CA Bordeaux, 4e ch. com., 17 juillet 2025, n° 23/02533
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Habitat & Energie (SARL), SO Group (SAS), Philae (SELARL)
Défendeur :
Conductos De Ventilacion (Convesa) (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Masson, Mme Jarnevic
Avocats :
Me Morin, SCP Dacharry & Associés, Me Fonrouge, SELARL KPDB Inter-Barreaux, Me Combeau, Me Alonso, SELARL Dolla - Vial & Associés
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1. La société à responsabilité limitée Habitat & Energie exerce une activité de distribution et vente de conduits de ventilation auprès d'une clientèle de particuliers ; la société par actions simplifiée SO Groupe exerce la même activité auprès d'une clientèle de professionnel.
Ces deux sociétés exercent en commun sous l'enseigne 'So Steel'.
La société anonyme de droit espagnol Conductos de Ventilacion (ci-après Convesa), dont le siège social est situé à [Localité 4] (Espagne), fabrique et commercialise des conduits de ventilation.
Les sociétés Habitat & Energie et So Groupe - la seconde sous le couvert de la première- ont procédé à des commandes auprès de la société Convesa à compter de l'année 2015 pour la première et de l'année 2018 pour la seconde.
Des retards de paiement ont donné lieu à des rappels de la part du fournisseur à compter du mois de janvier 2019.
Par jugement du 22 mai 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Habitat & Energie et a désigné la SELARL Malmezat Prat Lucas Dabadie, aujourd'hui la SELARL Philae en qualité de mandataire judiciaire.
Le 2 octobre 2019, la société Convesa a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire pour la somme de 72 196,80 euros.
2. Le 25 octobre 2019, la société Philae ès qualités a informé la société Convesa de la contestation de la créance.
Par jugement du 13 novembre 2020, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement de la société Habitat & Energie et a désigné la société Philae en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
Le 18 janvier 2021, le juge commissaire du tribunal de commerce de Bordeaux s'est déclaré incompétent.
Par acte du 24 février 2021, la société Convesa a assigné la société Habitat & Energie et la SELARL Malmezat Prat Lucas Dabadie devant le tribunal de commerce de Bordeaux afin de fixer sa créance à la somme de 72 196,80 euros au titre des factures impayées. La société SO Group est intervenue volontairement à l'instance.
Par jugement du 3 mars 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- Dit recevable l'intervention volontaire de la société SO Groupe SAS ;
- Fixé à 56 717,49 euros la créance de la société Conductos de Ventilacion SA au passif de la procédure de la société Habitat & Energie SARL ;
- Fixé au passif de la société Habitat & Energie SARL la somme de 280 euros au nom de la société Conductos de Ventilacion SA ;
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- Condamné la société Habitat & Energie SARL et la SELARL Philae, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Habitat & Energie SARL à payer à la société Conductos de Ventilacion SA la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de commerce ;
- Condamné la société Habitat & Energie SARL, la SELARL Philae en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Habitat & Energie SARL et la société SO Groupe SAS aux dépens ;
- Fixé cette somme en frais privilégiés de la procédure.
Par déclaration au greffe du 26 mai 2023, la SARL Habitat & Energie, la SAS So Group et la SELARL Philae ont relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SA Conductos de Ventilacion.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
3. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 16 février 2024, les sociétés Habitat & Energie, Philae et So Groupe demandent à la cour de :
Vu l'article 1128 du code civil,
Vu l'article 1231-1 du code civil,
Vu l'article L442-1 du code de commerce,
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 3 mars 2023
(RG n°2021F00203) en ce qu'il :
Dit recevable l'intervention volontaire de la société SO Groupe SAS ;
Annule les ventes portant sur les produits de la gamme JM,
Déboute la société Convesa de sa demande de fixation de sa créance au titre des factures relatives aux produits de la gamme JM à hauteur de 15 488,32 euros,
- Réformer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 3 mars 2023 (RG n°2021F00203) pour le surplus,
Et statuant à nouveau :
- Condamner la société Convesa à récupérer, à ses frais, l'intégralité des produits illicites (gamme JM) détenus par la société Habitat & Energie dans un entrepôt situé à son siège social dans un délai de quinze jours suivant la signification de la décision à intervenir,
- Condamner la société Convesa à payer à la société Habitat & Energie la somme de 71 708,48 euros à titre d'indemnisation de son préjudice commercial (56 708,48 euros + 15 000 euros),
- Condamner la société Convesa à payer à la société SO Groupe la somme de 8 000 euros à titre d'indemnisation de son préjudice commercial,
- Condamner la société Convesa à payer la société Habitat & Energie une somme de 70 602,56 euros pour la période du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2021, outre 1560 euros/mois à compter du 1er janvier 2022 jusqu'à récupération effective de la
marchandise, en réparation du préjudice subi par la société Habitat & Energie
du fait du stockage des produits Convesa.
