CA Basse-Terre, 1re ch., 7 juillet 2025, n° 24/00475
BASSE-TERRE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
1ère CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° 370 DU 7 JUILLET 2025
R.G : N° RG 24/00475 - N° Portalis DBV7-V-B7I-DV27
Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Basse-Terre, du 30 avril 2024, dans une instance enregistrée sous le n° 23/00110.
APPELANT :
M. [W] [M]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Alain ROTH, avocat au barreau de Guadeloupe Saint-Martin Saint-Barthélemy (Toque 124)
INTIMÉE :
Mme [J] [Y]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Frédéric JEAN-MARIE, avocat au barreau de Guadeloupe Saint-Martin Saint-Barthélemy, administré par le cabinet THESA AVOCATS, représenté par Me Laurent PHILIBIEN, avocat au barreau de la Guadeloupe Saint-Martin Saint-Barthélemy (Toque 127).
COMPOSITION DE LA COUR :
Mme Judith DELTOUR, président de chambre
Mme Valérie MARIE-GABRIELLE, conseiller
Mme Rozenn LE GOFF, conseiller.
DÉBATS :
L'affaire a été examinée à l'audience publique du 5 mai 2025. Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries. Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 7 juillet 2025.
GREFFIER :
Lors des débats : Mme Lucile POMMIER, greffier principal.
Lors du prononcé : Mme Yolande MODESTE, greffier.
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées. Signé par Mme Judith DELTOUR, président de chambre et par Mme Yolande MODESTE, greffier.
Procédure
Soutenant que la diffusion intentionnelle et fautive de courriels à des tiers est à l'origine de son licenciement, par acte du 20 décembre 2023, M. [W] [M] a assigné Mme [J] [Y] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Basse-Terre pour obtenir au visa des articles 765 et 835 alinéa 2 du code de procédure civile outre une injonction d'avoir à communiquer son domicile réel sous astreinte, sa condamnation au paiement d'une provision de 50 000 euros en réparation du préjudice moral subi directement lié à l'infraction, en application des dispositions de l'article 432-9 du code pénal, au paiement des dépens et de 2 170 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance rendue le 30 avril 2024, le juge des référés a
- rejeté les demandes de M. [W] [M],
- condamné M. [W] [M] à payer à Mme [Y] une somme de 600 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [W] [M] au paiement des dépens.
Par déclaration reçue le 7 mai 2024, M. [M] a interjeté appel de la décision en indiquant: l'appel porte sur la somme de 50 000 euros à titre de provision dont a été débouté M. [M] ainsi que sur l'article 700 du code de procédure civile. L'avis d'orientation portant suivi de la procédure en application des dispositions des articles 905 et suivants du code de procédure civile a été délivré le 22 mai 2024, la déclaration d'appel a été signifiée le 24 mai 2024, avec les conclusions d'appel. Mme [Y] a conclu au fond le 23 juin 2024.
Par ordonnance du premier président du 14 mai 2024, M. [M] a été débouté de sa demande d'assignation à jour fixe. Suivant conclusions d'incident notifiées le 12 juillet 2024, le président de chambre a
- déclaré les conclusions notifiées le 23 juin 2024 par Mme [J] [Y] irrecevables à défaut d'indiquer son domicile ;
- dit que cette cause d'irrecevabilité peut être régularisée jusqu'au jour du prononcé de la clôture ;
- ordonné le renvoi de l'affaire pour clôture le 20 janvier 2025 ;
- condamné Mme [J] [Y] au paiement des dépens de l'incident ;
- condamné Mme [J] [Y] à payer à M. [W] [M] une somme de 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions communiquées le 24 décembre 2024, M. [M] a demandé au visa des articles 1240 du code civil et 835 du code de procédure civile, de
- juger que Mme [Y] a commis une faute grave directement liée au licenciement de M. [M] en divulguant à un tiers en l'espèce, l'employeur, des mails confidentiels ;
- juger que la justification de la transmission illégale des écrits à un tiers au motif d'une prétendue affirmation que ceux-ci révéleraient un caractère de « dureté » au demeurant fausse ne constitue pas le caractère sérieux de la contestation élevée au sens de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile ;
- juger que la justification de la transmission illégale des écrits à un tiers par la prétendue affirmation au demeurant erronée que France Télévision Guadeloupe la 1ère se confondrait avec M. [M] ne constitue pas le caractère sérieux de la contestation élevée au sens de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile ;
En conséquence,
- infirmer la décision entreprise et condamner Mme [Y] à payer par provision à M. [M] une somme de 50 000 euros en réparation du considérable préjudice moral subi ;
- débouter Mme [Y] de ses moyens de défense, fins et conclusions ;
- condamner Mme [Y] à indemniser M. [M] à hauteur de 2 170 euros au titre de la première instance et de 3 255 euros au titre de la procédure d'appel, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [Y] au paiement des dépens avec distraction au profit de Me Roth.
