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Décisions

CA Versailles, ch. soc. 4-3, 7 juillet 2025, n° 22/03369

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 22/03369

7 juillet 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-3

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 7 JUILLET 2025

N° RG 22/03369

N° Portalis DBV3-V-B7G-VQFR

AFFAIRE :

[F] [O]

C/

S.A.S. WKT CONSEIL

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 octobre 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CERGY-PONTOISE

N° Section : E

N° RG : F21/00254

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Claire QUETAND-FINET

Me Caroline MREJEN BERREBY

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Initialement prévu LE HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ, avancé au SEPT JUILLET DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

APPELANTE

Madame [F] [O]

née le 13 juillet 1991 à [Localité 3]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Claire QUETAND-FINET, Postulant, avocate au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 678, Me Adil SAHBAN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, Substitué par Me Sonia LASSOUANE, avocate au barreau de PARIS

****************

INTIMÉE

S.A.S. WKT CONSEIL

N° SIRET : 512 099 201

Prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège social

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Caroline MREJEN-BERREBY, avocate au barreau de PARIS, vestiaire : C1580

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 11 mars 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence SCHARRE, Conseillère chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Présidente,

Madame Florence SCHARRE, Conseillère,

Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère,

Greffière placée lors des débats : Madame Solène ESPINAT,

Greffière placée lors du prononcé : Madame Nicoleta JORNEA

FAITS ET PROCÉDURE

La société WKT Conseil est une société par actions simplifiée immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris.

La société WKT Conseil est un organisme de formation destiné aux professionnels de santé et notamment aux pharmaciens

Elle emploie plus de 11 salariés au moment du licenciement.

Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 27 juin 2019, Mme [O] a été engagée par la société WKT Conseil, en qualité de Responsable Formation, statut cadre, position 2.3 coefficient 150, à temps plein, à compter du 1er juillet 2019.

Au dernier état de la relation de travail, Mme [O] indique qu'elle percevait un salaire mensuel brut de référence de 4 968,33 euros, comprenant une prime sur objectifs annuelle de 10 000 euros, ce salaire étant contesté par la société qui évalue la moyenne des salaires des 3 derniers mois à la somme de 3 910 euros.

La relation contractuelle était régie par les dispositions de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs-conseils, sociétés de conseil, dite Syntec.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 21 octobre 2020, la société WKT Conseil a convoqué Mme [O] à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

L'entretien s'est tenu le 30 octobre 2020.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 4 novembre 2020, puis du 6 novembre 2020, la société WKT Conseil a notifié à Mme [O] son licenciement pour motif personnel, en ces termes :

« Madame,

Comme nous vous l'avons annoncé lors de notre entretien en date du 30 octobre 2020, nous avons décidé de procéder à votre licenciement pour motif personnel, motivé par vos insuffisances professionnelles et votre comportement inadapté en entreprise.

1. Sur les insuffisances professionnelles

Vos insuffisances professionnelles portent précisément sur votre incapacité à exécuter correctement vos missions contractuelles telles que définies dans votre contrat de travail.

En effet, vous avez été embauchée en tant que RESPONSABLE FORMATIONS et il vous incombait à ce titre, notamment de :

assurer le développement des programmes de formations ;

assurer le suivi du site internet et sa plate-forme E Learning avec ses contenus ;

négocier les contrats avec différents partenaires et/ou acteurs pharmaceutiques ;

contribuer au développement des clients de la société WKT CONSEIL ;

représenter WKT CONSEIL devant les institutions ou instances représentatives.

Or au cours de l'entretien préalable, nous vous avons exposé les points suivants.

En raison du COVID, nous avons décidé de développer les formations webinaire et e-learning, projet que vous deviez piloter avec Madame [J] [K], Responsable des opérations de la société WKT CONSEIL.

A cet effet, nous vous avons envoyée en formation auprès de la société SYNAKENE afin d'apprendre à maîtriser la production de formation en e-learning. Votre attitude pendant cette formation a été inacceptable : vous êtes venue sans matériel et vous vous êtes absentée sans motif pendant plus de 2 heures.

Votre absence de professionnalisme et la tenue de propos familiers nous ont en outre été remontées par notre partenaire ainsi que par la salariée présente ce jour avec vous. C'est ce qui ressort de mon mail du 5 août 2020.

En outre, au mois d'août 2020, le site de la société WKT CONSEIL n'était toujours pas opérationnel, tout comme la digitalisation des formations pourtant essentielle à la continuité de l'activité en cette période de COVID (mail du 7 août 2020).

Par ailleurs, la société SYNAKEN nous fait régulièrement part de nombreuses erreurs et fautes d'orthographe dans les modules de formation que vous leur envoyez. Cela entraîne une facturation supplémentaire par cette société qui doit systématiquement relire et corriger vos formations (mail du 19 octobre 2020).

Il convient également de noter que votre mauvaise gestion du matériel de formation lié à la vaccination a entraîné une pénurie en pleine campagne de vaccination pour nos clients.

Enfin, Madame [K], votre supérieure hiérarchique a décrit une rétention abusive et volontaire d'informations de votre part, l'empêchant d'exécuter ses missions : refus de donner les codes d'accès au serveur, la liste des formateurs, les coordonnées des clients'

Cette situation est inacceptable et extrêmement préjudiciable pour l'image de la société WKT CONSEIL. A l'évidence, nous ne pouvons tolérer une telle attitude et de tels manquements de votre part concernant l'exécution de votre contrat de travail.

2. Sur votre comportement inadapté en entreprise

En sus des multiples insuffisances professionnelles détaillées ci-dessus, votre comportement en entreprise vis-à-vis non seulement de vos collègues mais également de votre employeur est sanctionnable.

