Livv
Décisions

CA Montpellier, 1re ch. soc., 16 juillet 2025, n° 23/04404

MONTPELLIER

Arrêt

Autre

CA Montpellier n° 23/04404

16 juillet 2025

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre sociale

ARRET DU 16 JUILLET 2025

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 23/04404 - N° Portalis DBVK-V-B7H-P6ER

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 27 JUILLET 2023 du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE RODEZ

N° RG F 22/0086

APPELANTE :

Madame [C] [R]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Mme [W] [Y], défenseur syndical munie de deux pouvoirs le 1er en date du 19/05/2025 signé de la secrétaire régionale du syndicat UR UNSA et le 2ème en date du 20/05/2025 signé de Mme [R]

INTIMEE :

S.A.S.U. MARIONNAUD LAFAYETTE, immatriculée au RCS de [Localité 4] sous le n° 348 674 169, prise en la personne de son représentant légal domiciliés en cette qualité au siège situé

[Adresse 1]

Représentée par Me Véronique LAVALLART de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

Ordonnance de clôture du 07 Mai 2025

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 MAI 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre

Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller

M. Jean-Jacques FRION, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Marie BRUNEL

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

[C] [R] a été engagée le 2 mai 1994 par la société BRIFA, aux droits de laquelle vient la société MARIONNAUD LAFAYETTE. Elle y exerce les fonctions de conseillère esthéticienne avec un salaire mensuel brut de 902,29€ correspondant à 71,50 heures de travail.

Elle est titulaire de plusieurs mandats syndicaux.

Elle est reconnue en tant que travailleuse handicapée depuis le 1er décembre 2016.

Le 2 mai 2022, s'estimant victime d'une discrimination en raison de son activité syndicale et de son handicap, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Rodez qui, par jugement en date du 27 juillet 2023, l'a déboutée de ses demandes et condamnée à payer à la société MARIONNAUD LAFAYETTE la somme de 500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 23 août 2023, [C] [R] a interjeté appel. Dans ses dernières conclusions notifiées le 6 mai 2025, elle demande d'infirmer le jugement, d'ordonner à la société MARIONNAUD LAFAYETTE de lui fournir le contrat de prévoyance dont elle dépend et de la condamner au paiement de :

- la somme de 2 862€ à titre de primes d'ancienneté à compter du mois d'avril 2019 ;

- la somme de 286€ à titre de congés payés sur primes d'ancienneté ;

- la somme de 6 000€ à titre de dommages et intérêts ;

- la somme de 200€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées et enregistrées au greffe le 5 mai 2025, la société MARIONNAUD LAFAYETTE demande de dire prescrite toute demande se rapportant à l'exécution du contrat de travail antérieure au 2 mai 2020, de dire prescrite toute demande de nature salariale se rapportant à une période antérieure au 2 mai 2019, de dire prescrite toute demande relative à la discrimination portant sur une période antérieure au 2 mai 2017, de confirmer le jugement et de lui allouer la somme de 2 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se reporter au jugement du conseil de prud'hommes et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la discrimination :

Attendu que [C] [R] expose qu'elle a été victime de discrimination en raison de ses activités syndicales et de sa situation de travailleuse handicapée ;

1- Attendu que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; que les dommages-intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination pendant toute sa durée ;

Que si la salariée fait d'une discrimination remontant à 2014, elle fait valoir que cette discrimination s'est poursuivie tout au long de sa carrière jusqu'à ce jour, ce dont il résulte qu'elle se fonde sur des faits qui n'ont pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription et que ses demandes ne sont pas prescrites ;

2- Attendu qu'il résulte des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail que, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;

Qu'ainsi, pour se prononcer sur l'existence d'une discrimination, le juge doit d'abord vérifier la matérialité des faits allégués par le salarié qui argue d'une discrimination, puis se demander s'ils permettent, pris dans leur ensemble, de présumer ou non l'existence d'une discrimination et, dans l'affirmative, de rechercher si l'employeur prouve que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, étant observé que l'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés ;

Attendu qu'en l'espèce, [C] [R] fait valoir que depuis qu'elle a informé la société MARIONNAUD LAFAYETTE de son invalidité, au mois de décembre 2014, elle a été écartée du processus de formation, que l'accord handicap et les préconisations du médecin du travail n'ont pas été respectés, qu'elle a subi une discrimination salariale par rapport à ses collègues de travail placés dans la même situation et que ses relations avec son employeur se sont dégradées, ce qui démontre une volonté de la 'pousser à bout' ;

Que pour établir la matérialité des faits qu'elle invoque, elle produit :

- le compte rendu de son entretien professionnel du 23 mars 2021, faisant état de son absence de formation depuis le 21 novembre 2014 et de son souhait de recevoir 'davantage de propositions de formation en présentiel dans les périodes à venir pour ne pas être trop déconnectée de la réalité du terrain',