Il a fait valoir avoir initié une enquête sur l'utilisation d'un pesticide dangereux pour la santé et avoir interrogé le bureau de la communication de la préfecture en la personne de Mme [Y], qui l'a menacé de manière non feinte lui rappelant sa situation délicate vis à vis de son employeur, exerçant une pression psychologique pour le décourager dans ses investigations et transmettant les courriels à son employeur dans le dessein de l'« abattre », conduisant à son licenciement pour faute grave le 2 novembre 2023. Il a soutenu la compétence du juge des référés pour lui accorder une provision, la faute de Mme [Y] commise dans l'exercice de ses fonctions, sa participation active à son licenciement, son préjudice moral considérable rapporté à sa carrière. Il a soutenu que la contestation n'était pas sérieuse, qu'il ne se confondait pas avec Guadeloupe 1ère, que des courriels confidentiels ont été échangés, que Mme [Y] ne pouvait pas, sans engager sa responsabilité, les transmettre à un tiers.
Par dernières conclusions communiquées le 16 janvier 2025, Mme [Y] a sollicité de
- statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel ;
- juger que la demande de communication sous astreinte du domicile personnel de Mme [Y] est sans fondement ;
- juger que la preuve n'est pas rapportée de la culpabilité de Mme [Y] des faits prévus par l'article 432-9 du code pénal ;
- juger que la preuve n'est pas rapportée, au sens de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile du caractère incontestable de la responsabilité de Mme [Y] dans la survenance du préjudice allégué par M. [M] ;
- débouter en conséquence M. [M] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé ;
- condamner M. [M] à lui payer la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle a fait valoir que l'indication du domicile professionnel auquel l'assignation lui a été délivrée, répondait aux exigences de l'article 765 du code de procédure civile. Elle a estimé que les échanges entre les parties ne démontraient ni dérapage, ni menace, ni pression psychologique de sa part, que les affirmations péremptoires de l'appelant n'étaient pas prouvées, qu'il n'était pas démontré qu'elle avait transmis ces courriels à l'employeur de M. [M] alors qu'elle avait l'obligation de les communiquer à sa hiérarchie, d'autant que M. [M] représentait France Télévisions. Elle a fait valoir que M. [M] était à l'origine du préjudice qu'il alléguait, ayant tenu des propos constituant une faute inexcusable à l'origine de son préjudice. Elle a soutenu la confirmation de l'ordonnance de référé, estimant que cette procédure devait servir de commencement de preuve dans le cadre du procès pénal à venir suivant citation directe.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 janvier 2025. L'affaire a été fixée à plaider le 5 mai 2025. L'affaire a été mise en délibéré pour être rendu le 7 juillet 2025.
En cours de délibéré la cour a sollicité les observations sur l'éventuelle irrecevabilité des dernières conclusions de l'intimée, les premières conclusions ayant été déclarées irrecevables par le Président de chambre.
Aucune observation n'a été formulée.
Motifs de la décision
Pour statuer comme il l'a fait le premier juge a considéré qu'il était compétent pour statuer en dépit de l'existence d'une contestation sérieuse, que M. [M] ne rapportait pas la preuve d'une obligation non sérieusement contestable au sens de l'article 835 du code de procédure civile, que le juge des référés, juge de l'évidence, ne pouvait pas procéder à l'examen des mails litigieux échangés pour trancher les contestations relatives à l'existence éventuelle d'une faute d'un préjudice et d'un lien de causalité, que la demande de provision sérieusement contestable méritait un examen par le juge du fond.
La recevabilité de l'appel interjeté dans les quinze jours de l'ordonnance critiquée et sans signification préalable n'a pas été critiquée devant le président de chambre et il n'existe aucun moyen d'irrecevabilité que la cour doive relever d'office.
