée, la Commission a noté que les autorités d’autres États membres ainsi que d’États tiers, depuis lesquels ou à destination desquels Condor opérait des liaisons, avaient également adopté diverses mesures durant la première période de compensation. Certaines de ces mesures s’appliquaient jusqu’à la fin de cette période, tandis que d’autres ont été levées avant.
118 Il ressort de ces éléments, lesquels ne sont pas contestés par la requérante, que les restrictions de voyage à destination et en provenance des pays tiers imposées par l’Allemagne sont restées en vigueur au moins jusqu’au 30 juin 2020. Des restrictions analogues existaient s’agissant des États membres, des États membres de l’espace Schengen et du Royaume-Uni jusqu’au 15 juin 2020.
119 En conséquence, 62 % des liaisons exploitées par Condor étaient encore affectées par de telles restrictions entre le 15 et le 30 juin 2020, étant précisé que ces liaisons représentaient 84 % des revenus de Condor en 2019 ainsi que 86 % de ses revenus prévisionnels pour 2020 en l’absence de pandémie de COVID-19.
120 Il ressort de la décision attaquée que ces restrictions ont eu un impact très significatif sur les activités de Condor au cours de l’ensemble de la première période de compensation, et ce malgré la levée progressive de certaines restrictions à partir du 15 juin 2020. En effet, comme l’a noté la Commission, entre le 15 et le 30 juin 2020, les activités de Condor étaient loin d’avoir repris et la levée partielle de certaines restrictions n’a commencé à avoir une incidence sur ses activités qu’à partir du mois de juillet 2020. Cela découle notamment des tableaux 13 à 19 de la décision attaquée, par lesquels la Commission a examiné spécifiquement l’effet des restrictions sur Condor entre le 15 et le 30 juin 2020. Il en ressort que le nombre de passagers transportés par Condor à ces dates ne représentait que 1 % du nombre prévu en l’absence de pandémie de COVID-19. De même, les revenus de Condor générés par la vente de billets d’avion étaient, au cours de la même période, 99 % plus bas que ceux de 2019 et 97 % plus bas que ceux prévus dans le plan d’entreprise pour 2020.
121 En outre, les effets négatifs des restrictions de voyage liées à la pandémie de COVID-19 pour la première période de compensation ont persisté durant un certain laps de temps après leur levée formelle en ce qui concerne certaines destinations, en raison de l’existence d’une période de démarrage nécessaire faisant immédiatement suite à cette levée. Ainsi, la levée formelle d’une restriction sur une ligne donnée ne se traduit pas par une reprise immédiate des vols. En effet, d’une part, comme le souligne à juste titre la Commission, les compagnies aériennes doivent, après la levée partielle des restrictions, réajuster leurs horaires et leur personnel ainsi que repositionner leurs vols pour les liaisons rouvertes. D’autre part, comme elle le fait valoir également, les voyageurs doivent eux aussi disposer d’un délai suffisant pour planifier leurs voyages [arrêt du 18 octobre 2023, Wizz Air Hungary/Commission (TAROM ; COVID-19), T 332/21, non publié, EU:T:2023:645, point 107].
122 Il s’ensuit que la requérante n’a pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la date de séparation entre les périodes de compensation, à savoir le 30 juin 2020.
123 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments de la requérante.
124 Premièrement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la levée des restrictions avait été annoncée plusieurs semaines à l’avance, il convient de noter qu’il ressort des articles de presse qu’elle cite que les passagers étaient également prévenus que ces restrictions pourraient être réintroduites en cas de recrudescence de cas de COVID-19. Par ailleurs, l’un de ces articles fait mention du fait que, bien que certaines restrictions de voyage puissent être levées le 15 juin 2020, les recommandations qui les remplaceraient pourraient encore être très strictes et qu’il resterait fortement déconseillé de voyager.
125 Deuxièmement, en ce qui concerne le reproche de la requérante selon lequel la Commission a supposé, sans toutefois le prouver, que la période de démarrage durerait toute la seconde partie du mois de juin 2020, il suffit de renvoyer aux points 115 à 120 ci-dessus, dont il ressort que la Commission a étayé par des éléments concrets, vérifiables et cohérents la date de séparation entre les périodes de compensation.
126 Troisièmement, la requérante reproche à la Commission d’avoir omis d’expliquer les raisons pour lesquelles, entre le 15 et le 30 juin 2020, bien que les restrictions n’aient été que partielles, l’effet sur Condor aurait été aussi restrictif que pendant la période comprise entre le 17 mars et le 15 juin 2020. Cet argument ne saurait prospérer au regard des éléments factuels cités aux points 115 à 120 ci-dessus.
127 Eu égard à ces éléments, il convient de rejeter l’argumentation de la requérante.
vi) Sur le montant des dommages subis par Condor pendant la seconde période de compensation
128 Selon la requérante, en adoptant la méthode « liaison par liaison » résumée au point 57 ci-dessus, la Commission s’est fondée à tort sur les données disponibles couvrant uniquement la période allant du 1er juillet au 31 octobre 2020 au lieu de prendre en considération l’intégralité des données relatives à la seconde période de compensation, allant jusqu’au 31 décembre 2020. À cet égard, si elle reconnaît que des nouvelles restrictions ont été imposées à partir de la fin du mois d’octobre 2020, elle reproche à la Commission de ne pas avoir indiqué en quoi ces restrictions seraient différentes de celles déjà en vigueur entre le 1er juillet et le 31 octobre 2020. Elle ajoute que « l’on peut imaginer qu’au moins quelques lignes exploitées par Condor n’ont pas fait l’objet de restrictions entre le 1er novembre et le 31 décembre 2020 » et que ces liaisons auraient dû être incluses dans le calcul du nombre de passagers qui n’ont réellement pas voyagé durant cette dernière période pour des raisons qui ne sont pas directement liées aux restrictions de voyage.