En effet, vos collègues m'ont fait part d'un comportement colérique, de vos humeurs instables, de vos familiarités permanentes envers elles, de dénigrement et d'un manque de respect instaurant un climat de travail délétère.

Pire encore, vous leur avez fait expressément du chantage pour que vous puissiez accéder à un poste de manager les menaçant de faire de la rétention d'informations nécessaires à la bonne exécution de leurs missions.

Enfin, vous remettez de façon permanente en cause, et devant les autres salariés, mes décisions et ma capacité managériale ce que je ne saurai tolérer.

En conséquence, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour motif personnel.

Nous vous dispensons d'effectuer votre préavis qui débute le 9 novembre 2020 et se termine le 9 février 2020, date à laquelle vous quitterez les effectifs de l'entreprise. Votre salaire continuera de vous être versé durant cette période.

A l'expiration de votre contrat de travail, nous vous remettrons ou nous vous adresserons par courrier votre certificat de travail, votre reçu pour solde de tout compte et votre attestation Pôle emploi.

Vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les quinze jours suivant sa notification par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous avons la faculté d'y donner suite dans un délai de quinze jours après réception de votre demande, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous pouvons également, le cas échéant et dans les mêmes formes, prendre l'initiative d'apporter des précisions à ces motifs dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement.

Nous vous prions d'agréer, Madame, nos respectueuses salutations. »

Par requête introductive reçue au greffe en date du 19 avril 2021, Mme [O] a saisi le Conseil de prud'hommes de Pontoise d'une demande tendant à ce que son licenciement pour motif personnel soit jugé comme étant nul en raison d'une situation de harcèlement moral et à défaut, comme étant sans cause réelle et sérieuse et à obtenir le versement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts et de rappel de salaires.

Par jugement rendu le 13 octobre 2022, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le Conseil de prud'hommes de Pontoise a :

Dit que le licenciement de Mme [O] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

Débouté Mme [O] de l'ensemble de ses demandes,

Débouté la société WKT Conseil de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Mis les éventuels dépens de l'instance à la charge de Mme [O].

Par déclaration d'appel reçue au greffe le 8 novembre 2022, Mme [O] a interjeté appel de ce jugement.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 29 janvier 2025.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 31 octobre 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [O], appelante, demande à la cour de :

Infirmer le jugement rendu le 13 octobre 2022 par le Conseil de prud'hommes de Pontoise en ce qu'il a :

* Dit que le licenciement de Mme [O] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

* Débouté Mme [O] de l'ensemble de ses demandes,

* Mis les éventuels dépens de l'instance à la charge de Mme [O],

Confirmer le jugement rendu le 13 octobre 2022 par le Conseil de prud'hommes de Pontoise en ce qu'il a :

* Débouté la société WKT Conseil de sa demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

Prononcer la nullité du licenciement de Mme [O] par la société WKT Conseil, en raison du harcèlement moral subi par Mme [O],

Evaluer les préjudices de Mme [O] à 12 mois de salaires, soit la somme de cinquante-six mille neuf cent vingt (56 920) euros,

Condamner la société WKT Conseil au paiement de la somme de cinquante-six mille neuf cent vingt (56 920) euros à Mme [O], à titre d'indemnité pour licenciement nul,

A titre subsidiaire,

Juger que le licenciement de Mme [O] est un licenciement verbal,

Juger que le licenciement de Mme [O] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamner la société WKT Conseil au paiement de la somme de deux mille quatre cent quatre-vingt quatre euros et seize cent (2 484,16 €) à Mme [O], à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

Écarter des débats la pièce adverse n°4 en raison de son caractère illicite et contraire au principe de loyauté de la preuve,

Inclure la prime de performance de dix mille (10 000) euros prévue à l'article 8 du contrat de travail au sein du salaire de référence,

Inclure l'avantage en nature de cent soixante (160) euros par mois au sein du salaire de référence,

Evaluer le salaire annuel de référence à la somme de cinquante-six mille neuf cent vingt

(56 920) euros,

Evaluer le salaire mensuel de référence à la somme de quatre mille neuf cent soixante-huit euros et trente-trois cent (4 968,33 €),

Evaluer le salaire horaire de référence à la somme de trente et un euros et vingt-sept cent

(31,27 €),

Juger que le licenciement de Mme [O] par la société WKT Conseil a un caractère vexatoire,

Evaluer le préjudice causé par le licenciement vexatoire à la somme de quatorze mille neuf cent quatre euros et quatre-vingt-dix-neuf cent (14 904,99 €),

Déclarer nulle la clause de non-concurrence prévue à l'article 15 du contrat de travail,

Juger que les objectifs de Mme [O] relativement à la prime de performance prévue à l'article 8 du contrat de travail n'ont pas été définis,

Evaluer au pro rata temporis la somme due à Mme [O] au titre de la prime de performance à seize mille deux cent sept euros et soixante-neuf cent (16 207,69 €),

Condamner la société WKT Conseil au paiement de la somme de seize mille deux cent sept euros et soixante-neuf cent (16 207,69 €) à Mme [O], au titre des primes de performance dues et non acquittées,

Juger que les conditions de recours au forfait jour prévu par l'avenant n°1 du 1er avril 2014 ne sont pas réunies,

Déclarer nulle la convention de forfait jour prévue à l'article 6 du contrat de travail,

Déclarer que Mme [O] est soumise au régime légal des 35 heures de travail hebdomadaire,

Evaluer le montant dû au titre des heures supplémentaires réalisé par Mme [O] à la somme de vingt-trois mille cinq cent soixante-dix-sept euros et trente-six cent (23 577,36 €),

Condamner la société WKT Conseil au paiement de la somme de vingt-trois mille cinq cent soixante-dix-sept euros et trente-six cent (23 577,36 €) à Mme [O], au titre des heures supplémentaires réalisées et non acquittées,

