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Décisions

CA Orléans, ch. com., 17 juillet 2025, n° 22/00945

ORLÉANS

Arrêt

Autre

CA Orléans n° 22/00945

17 juillet 2025

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 17/07/2025

la SCP LAVAL - FIRKOWSKI - DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES

Me Elisabeth MERCY

ARRÊT du : 17 JUILLET 2025

N° : 151 - 25

N° RG 22/00945

N° Portalis DBVN-V-B7G-GR5F

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'[Localité 8] en date du 03 Mars 2022

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: [XXXXXXXXXX02]

S.A.S.U. EUROPEAN PETROLEUM INDUSTRY

Société par actions simplifiée unipersonnelle ,

Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit iège

[Adresse 7]

[Localité 5]

Ayant pour avocat Me Alexis DEVAUCHELLE, membre de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI - DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS

D'UNE PART

INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265284302282109

S.A.R.L. DIDGI

Agissant poursuites et diligences de son représentant légal, Monsieur [V] [N], Gérant, domicilié ès-qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Ayant pour avocat postulant Me Elisabeth MERCY, avocat au barreau d'ORLEANS

et pour avocat plaidant Me Camille MANDEVILLE, membre de la SELARL GUEGUEN AVOCATS, avocat au barreau de NANTES,

PARTIE INTERVENANTE VOLONTAIRE ::- Timbre fiscal dématérialisé N°: [XXXXXXXXXX02]

la SELARL [Adresse 11]

Prie en la personne de Maître [S] [O],

Es-qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire ouvert à l'égard de la Société EPI suivant jugement du Tribunal de Commerce d'ORLEANS en date du 24 juillet 2024

[Adresse 6]

[Localité 4]

Ayant pour avocat Me Alexis DEVAUCHELLE, membre de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI - DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 19 Avril 2022

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 20 Février 2025

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l'audience publique du JEUDI 27 FEVRIER 2025, à 14 heures, Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, Madame Fanny CHENOT, Conseiller, et Monsieur Damien DESFORGES, Conseiller, en charge du rapport, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 805 et 907 du code de procédure civile.

Après délibéré au cours duquel Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, Madame Fanny CHENOT, Conseiller, et Monsieur Damien DESFORGES, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :

Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,

Madame Fanny CHENOT, Conseiller,

Monsieur Damien DESFORGES, Conseiller,

Greffier :

Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,

ARRÊT :

Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le JEUDI 17 JUILLET 2025 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :

Suivant acte notarié en date du 18 août 2020, la société Didgi a donné à bail à titre commercial à la société European Petroleum Industry (ci-après EPI) des locaux situés [Adresse 7] à [Localité 10] (45). Ce bail a été consenti pour une durée de neuf années à compter du 1er août 2020 jusqu'au 31 juillet 2029 en vue de l'exploitation par le preneur d'une activité de conditionnement à façon de produits divers, moyennant un loyer annuel hors taxes et hors charges de 85'000 euros, payable en 12 mensualités de 7083,33 euros. Il a par ailleurs été assorti d'une option d'achat au profit du preneur moyennant un prix net vendeur de 1 175 000 euros.

La société Didgi a fait établir un état des lieux d'entrée le 24 août 2020 par acte d'huissier, hors la présence de la société EPI dont le gérant se trouvait alors en dehors de la métropole, le bail lui-même ayant été signé en l'absence des deux parties, chacune s'étant faite représenter par un clerc de notaire.

La société EPI ne s'étant rendue sur site pour prendre possession des lieux que le 15 septembre 2020, accompagnée du bailleur, tous deux ont alors constaté qu'à cette date, des gens du voyage avaient pris possession de l'immeuble et l'avaient vandalisé.

La société Didgi, après avoir déposé plainte le 21 septembre 2020, s'est tournée vers son assureur en vue de se voir indemniser de son préjudice puis a relancé à plusieurs reprises la société EPI pour obtenir le paiement des loyers, en vain.

Le 2 octobre 2021, la société EPI a adressé une offre d'achat de l'immeuble à la société Didgi au prix fixé dans l'option d'achat insérée au bail, mais sous condition suspensive de la réhabilitation des locaux et du remboursement des préjudices d'exploitation subis.