129 En l’espèce, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, le scénario contrefactuel pour la seconde période de compensation était fondé sur le nombre de passagers dans les vols non affectés par les restrictions de voyage, effectués au cours de la période allant du 1er juillet au 31 octobre 2020. S’agissant de la période allant du 1er novembre au 31 décembre 2020, la Commission a expliqué qu’il n’était pas possible d’identifier un nombre suffisant de vols sur des liaisons pour lesquelles aucune restriction de voyage n’était en vigueur. Comme le fait valoir la Commission, sans que cela ne soit contesté par la requérante, il découle du tableau 1 de ladite décision que le gouvernement allemand avait émis des avertissements officiels de voyage pour presque tous les États tiers vers lesquels Condor opérait durant la seconde période de compensation. En outre, l’intégralité des liaisons opérées par Condor en provenance de pays tiers était concernée par une interdiction d’entrée sur le territoire allemand pendant ladite période, bien que certaines aient pu être temporairement levées selon l’évolution de l’épidémie dans un pays donné. De même, pendant les mois de novembre et de décembre 2020, de nombreuses liaisons opérées par Condor vers des États membres faisaient l’objet d’un avertissement sur les déplacements non essentiels de la part du gouvernement allemand (tableau 2 de cette décision). La Commission indique, dans le mémoire en défense, que cela correspond à l’intégralité des liaisons opérées par Condor au sein de l’Union. Ces données ne sont pas contestées par la requérante.
130 Il s’ensuit que, entre le 1er novembre et le 31 décembre 2020, la quasi-totalité des liaisons opérées par Condor était affectée par des restrictions de voyage, de sorte que les données relatives à cette période n’étaient pas suffisamment représentatives du nombre de passagers qui auraient voyagé en l’absence desdites restrictions. Ainsi, afin de prendre en compte un échantillon suffisamment représentatif de vols non affectés par ces restrictions, la Commission pouvait, sans éprouver de doutes, fonder son évaluation sur les vols effectués entre le 1er juillet et le 31 octobre 2020.
131 La requérante reste en défaut de démontrer qu’il existait des données fiables et suffisamment représentatives qui étaient relatives à des liaisons opérées par Condor et libres de restrictions de voyage pendant les mois de novembre et de décembre 2020. En effet, si elle fait référence, de manière générale, à l’existence potentielle de lignes qui auraient été exploitées par Condor durant ces deux mois, il n’en reste pas moins qu’il ressort des données factuelles reprises aux points 129 et 130 ci-dessus que ces lignes ne sont qu’en nombre extrêmement limité et ne sont pas constitutives d’un échantillon suffisamment représentatif, à la différence du lot de plus de 8 650 vols exploités par Condor au cours de la période comprise entre le 1er juillet et le 30 octobre 2020 sur laquelle l’appréciation de la Commission était fondée.
132 Dans la réplique, la requérante conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle il lui était nécessaire de « s’appuyer sur une période qui n’[était] pas viciée par l’augmentation accélérée du taux d’infection par la COVID-19 dissuadant les passagers sensibles aux risques d’activation de restrictions de voyage ou de mesures de confinement de voyager, comme ce fut le cas pour la période de novembre à décembre 2020 », faisant ainsi valoir qu’une telle approche renvoie à un lien de causalité indirect avec les mesures de restriction de voyage et de confinement.
133 Sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la recevabilité de cet argument de la requérante, laquelle est remise en cause par la Commission, il suffit de constater que la méthode adoptée par cette dernière et résumée au point 57 ci-dessus visait précisément à exclure le nombre de passagers qui n’auraient pas pris l’avion même en l’absence des restrictions de voyage, car dissuadés pour d’autres raisons indirectement liées à la pandémie de COVID-19, telles que l’état général d’inquiétude associé aux voyages effectués dans un contexte sanitaire volatile de pandémie. En effet, le lien de causalité entre le dommage causé par la perte de revenus découlant de la décision de tels passagers de ne pas voyager et les restrictions de voyage n’est qu’indirect. Cette méthode vise donc précisément à garantir le lien direct entre les dommages et les restrictions de voyage liées à ladite pandémie. Toutefois, pour que cette méthode soit fiable, elle doit reposer sur un échantillon suffisamment représentatif de vols non affectés par de telles restrictions.
134 Or, comme il a été constaté aux points 129 et 130 ci-dessus, le fait qu’il existait, de manière isolée, quelques vols non affectés entre le 1er novembre et le 31 décembre 2020 ne suffit pas pour démontrer que ceux-ci devaient être inclus dans l’échantillon retenu par la Commission.
135 Il y a lieu, dès lors, de rejeter l’argumentation de la requérante.
2) Sur la série d’indices relatifs à la quantification du dommage
136 La requérante invoque trois indices tendant à démontrer que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la quantification du dommage subi par Condor, tirés, le premier, de la méconnaissance par la Commission des effets de la pandémie de COVID-19 sur la perspective de vendre Condor, le deuxième, de l’absence de mesures permettant de s’assurer que Condor avait réduit ses coûts et, le troisième, de l’absence d’appréciation des dommages causés à d’autres compagnies aériennes.
i) Sur la méconnaissance par la Commission des effets de la pandémie de COVID-19 sur la perspective de vendre Condor
137 La requérante fait valoir, en substance, que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la détermination du montant de l’aide découlant de la tranche A du prêt 1 et du prêt 2. Selon elle, ce montant ne correspond pas à un taux IBOR à 1 000 points de base, comme retenu par la Commission, mais au montant nominal de ces prêts, car Condor n’était pas en mesure de trouver un quelconque financement sur le marché. Elle estime qu’il n’était pas réaliste de s’attendre à ce que Condor soit vendue à la mi-2022 au même prix que celui convenu lors de la vente ayant échoué en 2020, compte tenu de l’impact de la pandémie de COVID-19.
138 À cet égard, il convient de relever que ces arguments ne portent pas sur la quantification du dommage, mais sur l’évaluation du montant de l’aide. Partant, ils seront examinés aux points 155 à 170 ci-après.
ii) Sur l’absence de contrôle de la part de la Commission quant à la question de savoir si Condor avait réduit ses coûts
139 La requérante fait valoir que la Commission a omis de vérifier si Condor avait pris des mesures raisonnables pour limiter l’ampleur du dommage subi. Selon elle, bien que la Commission ait tenu compte des « coûts évités » par Condor, celle-ci a omis de prendre en considération les « coûts évitables », c’est-à-dire les coûts qu’elle aurait pu éviter, sans l’avoir fait.