Condamner la société WKT Conseil au paiement de la somme de six mille euros (6 000 €) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner la société WKT Conseil au paiement des entiers dépens, au titre de l'article 699 du Code de procédure civile,

Rejeter l'ensemble des fins, moyens, et prétentions de la société WKT Conseil,

Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 5 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société WKT Conseil, intimée, demande à la cour de :

Confirmer le jugement rendu le 13 octobre 2022 (RG n° F21/00254) par le Conseil de Prud'hommes de Cergy Pontoise - Section encadrement - en ce qu'il a considéré que le licenciement de Mme [O] était fondé sur une cause réelle et sérieuse,

Confirmer le jugement rendu le 13 octobre 2022 (RG n° F21/00254) par le Conseil de Prud'hommes de Cergy Pontoise - Section encadrement - en ce qu'il a débouté Mme [O] de l'ensemble de ses demandes.

En conséquence,

Débouter Mme [O] de sa demande de nullité du licenciement fondée sur des faits de harcèlement moral et des demandes indemnitaires y afférentes,

Débouter Mme [O] de sa demande au titre du licenciement verbal et vexatoire et des demandes indemnitaires y afférentes,

Débouter Mme [O] de ses demandes visant à faire constater que le licenciement est dépourvu d'une cause réelle et sérieuse et des demandes indemnitaires y afférentes,

Débouter Mme [O] de ses demandes au titre de la prime de performance,

Débouter Mme [O] de sa demande de nullité de la convention de forfait jours prévue par le contrat de travail,

Débouter Mme [O] de sa demande au titre du paiement des heures supplémentaires,

Débouter Mme [O] de sa demande de nullité de la clause de non-concurrence,

Condamner Mme [O] au paiement de la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamner Mme [O] aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur la pièce 4 versée aux débats par la société

La société verse aux débats une pièce 4 constituée d'un ensemble de 9 photographies de la salariée prises sur son lieu de travail et à l'extérieur des locaux de la société.

Se fondant sur les articles 5 et 6 du règlement général de protection des données n° 2016/679, Mme [O] considère que l'employeur n'avait ni son consentement ni de motif légitime pour conserver ces photos personnelles et demande que la pièce illicite et sa production soient déclarées contraires au principe de loyauté de la preuve et demande à la cour d'écarter la pièce 4 des débats.

La société sollicite la confirmation du jugement sans émettre aucune observation sur la demande et les allégations adverses. Elle indique simplement qu'au vu de ces photos la salariée apparaît épanouie au sein de la société.

La cour rappelle que lorsqu'une partie communique des documents comportant des données personnelles, le juge doit s'assurer du respect des dispositions du Règlement général de protection des données n° 2016/679 (dit RGPD) en procédant à un contrôle de proportionnalité spécifique. Par ce contrôle qui vise à une minimisation des données personnelles transmises et à garantir la proportionnalité de leur production en justice en considération du droit de la preuve et du but recherché, le juge apprécie l'adéquation, la pertinence et le caractère indispensable de la production de ces données en justice.

En l'espèce, si l'obtention des photos de la salariée avec une guitare sur un parking ou en présence de collègues dans un atelier culinaire prises sur le lieu et le temps de travail n'a pas de caractère illicite, leur production en justice sans le consentement de l'intéressée porte néanmoins atteinte à ses droits personnels.

Or la communication de photos de cette nature dans le cadre du litige prud'homal opposant les parties, sans l'accord de la salariée n'apparaît ni adéquate, ni pertinent et ne s'avère pas indispensable à la preuve, ce que ne soulève d'ailleurs pas la société.

Ces pièces seront en conséquence écartées des débats.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur le harcèlement moral

En application de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Lorsque survient un litige relatif à des faits de harcèlement au sens de l'article L 1152 - 1 du code du travail, le salarié établit, conformément à l'article L 1154 - 1 du code du travail, des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Mme [O] invoque la nullité de son licenciement en raison d'une situation de harcèlement moral subie sur une période de 15 mois. Elle prétend avoir été soumise à des brimades quotidiennes, des menaces d'avertissement et des accès de colère de sa hiérarchie qui ont conduit à une dégradation de état de santé lui imposant en octobre 2020 la nécessité d'être en arrêt de travail.

A l'appui de ses allégations, elle produit de nombreux échanges de mails de 2020 au travers desquels apparaissent des propos agressifs et inadaptés de la part du gérant de la société M. [H] [Z] à l'égard des salariés et notamment Mme [O]. Elle produit également les attestations de Mmes [B] et [A] qui témoignent du climat conflictuel instauré par le manager au sein des équipes avec des effets délétères sur les salariés. Elle communique en outre des échanges de mails des 15 et 16 octobre 2020 qui révèlent la surveillance instaurée à son égard par l'intervention de Mme [P].

La salariée fait valoir aussi qu'elle était soumise à des injonctions contradictoires qui ont contribué à mettre à mal sa capacité à réaliser certaines tâches comme le refus d'autoriser des compétences managériales sur les équipes administratives alors qu'elle était sollicitée pour soutenir certains salariés.

La salariée indique que ce climat et ces faits ont eu pour conséquence de générer chez elle des angoisses au point de nécessiter une médication de neuroleptiques et un suivi psychiatrique. Elle communique pour en justifier 2 prescriptions médicales des 9 juillet et 2 octobre 2020, un courrier du médecin du travail du 22 octobre 2020 préconisant une prise en charge dans « un contexte de souffrance au travail ayant des répercussions majeures sur son état de santé ».

Mme [O] précise que son employeur a été avisé de la situation de harcèlement qu'elle dénonçait et produit les échanges de courriels des 19, 20 et 26 octobre 2020 précédant ses arrêts de travail.

