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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 22 juillet 2025, n° 24/05508

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

X

Défendeur :

Generali Italia SPA (Sté), Biodiffusion (SARL), Axa France IARD (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jobard

Vice-président :

M. Pothier

Conseiller :

Mme Picot-Postic

Avocats :

Me Daugan, Me Verrando, Me Deniau, Me Gagnant, Me Sinavong, Me Oger, Me Gillot-Garnier

TJ Rennes, du 5 nov. 2024, n° 23/02916

5 novembre 2024

EXPOSÉ DU LITIGE :

Suivant facture du 21 mars 2017, la SARL Brasserie Artisanale [J] a acquis auprès de l'Eurl Biodiffusion trois cuves en acier inoxydable destinées au brassage de la bière pour la somme de 36 624 euros TTC, ces cuves ayant été fabriquées par la société [R] [X] srl, entreprise de droit italien spécialisée dans la production, la transformation, le traitement, la commercialisation de produits métalliques et la fabrication de machines pour l'industrie alimentaire.

Alléguant la présence de bactéries qui a persisté malgré le remplacement d'éléments accessoires et en dépit d'une expertise amiable diligentée par son assureur, la Sarl Brasserie Bellouf a fait assigner en référé la société Biodiffusion et la société [R] [X] Srl par actes d'huissier en date des 18 et 23 mars 2022 afin de solliciter du juge des référés du tribunal judiciaire de Nantes l'organisation d'une expertise judiciaire. L'Eurl Biodiffusion a appelé en cause son assureur, la société Axa France Iard. Il a été fait droit à cette demande par ordonnance de référé du 22 septembre 2022.

Suivant jugement du 15 mars 2023 du tribunal de commerce de Nantes, la société Brasserie [J] a été placée en liquidation judiciaire et Me [D], de la Selarl [D] MJ-O, a été désigné en qualité de liquidateur.

L'expert judiciaire, monsieur [G], a rendu son rapport définitif le 17 mai 2023.

Suivant acte extrajudiciaire du 7 juin 2023, Maître [D], ès qualité de liquidateur de la société Brasserie [J], a assigné l'Eurl Biodiffusion et son assureur, la société Axa France Iard, devant le tribunal judiciaire de Nantes en garantie des vices cachés ainsi que la société [R] [X] Srl en garantie des produits défectueux.

Suivant acte extrajudiciaire du 8 janvier 2024, la société [R] [X] Srl a assigné son assureur, la société Generali Italia Spa, aux fins de garantie.

Selon conclusions d'incident du 9 janvier 2024, l'Eurl Biodiffusion a saisi le juge de la mise d'un incident, soulevant l'irrecevabilité des demandes de Me [D] ès qualité pour cause de prescription de l'action en garantie des vices cachés.

La société Axa France Iard s'est associée à cette fin de non-recevoir selon conclusions notifiées le 15 mai 2024.

Par conclusions d'incident du 14 mai 2024, la société [R] [X] a quant à elle soulevé au visa de l'article 1245-16 du code civil, l'irrecevabilité de l'action engagée par Me [D] en raison de la prescription, et sollicité à titre subsidiaire, la désignation d'un expert afin que des opérations d'expertise soient menées en sa présence.

La société Generali Italia Spa a également soulevé l'irrecevabilité de l'action engagée par Me [D] ès qualité en raison de la prescription, par conclusions du 10 mai 2024, au visa des dispositions des articles 1245-15 et 1245-16 du code civil.

Suivant ordonnance du 19 septembre 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nantes a :

- déclaré irrecevables les demandes formées par Maître [D], ès-qualité de liquidateur de la société Brasserie [J], à l'encontre de l'Eurl Biodiffusion et de la société Axa France Iard,
- prononcé leur mise hors de cause,
- déclaré irrecevables les demandes formées par Maître [D], ès-qualité de liquidateur de la société Brasserie [J], à l'encontre de la société [R] [X] Srl et de la société Generali Italia Spa,
- prononcé leur mise hors de cause,
- condamné Maître [D], es-qualité de liquidateur de la société Brasserie [J], à payer à l'Eurl Biodiffusion, à la société Axa France Iard, à la société [R] [X], à la société Generali Italia Spa, la somme de 1 200 euros chacune, en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Suivant déclaration du 4 octobre 2024, Me [D] ès qualité de mandataire judiciaire de la société Brasserie Bellouf a interjeté appel de cette décision.