140 En l’espèce, il ressort de la décision attaquée que, afin d’éviter une surcompensation, la Commission a déduit des dommages subis par Condor les coûts que celle-ci a évités en raison des restrictions de voyage liées à la pandémie de COVID-19. Partant, l’évaluation des dommages tient compte, ainsi qu’il ressort du paragraphe 110 de ladite décision, tant des coûts supplémentaires occasionnés par lesdites restrictions que des coûts évités en raison de celles-ci. À cet égard, la Commission a évalué l’incidence tant positive que négative desdites restrictions sur les coûts variables de Condor, en particulier les coûts de carburant, les redevances, les frais et les charges, les frais de maintenance, les commissions liées à l’IATA, ainsi que sur les coûts fixes, en particulier la réduction des coûts de personnel et de commercialisation ainsi que de l’immobilisation des aéronefs.
141 La Commission a défini les coûts évités comme étant ceux que Condor aurait encourus pendant la période pertinente si son activité n’avait pas été affectée par les restrictions de voyage et les mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19 et que Condor n’aurait pas eu à supporter en raison de ces restrictions.
142 Si la requérante ne conteste ni le principe de la déduction des coûts évités ni les paramètres de ceux-ci, elle considère en revanche que, au-delà desdits coûts évités, la Commission aurait dû également déduire les coûts « évitables », c’est-à-dire les coûts que Condor aurait pu davantage éviter ou réduire, afin d’atténuer l’impact de la pandémie de COVID-19.
143 À cet égard, il a été jugé que seules les aides supérieures aux dommages encourus par les bénéficiaires de ces aides ne relèvent pas de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE. Si la mesure en cause ne doit pas apporter une amélioration de la situation financière de Condor qui irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but prévu par l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, cette disposition n’exige pas une « réduction maximale des coûts » de la bénéficiaire [voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2024, Wizz Air Hungary/Commission (TAROM II ; Covid-19), T 827/22, non publié, EU:T:2024:784, point 85 et jurisprudence citée].
144 La requérante ne saurait d’ailleurs utilement invoquer l’arrêt du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission (C 104/89 et C 37/90, EU:C:1992:217), en se limitant, en substance, à douter que Condor ait spontanément entrepris d’atténuer le dommage qu’elle subissait. Son argumentation reste générale et elle ne fournit aucun élément concret indiquant que cette compagnie aurait fait preuve d’un manque de diligence [voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2024, Wizz Air Hungary/Commission (TAROM II ; Covid-19), T 827/22, non publié, EU:T:2024:784, point 90].
145 Il résulte de ce qui précède que l’argumentation de la requérante doit être écartée.
iii) Sur l’omission de la Commission de tenir compte des dommages causés par la pandémie de COVID-19 à d’autres compagnies aériennes
146 Dans la requête, la requérante faisait valoir, en substance, que la Commission aurait dû évaluer les dommages causés par la pandémie de COVID-19 à des compagnies aériennes autres que Condor. Toutefois, en réponse à une question écrite du Tribunal, la requérante a renoncé à cet argument.
3) Sur le risque de débordement de l’aide en faveur des filiales de Condor
147 La requérante fait valoir que l’aide en faveur de Condor était susceptible de bénéficier au « groupe Condor » tout entier et que la Commission ne pouvait exclure cette possibilité a priori. Elle soutient également que la Commission a omis d’examiner la nature des obligations et droits contractuels qui incomberaient à Condor et ses filiales et l’existence éventuelle d’un mécanisme visant à empêcher que l’aide accordée à Condor profite à d’autres entités dudit groupe.
148 En l’espèce, il ressort du paragraphe 1 ainsi que des paragraphes 100 à 102 de la décision attaquée que le bénéficiaire de l’aide est « Condor Flugdienst GmbH », dont le seul actionnaire est « SG Luftfahrt GmbH » (ci-après « SGL »), une holding financière sans aucune activité opérationnelle. Cette dernière détient les actions de Condor depuis sa sortie de la procédure d’insolvabilité en décembre 2020, avec pour seul objectif de vendre la compagnie. Selon ladite décision, Condor ne fait pas partie du groupe Noerr (par l’intermédiaire de Team Treuhand GmbH ou de Noerr & Stiefenhofer), étant donné que SGL agit en tant qu’actionnaire établi aux seules fins de la restructuration de Condor.
149 La requérante ne conteste pas ces éléments.
150 Partant, la requérante ne démontre pas que la Commission aurait dû avoir des doutes quant à la possibilité que la mesure en cause profite à SGL ou au groupe Noerr, cités dans la décision attaquée.
151 Pour autant que, par son argumentation, la requérante fasse référence aux « filiales » de Condor, ses arguments sont abstraits et dépourvus d’éléments tangibles permettant au Tribunal d’en apprécier le bien-fondé.
152 Partant, l’argumentation de la requérante doit être rejetée.
4) Sur l’omission de la Commission de tenir compte de l’avantage concurrentiel obtenu par Condor
153 La requérante faisait valoir que la Commission avait sous-estimé la valeur de l’avantage octroyé à Condor, en ne prenant pas en compte l’avantage concurrentiel obtenu par elle grâce à la mesure en cause, lequel se traduirait par un renforcement de sa position concurrentielle sur le marché.
154 Toutefois, en réponse à une question écrite du Tribunal, la requérante a renoncé à cet argument.
5) Sur la sous-estimation du montant de l’aide
155 En premier lieu, la requérante réitère ses arguments, résumés au point 137 ci-dessus, selon lesquels, en supposant que la vente de Condor se serait réalisée à la mi-2022 au même prix que celui obtenu en 2020, la Commission a sous-estimé le montant de l’aide.
156 En l’espèce, dans la décision attaquée, la Commission a reconnu que le remboursement des prêts était risqué, car il dépendait fortement du calendrier de la vente de Condor, du prix de celle-ci et des flux de trésorerie générés. À cet égard, elle a considéré que le montant de l’aide devait être évalué sur la base de l’hypothèse d’une vente de Condor à la mi-2022. Elle a divisé son examen par tranches, en prenant en considération les séniorités différentes du prêt 2 et des tranches A et B du prêt 1 et en précisant que, en cas de vente, le prêt 2 serait remboursé en premier, suivi de la tranche A du prêt 1, puis de la tranche B du prêt 1.