- Condamner la société Convesa à payer à la société Habitat & Energie ainsi qu'à la société SO Groupe la somme de 10 000 euros chacune de leur préjudice d'image,
- Condamner la société Convesa à payer à la société Habitat & Energie la somme de 135 842,76 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies entre elles,
- Condamner la société Convesa à payer à la société SO Groupe la somme de 11 724,55 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies entre elles,
- Condamner la société Convesa à payer aux sociétés Habitat & Energie et SO Groupe la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Outre les entiers dépens.
***
4. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 22 juillet 2024 portant appel incident, auxquelles la cour se réfère expressément, la SA Conductos de Ventilacion demande à la cour de :
Vu les articles 1103 et 1231-1 du code civil,
Vu les articles L. 441-6, D. 441-5 et L.442-1 du code de commerce
Vu les articles 9, 325, 329, 696 et 700 du code de procédure civile,
Vu les pièces versées aux débats,
- Recevoir la Société Conductos de Ventilacion SA en ses écritures et l'en déclarer bien fondée ;
- Débouter la Société Habitat & Energie de toutes ses demandes, fins et prétentions.
Et en conséquence de :
- Confirmer le jugement rendu en date du 3 mars 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux (RG 2021F00203) en ce qu'il a :
Condamné la société Habitat & Energie et la Société Philae, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Habitat & Energie SARL à payer à la société Conductos de Ventilacion S.A. la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de commerce ;
Condamné la Société Habitat & Energie, la Société Philae, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Habitat & Energie SARL et la société SO Group SAS aux dépens ;
Fixé cette somme en frais privilégiés de la procédure ;
- Infirmer le jugement rendu en date du 3 mars 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux (RG 2021F00203) en ce qu'il a :
Fixé à 56 717,49 euros la créance de la société Conductos de Ventilacion SA au passif de la procédure de la société Habitat & Energie SARL ;
Fixé au passif de la société Habitat & Energie SARL la somme de 280 euros au nom de la société Conductos de Ventilacion S.A ;
Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
Et statuant à nouveau :
- Fixer à 72 196,80 euros la créance de la société Conductos de Ventilacion SA au passif de la procédure de la société Habitat & Energie SARL ;
- Fixer au passif de la société Habitat & Energie SARL la somme de 1 120 euros au nom de la société Conductos de Ventilacion S.A. au titre de l'indemnité légale de recouvrement de l'article L. 441-10 du code de commerce ;
Ajoutant en cause d'appel :
- Condamner la société Habitat & Energie et la société Philae, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Habitat & Energie SARL à payer à la société Conductos de Ventilacion la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de commerce ;
- Condamner la société Habitat & Energie, la société Philae, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Habitat & Energie SARL et la société SO Group SAS aux dépens.
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L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 mars 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la gamme JM
5. Au visa de l'article 1103 du code civil, la société Conductos de Ventilacion (ci-après Convesa) fait grief au jugement déféré d'avoir rejeté sa demande au titre de la gamme de marchandises 'JM' et soutient que la société Habitat & Energie a, de nombreuses fois et en parfaite connaissance de cause, commandé et payé des marchandises qui étaient en cours de certification AENOR à la date de leur achat ; que la Société Habitat & Energie, qui est donc particulièrement mal fondée à prétendre que la certification des marchandises était un élément essentiel du contrat, n'apporte aux débats aucun élément permettant de justifier ses allégations puisqu'aucune réserve n'a en effet jamais été émise quant à la qualité des marchandises livrées.
L'intimée précise que la certification AENOR doit être renouvelée annuellement et que les marchandises litigieuses ont fait l'objet d'une première certification en 2006.
6. Au visa de l'article 1128 du code civil, la société Habitat & Energie répond que la certification de la gamme 'JM' aux normes françaises et européennes n'a été obtenue pour la première fois que le 23 juillet 2019 ; qu'avant cette date, la société Convesa ne disposait d'aucun certificat de conformité européen pour cette gamme de produits, encore moins français, de sorte qu'elle ne pouvait distribuer ses produits sur le territoire français ; que les documents communiqués par la société Convesa ne concernent pas les produits visés par le défaut de certification CE puisqu'aucune des références ne concerne les produits de la gamme JM.