En ses conclusions du 9 décembre 2024, maître [D] ès qualité demande à la cour de :

Vu l'article L.114-1 du code des assurances,
Vu les articles 1641 et suivants du code civil,
Vu les articles 695 et suivants, 700 et suivants du code de procédure civile,

- recevoir Maître [D], ès-qualité de mandataire judiciaire de la société Brasserie [J], en son appel et le dire bien fondé,
- infirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,
- statuant à nouveau,
- constater l'absence de prescription des actions formées à l'encontre des parties intimées,
- déclarer recevable les demandes formées par Maître [D], ès-qualité de mandataire judiciaire de la société Brasserie [J], à l'encontre de l'Eurl Biodiffusion, la société Axa France Iard, la société [R] [X] Srl et la société Generali Italia Spa,
- débouter les parties intimées de leurs demandes, fins et conclusions contraires, - condamner in solidum l'Eurl Biodiffusion, la société Axa France Iard, la société [R] [X] Srl et la société Generali Italia Spa à verser à Maître [D] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum l'Eurl Biodiffusion, la société Axa France Iard, la société [R] [X] Srl et la société Generali Italia Spa aux dépens,
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

En ses conclusions du 9 janvier 2025, la société Generali Italia Spa demande à la cour de :

Vu les articles 122 et suivants du code de procédure civile,
Vu les articles 1245-15 et 1245-16 du code civil,

- confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,
- débouter en tant que de besoin la société [D] MJ-O es-qualité de ses demandes,
- condamner la société [D] MJ-O agissant ès-qualité de mandataire judiciaire de la société Brasserie [J] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [D] MJ-O agissant ès-qualité de mandataire judiciaire aux entiers dépens.

En ses conclusions du 10 janvier 2025, la société Axa France Iard, assureur de la société Biodiffusion, demande à la cour de :

Vu l'article 1648 du code civil,

- confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 19 septembre 2024, en ce qu'elle a déclaré irrecevable comme prescrit le recours engagé par Maître [D] à son encontre,
- confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 19 septembre 2024, en ce qu'elle a condamné Maître [D] à lui verser la somme de 1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Maître [D] à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens de l'instance.

En ses conclusions du 3 février 2025, la société [R] [X] Srl demande à la cour de :

Vu l'article 12 du règlement (UE) n°2020/1784,
Vu l'article 1245-16 du code civil,
Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile,

- la recevoir en ses écritures et les dire bien fondées et y faisant droit,
- confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,
- ce faisant,
- à titre principal,
- débouter Maître [D], ès-qualité de mandataire judiciaire de la société Brasserie [J], de toutes ses demandes, fins et conclusions.
- à titre subsidiaire,
- désigner un expert parmi la liste des experts compétents en soudures de matériaux, processus de fabrication industriels et notamment de la bière,
- prévoir dans la mission de l'expert judiciaire qu'il devra :
¿ se rendre sur les lieux, examiner les cuves et les désordres allégués en présence des parties et notamment de la sienne,
¿ se faire communiquer et prendre connaissance de toutes analyses, documents utiles et en particulier les pièces relatives aux processus de fabrication des cuves, processus de fabrication des autres pièces détruites par la Brasse [J] et plus particulièrement le fermenteur et l'échangeur à plaques, processus de montage global de l'installation, protocoles de nettoyage et désinfection prétendument mis en 'uvre par la Brasserie [J], ¿ dire si l'exploitant a procédé au nettoyage des cuves selon les protocoles désignés,
¿ au regard de ses investigations et de l'ensemble des documents et pièces à sa disposition, établir un arbre des causes potentielles des désordres allégués par la Brasserie [J],
¿ donner son avis sur les mesures réparatoires et éventuels devis proposés par les parties, dire si celles-ci auraient pu permettre de remédier aux désordres et à quel coût.
¿ fixer le montant de la provision sur les frais d'expertise qui sera mise à la charge de la société [D] MJ-O, agissant ès-qualités de mandataire judiciaire de la société Brasserie [J], prescrite à son égard.
- en toute hypothèse,
- rejeter toute demande contraire comme irrecevable et mal fondée,
- condamner Maître [D] de la société [D] MJ-O, ès-qualité de mandataire judiciaire de la société Brasserie [J] à lui payer la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Maître [D] de la société [D] MJ-O, ès-qualité de mandataire judiciaire de la société Brasserie [J], aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'Eurl Biodiffusion n'a pas constitué avocat.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu'aux dernières conclusions précitées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 mars 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Me [D] soutient que le juge de la mise en état a considéré à tort que l'action en garantie des vices cachés était prescrite au regard des dispositions de l'article 1648 du code civil, en faisant valoir que si la brasserie [J] a alerté l'Eurl Biodiffusion et la société [R] [X] Srl de la prolifération bactérienne dès le début de la production, elle n'a pas constaté de désordres des cuves, qu'il n'était question que d'une mauvaise utilisation des cuves par ladite brasserie.