157 Ensuite, la Commission a indiqué qu’un prix de vente similaire à celui obtenu en janvier 2020 serait suffisant pour rembourser la tranche A du prêt 1 et le prêt 2, et assurerait, en outre, une marge de plusieurs millions d’euros. Selon elle, il était réaliste de s’attendre à ce que le prix de vente de Condor à la mi-2022 soit similaire à celui obtenu en janvier 2020 au motif, d’une part, que le prix obtenu en janvier 2020 l’avait été dans un bref laps de temps de six mois, dans le cadre d’une procédure ouverte d’appel d’offres et, d’autre part, que ce prix avait été offert pour une entreprise en procédure d’insolvabilité. Or, lors de la nouvelle vente, la procédure serait plus longue et Condor aurait quitté la procédure d’insolvabilité. Ainsi, elle a considéré que la probabilité de remboursement du prêt 2 et de la tranche A du prêt 1 pouvait être considérée comme suffisamment élevée, de sorte qu’elle a déterminé l’élément de l’aide comme étant le montant correspondant à un taux d’intérêt IBOR à 1000 points de base, à savoir le taux prévu pour une entreprise avec des garanties faibles et en mauvaise condition financière. Ce montant correspondait, selon elle, au taux le plus élevé qui soit prévu dans sa communication relative à la révision de la méthode de calcul des taux de référence et d’actualisation (JO 2008, C 14, p. 6). S’agissant de la tranche B du prêt 1, l’élément d’aide aurait été fixé comme étant le montant nominal du prêt en raison du fait qu’il aurait eu une séniorité basse et qu’il aurait été peu probable que le prix de vente de Condor suffise pour le couvrir également.
158 La Commission a également indiqué que, s’agissant de la tranche A du prêt 1 et du prêt 2, elle devait effectuer son examen sur la base de la situation telle qu’elle se présentait à la date de l’adoption de la décision antérieure, à savoir le 26 avril 2020, ce que la requérante ne conteste pas.
159 Il convient donc de déterminer si, au 26 avril 2020, la Commission pouvait, sans éprouver de doutes, considérer comme plausible la perspective d’une vente de Condor à la mi-2022 à un prix suffisant pour rembourser la tranche A du prêt 1 et le prêt 2.
160 La Commission devait donc effectuer une analyse prospective reposant nécessairement sur des hypothèses.
161 À cet égard, la Commission a tenu compte d’un faisceau d’indices cohérents et concordants susceptibles d’indiquer que les hypothèses envisagées étaient plausibles.
162 Premièrement, comme cela est constaté par la Commission dans la décision sur l’aide au sauvetage, et ainsi que cela a été rappelé au point 78 ci-dessus, Condor était, prise individuellement, une entreprise saine et viable dont les difficultés étaient liées à celles de sa société mère et ne lui étaient donc pas intrinsèques. La Commission pouvait donc s’attendre à ce que les investisseurs manifestent un intérêt pour son rachat.
163 Deuxièmement, comme le rappelle la Commission à juste titre dans la décision attaquée, lors de la tentative de vente en 2020, Condor se trouvait en procédure d’insolvabilité, et la période prévue pour la vente était courte. En revanche, le nouveau processus de vente, prévu pour 2022, aurait lieu sur un laps de temps plus long et Condor aurait alors quitté la procédure d’insolvabilité.
164 Troisièmement, il ressort de la décision attaquée que la perspective d’une vente de Condor à un prix similaire à celui obtenu en janvier 2020 permettrait non seulement de rembourser le prêt 2 et la tranche A du prêt 1, mais également d’assurer une marge complémentaire de plusieurs millions d’euros. Ainsi, la perspective d’un tel remboursement demeurerait plausible même dans l’hypothèse où le prix de vente aurait été plus bas que celui obtenu en janvier 2020.
165 Quatrièmement, il ressort également de la décision attaquée qu’il existait des garanties pour les tranches A et B du prêt 1 et que celles-ci seraient utilisées d’abord pour la tranche A, puis pour la tranche B.
166 Sur la base de ce faisceau d’indices, la Commission pouvait, sans éprouver de doutes, considérer que la perspective de vendre Condor à la mi-2022 à un prix suffisant pour rembourser le prêt 2 et la tranche A du prêt 1 était plausible et que, dès lors, le montant de l’aide devait être calculé sur la base d’un taux d’intérêt IBOR à 1000 points de base de ces prêts.
167 Par ailleurs, la requérante a tort de soutenir que la Commission n’a pas tenu compte de l’impact négatif de la pandémie de COVID-19 sur la perspective de vendre Condor à un prix comparable à celui obtenu en janvier 2020. À cet égard, la Commission a considéré que ladite pandémie retarderait la vente de Condor à la mi-2022. Un tel calendrier était justifié, selon elle, par le fait qu’elle s’attendait en avril 2020, c’est-à-dire au tout début de l’éclatement de la pandémie, à ce que les effets négatifs de celle-ci s’atténuent vers la mi-2022. Or, rien n’indique que, à l’époque pertinente des faits, une telle perspective n’était pas plausible.
168 De même, les références de la requérante à diverses études qui démontreraient que de nombreuses compagnies aériennes ont perdu de la valeur à la suite de la pandémie de COVID-19 sont dénuées de pertinence, dans la mesure où ces études ne concernent pas la situation spécifique de Condor. Comme cela est relevé par la Commission, s’agissant d’une entreprise intrinsèquement saine, il était plausible de prévoir que celle-ci aurait, vers la mi-2022, lorsque les effets négatifs de la pandémie de COVID-19 sur le secteur aérien se seraient atténués, rétabli sa valeur d’avant la survenance de ladite pandémie.
169 D’ailleurs, ainsi que cela ressort de la décision sur l’aide à la restructuration, Condor a été vendue en mai 2021, ce qui confirme, bien que ex post factum, la plausibilité des prévisions effectuées par la Commission.
170 Partant, il y a lieu de rejeter les arguments de la requérante.
171 En second lieu, la requérante reproche à la Commission d’avoir omis d’examiner davantage les deux autres estimations du montant de l’aide présentées par les autorités allemandes.
172 En l’espèce, lors de la notification de la mesure en cause, la République fédérale d’Allemagne avait présenté trois estimations du montant de l’aide en cause. La première estimation est celle qui a été retenue par la Commission pour calculer le montant de l’aide. Concernant la deuxième estimation, il ressort de la décision attaquée que celle-ci ne laissait apparaître aucun élément d’aide, tandis que, selon la troisième estimation, l’élément d’aide était plus faible que celui ressortant de la première. La Commission a constaté, en outre, que les deuxième et troisième estimations reposaient sur un outil logiciel, mais que dans la mesure où elle ne disposait pas de suffisamment d’informations sur les paramètres sous-jacents de cet outil, elle n’avait pas pu réconcilier ou formuler des observations sur ces estimations.