Le 3 novembre 2021, la société Didgi a en retour fait signifier à la société EPI un commandement de payer les loyers et charges échus depuis le mois d'août 2020 pour un montant total de 152'773,12 euros, en visant la clause résolutoire.

La société EPI a alors formé opposition à ce commandement en saisissant le tribunal judiciaire d'Orléans dans le cadre d'une procédure à jour fixe en vue d'en obtenir l'annulation et, principalement, de voir ordonner l'exécution sous astreinte des travaux de réparation par le bailleur et condamner celui-ci à l'indemniser d'un préjudice économique de 100'000 euros.

De son côté, la société Didgi a demandé au tribunal de constater la résiliation du bail au 3 décembre 2021 par le jeu de la clause résolutoire et sollicité l'expulsion de la société EPI ainsi que sa condamnation à lui payer la somme de 152'773, 12 euros au titre des loyers et charges échus jusqu'au mois d'octobre 2021, augmentée du loyer du mois de novembre 2021 et d'une indemnité d'occupation équivalente au montant du loyer mensuel jusqu'à parfaite libération des lieux.

Par jugement du 3 mars 2022, le tribunal judiciaire d'Orléans a :

- rejeté la demande formée par la société European Petroleum Industry tendant à voir annuler le commandement de payer qui lui a été délivré le 3 novembre 2021,

- rejeté la demande de la société European Petroleum Industry tendant à voir ordonner la remise en état des locaux loués, sous astreinte de 1500 euros par jour de retard à compter du jugement,

- constaté la résiliation du bail commercial portant sur le local commercial situé [Adresse 7] à [Localité 10], au 3 décembre 2021,

- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la société European Petroleum Industry ou de tous occupants de son chef,

- rappelé que les meubles et objets se trouvant dans les lieux suivront le sort prévu par l'article L 433-1 du code des procédures civiles d'exécution,

- condamné la société European Petroleum Industry à payer à la société Didgi la somme de 162'989,68 euros correspondant aux loyers et provisions pour charges dus au 3 décembre 2021, échéance de novembre 2021 comprise,

- rejeté la demande de délai de paiement formulée par la société European Petroleum Industry,

- condamné la société European Petroleum Industry à régler à la société Didgi une indemnité mensuelle d'occupation d'un montant de 10'216,50 euros, à compter du 4 décembre 2021 et jusqu'à parfaite libération des lieux,

- constaté qu'en exécution du contrat de bail, la somme de 21'250 réglée à titre de dépôt de garantie restera acquise au bailleur,

- débouté la société European Petroleum Industry de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice économique,

- rejeté la demande formée par la société European Petroleum Industry sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire, celle-ci étant de droit,

- condamné la société European Petroleum Industry à payer à la société Didgi la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société European Petroleum Industry aux dépens comprenant les frais de commandement de payer.

La société European Petroleum Industry a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 19 avril 2022 en critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause.

L'appelante a été placée en redressement judiciaire suivant jugement du tribunal de commerce d'Orléans en date du 24 juillet 2024, lequel a désigné en qualité de mandataire judiciaire la sociétéVilla-[O] prise en la personne de Maître [S] [O].

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 6 février 2025, la société European Petroleum Industry et Maître [S] [O] de la société [Adresse 11], mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société European Petroleum Industry intervenant volontairement à la procédure d'appel, demandent à la cour de :

Vu les articles 1719 et suivants du code civil,

Vu l'article L 145-14 alinéa 2 du code de commerce,

Vu les articles 1103 et suivants du code civil,

Vu les articles L 622-13 et L 622-14 du code de commerce,

- déclarer la société European Petroleum Industry recevable et bien fondée en son appel,

Vu le redressement judiciaire de la société European Petroleum Industry selon jugement du tribunal de commerce d'Orléans du 24 juillet 2024,

- donner acte à Maître [S] [O] ès-qualités de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société European Petroleum Industry de son intervention à l'instance,

- infirmer le jugement rendu le 3 mars 2022 par le tribunal judiciaire d'Orléans en ce qu'il a :

* rejeté la demande formée par la société European Petroleum Industry tendant à voir annuler le commandement de payer qui lui a été délivré le 3 novembre 2021,