Les demandes de 'dire et juger' ou 'juger' ou 'constater' ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, elles constituent éventuellement des moyens au soutien d'une demande que la juridiction examine en tant que tels mais non des demandes auxquelles elle est tenue de répondre.
En application des dispositions de l'article 960 du code de procédure civile, la constitution d'avocat par l'intimé ou par toute personne qui devient partie en cours d'instance est dénoncée aux autres parties par notification entre avocats. Cet acte indique : si la partie est une personne physique, ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance.
En l'espèce, l'intimée a indiqué comme adresse préfecture de la Guadeloupe à [Localité 4]. Si elle a été assignée à cette adresse, elle ne l'a pas été en tant que représentant d'un service de l'Etat qui y serait domicilié, étant rappelé que l'huissier de justice commissaire de justice est autorisé à délivrer les actes sur le lieu de travail du destinataire, s'il ne le trouve pas à son domicile. La possibilité d'élection de domicile à la préfecture de la Guadeloupe n'est pas démontrée et la procédure ne relève pas des mesures de protection prise par le juge aux affaires familiales en application des dispositions de l'article 515-13-1 du Code civil.
Or, en application des dispositions de l'article 961 du code de procédure civile, les conclusions des parties ne sont pas recevables tant que les indications mentionnées aux deuxième à quatrième alinéas de l'article précédent n'ont pas été fournies. Cette cause d'irrecevabilité peut être régularisée jusqu'au jour du prononcé de la clôture ou, en l'absence de mise en état, jusqu'à l'ouverture des débats.
Mme [Y] n'a régularisé cette cause d'irrecevabilité, en dépit de l'ordonnance du président de chambre qui avait statué sur les conclusions notifiées le 23 juin 2024 et elle a été explicitement avisée des conséquences de son abstention. Les premières conclusions étant irrecevables, les suivantes le sont également.
Il en résulte que les conclusions de Mme [Y] ne sont pas recevables.
Aux termes de l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
En l'espèce, M. [M] sollicite en référé de trancher une question de responsabilité au visa de l'article 1240 du code civil et imposant donc de relever l'existence d'un fait fautif, d'un préjudice consécutif et d'un lien de causalité.
Au soutien de ses demandes, il relate un échange de courriels entre Mme [Y], employée à la préfecture et lui-même, dans la journée du 17 août 2023 dans le cadre d'investigations qu'il poursuivait, envisageant une interview d'un fonctionnaire de la DAAF, Mme [Y] lui ayant répondu où trouver les informations, avant de lui demander s'il travaillait toujours pour Guadeloupe 1ère, question à laquelle M. [M] a répondu faisant état d'un procédure de licenciement invalidée, d'une plainte pour discrimination contre France Télévision, évoquant un choix économique fait par son employeur et des dissensions voire des manoeuvres au sein de la direction pour l'écarter et reprochant à Mme [Y] de lui poser « des questions de police » à quoi l'intéressée a répondu qu'elle posait les mêmes questions à «chaque journaliste ou prétendu comme tel comme la moitié d'entre eux ici, présents aux conférences de presse et sur les visites ministérielles».
Si l'échange met en évidence une légère tension entre les rédacteurs, il n'en résulte aucune pression exercée sur M. [M] et il est démontré que Mme [Y] a répondu aux questions de M. [M], lui indiquant où trouver les informations qu'il recherchait et réservant la suite à donner à la demande d'entretien.
Pour autant si M. [M] reproche à Mme [Y] d'avoir transmis ces mails à son employeur, qui en a reçu effectivement communication et a pu se trouver marri de lire sous la plume de M. [M] «le directeur régional qui m'a collé la procédure a été obligé de prendre sa retraite précipitamment pour des raisons d'alcoolisme aigu et divers tripatouillages et le rédacteur en chef, [R] [U] n'est plus rédacteur en chef mais simple journaliste pour l'internet de Martinique. Comme il ne sait pas écrire, avec quand même une plainte pour harcèlement devant le parquet de PAP. Le journaliste qui a organisé le complot pour [H] pour me faire partir a été licencié pour corruption ([F]) le dossier s'appuyant sur des pièces que j'ai pu réunir». Cependant, il n'est pas établi par les pièces que l'échange a été communiqué par Mme [Y] à l'employeur de M. [M].
