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Décisions

CA Rouen, ch. des etrangers, 16 juillet 2025, n° 25/02596

ROUEN

Ordonnance

Autre

CA Rouen n° 25/02596

16 juillet 2025

N° RG 25/02596 - N° Portalis DBV2-V-B7J-KAOV

COUR D'APPEL DE ROUEN

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 16 JUILLET 2025

Sophie POULLAIN, Conseillère à la cour d'appel de Rouen, spécialement désignée par ordonnance de la première présidente de ladite cour pour la suppléer dans les fonctions qui lui sont spécialement attribuées,

Assistée de Valérie MONCOMBLE, Greffier ;

Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu l'arrêté du PREFET DE LA SEINE MARITIME en date du 12 avril 2022 portant obligation de quitter le territoire français pour Monsieur [N] [X] né le 13 Juin 1998 à [Localité 2] (PALESTINE) ;

Vu l'interdiction du territoire français prononcée à l'encontre de l'intéressé par jugement du tribunal correctionnel de SAINT-NAZAIRE en date du 13 mai 2024,

Vu l'arrêté du PREFET DE LA SEINE MARITIME en date du 08 juillet 2025 de placement en rétention administrative de M. [N] [X] ;

Vu la requête de Monsieur [N] [X] en contestation de la régularité de la décision de placement en rétention administrative ;

Vu la requête du PREFET DE LA SEINE MARITIME tendant à voir prolonger pour une durée de vingt six jours la mesure de rétention administrative qu'il a prise à l'égard de Monsieur [N] [X] ;

Vu l'ordonnance rendue le 13 Juillet 2025 à 11:40 par le Juge des libertés et de la détention de [Localité 4], déclarant la décision de placement en rétention prononcée à l'encontre de Monsieur [N] [X] régulière, et ordonnant en conséquence son maintien en rétention pour une durée de vingt six jours à compter du 13 juillet 2025 à 00:00 jusqu'au 07 aout 2025 à 24:00 ;

Vu l'appel interjeté par M. [N] [X], parvenu au greffe de la cour d'appel de Rouen le 14 juillet 2025 à 18:02 ;

Vu l'avis de la date de l'audience donné par le greffier de la cour d'appel de Rouen :

- aux services du directeur du centre de rétention de [Localité 3],

- à l'intéressé,

- au PREFET DE LA SEINE MARITIME,

- à Me Vincent SOUTY, avocat au barreau de ROUEN, choisi en vertu de son droit de suite,

- à [Y] [D], interprète en arabe ;

Vu les dispositions des articles L 743-8 et R 743-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la décision prise de tenir l'audience grâce à un moyen de télécommunication audiovisuelle et d'entendre la personne retenue par visioconférence depuis les locaux dédiés à proximité du centre de rétention administrative de [Localité 3] ;

Vu la demande de comparution présentée par M. [N] [X] ;

Vu l'avis au ministère public ;

Vu les débats en audience publique, en présence de [Y] [D], interprète en arabe, expert assermenté, en l'absence du PREFET DE LA SEINE MARITIME et du ministère public ;

Vu la comparution de M. [N] [X] par visioconférence depuis les locaux dédiés à proximité du centre de rétention administrative de [Localité 3] ;

Me Vincent SOUTY, avocat au barreau de ROUEN, étant présent au palais de justice ;

Vu les réquisitions écrites du ministère public ;

Les réquisitions et les conclusions ont été mises à la disposition des parties ;

L'appelant et son conseil ayant été entendus ;

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Décision prononcée par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

****

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS

M. [N] [X] a fait l'objet d'un arrêté de M. Le Préfet de la Seine-Maritime portant obligation de quitter le territoire français le 12 avril 2022. Par jugement du tribunal correctionnel du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire du 13 mai 2024, une interdiction du territoire français a été prononcée à son encontre.

M. [N] [X] a été placé en rétention administrative le 8 juillet 2025 par arrêté de M. Le Préfet de la Seine-Maritime. Il a déposé une requête en contestation de la régularité de cette décision.

M. Le Préfet de la Seine-Maritime a saisi le juge en charge du contrôle des mesures de rétention administrative au tribunal judiciaire de Rouen d'une demande de prolongation de la rétention administrative pour une durée de 26 jours.