* rejeté la demande de la société European Petroleum Industry tendant à voir ordonner la remise en état des locaux loués, sous astreinte de 1500 euros par jour de retard à compter du jugement,

* constaté la résiliation du bail commercial portant sur le local commercial situé [Adresse 7] à [Localité 10], au 3 décembre 2021,

* ordonné, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la société Didgi ou de tous occupants de son chef,

* rappelé que les meubles et objets se trouvant dans les lieux suivront le sort prévu par l'article L 433-1 du code des procédures civiles d'exécution,

* condamné la société European Petroleum Industry à payer à la société Didgi la somme de 162'989,68 euros correspondant aux loyers et provisions pour charges dus au 3 décembre 2021, échéance de novembre 2021 comprise,

* rejeté la demande de délai de paiement formulée par la société European Petroleum Industry,

* condamné la société European Petroleum Industry à régler à la société Didgi une indemnité mensuelle d'occupation d'un montant de 10'216,50 euros, à compter du 4 décembre 2021 et jusqu'à parfaite libération des lieux,

* constaté qu'en exécution du contrat de bail, la somme de 21'250 réglée à titre de dépôt de garantie restera acquise au bailleur,

* débouté la société European Petroleum Industry de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice économique,

* rejeté la demande formée par la société European Petroleum Industry sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société European Petroleum Industry à payer à la société Didgi la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société European Petroleum Industry aux dépens comprenant les frais de commandement de payer,

Statuant à nouveau,

- vu le redressement judiciaire de la société European Petroleum Industry, lui déclarer inopposable et non avenue la résiliation du bail qui a été prononcée et dire irrecevable toute demande de résiliation et de condamnation en paiement à son encontre,

- déclarer nul et de nul effet le commandement de payer en date du 3 novembre 2021,

- vu l'exception d'inexécution, dire subsidiairement qu'il n'a pu produire aucun effet,

- débouter en conséquence la société Didgi de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- la condamner à exécuter, sous astreinte de 1500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, les travaux nécessaires à la remise en état des locaux donnés à bail à la société European Petroleum Industry,

- ordonner la suspension du paiement des loyers jusqu'à remise en état complète et remise des clés effective à la société European Petroleum Industry,

- condamner la société Didgi à payer à la société European Petroleum Industry la somme de 233'479 euros, sauf à parfaire, au titre de son préjudice économique et financier,

Subsidiairement,

Vu les dispositions de l'article 1722 du code civil,

- prononcer la résiliation du bail, à raison de la destruction partielle de la chose louée, et débouter la société Didgi de toutes ses demandes à l'encontre de la société European Petroleum Industry,

Encore plus subsidiairement,

- ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire, et accorder à la société European Petroleum Industry les plus larges délais pour s'acquitter des loyers arriérés,

En toute hypothèse,

- condamner la société Didgi à payer à la société European Petroleum Industry la somme de 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 février 2025, la société Didgi demande à la cour de :

Vu l'article L 145-41 du code de commerce,

Vu l'article 566 du code de procédure civile,

Vu l'article L 622-22 du code de commerce,

- juger la société Didgi recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

En conséquence,

- débouter la société European Petroleum Industry de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer en l'ensemble de ses dispositions le jugement rendu le 3 mars 2022 par le tribunal judiciaire d'Orléans,

- juger que, vu le jugement du tribunal de commerce d'Orléans en date du 24 juillet 2024 ayant ouvert une procédure de redressement à l'égard de la société European Petroleum Industry, toutes les condamnations financières prononcées par le jugement dont appel seront fixées et inscrites au passif de ladite procédure de redressement à titre de créances privilégiées,

- fixer et inscrire définitivement la créance privilégiée de la société Didgi au passif de la procédure de redressement de la société European Petroleum Industry pour un montant de 211'518,37 euros,

- juger avenue et opposable la résiliation du bail commercial portant sur le local commercial situé [Adresse 7] à [Localité 10], au 3 décembre 2021,

- juger irrecevable la demande de remise des clés aux fins de réintégration formulée par la société European Petroleum Industry, et subsidiairement, l'en débouter pour cause de caractère infondé,

Y additant,

- fixer et inscrire définitivement au passif de la procédure de redressement de la société European Petroleum Industry la créance en cause d'appel de la société Didgi d'un montant de 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- fixer et inscrire définitivement au passif de la procédure de redressement de la société European Petroleum Industry les entiers dépens de l'instance d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 20 février 2025. L'affaire a été plaidée le 27 février suivant.