Elle soutient enfin que son licenciement a été annoncé avant son entretien préalable et produit un message de M. [D] qui en atteste et dont la date est établie au 26 octobre 2020 par voie d'huissier.

Mme [O] ajoute qu'après son départ de la société dans le cadre de sa nouvelle embauche, elle a continué à faire l'objet d'un acharnement de la société au prétexte du non-respect de la clause de non concurrence. Elle transmet une main courante et un mail de la société du 5 juillet 2021 pour en justifier.

Les allégations de la salariée au soutien de sa demande au titre du harcèlement moral sont corroborées par des pièces et laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral. En conséquence, il appartient à l'employeur de démontrer que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société fait valoir que la situation dénoncée par la salariée est étrangère à une situation de harcèlement moral et que l'ensemble des faits se rattache aux difficultés professionnelles que Mme [O] a connues à compter du mois d'août 2020. L'employeur souligne au préalable que la salariée s'est plainte de l'attitude de son employeur et du climat anxiogène seulement 6 jours avant son entretien préalable et qu'elle était parfaitement épanouie au sein de la société.

Néanmoins, la cour constate que s'il transmet plusieurs messages émis entre le 11 septembre 2019 et le 11 juin 2020 faisant état de remerciements, d'encouragements et de relations amicales entre lui et Mme [O], il reconnaît lui-même que les choses se sont dégradées à compter du mois d'août 2020.

En effet, l'employeur soutient que la salariée a connu à compter de cette date une dégradation brutale de la qualité de son travail qui a conduit à une détérioration des relations de travail. Il considère que la salariée allègue une situation de harcèlement moral pour éviter de reconnaître ses propres défaillances. Pour justifier de cette dégradation, il transmet quatre éléments qui n'apparaissent pas probants ou suffisants.

Il communique d'abord des échanges de mails des 4 et 7 août 2020 concernant un travail de numérisation incomplet. Toutefois ce travail a été réalisé par deux salariées [U] et [G] sur lesquelles la salariée n'avait pas de pouvoir hiérarchique.

Il verse aux débats également un mail du 10 novembre 2020 d'un client ayant relevé des coquilles dans un document mais ce message laconique ne permet pas d'évaluer la nature des fautes commises par la salariée.

De la même manière, le mail d'annulation d'une formation par une pharmacienne ne permet pas de déterminer la responsabilité de la salariée dans la situation.

L'employeur transmet enfin le mail du 5 août 2020 concernant le reporting d'une réunion chez Synakene comportant plusieurs reproches sur les temps de pause de la salariée ou sur l'absence de son matériel. Ce seul événement ne suffit pas à corroborer l'affirmation de l'employeur selon laquelle il a été confronté à une dégradation de la qualité du travail de sa salariée à compter du mois d'août 2020.

L'employeur estime aussi que le comportement de la salariée à compter de cette date a contribué à dégrader les relations de travail. Il produit les attestations de Mme [Y], de Mme [E] et de Mme [K].

Néanmoins, l'attestation de Mme [Y], si elle souligne les qualités de son employeur, parle de la situation d'une autre salariée, Mme [T] [N] sans que la situation de Mme [O] ne soit évoquée à aucun moment.

Mme [E] indique en exergue de son attestation : « en 2020 suites aux pressions et chantages répétés de [F] [O], [T] [N] et moi-même avons décidé délibérément d'en parler à Monsieur [Z] ». Toutefois, rien dans cette attestation ne permet d'avoir des éléments précis sur ses « pressions et chantages répétés ».

En outre, cette attestation de Mme [E] vient contredire l'existence de la collusion alléguée par l'employeur entre Mme [T] [N] et Mme [O]. Mme [N] témoignera d'ailleurs en 2020 en faveur de son employeur.

Si l'attestation de Mme [K] fait état d'un conflit entre elle et Mme [O] au moment de l'arrivée de cette responsable des opérations, ces difficultés relationnelles sont contredites par les messages de soutien qu'elle lui adresse en octobre 2019 sur le réseau LinkedIn.

L'employeur dénonce l'attitude de sa salariée et prétend qu'elle avait des revendications managériales. Or, il apparaît de manière claire au travers de plusieurs messages notamment ceux concernant les plannings des 4 décembre 2019 et 11 septembre 2020 ou ceux des 4 juillet, 5 et 6 octobre 2020 concernant les données financières que Monsieur [Z] avait des injonctions paradoxales sur ce point et que cette situation a conduit la salariée a des difficultés dans le positionnement hiérarchique qui pouvait lui être demandé ou lui être interdit.

Ainsi, dans les échanges du 9 août 2020, le responsable écrit à plusieurs reprises qu'à l'égard de ses collègues, Mme [O] ne doit pas avoir de position de manager ni de supérieur et à l'inverse dans un autre message daté du 7 août 2020, il lui écrit « c'est toi la responsable WKT pas moi ! »

Ainsi, la salariée a pu se trouver à l'arrivée de Mme [K] en situation instable concernant son positionnement hiérarchique.

Le témoignage de Mme [B] établit l'existence d'une confusion des places instaurée au sein de la société par son responsable . Le témoin dénonce le fait qu'à son retour de son arrêt maternité son poste était occupé par Mme [O] et que malgré les difficultés, la situation s'est pérennisée et ce malgré une demande d'éclaircissement auprès de la hiérarchie. Contrairement aux allégations de l'employeur ce témoignage conserve toute sa valeur probante même si la salariée a été licenciée et qu'elle a contesté son licenciement dès lors que les propos décrivent une situation objective.