Par ordonnance du 13 juillet 2025, le juge des libertés et de la détention de [Localité 4] a déclaré l'arrêté de placement en rétention administrative régulier et a autorisé le maintien en rétention de M. [N] [X] pour une durée de 26 jours à compter du 13 juillet 2025 à 00H00 jusqu'au 7 août 2025 à 24H00.

M. [N] [X] a interjeté appel de cette décision. Au soutien de cet appel, il fait valoir l'absence de respect des conditions légales de la tenue de l'audience, la salle de visio-conférence utilisée ne correspondant pas aux critères fixés. Il relève qu'elle ne dispose pas d'une entrée distincte pour les retenus, ne permet pas l'accès facile du public, que la qualité de transmission du son est déplorable et qu'il n'a pas pu avoir accès à la copie de la procédure. Il soutient de ce fait qu'il aurait dû être convoqué en présentiel. Sur le fond, il se prévaut de sa nationalité palestinienne non contestée malgré l'incurie des services préfectoraux qui ont confondu le nom Al Qods (Jérusalem) et [Localité 2], et de l'absence de perspective raisonnable d'éloignement vers la Palestine, d'une part car cette dernière n'est pas reconnue par la France comme un Etat, et d'autre part faute d'aéroport sur le territoire palestinien ou de tout autre moyen d'accès. De plus, il retient que si la menace à l'ordre public peut être prise en considération, cela ne peut être que subsidiaire. Enfin, il se prévaut de l'insuffisance de diligences rapides des autorités administratives pour saisir les autorités consulaires, celles-ci étant survenues 25 heures après le début de la rétention.

MOTIVATION DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l'appel

Il résulte des énonciations qui précédent que l'appel interjeté par M. [N] [X] à l'encontre de l'ordonnance rendue le 13 Juillet 2025 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rouen est recevable.

Sur le recours à la visio-conférence

L'article L.743-7 du CESEDA, dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2024, dispose : « Afin d'assurer une bonne administration de la justice et de permettre à l'étranger de présenter ses explications, l'audience se tient dans la salle d'audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention.

Le juge peut toutefois siéger au tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe le lieu de rétention. Les deux salles d'audience sont alors ouvertes au public et reliées entre elles en direct par un moyen de communication audiovisuelle garantissant la confidentialité et la qualité de la transmission.

Dans le cas mentionné au deuxième alinéa, le conseil de l'étranger, de même que le représentant de l'administration, peuvent assister à l'audience dans l'une ou l'autre salle. Il a le droit de s'entretenir avec son client de manière confidentielle. Une copie de l'intégralité du dossier est mise à la disposition du requérant. Un procès-verbal attestant de la conformité des opérations effectuées au présent article est établi dans chacune des salles d'audience.

Le juge peut, de sa propre initiative ou sur demande des parties, suspendre l'audience lorsqu'il constate que la qualité de la retransmission ne permet pas à l'étranger ou à son conseil de présenter ses explications dans des conditions garantissant une bonne administration de la justice.

Par dérogation au premier alinéa, lorsqu'aucune salle n'a été spécialement aménagée à proximité immédiate ou en cas d'indisponibilité de la salle, l'audience se tient au siège du tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe le lieu de rétention.

Par dérogation au présent article, lorsqu'est prévue une compétence territoriale dérogatoire à celle fixée par voie réglementaire, l'audience se tient au siège du tribunal judiciaire auquel appartient le juge compétent. Le juge peut toutefois décider que l'audience se déroule avec l'utilisation de moyens de communication audiovisuelle, dans les conditions prévues aux deuxième et troisième alinéas. »

Tant le Conseil d'Etat (18 novembre 2011) que la Cour de cassation (notamment 12 octobre 2011) ont estimé que si la salle d'audience était autonome et hors de l'enceinte du centre de rétention administrative, qu'elle était accessible au public par une porte autonome donnant sur la voie publique, que la ou les salles d'audience n'étaient pas reliées aux bâtiments composant le centre, qu'une clôture la séparait du centre de rétention, ces conditions permettent au juge de statuer publiquement, dans le respect de l'indépendance des magistrats et de la liberté des parties.