MOTIFS :

Sur les effets de la procédure collective intervenue en cours d'appel, et sur la demande principale de la société Didgi en constatation de la résiliation du bail et en expulsion de la société EPI :

Il résulte de la combinaison des articles L.145-41 et L.622-21 du code de commerce que l'action introduite par le bailleur, avant l'ouverture de la procédure collective du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, ne peut être poursuivie après ce jugement ( Civ. 3e, 13 avril 2022, n°21-15336).

Ce principe de l'arrêt des poursuites individuelles, d'ordre public, ne saurait être écarté au motif avancé par la société Didgi que la procédure de redressement judiciaire offrirait à la société EPI « l'opportunité de se prévaloir d'un effet attaché au jugement d'ouverture pour s'exonérer frauduleusement de ses obligations », étant observé au surplus qu'aucune intention frauduleuse de la part de l'appelante n'est établie.

Si la société Didgi prétend encore, toujours pour faire échec à ce principe d'arrêt des poursuites individuelles, que la société EPI aurait renoncé au bail en acquiesçant au jugement entrepris, la lecture à la fois de l'acte d'appel et des prétentions de l'appelante devant la cour suffit à se convaincre que celle-ci n'a nullement entendu acquiescer au jugement ni renoncer au bail qu'elle entend voir poursuivre, à titre principal.

Le jugement du 3 mars 2022, bien qu'exécutoire de droit, ayant été frappé d'appel le 19 avril 2022, ses dispositions constatant l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail commercial pour défaut de paiement des loyers n'étaient toujours pas passées en force de chose jugée au moment de l'ouverture du redressement judiciaire de la société European Petroleum Industry le 24 juillet 2024.

Dès lors, et en vertu des textes susvisés, l'action de la société Didgi tendant à la constatation de la résiliation du bail ne peut plus être poursuivie. La cour déclarera par conséquent l'intimée irrecevable en ses demandes tendant à voir constater la résolution du bail commercial à la date du 3 décembre 2021 par le jeu de la clause résolutoire et à voir ordonner l'expulsion de la société European Petroleum Industry (Com, 12 juin 1990, n°88-19.808 ; 9 janv. 2008, n°06-21.499 ; 15 nov. 2016, n°14-25.767).

Sur la demande de la société EPI en exécution des travaux nécessaires à la remise en état des locaux ainsi qu'en suspension des loyers :

La société EPI sollicite reconventionnellement la condamnation de la société Didgi à exécuter les travaux nécessaires à la remise en état des locaux sous astreinte, et demande en outre à la cour d'ordonner la suspension du paiement des loyers jusqu'à l'achèvement complet desdits travaux.

Elle fonde sa demande sur le manquement du bailleur à son obligation de délivrance de la chose louée ainsi qu'à son obligation de lui en assurer une jouissance paisible, telles que prévues par l'article 1719 1° et 3° du code civil.

La société EPI reproche en premier lieu à la société Didgi d'avoir failli à son obligation de délivrance en lui remettant les clés seulement le 15 septembre 2020, pour un bail signé le 18 août précédent, sans garantir la sécurité et l'intégrité du local dans cet intervalle.

C'est cependant par une juste appréciation des éléments de la cause que le tribunal a retenu que les lieux avaient été délivrés au preneur dès le 24 août 2020, à l'issue de la réalisation de l'état des lieux par voie d'huissier. La cour constate en effet que :

- le mercredi 12 août 2020, le gérant de la société Didgi s'est enquis auprès de son futur locataire de sa date de retour sur [Localité 8] ; le gérant de la société EPI lui a alors répondu que sa venue était prévue « à la fin du mois » sans plus de précisions,

- le mardi 18 août 2020, jour de la signature du bail par les parties représentées, le gérant de la société Didgi a informé celui de la société EPI qu'il s'apprêtait à organiser un constat d'huissier pour réaliser l'état des lieux le vendredi suivant, soit le 21 août 2020,

- le gérant de la société EPI ne s'est pas opposé au principe de la réalisation unilatérale de l'état des lieux, demandant seulement s'il était possible de le réaliser la semaine d'après, sans pour autant apporter plus d'éléments sur sa date de retour,

- le gérant de la société Didgi a fait réaliser l'état des lieux par constat d'huissier le lundi 24 août 2020, puis l'a transmis le 3 septembre 2020 au gérant de la société EPI, lequel en a accusé bonne réception sans aucune protestation ni réserve,

- cet état des lieux spécifiait clairement en dernière page dans un paragraphe « REMISE DES CLEFS » : « une boîte de clés laquelle est mise à disposition du locataire en mon étude », mention suivie de 4 photographies couleur de ladite boîte.