173 Dans ces circonstances, le grief de la requérante ne peut qu’être rejeté comme inopérant. En effet, en retenant la première estimation, laquelle comprenait l’élément d’aide le plus élevé, la Commission s’est fondée sur l’hypothèse la moins favorable à Condor.
6) Sur le risque de double compensation découlant du cumul de l’aide prévue par la mesure en cause avec l’aide au sauvetage
174 La requérante fait valoir que la Commission a omis de prendre en considération l’aide au sauvetage précédemment accordée à Condor, laquelle couvrait une période de six mois comprise entre le 16 septembre 2019 et le 3 avril 2020, et qui se chevauchait donc en partie avec la première période de compensation, à savoir entre le 17 mars et le 3 avril 2020. Elle reproche à la Commission de s’être contentée d’affirmer que la République fédérale d’Allemagne s’était engagée à ne pas cumuler la mesure en cause avec une autre aide couvrant les mêmes coûts éligibles, sans avoir tenté de s’assurer qu’il n’y aurait pas de double compensation.
175 Ainsi qu’il a été rappelé au point 51 ci-dessus, le traité FUE ne s’oppose pas à une application concomitante de l’article 107, paragraphe 2, sous b), et de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, pour autant que les conditions de chacune de ces deux dispositions soient réunies.
176 Par l’arrêt du 18 mai 2022, Ryanair/Commission (Condor ; aide au sauvetage) (T 577/20, EU:T:2022:301), devenu définitif, le Tribunal a considéré que les conditions de l’octroi de l’aide au sauvetage étaient réunies et a rejeté le recours de la requérante à l’encontre de la décision sur l’aide au sauvetage.
177 S’agissant de la mesure en cause, selon une jurisprudence constante, lorsque la Commission examine la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, elle doit prendre en considération tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 18 janvier 2012, Djebel – SGPS/Commission, T 422/07, non publié, EU:T:2012:11, point 171 et jurisprudence citée, et du 27 février 2013, Nitrogénművek Vegyipari/Commission, T 387/11, non publié, EU:T:2013:98, point 126).
178 Il convient donc d’examiner si l’aide au sauvetage constituait un élément pertinent pour l’appréciation de la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur.
179 À cet égard, il y a lieu de relever que l’aide au sauvetage et la mesure en cause avaient des objets différents et poursuivaient des objectifs différents, de sorte qu’elles avaient vocation à couvrir des coûts différents. En effet, ladite mesure avait pour objectif de dédommager Condor des dommages subis en raison des mesures de restriction de voyage ou de confinement adoptées en réaction à la pandémie de COVID-19, ces dommages ayant été calculés selon la méthode décrite aux points 56 et 57 ci-dessus. En revanche, l’aide au sauvetage, accordée avant la survenance de ladite pandémie, avait un objet et un objectif tout à fait différents, à savoir fournir à cette dernière les liquidités dont elle avait besoin pour couvrir ses coûts d’exploitation et assurer sa survie à la suite de la faillite de Thomas Cook pendant une période limitée de six mois pendant laquelle elle devait préparer sa restructuration.
180 Dans ces circonstances, la requérante ne démontre pas, preuves à l’appui, que l’aide au sauvetage aurait eu un impact concret sur le calcul des dommages que la mesure en cause visait à indemniser. Elle reste notamment en défaut de démontrer concrètement quel coût aurait été doublement compensé à la fois par l’aide au sauvetage et par ladite mesure, de sorte qu’il aurait dû être exclu du montant des dommages octroyés par cette mesure. Le seul fait qu’il existe un léger chevauchement entre la période couverte par l’aide au sauvetage et la première période de compensation ne suffit pas pour démontrer que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à l’existence d’un risque de double compensation, étant donné que ces deux aides ont vocation à couvrir des coûts d’origine différente.
181 Cette argumentation doit être rejetée tout comme, par voie de conséquence, le premier groupe d’indices dans son ensemble.
b) Sur le second groupe d’indices, tiré d’une violation des principes généraux de non-discrimination, de proportionnalité, de libre prestation de services et de liberté d’établissement
182 La requérante estime, en substance, que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur dans la mesure où ladite mesure viole, d’une part, les principes de non-discrimination et de proportionnalité et, d’autre part, les principes de libre prestation de services et de liberté d’établissement en ce qu’elle ne profite qu’à Condor.
183 La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et Condor, conteste les arguments de la requérante.
1) Sur la violation des principes de non-discrimination et de proportionnalité
184 La requérante soutient, en substance, que la décision attaquée autorise un traitement discriminatoire qui n’est ni approprié ni nécessaire pour atteindre l’objectif de la mesure en cause, à savoir réparer les dommages subis par Condor en raison des mesures de restriction de voyage et autres mesures de confinement pour la période comprise entre le 17 mars et le 31 décembre 2020. Elle affirme, en substance, qu’elle détient 9 % du marché allemand des services de transport aérien de passagers et qu’elle a donc subi environ 9 % des dommages causés par les restrictions de voyage liées à la pandémie de COVID-19 dans cet État membre. Selon elle, si ladite mesure était accordée à toutes les compagnies aériennes présentes en Allemagne, son objectif serait atteint sans discrimination. Elle ajoute que la décision attaquée n’explique pas la raison pour laquelle cette mesure a été octroyée seulement à Condor, alors même que les autres compagnies aériennes présentes en Allemagne ont également subi des dommages résultant des restrictions de voyage liées à ladite pandémie.
185 Le principe de non-discrimination requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C 390/06, EU:C:2008:224, point 66 ; voir également, en ce sens, arrêt du 5 juin 2018, Montero Mateos, C 677/16, EU:C:2018:393, point 49).
186 Les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent en outre être pris en considération les principes et les objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C 127/07, EU:C:2008:728, point 26).
187 Par ailleurs, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause (arrêt du 17 mai 1984, Denkavit Nederland, 15/83, EU:C:1984:183, point 25), étant entendu que lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés [arrêt du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen), C 611/17, EU:C:2019:332, point 55].