Il est par ailleurs acquis que l'utilisation de la visioconférence lors de l'audience devant le juge des libertés et de la détention ne contrevient pas aux dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme garantissant le droit à un procès équitable.

Il en résulte que le recours à la visioconférence est subordonné à la condition que soit assurée la confidentialité de la transmission entre le tribunal et la salle d'audience spécialement aménagée à cet effet, ouverte au public et située dans les locaux attribués au ministère de la justice (décision n°2018-770 DC du 6 septembre 2018, §28) à proximité immédiate et non à l'intérieur du centre de rétention ou dans des locaux relevant du Ministère de l'Intérieur, étant précisé que le fait que cette salle soit éventuellement gérée par le ministère de l'intérieur n'est pas de nature à remettre en cause son attribution au ministère de la justice.

En l'espèce, sur le caractère adapté ou non de la salle d'audience aménagée, la cour relève que ladite salle, la salle de télévision où se trouve la personne retenue et la salle réservée aux entretiens confidentiels avec l'avocat sont situées dans l'enceinte territoriale de l'[Localité 1] de Police de [Localité 3], comme le centre de rétention administrative lui-même, mais dans des locaux totalement indépendants du centre, en ce qu'elle n'est pas reliée aux bâtiments composant le centre, qu'elle est accessible au public par une porte autonome donnant sur la voie publique, une clôture séparant son accès du centre de rétention.

Le dispositif destiné à assurer la sécurité des personnes, qui impose au public de se présenter à l'accueil de l'école de police pour y être contrôlé n'est pas de nature à restreindre l'accès du public, mais au contraire à assurer sa protection, s'agissant de simples mesures de sécurité similaires à celles mises en 'uvre dans les juridictions.

En tout état de cause, il n'est pas soutenu, et a fortiori justifié de ce que des personnes se seraient présentées pour assister à l'audience depuis la salle située à [Localité 3] et en auraient été empêchées.

Les audiences devant le juge des libertés et de la détention de Rouen et devant la présente juridiction se sont donc tenues, conformément au deuxième alinéa de l'article précité, dans une salle ouverte au public au tribunal judiciaire et à la cour d'appel situées à proximité immédiate des locaux du centre de rétention, spécialement aménagée à cet effet et attribuée au ministère de la justice, par un moyen de communication audiovisuelle garantissant la clarté, la sincérité et la publicité des débats, la confidentialité et la qualité de la transmission, un procès-verbal de l'audience en visio-conférence ayant été établi à cet effet.

S'agissant de l'accès au dossier par la communication d'une copie, laquelle doit s'entendre d'une mise à disposition et non d'une transmission matérielle, l'appelant ne justifie pas avoir sollicité une telle mise à disposition. En tout état de cause, il a sollicité l'assistance d'un avocat, qui a pu consulter son dossier, faire valoir ses moyens de défense et communiquer tous documents utiles. Il ne démontre ainsi l'existence d'aucun grief.

En conséquence, le moyen sera rejeté.

Sur l'erreur manifeste d'appréciation, l'absence de perspectives d'éloignement et le défaut de diligences

L'article L731-1 du CESEDA prévoit que l'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants :

1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ;

2° L'étranger doit être éloigné en exécution d'une interdiction de retour sur le territoire français prise en application des articles L. 612-6, L. 612-7 et L. 612-8 ;

3° L'étranger doit être éloigné pour la mise en 'uvre d'une décision prise par un autre État, en application de l'article L. 615-1 ;

4° L'étranger doit être remis aux autorités d'un autre Etat en application de l'article L. 621-1 ;

5° L'étranger doit être éloigné en exécution d'une interdiction de circulation sur le territoire français prise en application de l'article L. 622-1 ;

6° L'étranger fait l'objet d'une décision d'expulsion ;

7° L'étranger doit être éloigné en exécution d'une peine d'interdiction judiciaire du territoire prononcée en application du deuxième alinéa de l'article 131-30 du code pénal;

8° L'étranger doit être éloigné en exécution d'une interdiction administrative du territoire français.

Selon l'article 741-1 du CESEDA, l'autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quatre jours, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'éxécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision.

Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L612-3 ou au regard de la menace pour l'ordre public que l'étranger représente.