Ainsi, alors que les parties avaient décidé de faire courir le bail rétroactivement à compter du 1er août 2020, et que la société EPI ne conteste pas qu'elle était tenue au paiement des loyers dès cette date, il résulte de ce qui précède que la remise des clés en main propre n'a pu se faire de manière concomitante que parce que le gérant de la société EPI se trouvait à l'étranger, sans date précise de retour. Pour autant les clés du local loué se trouvaient à sa disposition depuis le 24 août 2020, ce dont il a été informé au plus tard le 3 septembre 2020.

Si l'huissier a pu attester à la demande du gérant de la société EPI que celui-ci n'est passé récupérer ses clés en son étude que le 15 septembre 2020 au matin, il n'en demeure pas moins qu'il était en mesure de prendre possession des lieux qu'il louait depuis un mois et demi, dès l'état des lieux réalisé le 24 août 2020.

Le tribunal en a déduit à bon droit qu'il convenait de se placer au 24 août 2020 pour apprécier si la société Didgi avait satisfait à son obligation de délivrance d'une chose conforme à sa destination et en bon état de réparations. Or le constat d'huissier réalisé ce jour-là montre que tel a bien été le cas.

Si la société EPI, toujours dans le but de se voir exonérer du paiement des loyers et de voir la société Didgi condamnée à la réalisation des travaux de réfection, fait en second lieu grief à celle-ci de ne pas lui avoir assuré la jouissance paisible des locaux loués, il convient de rappeler qu'en vertu de l'article 1725 du code civil, le bailleur n'est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voie de fait à sa jouissance. Or l'intrusion des gens du voyage sur le terrain et dans les locaux loués constitue précisément un tel trouble, dont le bailleur n'a pas à répondre dès lors qu'aucune faute de sa part n'est établie.

En définitive, la société EPI ne rapporte la preuve d'aucun manquement de la part de la société Didgi dans ses obligations de bailleresse susceptible de l'exonérer du paiement des loyers au titre de l'exception d'inexécution, ou encore de justifier une condamnation de l'intimée à réaliser des travaux de réfection sous astreinte.

Elle sera par conséquent déboutée de sa demande en exécution des travaux nécessaires à la remise en état des locaux ainsi qu'en suspension des loyers.

Sur la demande subsidiaire de la société EPI en résiliation du bail pour destruction partielle de la chose louée :

La société EPI sollicite subsidiairement la résiliation du bail à raison de la destruction partielle de la chose louée, en application de l'article 1722 du code civil qui dispose que si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en partie par cas fortuit, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix ou la résiliation même du bail.

En réponse la société Didgi soutient que cette demande est nouvellement présentée en cause d'appel et qu'elle ne tend pas aux mêmes fins que celles présentées devant les premiers juges.

La société EPI fait toutefois justement observer qu'il s'agit d'une demande reconventionnelle qui, en vertu de l'article 567 du code de procédure civile, est recevable en appel.

Par ailleurs et contrairement à ce que plaide la société Didgi, cette demande satisfait à la condition, posée par l'article 70 du même code, du rattachement aux prétentions originaires par un lien suffisant, étant ici rappelé que les prétentions originaires tendaient principalement, pour la société Didgi, au constat de la résiliation du bail par acquisition des effets de la clause résolutoire et à la condamnation de la société EPI au paiement des arriérés de loyer courus jusqu'au mois d'octobre 2021, et pour la société EPI à l'annulation du commandement de payer lesdits loyers et à l'exécution sous astreinte de travaux de nature à rendre les locaux de nouveaux exploitables.