188 À cet égard, tout d’abord, il convient de rappeler que la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert notamment que cette mesure accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire en faussant ou en menaçant de fausser le jeu de la concurrence (arrêts du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 101, et du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 210/21 P, EU:C:2023:908, point 32). En particulier, l’exigence de sélectivité découlant de l’article 107, paragraphe 1, TFUE suppose que la Commission établisse que l’avantage économique, pris au sens large, découlant directement ou indirectement d’une mesure donnée profite spécifiquement à une ou à plusieurs entreprises. Il lui incombe, pour ce faire, de démontrer en particulier que la mesure concernée introduit des différenciations entre les entreprises se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi, dans une situation comparable. Il faut donc que l’avantage soit octroyé de façon sélective et qu’il soit susceptible de placer certaines entreprises dans une situation plus favorable que d’autres (arrêts du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 103, et du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 210/21 P, EU:C:2023:908, point 34).
189 Pour autant, sont compatibles avec le marché intérieur les aides d’État octroyées aux fins et dans les conditions prévues par l’article 107, paragraphe 2, TFUE. Il s’ensuit que, sauf à priver cette disposition de tout effet utile, des aides d’État qui sont octroyées aux fins d’un objectif qui y est reconnu et dans les limites de ce qui est nécessaire et proportionné à la réalisation de cet objectif ne sauraient être jugées incompatibles avec le marché intérieur pour des effets qui sont inhérents à toute aide d’État, à savoir, notamment, pour des raisons liées à ce que l’aide est sélective ou à ce qu’elle fausserait la concurrence (arrêts du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, points 106 et 107, et du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 210/21 P, EU:C:2023:908, points 35 et 36).
190 Une aide ne peut donc pas être considérée comme étant incompatible avec le marché intérieur pour des raisons qui sont uniquement liées à ce qu’elle est sélective ou à ce qu’elle fausse ou menace de fausser la concurrence (arrêts du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 108, et du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 210/21 P, EU:C:2023:908, point 37).
191 Certes, la procédure prévue à l’article 108 TFUE ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité FUE. Ainsi, une aide qui, en tant que telle ou par certaines de ses modalités, viole des dispositions ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur (arrêts du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 109, et du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 210/21 P, EU:C:2023:908, point 38).
192 Toutefois, en ce qui concerne spécifiquement l’article 18 TFUE, qui consacre le principe de non discrimination en raison de la nationalité, à supposer qu’il soit invoqué, en substance, par la requérante, il est de jurisprudence constante que cet article n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles le traité FUE ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination (arrêts du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 110, et du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 210/21 P, EU:C:2023:908, point 39).
193 Dès lors que l’article 107, paragraphe 2, TFUE prévoit des dérogations au principe, énoncé au paragraphe 1 de cet article, d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur et admet ainsi, en particulier, des différences de traitement entre entreprises, sous réserve que les exigences prévues par ces dérogations soient remplies, ces dernières doivent être considérées comme des « dispositions particulières » prévues par les traités, au sens de l’article 18, premier alinéa, TFUE (arrêts du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 111, et du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 210/21 P, EU:C:2023:908, point 40).
194 Il s’ensuit que, en l’espèce, il convient seulement d’examiner si la différence de traitement induite par la mesure en cause est permise au titre de l’article 107, paragraphe 2, TFUE. Cet examen implique, d’une part, que l’objectif de ladite mesure satisfasse aux exigences prévues par cette disposition et, d’autre part, que les modalités d’octroi de cette mesure, à savoir, en l’espèce, le fait que celle-ci ne bénéficie qu’à Condor, soient de nature à permettre que soit atteint cet objectif et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.
195 À cet égard, s’agissant, en premier lieu, de l’objectif de la mesure en cause, la requérante ne conteste pas que l’indemnisation des dommages subis par une compagnie aérienne pendant la période de compensation globale, en raison des mesures de restriction de voyage et autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19, permet de remédier, ne serait-ce qu’en partie, aux dommages causés par cette pandémie. Elle ne conteste pas non plus que ladite pandémie constitue un évènement extraordinaire au sens de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.
196 S’agissant, en second lieu, des modalités d’octroi de la mesure en cause, à savoir le fait qu’elle ne bénéficie qu’à Condor, d’une part, il importe d’observer que cette mesure visait à indemniser les dommages subis par Condor en raison des mesures de restriction de voyage et autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19, pendant une période déterminée seulement et selon une méthode précisée dans la décision attaquée.
197 Ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, la mesure en cause a été octroyée en prenant en considération la levée progressive des mesures de restriction de voyage selon la période de compensation concernée. Partant, la Commission a distingué la méthode de calcul des dommages pour chacune des deux périodes de compensation. En particulier, s’agissant de la seconde période de compensation, la méthode adoptée s’explique par le fait que des mesures générales de restriction de voyage et de confinement ont été partiellement levées au niveau national et au niveau de l’Union durant la seconde partie du mois de juin 2020, de sorte que les vols ont pu progressivement reprendre à partir de juillet 2020, même si de nombreuses restrictions de voyage demeuraient en vigueur pendant cette dernière période.
198 D’autre part, il résulte de la décision attaquée que Condor a été fortement affectée par les restrictions de voyage et autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19 imposées pendant la période de compensation globale.
199 Ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, Condor est une compagnie de vols charter qui assure la connectivité de l’Allemagne en offrant des services de transport aérien à des clients individuels, des voyagistes et des agences de voyage à partir de plusieurs aéroports, notamment en Allemagne, en se concentrant sur le marché des voyages de loisirs. En outre, Condor jouait un rôle important en tant qu’intermédiaire et « consolidateur » sur le marché allemand des voyages de loisirs en raison de la spécificité de ses services, qui permettaient de donner accès aux vols de loisirs à plusieurs milliers d’agences de voyages non titulaires de la licence de l’IATA grâce à plusieurs interfaces que les autres compagnies aériennes n’offraient pas, étant précisé qu’en l’absence de ces interfaces lesdites agences devaient supporter des frais supplémentaires, ainsi qu’en raison des emplois qu’elle assurait [voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2024, Ryanair/Commission (Condor ; aide à la restructuration), T 28/22, sous pourvoi, EU:T:2024:301, points 64 à 66 et 75 (non publiés)].
200 S’agissant de la question de savoir si la mesure en cause va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé, il convient de constater que le montant de celle-ci ne dépasse pas celui du dommage subi par Condor pendant la période de compensation globale en raison des restrictions de voyage et autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19, ainsi qu’il ressort notamment du point 222 de la décision attaquée.