L'employeur reproche à sa salariée d'avoir également fait de la rétention volontaire d'information. Ce fait ne peut être considéré comme démontré par le seul témoignage de Mme [K]. La lecture du message du 15 octobre 2020 de Mme [R] [P] permet de constater que la rétention d'informations reprochée à la salariée est également exercée à la demande de Monsieur [Z] à l'encontre de Mme [O]. Dans son message, Mme [P] indique « comme je t'en ai déjà informé, [H] ne veut pas, avec une interdiction formelle, que je t'envoie la liste des adhérents' ».

Même si l'employeur conteste aussi les allégations adverses sur la surcharge de travail imposée en produisant un message de novembre 2019 adressé à l'ensemble des salariés dont Mme [O] déterminant les règles de traitement des mails et indiquant que « seuls les mails avant 18 heures demandent une réponse dans les meilleurs délais, les autres sont à votre rythme de lecture », ce message est largement contredit par la réalité de plusieurs échanges de mail envoyés tardivement à la salariée comme par exemple l'échange de mail entre 18h05 et 22h15 le 2 juillet 2020.

Enfin, si l'employeur relève à juste titre que l'attestation de Mme [A] est inopérante puisqu'elle n'a jamais travaillé avec Mme [O], n'était pas dans la même société et n'a pas été au-delà de la période d'essai d'un mois en octobre 2019, néanmoins le climat anxiogène et paranoïaque qu'elle décrit résulte de nombreux autres éléments.

Ainsi, la salariée verse aux débats nombreux mails rédigés en termes menaçants, agressifs et parfois même grossiers par M. [Z] tels que ceux datés des 9, 16, et 17 mars 2020, 17 avril, 24 mai, 2 juillet, 14 septembre, 15 et 16 octobre 2020. La violence de certains propos, et la police employée (en gras et en majuscule voir surlignée) témoigne à l'égard de la salariée d'une attitude inadaptée dans un contexte professionnel.

Contrairement aux allégations de l'employeur, les éléments médicaux transmis corroborent les conditions de travail délétères décrites par la salariée. Elle transmet des éléments médicaux qui par leur seule chronologie se rattachent à sa situation professionnelle puisqu'ils font état à compter de l'été 2020 de la nécessité d'un traitement neuroleptique pour la salariée puis ensuite à partir d'octobre 2020 d'arrêts de travail prolongés jusqu'au licenciement. Cette même chronologie se retrouve dans l'attestation du médecin psychiatre qui atteste d'un suivi mis en place à compter du mois de septembre 2020. Les termes employés par le médecin du travail dans son certificat du 22 octobre 2020 établissent également un lien entre l'état de santé de la salariée et le contexte professionnel puisque l'orientation vers une prise en charge spécialisée est faite : « dans un contexte de souffrance au travail ayant des répercussions majeures sur son état de santé ».

Concernant l'acharnement dont la salariée prétend avoir fait l'objet après son licenciement, l'employeur ne transmet aucun élément visant à expliquer les motifs pour lesquels il est intervenu pour obtenir le départ de la salariée auprès de son nouvel employeur.

Il ressort de l'ensemble des éléments transmis par les parties que Mme [O] démontre avoir fait l'objet de multiples agressions verbales et de conditions de travail inadaptées qui ont conduit à une dégradation progressive de son état de santé jusqu'à la contraindre à être en arrêt de travail. La cour constate que les arguments et pièces versées aux débats par l'employeur ne permettent pas de considérer que les agissements auxquels a été confrontée la salariée s'expliquent par des éléments objectifs étrangers à toute situation de harcèlement moral.

La cour en conclut que le harcèlement moral est établi.

Au regard de la situation personnelle de la salariée, de la durée durant laquelle les agissements de harcèlement ont été perpétrés et les conséquences préjudiciables de ces faits, il convient d'allouer à Madame [O] la somme de 3000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par les faits de harcèlement.

Sur la nullité du licenciement

Il résulte des articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail qu'aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés, sous peine de nullité de la mesure prise.

La salariée invoque à titre principal la nullité de son licenciement prononcée le 4 novembre 2020 en soulignant que la dégradation de son état de santé est consécutive aux faits de harcèlement moral.

Il est justifié au travers d'un message de M. [Z] du 20 octobre 2020 que dès le 15 octobre 2020, après la reprise du travail par la salariée suite à son premier arrêt de travail, l'employeur a été informé qu'elle ne pouvait travailler dans de telles conditions. Malgré un message réitéré de la salariée en date du 19 octobre 2020 pour dénoncer les faits de harcèlement, l'employeur l'a sanctionné par un licenciement.

L'employeur estime que le licenciement est fondé sur une insuffisance professionnelle et un comportement inadapté en entreprise.

La cour constate que l'insuffisance professionnelle comme le comportement inadapté reproché à la salariée dans la lettre de licenciement s'inscrivent dans un contexte général de harcèlement de la salariée. Les motifs ci-dessus permettent de considérer que le harcèlement a été à l'origine de la sanction et il convient en conséquence de déclarer nul le licenciement prononcé le 4 novembre 2020.

Sur les dommages-intérêts pour licenciement nul

En application des dispositions de l'article L. 1235 - 3 - 1 du code du travail lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité à la charge employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Le salaire de référence est évalué par la salariée à la somme de 4 968,33 euros eu égard aux dispositions de l'article R. 1234 - 4 du code du travail qui imposent d'inclure dans le salaire de référence les primes et gratifications annuelles ou exceptionnelles. Elle estime que doit être intégrée une prime de performance de 10 000 euros, même si cette dernière ne lui a pas encore été versée.

L'employeur soutient que la salariée ne peut se prévaloir de l'intégralité de la rémunération variable dès lors que le salaire variable n'a pas été versé.

Pour pouvoir statuer sur le salaire de référence, la cour doit d'abord analyser le bien-fondé de la demande relative au salaire variable.

Il y a lieu de rappeler que la charge de la preuve du paiement du salaire incombe à l'employeur qui se prétend libéré.