Si cette demande subsidiaire est donc parfaitement recevable, la société Didgi fait encore valoir qu'elle ne satisferait pas à la clause du bail qui conditionne la faculté pour le preneur de se prévaloir de l'article 1722 du code civil à la mobilisation de l'architecte du bailleur d'une part, et à la signification de la demande de résiliation à l'autre partie par acte extrajudiciaire d'autre part.

Le bail comprend en effet une clause intitulée « DESTRUCTION » rédigée ainsi :

« Si les locaux loués venaient à être détruits en totalité par cas fortuit, le bail sera résilié de plein droit et sans indemnité. En cas de destruction partielle, conformément aux dispositions de l'article 1722 du code civil, le preneur pourra demander soit la continuation du bail avec une diminution du loyer soit la résiliation totale du bail, sous réserve des particularités suivantes convenues entre les parties :

Si le preneur subit des troubles sérieux dans son exploitation et si la durée prévue des travaux de réparation, restauration, reconstruction ou remplacement des parties endommagées, dégradées ou détruites est supérieure à quinze (15) jours aux dires de l'architecte du bailleur, les parties pourront résilier le bail sans indemnité de part ni d'autre et ce dans les quinze (15) jours de la notification de l'avis de l'architecte du bailleur.

L'avis de l'architecte devra être adressé par le bailleur au preneur, par lettre recommandée avec avis de réception.

La demande de résiliation devra être notifiée à l'autre partie par acte extrajudiciaire. Dans l'hypothèse où ni le preneur, ni le bailleur ne demanderaient la résiliation du bail, il serait procédé comme ci-dessous.

[...] ».

Il résulte des termes mêmes de cette clause que celle-ci n'est prévue que pour le cas où le preneur entendrait obtenir de son bailleur la résiliation du bail pour destruction partielle des locaux loués, mais sans qu'une procédure judiciaire ait été préalablement installée entre les parties.

Une telle stipulation ne saurait réglementer la demande reconventionnelle en résiliation du bail pour destruction partielle de la chose louée présentée par le preneur au cours d'un litige judiciaire, en défense à une poursuite initiée par son bailleur en constat de résiliation de bail et en paiement d'arriérés loyers.

Aussi cette clause n'empêche pas la société EPI de se prévaloir des dispositions de l'article 1722 du code civil à titre reconventionnel dans le cadre de la présente procédure, sans que les préalables qu'elle fixe ne trouvent alors à s'appliquer.

Ce n'est dès lors qu'au surplus qu'il sera ajouté :

- que la société Didgi, bien qu'indemnisée par son assureur au titre des dommages mobiliers et immobiliers (dont plomberie, couverture, électricité, éclairage... cf pièce 21 Didgi), n'a jamais mobilisé un quelconque architecte pour mettre en 'uvre des travaux de réfection, ce dont elle ne saurait faire aujourd'hui grief à la société EPI,

- que la demande subsidiaire de résiliation formée devant la cour par la société EPI par voie de conclusions signifiées à la société Didgi vaut demande de résiliation notifiée par acte extrajudiciaire.

Sur le fond, il ressort des constats du bailleur lui-même, tels que retranscrits dans sa plainte au commissariat de police d'[Localité 9] le 21 septembre 2020, que lorsqu'il s'est rendu sur place avec son locataire, tous deux n'ont pu que constater que le terrain était squatté par plusieurs caravanes et que le local avait été cambriolé et dégradé. Le « sky dome » avait été arraché, l'intérieur des bâtiments « totalement saccagé », les câbles électriques et les radiateurs dérobés, et les gens du voyage occupaient les locaux. Le bailleur estimait alors les dégâts aux alentours de 300'000 euros.

Il est constant que la gravité de telles dégradations, touchant aussi bien le clos et le couvert que les systèmes électrique et de chauffage, ainsi que l'investissement des lieux par des tiers, ont eu pour effet de priver la société EPI de la possibilité de jouir du bien loué à raison de sa destruction partielle.

Il n'est pas davantage contestable que cette situation résulte d'un cas fortuit, à savoir l'intrusion par effraction de tiers dans les lieux loués, sans qu'il puisse être reproché au bailleur ou au preneur une telle situation, qui aurait pu se produire à tout moment ce d'autant qu'il n'est pas prétendu que de tels locaux industriels avaient vocation à être occupés par la société EPI et ses préposés 24 heures sur 24.

