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Décisions

CA Amiens, 2e protection soc., 11 juillet 2025, n° 21/02627

AMIENS

Arrêt

Autre

CA Amiens n° 21/02627

11 juillet 2025

ARRET



Société SEARL [5]

C/

[8]

CCC adressées à :

- SELARL [5]

-[8]

- Me MANGEL

- Me THUILLIER

- TJ

Copie exécutoire délivrée à :

- Me MANGEL

Le 11 juillet 2025

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 11 JUILLET 2025

*************************************************************

n° rg 21/02627 - n° portalis dbv4-v-b7f-idjb - n° registre 1ère instance : 20/00146

Jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Quentin en date du 04 mai 2021

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

SELARL [5], madataire judiciaire, agissant es qualités de liquidateur judiciaire de la SARL [6], agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Frédéric MANGEL de la SELARL MANGEL AVOCATS, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN substitué par Me ALDAMA, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN

ET :

INTIMEE

[8], agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Stéphanie THUILLIER de la SELARL STEPHANIE THUILLIER, avocat au barreau d'AMIENS

DEBATS :

A l'audience publique du 19 mai 2025 devant M. Philippe MELIN, président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 11 juillet 2025.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame Isabelle MARQUANT

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

M. Philippe MELIN en a rendu compte à la cour composée en outre de :

M. Philippe MELIN, président,

M. Pascal HAMON, président,

et Mme Claire BIADATTI-BERTIN, présidente,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 11 juillet 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, M. Philippe MELIN, président a signé la minute avec Mme Nathalie LÉPEINGLE, greffier.

*

* *

DECISION

La société responsabilité limitée [6], exerçant l'activité de création et d'entretien d'espaces verts, a fait l'objet d'un contrôle de l'application des législations de sécurité sociale, d'assurance-chômage et de garantie des salaires par un contrôleur de la [8] (ci-après la [7]).

Le 9 juin 2019, la [7] a adressé à la société un document de fin de contrôle portant à la connaissance de celle-ci ses observations, aux termes desquelles elle envisageait un redressement au titre des cotisations de salaires de 2015 et de 2016, et en particulier au titre d'infractions de travail dissimulé, pour un montant de 134'442,01 euros.

Par courrier en date du 19 juin 2019, la société [6] a fait valoir ses observations.

Le 26 juin 2019, le gérant de la société [6] a été auditionné par le contrôleur de la [7].

La [7] a maintenu le redressement envisagé et, par pli recommandé en date du 27 février 2020, a mis en demeure la société de lui payer la somme de 131'318,61 euros.

Par courrier en date du 5 mars 2020, la société [6] a saisi la commission de recours amiable (ci-après la CRA) de la [7] pour contester le redressement opéré.

Le 25 mai 2020, la CRA a rejeté la contestation de la société. Cette décision a été expédiée le 1er juillet 2020 et reçue par la société le 2 juillet 2020.

Suivant requête en date du 3 juillet 2020, la société [6] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Quentin d'un recours contre cette décision.

Par jugement en date du 20 novembre 2020, le tribunal de commerce de Saint-Quentin a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société [6] et a désigné Me [S] en qualité de liquidateur judiciaire.

Dans le cadre de cette procédure collective, la [7] a déclaré, à titre provisionnel, sa créance le 3 février 2021.

Par jugement en date du 4 mai 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Quentin a :

- rejeté une demande de jonction avec un autre recours fait par la société suite à l'envoi par la [7] de bordereaux d'émissions rectificatives,

- déclaré le recours de la société [6] recevable,

- rejeté l'exception de nullité soulevée contre une mise en demeure du 29 novembre 2019,

- déclaré régulière la mise en demeure du 27 février 2020,

- déclaré irrecevable la demande d'annulation à titre gracieux des pénalités de retard,

- débouté la société [6] de l'intégralité de ses demandes,

- condamné la société [6] à payer à la [7] la somme de 131'318,61 euros,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la société [6] au paiement des dépens de l'instance.

Ce jugement a été expédié aux parties le jour même. En particulier, la société [6] en a reçu notification le 11 mai 2021.

Le 19 mai 2021, la société [6] a relevé appel de ce jugement.

Par arrêt en date du 26 janvier 2023, la cour d'appel de céans a relevé qu'une procédure de liquidation judiciaire avait été ouverte à l'encontre de la société [6] et qu'un liquidateur judiciaire avait été désigné. Elle a rappelé qu'aux termes de l'article L. 622-22 du code de commerce, les instances en cours tendant au paiement d'une somme d'argent étaient interrompues par l'ouverture d'une procédure collective à l'égard du débiteur et n'étaient régulièrement reprises qu'après que le créancier poursuivant eut procédé à la déclaration de sa créance et mis en cause le mandataire judiciaire, le liquidateur et, le cas échéant, l'administrateur. Or, elle a constaté que les organes de la procédure collective n'avaient pas été attraits dans la procédure de première instance, pas plus qu'en cause d'appel. Dès lors, elle a notamment :

- ordonné la réouverture des débats aux fins de mise en cause par la [7] des organes de la procédure collective de la société [6], et ce avant le 1er mars 2023, faute de quoi l'affaire pourrait être radiée,

- réservé les dépens.