201 Par conséquent, il y a lieu de constater que les arguments de la requérante ne permettent pas de démontrer que la Commission aurait dû éprouver des doutes s’agissant du caractère approprié et proportionné de la différence de traitement en faveur de Condor qui résultait de la mesure en cause.
2) Sur la violation de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services
202 La requérante soutient, en substance, que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur, étant donné qu’elle constitue une entrave à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services du fait de son caractère discriminatoire.
203 À cet égard, ainsi qu’il est rappelé au point 191 ci-dessus, la procédure prévue à l’article 108 TFUE ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité. Ainsi, une aide qui, en tant que telle ou par certaines de ses modalités, viole des dispositions ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 131).
204 Toutefois, d’une part, il convient de relever que les effets restrictifs qu’une mesure d’aide déploierait sur la libre prestation des services ou sur la liberté d’établissement ne constituent pas pour autant une restriction interdite par le traité, dans la mesure où il peut s’agir d’un effet inhérent à la nature même d’une aide d’État, tel que son caractère sélectif (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 132).
205 D’autre part, lorsque les modalités d’une aide sont à ce point indissolublement liées à l’objet de l’aide qu’il ne serait pas possible de les apprécier isolément, leur effet sur la compatibilité ou l’incompatibilité de l’aide dans son ensemble avec le marché intérieur doit nécessairement être apprécié par le biais de la procédure prévue à l’article 108 TFUE (arrêt du 22 mars 1977, Iannelli & Volpi, 74/76, EU:C:1977:51, point 14 ; voir, également, arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 133 et jurisprudence citée).
206 Or, en l’occurrence, ainsi qu’il ressort du paragraphe 28 de la décision attaquée, le choix de Condor comme bénéficiaire de la mesure en cause fait partie de l’objet de celle-ci et, quand bien même ce choix devrait être considéré comme une modalité de ladite mesure, une telle modalité serait indissolublement liée audit objet, qui est d’indemniser cette compagnie aérienne du dommage résultant des restrictions de voyage et autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID 19. Il s’ensuit que l’effet résultant du choix de Condor comme bénéficiaire de cette mesure sur le marché intérieur ne peut pas faire l’objet d’un examen séparé de celui de la compatibilité de cette mesure d’aide dans son ensemble avec ledit marché par le biais de la procédure prévue à l’article 108 TFUE.
207 Si la requérante soutient que la mesure en cause constitue une entrave à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services du fait de son caractère discriminatoire, elle ne démontre pas, en l’espèce, qu’elle produisait des effets restrictifs qui allaient au-delà de ceux qui sont inhérents à une aide d’État octroyée conformément aux exigences prévues par l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.
208 Par ailleurs, la requérante n’établit pas non plus que la mesure en cause est de nature à la dissuader de fournir des prestations de services depuis l’Allemagne et à destination de l’Allemagne ou d’exercer sa liberté d’établissement en Allemagne.
209 Il s’ensuit que la requérante n’a pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause avec la liberté d’établissement et la libre prestation des services.
210 Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter le second groupe d’indices.
211 Partant, le troisième moyen doit être rejeté dans son intégralité.
2. Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation
212 La requérante fait valoir que la décision attaquée souffre de plusieurs vices de motivation.
213 La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et Condor, conteste ces arguments.
214 La motivation exigée par l’article 296 TFUE constitue une formalité substantielle et doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Ainsi, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées par celui-ci au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences prévues à l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C 367/95 P, EU:C:1998:154, point 63 ; du 22 juin 2004, Portugal/Commission, C 42/01, EU:C:2004:379, point 66, et du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C 390/06, EU:C:2008:224, point 79).
215 À cet égard, une décision telle que la décision attaquée, qui est prise dans des délais brefs, doit uniquement contenir les raisons pour lesquelles la Commission estime ne pas être en présence de difficultés sérieuses d’appréciation de la compatibilité de l’aide concernée avec le marché intérieur (arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C 333/07, EU:C:2008:764, point 65).
216 C’est au regard de ces principes que doivent être examinés les arguments de la requérante.
a) Sur le défaut de motivation quant à la méthode de calcul du BAI prévisionnel de Condor
217 La requérante fait valoir que la décision attaquée ne contient aucune motivation quant à la méthode de calcul du BAI prévisionnel de Condor pour 2020.
218 Toutefois, il est constant que le BAI d’une entreprise est calculé, par définition, sur la base des recettes de celle-ci, moins les dépenses (hors impôts). Quant à la méthode de calcul du BAI prévisionnel de Condor pour 2020, sur lequel la Commission a fondé le scénario contrefactuel, le tableau 26 de la décision attaquée apporte des indications précises quant aux éléments pris en considération par la Commission aux fins de ce calcul, de sorte que la requérante à tort de soutenir que la Commission n’a pas exposé ladite méthode.
219 Ces arguments doivent dès lors être rejetés.
b) Sur le défaut de motivation quant à l’absence de mention de mesures d’atténuation des dommages
220 La requérante soutient que la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation dans la mesure où la Commission n’indique pas si Condor a adopté des mesures d’atténuation des dommages.
221 Pour autant que la requérante vise la motivation de la décision attaquée en ce qui concerne la déduction des coûts évités dans la mesure où la Commission n’indique pas si Condor a adopté des mesures d’atténuation des dommages, ladite décision est suffisamment motivée à cet égard, ainsi qu’il ressort des points 140 et 141 ci-dessus.
222 Pour autant que la requérante estime que la motivation de la décision attaquée est entachée d’un défaut en ce qui concerne les coûts « évitables » de Condor, dans la mesure où la Commission n’indique pas si Condor a adopté des mesures d’atténuation des dommages, la Commission n’était pas tenue d’examiner une telle question ni, par conséquent, de fournir une motivation à cet égard dans ladite décision puisque, ainsi qu’il ressort des points 142 à 145 ci-dessus, l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE n’exige pas une réduction maximale des coûts de la bénéficiaire.
c) Sur la motivation insuffisante en ce qui concerne le calcul du dommage subi
223 La requérante fait valoir que l’omission de certaines données confidentielles dans la décision attaquée rend le calcul du dommage subi par Condor « incompréhensible ». Elle renvoie à titre d’exemple au tableau 5 de ladite décision, lequel ferait état de « variations importantes » sans que celles-ci ne soient expliquées par la Commission. Elle reproche également à la Commission de ne pas avoir divulgué le BAI prévisionnel ou réel de Condor dans ladite décision, ne serait-ce que sous la forme de fourchettes.