Les bonus et primes sur objectif et commission en pourcentage sur un chiffre d'affaires instituent une rémunération variable. Elle doit être fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur (exception faite de bonus discrétionnaire), ne pas faire peser le risque de l'entreprise sur le salarié, ni contribuer à lui infliger une sanction pécuniaire prohibée, ni avoir pour effet de réduire sa rémunération en dessous des minima légaux.

Même s'il appartient au salarié qui revendique une prime variable de justifier qu'il a droit à son attribution, en fonction de conventions ou d'usages, l'employeur est tenu à une obligation de transparence qui le contraint à communiquer au salarié les éléments servant de base de calcul de son salaire notamment de cette part variable. Faute pour l'employeur de justifier de la communication au salarié de ses objectifs, l'intégralité de la prime est due.

Mme [O] sollicite en application de l'article 8 de son contrat de travail, une somme calculée prorata temporis de 16 207,69 euros, en faisant valoir que ses objectifs ne lui ont pas été communiqués en début d'exercice en 2020, ne lui ont pas été transmis lors de son arrivée en juillet 2019 et n'ont pas été établis lors de son préavis en 2021.

L'employeur se fondant sur la pièce 3 adverse, constituée par un mail du 13 octobre 2020, prétend avoir notifié les objectifs à la salariée, ledit message étant formulé de la manière suivante : « Comme promis, tu trouveras les objectifs 2020 du deuxième semestre qui sont identiques au premier semestre covid oblige. » Il indique que ce message comporte une annexe constituée par les six objectifs applicables à la salariée en début d'année, les moyens à mettre en 'uvre et la pondération en temps passé.

S'il est constant en vertu de l'article 8 du contrat de travail que la salariée devait percevoir une rémunération fixe mensuelle d'un montant de 3 750 euros bruts et une rémunération variable pouvant aller jusqu'à 10 000 euros bruts sur objectifs annuels, l'employeur ne satisfait pas à la preuve qui lui incombe de justifier que la salariée avait connaissance de ses objectifs en début de période et qu'elle disposait de l'ensemble des éléments lui permettant d'évaluer ce salaire variable.

Le message laconique du 13 octobre 2020 ne suffit pas à soutenir l'inverse ni pour 2019, ni pour 2020, ce d'autant que les annexes invoquées ne sont pas versées au débat.

En conséquence, Mme [O] est bien fondée à solliciter l'intégralité de son salaire variable pour 2020 à hauteur de 10 000 euros, et au prorata de son temps de travail effectué en 2019 à compter de son arrivée dans la société le 1er juillet 2019, soit 6 000 euros.

La demande formée au titre de l'année 2021 ne peut prospérer dès lors que le salaire variable se rattache à l'exercice d'une activité effective qui, en raison de la dispense de préavis, n'a jamais été exécuté.

Au vu de ces motifs, il convient de condamner la société à payer à Mme [O] au titre de son salaire variable la somme de 16 000 euros.

Le salaire de référence doit être calculé en conséquence et intégrer la somme de 10 000 euros représentant la part variable. Le salaire mensuel de référence sera donc fixé à hauteur de 4 968,33 euros bruts.

Au regard des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail en l'absence de demande de réintégration et au vu de la situation personnelle de la salariée, de son âge, de son ancienneté dans l'entreprise et des conditions de la rupture, il y a lieu de lui allouer à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, la somme de 30 000 euros.

Sur la convention de forfait en jours

La convention individuelle de forfait en jours doit fixer le nombre de jours travaillés. La convention de forfait en jours sur l'année est nulle :

- si aucun accord collectif n'autorise à y recourir ;

- si l'accord ne prévoit pas de garanties suffisantes pour assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés (mais dans ce cas, l'employeur peut pallier unilatéralement ces lacunes: L. 3121-65 du code du travail);

- si le salarié n'a pas signé de convention individuelle de forfait et que son contrat de travail ne contient aucune clause sur ce point ou lorsque son contenu est trop imprécis ;

- si le salarié ne dispose pas de l'autonomie requise pour en relever.

La convention de forfait en jours sur l'année est inopposable au salarié si l'employeur n'applique pas les dispositions contenues dans l'accord collectif (manquements aux modalités de suivi). Le forfait est temporairement inopposable au salarié jusqu'à ce que l'employeur applique correctement les dispositions conventionnelles et contractuelles.

Mme [O] invoque les dispositions de l'article 6 de son contrat de travail qui prévoient que compte tenu de la nature des fonctions occupées par la salariée et de son autonomie, elle dispose d'une liberté dans l'organisation de son temps de travail, elle est soumise à la durée conventionnelle de travail applicable dans la société et à un nombre annuel de jours de travail fixé à 218 jours, l'année de référence s'entendant du 1er janvier au 31 décembre. L'article 6 fait référence à l'avenant du 1er avril 2014 de la convention collective Syntec.

La salariée considère qu'au regard de l'article 4 de l'accord collectif du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail et de son avenant numéro 1 du 1er avril 2014, elle ne pouvait exercer ses fonctions sous le régime d'une convention de forfait. Elle indique que le texte déterminant le champ d'application de la convention de forfait précise qu'il s'agit des salariés qui « relèvent au minimum de la position trois de la grille de classification des cadres de la convention collective nationale ou bénéficient d'une rémunération annuelle supérieure à deux fois le plafond annuel de la sécurité sociale ou sont mandataires sociaux ». Elle indique ne faire partie d'aucune de ces catégories et invoque la nullité de la clause contractuelle.

L'employeur estime que la situation de sa salariée relève de l'article 3 de l'accord Syntec du 22 juin 1999. Il considère qu'au regard de la grille de salaire de la fédération Syntec, Mme [O] disposait d'un salaire supérieur de 115 % par rapport au minimum conventionnel et sollicite en conséquence le rejet de la demande de nullité.