Quoiqu'il en soit Mme [Y] avait indiqué devant le premier juge qu'elle avait communiqué ces courriels, comme elle en avait l'obligation à sa hiérarchie. M. [M] a été informé par cet échange que Mme [Y] lui posait les questions à la demande du sous préfet : « c'est une question du sous préfet qui veut savoir à quel titre vous souhaitez cette interview. Je sais que l'inspection du travail vous a donné raison mais je dois savoir si vous travaillez toujours là et /ou si vous travaillez pour d'autre médias, ce qui [est] votre droit ». M. [M] a répondu « Ahhh les sous préfets!» Avant d'expliquer qu'il utilisait son adresse personnelle et non une adresse professionnelle, qu'il ne travaillait « QUE pour France Télévision...pas d'autre employeurs en vue, pas besoin vu l'importance de mon salaire....cela ira-t-il pour rassurer le sous-préfet'' » Mme [Y] a répondu qu'elle faisait son travail, qu'elle devait se renseigner sur les journalistes qu'elle accréditait, qu'il convenait de s'adresser à la chambre d'agriculture pour la demande d'entretien «ce que le grand reporter de niveau 4 que vous êtes a probablement déjà fait. La référence à votre gros salaire n'était pas utile et ne me regarde pas.»
Il résulte de ces éléments que M. [M] a été informé que les échanges étaient communiqués à des tiers : « la hiérarchie » de Mme [Y] et au moins au sous-préfet, lesquels ont pu être contrariés du ton employé par M. [M]. Pour autant, l'auteur de la transmission n'est pas identifié, M. [M] ne démontre pas que Mme [Y] a transmis ces échanges à son employeur. Autrement dit, il ne démontre pas un fait fautif imputable à Mme [Y], de sorte que l'obligation est sérieusement contestable et que l'ordonnance de référé critiquée doit être confirmée en ce qu'elle a débouté M. [M] de ses demandes.
L'ordonnance de référé est confirmée en ce qu'elle a statué sur les dépens et les demandes en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. M. [M] qui succombe en son appel est condamné au paiement des dépens et débouté de sa demande en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
La cour
- relève l'irrecevabilité des conclusions notifiées par Mme [J] [Y] ;
- confirme l'ordonnance de référé en ses dispositions déférées ;
Y ajoutant
- déboute M. [W] [M] de ses demandes contraires et en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne M. [W] [M] au paiement des dépens ;
Et ont signé
Le greffier Le président
1ère CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° 370 DU 7 JUILLET 2025
R.G : N° RG 24/00475 - N° Portalis DBV7-V-B7I-DV27
Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Basse-Terre, du 30 avril 2024, dans une instance enregistrée sous le n° 23/00110.
APPELANT :
M. [W] [M]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Alain ROTH, avocat au barreau de Guadeloupe Saint-Martin Saint-Barthélemy (Toque 124)
INTIMÉE :
Mme [J] [Y]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Frédéric JEAN-MARIE, avocat au barreau de Guadeloupe Saint-Martin Saint-Barthélemy, administré par le cabinet THESA AVOCATS, représenté par Me Laurent PHILIBIEN, avocat au barreau de la Guadeloupe Saint-Martin Saint-Barthélemy (Toque 127).
COMPOSITION DE LA COUR :
Mme Judith DELTOUR, président de chambre
Mme Valérie MARIE-GABRIELLE, conseiller
Mme Rozenn LE GOFF, conseiller.
DÉBATS :
L'affaire a été examinée à l'audience publique du 5 mai 2025. Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries. Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 7 juillet 2025.
GREFFIER :
Lors des débats : Mme Lucile POMMIER, greffier principal.
Lors du prononcé : Mme Yolande MODESTE, greffier.
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées. Signé par Mme Judith DELTOUR, président de chambre et par Mme Yolande MODESTE, greffier.
Procédure
Soutenant que la diffusion intentionnelle et fautive de courriels à des tiers est à l'origine de son licenciement, par acte du 20 décembre 2023, M. [W] [M] a assigné Mme [J] [Y] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Basse-Terre pour obtenir au visa des articles 765 et 835 alinéa 2 du code de procédure civile outre une injonction d'avoir à communiquer son domicile réel sous astreinte, sa condamnation au paiement d'une provision de 50 000 euros en réparation du préjudice moral subi directement lié à l'infraction, en application des dispositions de l'article 432-9 du code pénal, au paiement des dépens et de 2 170 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance rendue le 30 avril 2024, le juge des référés a
- rejeté les demandes de M. [W] [M],
- condamné M. [W] [M] à payer à Mme [Y] une somme de 600 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [W] [M] au paiement des dépens.