Les appelantes ajoutent que la société Convesa a apposé sur les emballages et les produits eux-mêmes le logo de certification CE, alors même qu'elle n'avait pas obtenu de certification ; que, si la société Habitat & Energie a payé ces factures, c'est à raison de la croyance légitime qu'elle avait de la conformité des produits achetés.
Les sociétés Habitat & Energie, So Groupe et Philae concluent que la vente des produits de la gamme JM, dont la commercialisation était interdite au jour de leur livraison, ne remplit pas la condition de licéité commandée par l'article 1128 du code civil ; qu'à défaut de porter sur un objet licite, les ventes relatives aux produits de la gamme JM doivent être annulées.
Sur ce,
7. L'article 1128 du code civil dispose :
« Sont nécessaires à la validité d'un contrat :
1° Le consentement des parties ;
2° Leur capacité de contracter ;
3° Un contenu licite et certain.»
Le Règlement 2016/426, en particulier aux paragraphes 48 et suivants, impose le respect d'un processus par lequel le fabricant d'appareils brûlant des combustibles gazeux et des équipements de ces appareils fait l'objet d'une surveillance de la phase de production par un organisme notifié. Après une évaluation positive de la conformité de son produit, le fabricant est tenu d'établir une déclaration UE de conformité attestant que le produit visé remplit les exigences énoncées dans le règlement et doit apposer un marquage CE pour la mise sur le marché et la mise en service de ces appareils et de leurs équipement.
La société Convesa rapporte la preuve de ce qu'elle s'est soumise à ce processus, qui lui ouvrait droit au marquage CE, pour les produits vendus à la société Habitat & Energie, à l'exception de la gamme JM, pour laquelle il n'est établi aux débats qu'une certification à compter du 23 juillet 2019.
8. L'intimée ne pouvait donc mettre en vente sur le territoire européen une gamme de produits entrant dans le champ d'application du Règlement 2016/426 antérieurement à cette certification. Les ventes réalisées en contravention à ce Règlement ne sont donc pas licites au sens de l'article 1128 du code civil et doivent être annulées.
9. Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Convesa de sa demande au titre de ces ventes pour une créance d'un montant de 15.488,32 euros.
10. Puisque les ventes portant sur la gamme JM sont annulées, l'intimée doit être remise en possession du stock objet de ces ventes, à ses frais puisque la nullité de la vente est le résultat de son manquement.
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté les sociétés Habitat & Energie, SO Groupe et Philae à ce titre et d'ordonner à la société Convesa de reprendre le stock de produits JM dans un délai de quinze jours à compter de la signification du présent arrêt.
Sur le surplus de la demande de la société Convesa
11. L'intimée verse aux débats la totalité des bons de commande, bons de livraison et factures relatifs à la demande en fixation de sa créance, depuis le 16 septembre 2018 jusqu'au 19 mai 2019. Ces éléments ne sont pas discutés par les appelantes et il faut souligner qu'il est établi par les pièces produites par la société Convesa que les sociétés Habitat & Energie et SO Groupe, exerçant en commun sous l'enseigne So Steel, ont négocié auprès de leur fournisseur des délais de paiement à compter du mois de janvier 2019, la dette étant alors de 88.943,16 euros.
12. Le jugement doit dès lors être confirmé en ce qu'il a fixé au passif de la société Habitat & Energie la créance de la société Convesa pour la somme principale de 56.717,49 euros.
Il sera infirmé en ce qu'il a fixé à 280 euros (7 fois 40 euros) la créance de la société Convesa au titre des frais de recouvrement, tels que prévus par l'article D.441-5 du code de commerce. En effet, l'intimée présente une demande au titre de 28 factures, dûment produites à son dossier. Sa créance à ce titre est donc de 1.120 euros.
Sur la responsabilité contractuelle de la société Convesa
13. Au visa de l'article 1231-1 du code civil, les sociétés Habitat & Energie, So Groupe et Philae font grief au tribunal de commerce d'avoir rejeté leur demande en indemnisation du préjudice résultant des manquements contractuels de l'intimée.