Les dispositions contractuelles qui lient les parties font état de l'avenant du 1er avril 2014 de la convention collective. Or il est constant que le contrat de travail indique que, la salariée occupe des fonctions de Responsable formation, en position 2.3, coefficient 150, statut cadre. Cette classification au regard de l'avenant précité ne permettait pas de lui imposer un temps de travail sous le régime de la convention de forfait en jours.

En outre, il n'est pas contesté qu'elle ne détenait pas de mandat social.

Enfin, sa rémunération fixée dans son contrat de travail à hauteur de 3 750 euros mensuels bruts atteignait annuellement la somme de 56 920 euros, avantage en nature et variable compris, alors que la rémunération visée dans l'avenant à la convention collective est plafonnée à 80 048 euros. Elle ne pouvait donc en référence à sa rémunération annuelle bénéficier d'un forfait.

Faute pour l'employeur de justifier qu'il était en droit d'imposer une convention de forfait à sa salariée, cette dernière est bien fondée à invoquer la nullité de cette clause de forfait.

Sur les heures supplémentaires

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée du travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction, après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.

Mme [O] fait valoir qu'elle a travaillé bien au-delà de 35 heures par semaine, parfois le soir, le dimanche, sur ses congés et période d'arrêts maladie. Elle transmet un tableau récapitulatif des heures supplémentaires qu'elle estime avoir effectuées et les justificatifs de ses périodes de congés et d'arrêts maladie ainsi que nombreux courriels et messages attestant d'une activité professionnelle au-delà de 18 heures. Elle précise avoir été rappelée à l'ordre et produit à ce titre un message du 4 juin 2020 adressé à 19h43 : « merci de faire attention à tes horaires de bureau stp. On a tous du travail tu es cadre et ça me dérange de voir [V] partir après toi depuis deux jours stp. ». Au regard du salaire de référence et d'un taux horaire qu'elle fixe à 31,27 euros bruts, elle sollicite la somme de

23 577,36 euros.

Au regard des différents éléments transmis par la salariée et notamment les échanges tardifs effectués par mail ou par SMS dans le cadre de ses activités, la cour constate qu'il existe des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que la salariée prétend avoir accomplies pour permettre à l'employeur qui assure le contrôle des heures de travail effectuées d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

L'employeur estime que la réalisation des heures supplémentaires n'est pas établie. Il précise que le tableau Excel est élaboré pour les besoins de la cause et que les 216 pages de courriels qu'elle produit situe le temps de travail entre 9 heures et 9h30 le matin et 17 heures et 18h30 le soir, pendant la semaine de travail. Il considère qu'au regard de l'autonomie dont la salariée disposait, ses prétendues heures supplémentaires ne sont pas démontrées.

Il est constant que l'employeur, s'il émet des critiques sur les moyens invoqués par la salariée à l'appui de sa demande d'heures supplémentaire, ne justifie pas pour autant des horaires de travail de sa salariée. L'autonomie dans les fonctions exercées par Madame [O] ne suffit pas à contredire des éléments qui font apparaître manifestement un dépassement régulier du temps de travail hebdomadaires de 35 heures.

Toutefois la cour constate que les messages transmis ne reflètent pas des dépassements aussi importants que ceux relevés par la salariée dans le tableau servant de décompte à son calcul d'heures supplémentaires.

Ainsi, même si quelques SMS ou messages font état d'un travail le dimanche ou sur des temps d'arrêts maladie ou de congés, la majeure partie des messages communiqués concernent des jours ouvrés et sont envoyés entre 18 et 19 heures. Peu de messages permettent d'apprécier l'heure d'arrivée de la salariée (généralement après 9 heures le matin). Aussi, l'évaluation sur certaines semaines, d'un temps de travail de 53 ou 54 heures ou même au-delà de 40 heures ne ressort pas des éléments transmis.

Au regard des pièces et des débats, la cour évalue le rappel de salaire sur les heures supplémentaires réalisées à la somme de 14 152,95 euros bruts sur la période du 1er juillet 2019 au 21 octobre 2020, étant ici relevé que la salariée ne formule pas de demande au titre des congés payés afférents.

Sur les dommages intérêts pour le caractère vexatoire du licenciement

En application de l'article L. 1222 -1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Le salarié peut former une demande indemnitaire en raison des circonstances brutales et vexatoires liées à la rupture du contrat de travail indépendamment du bien-fondé de la rupture.

Mme [O] soutient que l'employeur avait fait l'annonce de son licenciement avant même son entretien préalable et produit à ce titre un message téléphonique adressé par M. [D] le 26 octobre 2020.

L'employeur soutient que M. [D] était en conflit en tant qu'associé et se trouvait dans une stratégie de dénigrement de M. [Z]. Il relève que le message n'est pas daté mais ajoute que M. [D] devait quitter la société quelques jours plus tard. Il considère que la preuve n'est pas rapportée d'une quelconque annonce publique ayant précédé la notification du licenciement.

Mme [O] produit un message en pièce 21 dont la date a été fixée par voie de constat d'huissier au 26 octobre 2020. Ce message indique : « pour info [H] a annoncé ton départ aujourd'hui C'est un grand malade de communiquer en ce sens avant le moindre entretien »

Cet élément de preuve transmis par la salariée permet d'établir qu'effectivement une des personnes de la société a eu connaissance de l'information concernant le licenciement de Mme [O] et constitue un manquement de l'employeur à son obligation de loyauté.

Toutefois, les propos contenus dans ce message ne permettent pas de connaître l'ampleur de la diffusion de cette information (notamment s'il ne s'agissait pas d'une information confidentielle faite aux seuls associés). Par ailleurs, les conséquences dommageables concernant la diffusion de cette information doivent être appréciées au regard de la situation particulière de Mme [O] à ce moment-là : la salariée était arrêtée depuis plusieurs jours et n'a jamais repris le travail au sein de la société.