Par déclaration reçue le 7 mai 2024, M. [M] a interjeté appel de la décision en indiquant: l'appel porte sur la somme de 50 000 euros à titre de provision dont a été débouté M. [M] ainsi que sur l'article 700 du code de procédure civile. L'avis d'orientation portant suivi de la procédure en application des dispositions des articles 905 et suivants du code de procédure civile a été délivré le 22 mai 2024, la déclaration d'appel a été signifiée le 24 mai 2024, avec les conclusions d'appel. Mme [Y] a conclu au fond le 23 juin 2024.
Par ordonnance du premier président du 14 mai 2024, M. [M] a été débouté de sa demande d'assignation à jour fixe. Suivant conclusions d'incident notifiées le 12 juillet 2024, le président de chambre a
- déclaré les conclusions notifiées le 23 juin 2024 par Mme [J] [Y] irrecevables à défaut d'indiquer son domicile ;
- dit que cette cause d'irrecevabilité peut être régularisée jusqu'au jour du prononcé de la clôture ;
- ordonné le renvoi de l'affaire pour clôture le 20 janvier 2025 ;
- condamné Mme [J] [Y] au paiement des dépens de l'incident ;
- condamné Mme [J] [Y] à payer à M. [W] [M] une somme de 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions communiquées le 24 décembre 2024, M. [M] a demandé au visa des articles 1240 du code civil et 835 du code de procédure civile, de
- juger que Mme [Y] a commis une faute grave directement liée au licenciement de M. [M] en divulguant à un tiers en l'espèce, l'employeur, des mails confidentiels ;
- juger que la justification de la transmission illégale des écrits à un tiers au motif d'une prétendue affirmation que ceux-ci révéleraient un caractère de « dureté » au demeurant fausse ne constitue pas le caractère sérieux de la contestation élevée au sens de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile ;
- juger que la justification de la transmission illégale des écrits à un tiers par la prétendue affirmation au demeurant erronée que France Télévision Guadeloupe la 1ère se confondrait avec M. [M] ne constitue pas le caractère sérieux de la contestation élevée au sens de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile ;
En conséquence,
- infirmer la décision entreprise et condamner Mme [Y] à payer par provision à M. [M] une somme de 50 000 euros en réparation du considérable préjudice moral subi ;
- débouter Mme [Y] de ses moyens de défense, fins et conclusions ;
- condamner Mme [Y] à indemniser M. [M] à hauteur de 2 170 euros au titre de la première instance et de 3 255 euros au titre de la procédure d'appel, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [Y] au paiement des dépens avec distraction au profit de Me Roth.
Il a fait valoir avoir initié une enquête sur l'utilisation d'un pesticide dangereux pour la santé et avoir interrogé le bureau de la communication de la préfecture en la personne de Mme [Y], qui l'a menacé de manière non feinte lui rappelant sa situation délicate vis à vis de son employeur, exerçant une pression psychologique pour le décourager dans ses investigations et transmettant les courriels à son employeur dans le dessein de l'« abattre », conduisant à son licenciement pour faute grave le 2 novembre 2023. Il a soutenu la compétence du juge des référés pour lui accorder une provision, la faute de Mme [Y] commise dans l'exercice de ses fonctions, sa participation active à son licenciement, son préjudice moral considérable rapporté à sa carrière. Il a soutenu que la contestation n'était pas sérieuse, qu'il ne se confondait pas avec Guadeloupe 1ère, que des courriels confidentiels ont été échangés, que Mme [Y] ne pouvait pas, sans engager sa responsabilité, les transmettre à un tiers.