- l'attestation d'une déléguée syndicale selon laquelle le responsable des relations sociales a reconnu que l'entreprise avait 'une certaine part de responsabilité dans l'absence de formation de (la salariée) mais qu'il ne céderait pas au chantage d'un prud'homme' ;

- deux documents établissant que deux autres salariées ont bénéficié de formations en leurs présences ;

- sa fiche d'aptitude du 13 février 2017 et divers messages électroniques desquels il résulte qu'en dépit des recommandations du médecin du travail préconisant la mise à disposition d'un véhicule à boîte de vitesse automatique, tel n'est toujours pas le cas ;

- des bulletins de paie d'autres salariées à temps partiel qui, contrairement à elle, ont vu leur rémunération augmenter en proportion du salaire minimum ;

- plusieurs messages textuels ou électroniques faisant état de ce qu'elle a été l'objet de remarques désobligeantes et a été 'malmenée verbalement' ;

Qu'elle fait ainsi ressortir à la fois la matérialité des faits qu'elle allègue et que, pris dans leur ensemble, ces faits permettent de présumer l'existence d'une discrimination à son encontre ;

Attendu que, pour sa part, la société MARIONNAUD LAFAYETTE justifie de ce que depuis 2015, [C] [R] a suivi quarante-et-une sessions de formation ;

Qu'elle établit également que [C] [R] utilisait l'avion pour les déplacements liés à ses mandats de représentation et que l'erreur commise, relative à la non-augmentation de son salaire en proportion du salaire minimum, a été ensuite régularisée ;

Qu'elle ne conteste pas la remarque désobligeante du responsable des relations sociales mais l'explique par le fait qu'il s'agissait d'une plaisanterie ;

Attendu, cependant, qu'il résulte du 'passeport formation' de [C] [R] qu'à l'exclusion d'une formation aux risques psychosociaux destinée aux seuls représentant du personnel, elle n'a suivi aucune formation entre le 21 janvier 2015 et le 12 juin 2020 ;

Qu'exceptée cette formation, elle n'a suivi depuis le 20 novembre 2014, en dépit de ses demandes et contrairement à d'autres salariées, que des formations à distance de quelques minutes ou dizaines de minutes ;

Que l'explication selon laquelle son absence du magasin 'rendait difficile d'effectuer un suivi régulier et précis des formations lui étant attribuées' établit également la discrimination syndicale dont elle a fait l'objet ;

Attendu que, non seulement, la société MARIONNAUD LAFAYETTE n'a régularisé le rappel de salaires dû depuis 2020 qu'au mois de juin 2022 mais qu'elle ne démontre pas que d'autres salariées auraient rencontré la même difficulté ;

Qu'enfin, même si elle se voulait une boutade, la remarque du responsable des relations sociales selon laquelle [C] [R] ne payait pas ses factures pouvait être ressentie comme humiliante, particulièrement vis-à-vis d'une salariée munie de mandats de représentation;

Attendu qu'il en résulte que la société MARIONNAUD LAFAYETTE ne prouve pas que les agissements invoqués par la salariée étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;

Attendu qu'au vu des éléments portés à son appréciation, il y a lieu de réparer le préjudice subi à ce titre par [C] [R] par l'octroi de la somme de 3 000€ à titre de dommages et intérêts ;

Sur la prévoyance :

Attendu que l'employeur, qui a la qualité de souscripteur de la convention de prévoyance, est tenu de remettre aux salariés bénéficiaires une notice d'information détaillée qui définit notamment les garanties prévues par la convention ou le contrat et leurs modalités d'application ;

Attendu qu'il sera donc fait droit à la demande ;

Sur la prime d'ancienneté :

Attendu que si la durée de l'ancienneté doit être décomptée pour les employés à temps partiel comme s'ils avaient été occupés à temps complet, le montant de la prime doit, s'agissant d'un élément de leur rémunération, être déterminé par application de la règle de proportionnalité des salaires des employés à temps partiel par rapport à ceux des employés à temps complet ;

Que dès lors que les dispositions conventionnelles applicables ne comportent pas de mention contraire au principe de proportionnalité, les éléments de rémunération qu'elle prévoit doivent être calculés en proportion pour les salariés à temps partiel ;

Attendu qu'il en résulte que la demande n'est pas fondée ;

* * *

Attendu qu'enfin, l'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour d'appel ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirmant le jugement et statuant à nouveau,

Condamne la société MARIONNAUD LAFAYETTE à :

- payer à [C] [R] la somme de 3 000€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice résultant de la discrimination subie ;

- lui remettre une notice d'information détaillée définissant les garanties prévues par la convention ou le contrat de prévoyance qu'il a souscrit et leurs modalités d'application ;

Condamne la société MARIONNAUD LAFAYETTE à payer à [C] [R] la somme de 200€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société MARIONNAUD LAFAYETTE aux dépens.

La Greffière Le Président

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site