Les appelantes soutiennent que la société Convesa a déplacé sur leur trésorerie la charge du stock de marchandises nécessaire à une livraison rapide des commandes des clients particuliers et professionnels des sociétés exerçant sous l'enseigne So Steel ; que, d'ailleurs, les délais de livraison de leur fournisseur étaient longs et aléatoires, ce qui les a contraintes à consentir des remises commerciales à leurs clients ; que, enfin, elles ont constaté un nombre de plus en plus important de pièces défectueuses.
Les appelantes font valoir que ces circonstances sont directement à l'origine de l'ouverture de la procédure collective de la société Habitat & Energie ; que leur préjudice est constitué par le montant de la créance de la société Convesa, le montant des remises commerciales consenties à leurs clients, le coût du stockage d'un stock invendable, un préjudice d'image caractérisé notamment par des avis négatifs sur Google et qui a entraîné la perte de chantiers.
14. Au visa de l'article 9 du code de procédure civile, la société Convesa répond que les relations entre les parties n'étant pas encadrées par un contrat, la gestion des stocks appartenait à Habitat & Energie ; que les appelantes ne versent aucune pièce permettant de démontrer les manquements qu'elles évoquent et ne rapportent pas non plus la preuve ni des préjudices ou des remises commerciales dont elles réclament l'indemnisation ni de leur lien avec les prétendus manquements qui seraient imputables à l'intimée.
Sur ce,
15. L'article 1231-1 du code civil dispose :
« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.»
Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
16. Il doit être rappelé que les relations contractuelles entre les parties n'étaient pas gouvernées par un contrat cadre mais résultaient de la réitération régulière de commandes par la société Habitat & Energie auprès de la société Convesa et de la livraison des marchandises commandées en retour.
17. La constitution et la charge financière d'un stock nécessaire à la fluidité de la réponse aux commandes qui étaient faites par sa propre clientèle à la société Habitat & Energie n'étaient donc pas entrées dans le champ contractuel, ce qui est d'ailleurs rappelé par la société Convesa dans un courriel du 17 janvier 2019 relatif à un entretien par téléphone.
En ce qui concerne l'argument relatif aux retards réitérés de livraison de la marchandise, les appelantes produisent un tableau réalisé par leurs soins qui analyse les dates des commandes et, en regard, les dates des livraisons.
Toutefois, l'examen des bons de commande produits à son dossier par l'intimée ne révèle aucune exigence contractuelle en ce qui concerne le délai de livraison des marchandises commandées. Faute de délai contractuellement prévu, il ne peut être poursuivi un quelconque manquement de l'intimée à cet égard.
De plus, les appelantes ne rapportent pas la preuve des remises commerciales qu'elles auraient consenties à leur clientèle en raison des retards allégués. Elles n'établissent pas davantage la réalité des appréciations négatives portées à leur encontre sur les réseaux sociaux qui auraient engendré un préjudice d'image. Elles ne versent pas de pièces relatives aux éventuelles annulations de chantier alléguées.
Enfin, il n'est produit aucun élément, par exemple un message de réclamation, en ce qui concerne l'argument relatif aux défauts de fabrication des équipements livrés.
18. Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande en dommages et intérêts présentée à ce titre par les sociétés Habitat & Energie, SO Groupe et Philae.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
19. Au visa de l'article L.442-1 II du code de commerce, les appelantes font grief au tribunal de commerce d'avoir rejeté leur demande en indemnisation du préjudice résultant de la rupture brutale, par la société Convesa, de relations commerciales établies ; elles reprochent au premier juge de ne pas avoir recherché si le manquement allégué par la société Convesa était suffisamment grave pour justifier une rupture immédiate et sans préavis des relations.
Les appelantes soutiennent que le fait de ne pas avoir été à jour des paiements n'est pas une faute grave autorisant une rupture sans préavis ; que l'intimée a été particulièrement déloyale en refusant du jour au lendemain de fournir aux sociétés Habitat & Energie et SO Groupe leurs produits alors que la société Habitat & Energie était en pleine période d'observation, sans considération des conséquences dramatiques sur les perspectives de redressement de celle-ci.
Les appelantes estiment que, compte tenu de la durée des relations contractuelles, de leur caractère exclusif et de la forte dépendance économique des sociétés Habitat & Energie et SO Groupe à la société Convesa, celle-ci aurait dû respecter un préavis d'au moins 1 an ; que les sociétés Habitat & Energie et SO Groupe sont toutes deux fondées à solliciter la condamnation de la société Convesa à leur payer des dommages et intérêts à hauteur de leur résultat net d'exploitation résultant de la vente et de la pose des produits Convesa pendant 1 an ; qu'il convient de retenir un taux de marge brute de 30 %, habituellement constaté dans le secteur.