Par dernières conclusions communiquées le 16 janvier 2025, Mme [Y] a sollicité de
- statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel ;
- juger que la demande de communication sous astreinte du domicile personnel de Mme [Y] est sans fondement ;
- juger que la preuve n'est pas rapportée de la culpabilité de Mme [Y] des faits prévus par l'article 432-9 du code pénal ;
- juger que la preuve n'est pas rapportée, au sens de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile du caractère incontestable de la responsabilité de Mme [Y] dans la survenance du préjudice allégué par M. [M] ;
- débouter en conséquence M. [M] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé ;
- condamner M. [M] à lui payer la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle a fait valoir que l'indication du domicile professionnel auquel l'assignation lui a été délivrée, répondait aux exigences de l'article 765 du code de procédure civile. Elle a estimé que les échanges entre les parties ne démontraient ni dérapage, ni menace, ni pression psychologique de sa part, que les affirmations péremptoires de l'appelant n'étaient pas prouvées, qu'il n'était pas démontré qu'elle avait transmis ces courriels à l'employeur de M. [M] alors qu'elle avait l'obligation de les communiquer à sa hiérarchie, d'autant que M. [M] représentait France Télévisions. Elle a fait valoir que M. [M] était à l'origine du préjudice qu'il alléguait, ayant tenu des propos constituant une faute inexcusable à l'origine de son préjudice. Elle a soutenu la confirmation de l'ordonnance de référé, estimant que cette procédure devait servir de commencement de preuve dans le cadre du procès pénal à venir suivant citation directe.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 janvier 2025. L'affaire a été fixée à plaider le 5 mai 2025. L'affaire a été mise en délibéré pour être rendu le 7 juillet 2025.
En cours de délibéré la cour a sollicité les observations sur l'éventuelle irrecevabilité des dernières conclusions de l'intimée, les premières conclusions ayant été déclarées irrecevables par le Président de chambre.
Aucune observation n'a été formulée.
Motifs de la décision
Pour statuer comme il l'a fait le premier juge a considéré qu'il était compétent pour statuer en dépit de l'existence d'une contestation sérieuse, que M. [M] ne rapportait pas la preuve d'une obligation non sérieusement contestable au sens de l'article 835 du code de procédure civile, que le juge des référés, juge de l'évidence, ne pouvait pas procéder à l'examen des mails litigieux échangés pour trancher les contestations relatives à l'existence éventuelle d'une faute d'un préjudice et d'un lien de causalité, que la demande de provision sérieusement contestable méritait un examen par le juge du fond.
La recevabilité de l'appel interjeté dans les quinze jours de l'ordonnance critiquée et sans signification préalable n'a pas été critiquée devant le président de chambre et il n'existe aucun moyen d'irrecevabilité que la cour doive relever d'office.
Les demandes de 'dire et juger' ou 'juger' ou 'constater' ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, elles constituent éventuellement des moyens au soutien d'une demande que la juridiction examine en tant que tels mais non des demandes auxquelles elle est tenue de répondre.
En application des dispositions de l'article 960 du code de procédure civile, la constitution d'avocat par l'intimé ou par toute personne qui devient partie en cours d'instance est dénoncée aux autres parties par notification entre avocats. Cet acte indique : si la partie est une personne physique, ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance.
En l'espèce, l'intimée a indiqué comme adresse préfecture de la Guadeloupe à [Localité 4]. Si elle a été assignée à cette adresse, elle ne l'a pas été en tant que représentant d'un service de l'Etat qui y serait domicilié, étant rappelé que l'huissier de justice commissaire de justice est autorisé à délivrer les actes sur le lieu de travail du destinataire, s'il ne le trouve pas à son domicile. La possibilité d'élection de domicile à la préfecture de la Guadeloupe n'est pas démontrée et la procédure ne relève pas des mesures de protection prise par le juge aux affaires familiales en application des dispositions de l'article 515-13-1 du Code civil.
Or, en application des dispositions de l'article 961 du code de procédure civile, les conclusions des parties ne sont pas recevables tant que les indications mentionnées aux deuxième à quatrième alinéas de l'article précédent n'ont pas été fournies. Cette cause d'irrecevabilité peut être régularisée jusqu'au jour du prononcé de la clôture ou, en l'absence de mise en état, jusqu'à l'ouverture des débats.
Mme [Y] n'a régularisé cette cause d'irrecevabilité, en dépit de l'ordonnance du président de chambre qui avait statué sur les conclusions notifiées le 23 juin 2024 et elle a été explicitement avisée des conséquences de son abstention. Les premières conclusions étant irrecevables, les suivantes le sont également.
Il en résulte que les conclusions de Mme [Y] ne sont pas recevables.
Aux termes de l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
En l'espèce, M. [M] sollicite en référé de trancher une question de responsabilité au visa de l'article 1240 du code civil et imposant donc de relever l'existence d'un fait fautif, d'un préjudice consécutif et d'un lien de causalité.