224 Certes, dans la décision attaquée, plusieurs données chiffrées n’ont pas été divulguées au motif qu’elles relèvent du secret d’affaires, ladite décision présentant certaines de ces données sous forme de fourchettes, tandis que d’autres sont totalement omises.
225 Toutefois, contrairement à ce que fait valoir la requérante, de telles omissions n’empêchent pas la compréhension de la décision attaquée. En effet, la plupart des tableaux figurant dans celle-ci présentent le delta entre les données comparées, par exemple entre celles relatives aux prévisions de Condor pour 2020, établies avant l’éclatement de la pandémie de COVID-19, ou celles réellement enregistrées en 2019, et celles enregistrées en 2020, de sorte qu’ils peuvent être suffisamment interprétés sans qu’il soit nécessaire d’en dévoiler les données exactes. En outre, ces tableaux sont explicités par la Commission dans cette décision, dans les paragraphes qui précèdent ou suivent lesdits tableaux.
226 En particulier, s’agissant du tableau 5 de la décision attaquée, pris en exemple par la requérante, si le nombre exact de billets vendus par Condor en février et en mars 2019 ainsi qu’en février et en mars 2020 est certes omis, le tableau indique néanmoins la différence en nombre de billets entre ces deux dates, exprimée dans une fourchette à dix points de pourcentage près, ladite fourchette indiquant si cette différence est positive ou négative.
227 Il en va de même s’agissant des données relatives au BAI de Condor. Ainsi, à titre d’exemple, le tableau 27 de la décision attaquée, lequel porte sur la période allant de mars à juin 2020, bien qu’il ne contienne pas le BAI exact de Condor pour chaque mois concerné, comporte, d’une part, le BAI prévisionnel et le BAI réel de Condor pour l’ensemble de cette période. Il indique, d’autre part, les pertes nettes de Condor en précisant les pertes subies pour chaque mois concerné ainsi que pour l’ensemble de la période en cause sur la base de ces données. En outre, en réponse à une question du Tribunal, la Commission a révélé les données chiffrées contenues dans les tableaux 26 et 28 de la décision attaquée, y compris le BAI et l’EBITDA de Condor pour la première période de compensation, et la requérante a pu présenter ses observations sur ces données lors de l’audience.
228 Partant, les omissions de données confidentielles identifiées par la requérante ne l’ont pas empêché de connaître les motifs sous-tendant la décision attaquée ni n’ont empêché le Tribunal d’exercer son contrôle, de sorte que la Commission n’a pas failli à son obligation de motivation sur ce point.
d) Sur les autres défauts de motivation invoqués par la requérante
229 Dans le cadre de son premier moyen, la requérante soulève plusieurs autres vices de motivation dont serait entachée la décision attaquée. Premièrement, elle fait valoir que, en n’examinant pas dans ladite décision quelle était la fraction des pertes de Condor qui était imputable à ses difficultés préexistantes et celle qui était imputable aux restrictions de voyage et aux autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19, la Commission a manqué à son obligation de motivation.
230 Pourtant, dans la décision attaquée, la Commission a expliqué en détail la méthode, adaptée en fonction des mesures de restriction de voyage et des périodes de compensation en cause, afin de s’assurer que les dommages compensés étaient directement liés à la mise en place de telles restrictions et que la mesure en cause n’aurait pas pour conséquence une double compensation. En particulier, comme il a été relevé au point 75 ci-dessus, la Commission a indiqué que c’était précisément pour cette raison qu’elle avait fondé son analyse sur le plan d’entreprise pour 2020 plutôt que sur les résultats de Condor en 2019.
231 Deuxièmement, la requérante soulève un défaut de motivation de la décision attaquée s’agissant de la détermination de la date de séparation entre la première période de compensation et la seconde période de compensation. Toutefois, ainsi qu’il ressort des points 125 et 126 ci-dessus, la Commission a exposé à suffisance dans ladite décision les raisons de la détermination de la date de séparation entre ces deux périodes de compensation.
232 Troisièmement, la requérante invoque un défaut de motivation de la décision attaquée en ce que la Commission s’est contentée d’indiquer que les autorités allemandes s’engageaient à ce que la mesure en cause ne soit pas cumulée avec d’autres aides, sans expliquer de quelle manière ce cumul serait évité, et ce alors même que la première période de compensation et la période couverte par la décision sur l’aide au sauvetage se chevauchent partiellement. À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que, au paragraphe 152 de ladite décision, la Commission a étudié, bien que brièvement, la question de savoir si le fait que Condor avait bénéficié d’une aide au sauvetage était de nature à empêcher l’octroi de ladite mesure, en concluant que tel n’était pas le cas. Il en découle que la Commission a tenu compte de cette aide lorsqu’elle a examiné les critères de compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur. Ensuite, compte tenu des considérations figurant aux points 175 à 180 ci-dessus, la Commission n’était pas obligée de fournir une motivation plus fournie à cet égard dans cette décision.
233 Quatrièmement, dans la réplique, la requérante fait valoir que la Commission a manqué à son obligation de motivation, en ce qu’elle n’a pas expliqué dans la décision attaquée les raisons pour lesquelles elle n’avait pas pris en considération un certain nombre de « facteurs externes importants (non liés aux difficultés de Condor) » « dans le scénario contrefactuel ».
234 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir arrêt du 9 juillet 2019, Allemagne/Commission, T 53/18, non publié, EU:T:2019:490, point 24 et jurisprudence citée). Or, en reprochant à la Commission de ne pas avoir pris en considération ces éléments, la requérante soulève des arguments identiques à ceux rejetés aux points 105 à 113 ci-dessus, lesquels portent sur le bien-fondé des motifs de la décision attaquée et non sur le respect de l’obligation de motivation de ladite décision. Dès lors, cet argument doit également être rejeté.
235 Eu égard à ces considérations, le quatrième moyen et, partant, le recours dans son intégralité doivent être rejetés.
IV. Sur les dépens
236 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il convient de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux subis par la Commission et par Condor, conformément aux conclusions de ces dernières.
237 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Dès lors, la République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (huitième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.