Dès lors, la demande subsidiaire de la société EPI en résiliation du bail à raison de la destruction partielle de la chose louée se trouve fondée, et sera accueillie par la cour.

L'article 1229 alinéa 2 du code civil prévoit que la résolution prend effet, selon les cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut au jour de l'assignation en justice. L'alinéa 3 du même article dispose par ailleurs que lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat, il n'y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n'ayant pas reçu sa contrepartie, la résolution étant qualifiée dans ce cas de résiliation.

Au cas présent, la destruction partielle du bien loué et l'impossibilité pour la société EPI d'en jouir ayant été constatées par les parties dès le 15 septembre 2020, la résiliation du contrat de bail sera prononcée par la cour à cette date.

Sur la créance de loyer de la société Didgi :

En vertu de l'article 1229 alinéa 3 précité, dès lors que la destruction partielle et la privation de la possibilité de jouir des locaux loués ont été constatés par les sociétés bailleresse et preneuse le 15 septembre 2020 et que la résiliation du bail est prononcée par la cour à compter de cette date, la société Didgi demeure fondée à prétendre au paiement des loyers compris entre le 1er août 2020 et le 15 septembre 2020, représentant une somme de 15'270 euros ( 10 180 + 5090), montant qu'il convient de fixer au passif du redressement judiciaire de la société EPI par réformation du jugement déféré.

Si la société Didgi réclame la fixation de sa créance à titre privilégié, il ne ressort pas des dispositions de l'article L 622-16 du code de commerce, applicable au redressement judiciaire en vertu de l'article L 631-14 du même code, qu'elle puisse se prévaloir d'un privilège pour un arriéré de loyer antérieur de plus de deux ans à l'ouverture de la procédure collective en date du 24 juillet 2024. Aussi sa créance ne sera fixée qu'à titre chirographaire.

Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts présentée par la société EPI:

Outre que, comme il a été vu plus haut, la société EPI ne rapporte pas la preuve d'un manquement de son bailleur à ses obligations de lui délivrer la chose louée et de lui en assurer la jouissance paisible, l'article 1722 du code civil dont elle s'est prévalue subsidiairement avec succès exclut expressément tout dédommagement en cas de résiliation du bail pour destruction partielle de la chose louée par cas fortuit.

Aussi le jugement entrepris devra être confirmé en ce qu'il a débouté la société EPI de sa demande reconventionnelle indemnitaire.

Sur les demandes accessoires :

Compte tenu du sens du présent arrêt, le jugement déféré sera réformé en ses dispositions relatives à la prise en charge des dépens et aux frais irrépétibles.

Chacune des parties gardera la charge des dépens qu'elle a exposés pour les besoins de l'ensemble de la procédure, première instance et appel, et les demandes présentées de part et d'autres sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

Déclare recevable l'intervention à l'instance de Maître [S] [O] ès-qualités de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société European Petroleum Industry,

Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a débouté la société European Petroleum Industry de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice économique,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Constate que par l'effet du jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société European Petroleum Industry en date du 24 juillet 2024, l'action de la société Didgi tendant à la constatation de la résiliation du bail conclu entre les parties ne peut plus être poursuivie,

Déclare par conséquent la société Didgi irrecevable en ses demandes tendant à voir constater la résolution du bail commercial liant les deux parties par le jeu de la clause résolutoire, et à voir ordonner l'expulsion de la société European Petroleum Industry,

Déboute la société European Petroleum Industry de sa demande en exécution des travaux nécessaires à la remise en état des locaux ainsi qu'en suspension des loyers,

Prononce à la demande de la société Europen Petrolum Industry la résiliation du bail commercial conclu entre les parties le 18 août 2020 pour destruction partielle de la chose louée, avec effet au 15 septembre 2020,

Fixe la créance de la société Didgi au passif du redressement judiciaire de la société European Petroleum Industry à hauteur de 15'270 euros, à titre chirographaire, au titre des loyers échus du 1er août 2020 au 15 septembre 2020,

Rejette les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel,

Laisse à la charge de chacune des parties les dépens par elle exposés pour les besoins de l'ensemble de la procédure, première instance et appel.

Arrêt signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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