Au soutien de ses demandes, il relate un échange de courriels entre Mme [Y], employée à la préfecture et lui-même, dans la journée du 17 août 2023 dans le cadre d'investigations qu'il poursuivait, envisageant une interview d'un fonctionnaire de la DAAF, Mme [Y] lui ayant répondu où trouver les informations, avant de lui demander s'il travaillait toujours pour Guadeloupe 1ère, question à laquelle M. [M] a répondu faisant état d'un procédure de licenciement invalidée, d'une plainte pour discrimination contre France Télévision, évoquant un choix économique fait par son employeur et des dissensions voire des manoeuvres au sein de la direction pour l'écarter et reprochant à Mme [Y] de lui poser « des questions de police » à quoi l'intéressée a répondu qu'elle posait les mêmes questions à «chaque journaliste ou prétendu comme tel comme la moitié d'entre eux ici, présents aux conférences de presse et sur les visites ministérielles».
Si l'échange met en évidence une légère tension entre les rédacteurs, il n'en résulte aucune pression exercée sur M. [M] et il est démontré que Mme [Y] a répondu aux questions de M. [M], lui indiquant où trouver les informations qu'il recherchait et réservant la suite à donner à la demande d'entretien.
Pour autant si M. [M] reproche à Mme [Y] d'avoir transmis ces mails à son employeur, qui en a reçu effectivement communication et a pu se trouver marri de lire sous la plume de M. [M] «le directeur régional qui m'a collé la procédure a été obligé de prendre sa retraite précipitamment pour des raisons d'alcoolisme aigu et divers tripatouillages et le rédacteur en chef, [R] [U] n'est plus rédacteur en chef mais simple journaliste pour l'internet de Martinique. Comme il ne sait pas écrire, avec quand même une plainte pour harcèlement devant le parquet de PAP. Le journaliste qui a organisé le complot pour [H] pour me faire partir a été licencié pour corruption ([F]) le dossier s'appuyant sur des pièces que j'ai pu réunir». Cependant, il n'est pas établi par les pièces que l'échange a été communiqué par Mme [Y] à l'employeur de M. [M].
Quoiqu'il en soit Mme [Y] avait indiqué devant le premier juge qu'elle avait communiqué ces courriels, comme elle en avait l'obligation à sa hiérarchie. M. [M] a été informé par cet échange que Mme [Y] lui posait les questions à la demande du sous préfet : « c'est une question du sous préfet qui veut savoir à quel titre vous souhaitez cette interview. Je sais que l'inspection du travail vous a donné raison mais je dois savoir si vous travaillez toujours là et /ou si vous travaillez pour d'autre médias, ce qui [est] votre droit ». M. [M] a répondu « Ahhh les sous préfets!» Avant d'expliquer qu'il utilisait son adresse personnelle et non une adresse professionnelle, qu'il ne travaillait « QUE pour France Télévision...pas d'autre employeurs en vue, pas besoin vu l'importance de mon salaire....cela ira-t-il pour rassurer le sous-préfet'' » Mme [Y] a répondu qu'elle faisait son travail, qu'elle devait se renseigner sur les journalistes qu'elle accréditait, qu'il convenait de s'adresser à la chambre d'agriculture pour la demande d'entretien «ce que le grand reporter de niveau 4 que vous êtes a probablement déjà fait. La référence à votre gros salaire n'était pas utile et ne me regarde pas.»
Il résulte de ces éléments que M. [M] a été informé que les échanges étaient communiqués à des tiers : « la hiérarchie » de Mme [Y] et au moins au sous-préfet, lesquels ont pu être contrariés du ton employé par M. [M]. Pour autant, l'auteur de la transmission n'est pas identifié, M. [M] ne démontre pas que Mme [Y] a transmis ces échanges à son employeur. Autrement dit, il ne démontre pas un fait fautif imputable à Mme [Y], de sorte que l'obligation est sérieusement contestable et que l'ordonnance de référé critiquée doit être confirmée en ce qu'elle a débouté M. [M] de ses demandes.
L'ordonnance de référé est confirmée en ce qu'elle a statué sur les dépens et les demandes en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. M. [M] qui succombe en son appel est condamné au paiement des dépens et débouté de sa demande en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
La cour
- relève l'irrecevabilité des conclusions notifiées par Mme [J] [Y] ;
- confirme l'ordonnance de référé en ses dispositions déférées ;
Y ajoutant
- déboute M. [W] [M] de ses demandes contraires et en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne M. [W] [M] au paiement des dépens ;
Et ont signé
Le greffier Le président