Elle ajoute que qu'il résulte du rapport d'expertise que les défauts étaient difficiles à voir puisque situés à l'intérieur des cuves, et étaient donc indécelables avant que la Sarl Brasserie [J] ait acquis et utilisé les cuves, que le défaut constaté n'a pas été considéré comme un vice dès l'apparition des bactéries.

Elle conteste avoir eu connaissance de la présence de vices cachés dès le début de la production.

Elle en conclut que le délai de prescription de l'action en garantie des vices cachés, qui commence à courir à compter de la connaissance de l'origine du vice, soit le dépôt du rapport d'expertise amiable déposé le 29 octobre 2021, ne peut lui être opposé.

Il en va de même selon elle s'agissant de l'action intentée à l'encontre de la société [R] [X] Srl sur le fondement de l'article 1245-16 du code civil.

La société [R] [X] Srl conclut à la confirmation de l'ordonnance du juge de la mise en état et donc à sa mise hors de cause sur le fondement de la prescription, la société brasserie [J] ayant découvert la prolifération des bactéries dès 2017.

Elle ajoute que les défauts de soudure affectant les cuves étaient visibles dès la réception et considère que tant l'action en garantie des vices cachés que celle en garantie des produits défectueux sont prescrites.

A titre subsidiaire, elle sollicite l'organisation d'une expertise des dommages affectant les cuves, contestant avoir été régulièrement invitée à l'expertise judiciaire de M. [G].

La société Generali Italia Spa estime que l'action principale diligentée contre son assurée, la société [R] [X] Srl est prescrite dès lors qu'au vu des éléments du dossier, la Sarl Brasserie [J] avait dès 2017 une parfaite connaissance du défaut affectant les cuves, du dommage et de l'identité du producteur.

Elle ajoute que l'action directe de la victime contre un assureur se prescrit dans le même délai que l'action principale, qu'aux termes des assignations en référé-expertise à l'initiative de la société Brasserie [J] les 18 et 23 mars 2022, l'action de la société [R] à l'endroit de son assureur se prescrivait à la date la plus tardive du 23 mars 2024 et qu'aucune demande n'a été présentée à son endroit par la société Brasserie [J] préalablement à cette date, de telle sorte que l'action directe dont disposait cette dernière était résolument prescrite.

La société Axa France Iard soulève l'irrecevabilité du recours engagé contre elle sur la garantie des vices cachés, l'action étant prescrite dès lors que la société Brasserie [J] a découvert le vice dès 2017, que ce soit la prolifération bactérienne ou les soudures.

Aux termes de l'article 1648 du code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

Selon l'article 1245-16 du code civil, l'action en réparation fondée sur la garantie des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.