Les appelantes indiquent enfin qu'elles supportent le coût de location d'un entrepôt qui abrite le stock des produits fournis par l'intimée, pour partie illicite donc invendable et incomplet pour le reste.
20. La société Convesa répond qu'il résulte de l'article L.442-1 du code de commerce que si la rupture brutale, sans préavis, d'une relation commerciale établie est de nature à engager la responsabilité de la partie qui décide de la rupture, il en va cependant autrement lorsque la rupture est justifiée par un manquement grave de l'autre partie à ses obligations essentielles ; que la demande des appelantes n'est pas sérieuse puisque leur conseil a adressé à la société Convesa un courrier en date du 18 juillet 2019 afin de lui faire part de certaines difficultés, parmi lesquelles la gestion des stocks, les 'factures ouvertes' et un éventuel problème de propriété intellectuelle ; qu'il n'est fait aucune mention dans ce courrier de difficultés concernant l'interruption de la relation commerciale, alors même que les sociétés Convesa et Habitat & Energie ne commerçaient plus ensemble depuis mai 2019.
L'intimée soutient que ce sont les impayés répétés, importants et définitifs de la société Habitat & Energie qui ont justifié la rupture sans préavis des relations commerciales car ils constituaient des manquement graves à ses obligations essentielles.
La société Convesa observe que les appelantes se livrent à un calcul très aléatoire de leurs marges brutes respectives afin d'évaluer le montant de leurs demandes ; qu'au demeurant, aucune pièce comptable ne vient à l'appui de leurs allégations.
Sur ce,
21. L'article L.442-1 II du code de commerce dispose :
« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.»
22. Il a été retenu à juste titre par le tribunal de commerce que la société So Groupe ne bénéficiait pas de relations commerciales établies avec la société Convesa puisqu'elles n'ont duré que quelques mois.
23. En ce qui concerne les relations commerciales de l'intimée avec la société Habitat & Energie, établies depuis plus de quatre années lors de la rupture, il apparaît que pour procéder à leur résiliation, la société Convesa a très explicitement invoqué dans son courrier de rupture en date du 13 septembre 2019, la dette de la société Habitat & Energie alors de 74.144,94 euros et indiqué que la poursuite des relations commerciales ne pourrait que nuire à la situation financière de la société Convesa.
Il est établi par les pièces produites de part et d'autre que les impayés des sociétés appelantes perduraient depuis plusieurs mois puisque la dette avait atteint la somme de plus de 80.000 euros au mois de janvier 2019, alors même que la société intimée avait accepté des paiements à 120 jours.
Un tel défaut de paiement, ancien et répété, doit être regardé comme une inexécution par les sociétés Habitat & Energie et SO Groupe de leurs obligations contractuelles au sens du troisième paragraphe de L'article L.442-1 II du code de commerce, ce qui justifiait une résiliation sans préavis.
Enfin, puisqu'il a été jugé supra que la constitution d'un stock à la charge des appelantes était étrangère à la société Convesa, la demande en indemnisation du coût de location d'un hangar est sans fondement.
24. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté les appelantes de leurs demandes en paiement de ces chefs, ainsi qu'en ses chefs de dispositif relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens de première instance.
Les sociétés Habitat & Energie et SO Groupe seront condamnées à payer à la société Convesa une somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à payer les dépens de l'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Infirme le jugement prononcé le 3 mars 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a :
- débouté les société Habitat & Energie, SO Groupe et Philae de leur demande au titre de la restitution du stock des marchandises de la gamme 'JM' ;
- fixé à la somme de 280 euros la créance de la société Convesa au titre de l'indemnité légale de recouvrement.
Statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne la société Convesa à reprendre possession à ses frais des produits de la gamme 'JM' détenus par la société Habitat & Energie dans un délai de quinze jours à compter de la signification du présent arrêt.
Fixe à la somme de 1.120 euros la créance de la société Convesa au passif de la société Habitat & Energie au titre de l'indemnité légale de recouvrement.
Confirme pour le surplus le jugement prononcé le 3 mars 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux.
Y ajoutant,
Condamne les sociétés Habitat & Energie et SO Groupe à payer in solidum à la société Convesa la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne les sociétés Habitat & Energie et SO Groupe à payer in solidum les dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.