Pour l'ensemble de ces motifs, s'il y a lieu de faire droit à la demande en raison de la déloyauté de l'employeur, il convient de limiter la réparation du préjudice à la somme de 1000 euros.

Sur la nullité de la clause de non-concurrence

La clause de non-concurrence peut être prévue dès l'embauche par une mention dans le contrat de travail. Si celui-ci peut être établi selon les formes que les parties décident d'adopter, la clause de non-concurrence doit être acceptée par le salarié de manière claire et non équivoque, ce qui suppose que la clause soit écrite et que le contrat ait bien été signé par le salarié.

Au visa du principe fondamental du libre exercice d'une activité professionnelle et du principe de proportionnalité, une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitime de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et qu'elle comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives (Cass. soc.,10 juill. 2002, n os 99-43.334, 99-43.335 et 99-43.336 P)

Mme [O] soutient que la clause de non-concurrence inscrite à l'article 15 de son contrat travail est illégale. Elle estime que son champ d'application géographique est manifestement excessif puisqu'il s'étend à l'ensemble de la France et que l'indemnisation à hauteur de 20 % du salaire annuel est dérisoire. Elle précise que l'employeur en était conscient puisqu'il a majoré la rémunération par un versement mensuel et a fixé un exercice sur une durée réduite de moitié.

L'employeur demande la confirmation de la décision prud'homale qui a débouté la salariée de sa demande au titre de la nullité de la clause de non-concurrence.

Il indique que le contrat de travail prévoyait un versement périodique mensuel et qu'en application de la clause, la salariée a bénéficié chaque mois d'une somme de 817,11 € bruts. Il transmet pour l'établir le courrier qui lui a été adressée le 9 février 2021.

Il ajoute que si le périmètre géographique concerne la France entière, la société a limité la clause à quatre catégories d'établissements ce qui n'empêchait pas la salariée de retrouver une activité conforme à sa formation, ses connaissances et son expérience professionnelle. Il reproche à la salariée d'avoir voulu se désengager de cette obligation contractuelle en renvoyant le chèque représentant le versement au titre de l'indemnité de non-concurrence.

Les dispositions conventionnelles prévues à l'article 15 du contrat de travail prévoient : «Compte tenu de la nature des fonctions exercées par le salarié au sein de la société, le salarié s'engage, postérieurement à la cessation de son contrat de travail pour quelque cause que ce soit, à ne pas exercer directement ou indirectement, en France, de fonctions similaires ou concurrentes de celles exercées au sein de la société W KT Conseil.

Cet engagement est limité à durée d'une année :

' aux organismes de formation pharmaceutique

' répartiteurs pharmaceutiques

' laboratoires génériques

' demande de pharmaciens

La société W KT Conseil se réserve la possibilité de réduire la durée d'application de la présente clause, de renoncer à son bénéfice en informant le salarié par courrier recommandé avec accusé réception, au moment de la cessation de son contrat de travail.

En contrepartie de l'engagement pris par le salarié, la société s'engage à lui verser une somme correspondant à 20 % du salaire mensuel brut moyen calculé sur les trois derniers mois précédant la cessation du contrat de travail. »

Ces dispositions ont évolué puisque dans le courrier du 9 février 2021, l'employeur a notifié à la salariée la réduction du temps imposé pour l'application de la clause de non-concurrence à six mois. Il précise dans ce même courrier que la contrepartie de 742,83 € sera versée chaque mois à compter de la réception du courrier.

Si le moyen invoqué par Mme [O] tenant à l'interprétation de l'article 15 du contrat travail concernant le paiement annuel de la contrepartie financière est infondée, à l'inverse l'employeur ne peut soutenir qu'avec une contrepartie financière aussi dérisoire et un espace géographique aussi important que celui retenu dans la clause, les dispositions conventionnelles aient respecté le principe de proportionnalité.

En conséquence de ces motifs, il y a lieu de déclarer nulle la clause de non-concurrence.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

L'employeur qui succombe doit supporter la charge des dépens de première instance et d'appel, de sorte qu'il convient d'infirmer la décision des premiers juges ayant laissé à Mme [O] la charge de ses dépens.

Il est inéquitable de laisser à la charge de la salariée les frais qu'elle a exposés en première instance et en cause d'appel non compris dans les dépens, qu'il convient de fixer à la somme totale de 2500 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe:

INFIRME le jugement du Conseil des prud'hommes de Cergy-Pontoise du 13 octobre 2022 sauf en ce qu'il a débouté la société de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

REJETTE la pièce numéro 4 versée aux débats par la société WKT Conseil ;

DIT que Mme [O] a été victime d'une situation de harcèlement moral ;

DÉCLARE nulle la convention de forfait imposée à Mme [O] ;

CONDAMNE la société WKT Conseil à payer à Mme [O] les sommes de :

' 3000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du harcèlement moral ;

' 30 000 € à titre d'indemnité pour licenciement nul ;

' 16 000 € à titre de rappel de salaire sur la prime variable pour les années 2019 et 2020 ;

' 14 152,95 € de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires sur la période du 1er juillet 2019 au 21 octobre 2020 ;

' 1000 € à titre de dommages-intérêts pour le caractère vexatoire de la rupture ;

DÉCLARE nulle la clause de non-concurrence ;

CONDAMNE la société WKT Conseil à payer à Mme [O] la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

CONDAMNE la société WKT Conseil aux dépens de première instance et d'appel.

- Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- Signé par Madame Aurélie PRACHE, Présidente et par Madame Nicoleta JORNEA, Greffière placée, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière placée La Présidente

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