Le juge de la mise en état a constaté la prescription de l'action de Me [D] ès qualité au motif qu'il résulte de l'ensemble des éléments que 'l'imperfection des soudures était visible dès le départ, par un simple examen visuel, et alors qu'il n'est pas contesté que le gérant de la brasserie a lui-même procédé à l'installation des cuves, de sorte qu'il les a nécessairement examinées à cette date, et qu'il indique ensuite les avoir régulièrement minutieusement nettoyées ; Me [D] es qualité ne parvient pas à démontrer que le gérant de la brasserie ignorait ces vices avant le 18 mars 2020, soit deux ans avant l'assignation en référé... et ne démontre pas que le gérant de la brasserie a ignoré les causes de la contamination jusqu'à l'expertise amiable. Il est significatif à cet égard d'observer que cette expertise a été diligentée au contradictoire de son vendeur et du fabricant des cuves, de sorte que le gérant avait conscience que les contaminations provenaient du matériel vendu et non d'une hygiène insuffisante. Il en découle qu'en agissant en mars 2022 alors que les désordres apparus dès 2017 avaient perduré jusqu'en juillet 2021 malgré un respect strict des protocoles d'hygiène, Me [D] ès qualité n'a pas agi dans le délai de deux ans imparti à l'article 1648 du code civil'.

Il n'est pas contesté que la Sarl Brasserie [J] a constaté la prolifération de bactéries dans les cuves litigieuses dès le début de la production en 2017, peu de temps après leur acquisition tout comme il est avéré que la Sarl Brasserie [J] a cherché à connaître l'origine de la prolifération bactériennne en réalisant des analyses chimiques entre le 13 novembre 2019 et le 26 octobre 2021, en ayant recours à un technicien de la brasserie ou en remplaçant des éléments accessoires.

La Sarl Brasserie [J] ne conteste pas non plus avoir alerté l'Eurl Biodiffusion et la société [R] [X] Srl de la prolifération bactérienne dès le début de la production.

Si le juge de la mise en état a relevé que Me [D] ès qualité n'a produit aucun échange entre les parties venant accréditer ses dires selon lesquels la société Biodiffusion a tenté de reporter l'origine de la contamination bactérienne sur le non-respect des protocoles d'hygiène de la part de la brasserie et n'a pas reconnu les vices, la cour relève que Me [D] a produit en cause d'appel, les dires de la société Biodiffusion et de la société Axa qui viennent conforter ses dires sur le refus de ces dernières de reconnaître l'existence des défauts affectant les cuves et d'invoquer plutôt des manquements au protocole d'hygiène comme étant responsables de la prolifération des bactéries.

Ainsi, le conseil de la société Biodiffusion, dans un dire du 27 décembre 2022, a transmis un rapport établi par M. [W], gérant de cette société, suite à l'expertise judiciaire s'étant tenue le 11 novembre 2022.

M. [W] indique dans la partie 'conclusions' que :

- 'les cuves examinées sont fortement rayées sur l'ensemble de la partie en contact avec le produit et ne présentent pas d'autre signe anormal ou de défaut de fabrication pour l'oeil d'un brasseur expérimenté et connaissant ces matériels.

- Compte tenu de l'état du bâtiment dans lequel sont stockées ces cuves et de l'impossibilité de visiter les locaux de production réels, il existe une forte présomption de défaut général d'hygiène et de non-conformité d'ensemble. La présence dans l'air ambiant de la bactérie incriminée est probable.

- (...) Aucune analyse de l'eau utilisée, notamment pour le nettoyage des cuves, n'a été effectuée. La présomption d'une contamination par cette eau, issue directement du réseau et donc non stérile, est forte.

- Aucun protocole de nettoyage/désinfection des cuves ni de l'ensemble de la tuyauterie entre l'échangeur de plaques et le fermenteur n'a été fourni lors de l'expertise, alors qu'il s'agit d'un point absolument fondamental en brasserie (...).

- Aucune mesure d'alcool concomittante n'a été effectuée avec le comptage des bactéries, ni la concentration en cellules de levure.'.

M. [W] en conclut qu'il est 'impossible de considérer que les contaminations constatées proviennent de l'utilisation de ces fermenteurs, les autres causes étant bien trop nombreuses'.