Par acte d'huissier en date du 7 février 2023, la [7] a assigné la société d'exercice libéral à responsabilité limitée [5], prise en la personne de Me [S], liquidateur judiciaire de la société [6], à comparaître par devant la cour d'appel de céans. Par le même acte, elle lui a également signifié l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens du 26 janvier 2023, ainsi que ses conclusions.

Suivant conclusions parvenues au greffe le 23 septembre 2024, la SARL [5], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [6], sollicite :

- que le jugement querellé soit annulé,

- à titre principal :

- qu'il soit constaté que les créances de la [7] sont d'ores et déjà admises au passif de la procédure collective,

- que les demandes de la [7] soient en conséquence déclarées irrecevables, à défaut d'objet,

- que la [7] soit déboutée de l'intégralité de ses prétentions,

- à titre subsidiaire :

- que la demande de condamnation à paiement soit déclarée recevable,

- qu'en conséquence, la [7] en soit déboutée,

- par suite :

- que la [7] soit déboutée de l'intégralité de ses demandes, notamment celles formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

- que la [7] soit condamnée à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- que la [7] soit condamnée aux dépens.

Au soutien de ses prétentions, elle fait notamment valoir :

- que le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint-Quentin l'avait été sans mise en cause du liquidateur judiciaire, alors pourtant que la société [6] se trouvait d'ores et déjà sous le coup d'une liquidation judiciaire,

- que la [7] était pourtant parfaitement informée de l'ouverture de cette procédure de liquidation judiciaire depuis au moins le 12 janvier 2021, date d'un courrier qu'elle a adressé au pôle social du tribunal pour l'avertir de la situation et pour demander que le tribunal appelle en la cause des organes de la procédure, ce à quoi le greffe a répondu qu'il ne lui appartenait pas de procéder à une telle diligence,

- que la [7] s'est contentée de lui communiquer ses conclusions le 12 mars 2021, sans lui demander si elle avait l'intention d'intervenir volontairement à la cause ou pas,

- que c'est pourtant au demandeur d'appeler en la cause de liquidateur judiciaire du défendeur, sauf intervention volontaire dudit liquidateur, à laquelle il n'a pas consenti en l'espèce,

- qu'en cas d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, le débiteur est dessaisi, ses droits et actions concernant son patrimoine étant exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur, conformément à l'article L. 641-9 du code de commerce,

- qu'au surplus, en application des articles 369 du code de procédure civile et L. 622-22 du code de commerce, les instances en cours au moment de l'ouverture d'une procédure collective à l'endroit du débiteur sont interrompues de plein droit jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance,

- qu'à partir de ce moment, elles reprennent de plein droit, les organes de la procédure dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant,

- que l'article R. 622-20 du code de commerce précise que l'action interrompue en application de l'article L. 622-22 est reprise à l'initiative du créancier demandeur, dès que celui-ci a produit à la juridiction saisie une copie de la déclaration de sa créance ou tout autre élément justifiant de la mention de sa créance sur la liste prévue par l'article L. 624-1 et mis en cause le mandataire judiciaire ainsi que, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan,

- que c'est donc au demandeur d'appeler en la cause de liquidateur judiciaire,

- que sans mise en cause du mandataire de justice, la décision rendue encourt la nullité et, à tout le moins, l'inopposabilité de son contenu à la procédure collective,

- que ceci étant, on se demande bien ce que cherche la [7], qui est d'ores et déjà admise à l'état des créances,

- que conformément au principe de l'interdiction des paiements, il est interdit à la [7] de solliciter condamnation à paiement, quand bien même les créances auxquelles elle prétend seraient légitimement sollicitées,

- que l'on comprend que la [7] sollicite la condamnation à paiement d'une somme de 131'318,61 euros,

- que dans les pièces qu'elle communique, la [7] justifie d'une déclaration de créance effectuée le 3 février 2021 pour la somme de 33'903,29 euros à titre privilégié et 165'334,19 euros à titre chirographaire,

- que le juge commissaire a admis les droits de la [7],

- qu'ainsi, les créances de la [7] sont admises, de sorte que sa demande est sans objet et qu'elle doit être déclarée irrecevable,

- qu'il y a donc lieu de rejeter les demandes de la [7].

Suivant conclusions en date 5 mai 2025, la [7] sollicite :

- que ses écritures soient reçues,

- que le jugement rendu par le pôle social de [Localité 1] soit confirmé,

- que la mise en demeure émise après le redressement des cotisations soit validée,

- que le redressement de cotisations soit validé pour son entier montant.