Par ailleurs, en application des dispositions de l'article L. 741-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet.

En l'espèce, M. [X] fait valoir qu'aux termes de la directive dite 'retour' du 16 décembre 2008, la rétention administrative n'a pour seule fonction que de permettre l'exécution de la mesure d'éloignement et que la prise en compte de la menace à l'ordre public n'est que subsidiaire. De plus, alors qu'il argue de l'absence de perspective possible de retour le concernant en Palestine, il met en exergue les diligences tardives des autorités administratives.

Or, il résulte des éléments de la procédure que c'est à bon droit que le premier juge a retenu en application des articles susvisés la menace à l'ordre public que représente le maintien en France de M. [X] qui s'est prévalu de multiples identités et a donné des identités multiples de sa mère. Ce dernier a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire national français et d'une interdiction de retour pendant deux ans le 13 avril 2022. Alors assigné à résidence, il n'a pas respecté cette mesure, pas plus que l'assignation suivante du 26 janvier 2024. Il a d'ailleurs été condamné pénalement pour non respect d'assignation à résidence et vol par effraction en récidive le 13 mai 2024, son casier judiciaire mentionnant six condamnations entre septembre 2021 et mai 2024. Il a d'ailleurs fait l'objet de plusieurs périodes d'incarcération. Ainsi, alors que la menace pour l'ordre public est ainsi avérée et que le risque mentionné au premier alinéa de l'article 741-1 du CESEDA est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L612-3, ou au regard de la menace pour l'ordre public que l'étranger représente, le moyen soulevé ne peut qu'être rejeté.

Quant aux diligences et aux perspectives d'éloignement, la procédure établit que M. [X] a été placé en rétention administrative le 9 juillet 2025 à 9 heures 36 à sa levée d'écrou, celui-ci ayant été entendu sur les mesures d'éloignement envisagées à son égard dès le 27 février 2025 alors qu'il était incarcéré. Les autorités diplomatiques palestiniennes ont été sollicitées aux fins d'audition de M. [X] dès le 19 février 2025, sans qu'une telle audition n'ait pu intervenir avant le placement en rétention porté à la connaissance de ces autorités le 10 juillet 2025 à 10 heures 28. S'il est constant que l'administration n'a pas à prouver des diligences durant la période d'incarcération ayant précédé le placement en rétention, les démarches effectivement réalisées dans la présente espèce avant la levée d'écrou de M. [X] démontrent la volonté des autorités administratives de respecter leurs obligations légales dans le cadre de la procédure de retenue administrative mise à exécution, et sa volonté de parvenir en amont et à bref délai à mettre en oeuvre l'éloignement de l'intéressé vers son pays, avant même toute retenue administrative. Dès lors, au regard de l'ensemble de ces diligences préalables auxquelles l'autorité admistrative n'était pas légalement tenue, l'avis de placement en rétention administrative de M. [X] auprès des autorités diplomatiques palestiniennes 25 heures après l'effectivité de la mesure ne saurait être considéré comme tardif.

L'administration ne dispose au demeurant d'aucun pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires de sorte qu'il ne saurait lui être reproché le défaut de réponse du consulat pour la réalisation d'un entretien devant permettre de préciser les perspectives d'éloignement. Aussi, et malgré une situation obérée en Palestine à ce jour, il ne peut être considéré à ce stade de la procédure qu'il n'existe aucune perspective d'éloignement pour M. [X].

Ce moyen sera également écarté.

En conséquence, l'ordonnance entreprise sera confirmée.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par ordonnance réputée contradictoire et en dernier ressort,

Déclare recevable l'appel interjeté par M. [N] [X] à l'encontre de l'ordonnance rendue le 13 Juillet 2025 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rouen ordonnant son maintien en rétention pour une durée de vingt six jours,

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions.

Fait à [Localité 4], le 16 Juillet 2025 à 09:00.

LE GREFFIER, LA CONSEILLERE,

NOTIFICATION

La présente ordonnance est immédiatement notifiée contre récépissé à toutes les parties qui en reçoivent une expédition et sont informées de leur droit de former un pourvoi en cassation dans les deux mois de la présente notification et dans les conditions fixées par les articles 973 et suivants du code de procédure civile.

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