Au soutien de ses prétentions, elle fait notamment valoir :

- que le liquidateur de la société [6] demande l'annulation du jugement rendu le 4 mai 2021 au motif qu'il n'a pas été valablement appelé en première instance,

- que pour sa part, elle avait écrit le 12 janvier 2021 au greffe du pôle social [Localité 1] pour que le liquidateur judiciaire soit appelé,

- que par courrier recommandé en date du 12 mars 2021, elle lui avait adressé une copie de ses conclusions de première instance,

- que l'accusé de réception ayant été signé, il est impossible pour le liquidateur judiciaire de déclarer qu'il n'aurait pas eu connaissance de l'instance en cours, instance introduite par la société débitrice,

- que pour le reste, elle s'oppose à la demande de jonction initialement formée par la société [6], ainsi qu'à toutes les demandes de cette dernière tendant à contester la validité de la mise en demeure, la validité de la procédure de contrôle et le bien-fondé du redressement.

L'examen de l'affaire a été porté à l'audience du 19 mai 2025, lors de laquelle chacune des parties s'est référée à ses conclusions écrites.

Motifs de l'arrêt :

Conformément à l'article 369 du code de procédure civile, le jugement de liquidation judiciaire a eu pour effet d'interrompre l'instance introduite par la société [6] avant son prononcé.

L'instance devant le pôle social du tribunal judiciaire aurait dû être reprise par le liquidateur.

Il est constant que les jugements obtenus après l'interruption de l'instance sont réputés non avenus lorsqu'ils n'ont pas été confirmés expressément ou tacitement par le liquidateur.

Tel n'a pas été le cas en l'espèce.

Dès lors, le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint-Quentin le 4 mai 2021 est réputé non avenu.

C'est seulement en cause d'appel que la SELARL [5], liquidateur judiciaire de la société [6], a été appelée en la cause. Il importe peu de savoir si elle était au courant de l'instance en cours dès l'hiver 2021 ou si elle ne l'était pas ou si elle aurait pu l'être ou si elle aurait pu intervenir volontairement à la procédure, puisqu'en tout état de cause, elle n'est pas intervenue volontairement et n'a été assignée que le 7 février 2023.

En vertu de l'article L. 641-9 du code de commerce, la liquidation judiciaire implique le dessaisissement du débiteur. Pendant la durée de la procédure, les droits et actions de ce dernier sont exercés par le liquidateur. Ceci signifie que sauf exceptions, le débiteur ne peut plus agir en justice et que c'est au liquidateur judiciaire de le faire.

En l'espèce, l'intervention du liquidateur judiciaire et la reprise de la procédure en cause d'appel a eu pour effet de régulariser la situation et de permettre à la cour de céans, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel et de l'évocation, de connaître du fond du litige.

Néanmoins, il apparaît qu'étrangement, la SELARL [5] se positionne comme si la [7] était en demande et considère que son action est irrecevable, dans la mesure où la créance de cet organisme a déjà été admise au passif de la société [6].

Or, ce faisant, la SELARL [5] omet que c'était la SARL [6] qui avait saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Quentin pour exercer un recours contre la décision de la CRA de la [7] ayant rejeté sa contestation du redressement dont elle faisait l'objet.

Se positionnant ainsi en simple défenderesse, elle ne saisit la cour de céans d'aucun moyen pour contester le redressement dont elle a fait l'objet. Au contraire, elle tient celui-ci pour acquis, considère la créance de la [7] comme définitivement admise et, par là-même, ne discute pas sa dette envers la [7].

Il convient donc de confirmer le redressement pour travail dissimulé.

En revanche, compte tenu de la règle de l'arrêt des poursuites, il n'y a pas lieu de condamner la société [6] à verser une quelconque somme à la [7] mais simplement de constater la créance de la [7] à l'encontre de la société et de la fixer.

À cet égard, il apparaît que la créance, objet du présent litige, est de 131 318,61 euros.

En application de l'article L. 243-5 du code de la sécurité sociale, il n'y a pas lieu d'ordonner la remise des pénalités, majorations de retard et frais de poursuite dus, puisque le passif déclaré résulte en tout ou partie du constat de l'infraction mentionnée à l'article L. 8221-1 du code du travail, à savoir le travail dissimulé.

En conséquence, il y a lieu de fixer au passif de la procédure collective de la société [6] la créance de la [7] à 131'318,61 euros.

De même, il y a lieu de fixer au passif de la procédure collective de la société [6] les dépens de première instance et d'appel.

Enfin, il y a lieu de débouter la SELARL [5], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [6], de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt rendu par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

- Déclare non avenu le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint-Quentin le 4 mai 2021, entre la SARL [6] et la [7],

- Constate que la cour n'est saisie d'aucune demande ni d'aucun moyen contre la procédure de contrôle mené par la [7] et contre le redressement opéré pour travail dissimulé,

- Fixe au passif de la procédure collective de la société [6] la créance de la [7] à la somme de 131'318,61 euros,

- Fixe au passif de la procédure collective de la société [6] les dépens de première instance et d'appel.

- Déboute la SELARL [5], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [6], de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, Le président,

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