Il convient de relever que si les parties intimées prétendent que l'imperfection des soudures était visible dès le départ par un simple examen visuel, M. [W], gérant de la société Biodiffusion qui se présente comme un brasseur professionnel de bière artisanale biologique et de commercialisation de micro brasseries et fournisseur d'éléments complémentaires de fûts en inox de différents fabricants européens, a souligné dans son rapport que l'examen visuel de l'intérieur de la cuve ne montrait aucune anomalie par rapport aux autres cuves standard habituellement fournies, que les soudures intérieures, visibles, avaient bien été passivées et étaient conformes à toutes les cuves de ce constructeur et que si elles n'étaient pas d'une qualité esthétique extraordinaire, elles ne présentaient pas d'aberration manifeste pouvant être due à une malfaçon ou un quelconque défaut de fabrication. Il a ajouté que l'examen visuel rapide a montré de très grosses rayures sur la partie cônique, en spirale, preuve d'une abrasion par un produit agressif, que l'origine des rayures importantes sur la partie cylindrique des cuves était source d'interrogation, mettant en doute le système de nettoyage utilisé. M. [W] a d'ailleurs précisé : 'on se souvient que la brasserie [J] avait fait part de ses problèmes quelques mois après réception de son installation, et que son protocole de nettoyage avait été entièrement réfuté car complètement opposé à la pratique habituelle'.

Par ailleurs, dans un dire en date du 23 janvier 2023, la société Axa, assureur de la société Biodiffusion, s'est plainte de ne pouvoir accéder aux installations de la brasserie et de ne pas avoir la liste des produits de nettoyage utilisés, les cuves ayant été déposées. Elle a également rappelé que la société Biodiffusion avait déploré que les analyses réalisées par la société Brasserie [J] n'avaient été effectuées qu'en sortie d'échangeur, de telles analyses ne permettant pas de tracer l'apparition des bactéries, et notamment de vérifier si elles n'apparaissaient pas en amont de la partie froide de production (fermentation).

Au regard de ces éléments, c'est à raison que Me [D] ès qualité soutient qu'il a d'abord été reproché à la Brasserie Bellouf de ne pas suivre le protocole d'hygiène correctement, que le technicien de la société Biodiffusion qui est intervenu n'a pas évoqué l'existence d'un défaut des cuves mais un problème au niveau des manquements au protocole d'hygiène et que les défauts des cuves étaient difficiles à voir, puisque situées à l'intérieur des cuves.

C'est dans ces conditions que l'assureur de la Brasserie [J] a fait diligenter une expertise amiable le 29 octobre 2021. L'expert, M. [Y], a indiqué que l'examen visuel à l'intérieur des cuves permet de constater que les soudures inox ne sont pas homogènes et que des crevasses (qui ne permettent pas un nettoyage et une désinfection complète des cuves entre deux brassins, où peuvent se loger des bactéries perturbant la production) sont visibles. Il a également relevé que le fabricant italien à qui l'assuré avait déjà envoyé des photos certifie que le matériau inox et les soudures sont conformes à une utilisation alimentaire, s'abstient de répondre sur la qualité des soudures présentant des crevasses visibles sur les photos qui lui ont été adressées et que cette société, par l'intermédiaire de son conseil, a repoussé toute responsabilité sur un éventuel vice caché du produit.

M. [Y] a également souligné que le délai de deux ans entre l'identification de la cause des pertes de brassins et son lien avec les défauts constatés sur les soudures, qui n'a été envisagé que récemment, pouvait permettre d'envisager une action contre le fabricant au titre des vices cachés, qui pourrait opposer l'aspect visible du vice à la réception du matériel.

Le rapport réalisé par Cetim le 17 janvier 2022 a confirmé ces premières constatations puisqu'il a été relevé qu'au vu des différents désordres et défauts constatés, les cuves ne respectent pas les bonnes pratiques de fabrication de produits pour le contact avec les aliments (manques de pénétration, soudures non arasées, soudures irrégulières), ces défauts pouvant conduire à des problèmes vis-à-vis de la nettoyabilité de la cuve.

Dans ce contexte, le fait pour la Brasserie Bellouf d'avoir communiqué des photographies des soudures à la société [R] [X] Srl ne permet d'en déduire la connaissance des désordres, alors que ces sociétés ont nié l'existence d'un quelconque défaut lié en particulier à la qualité des soudures.

Il ressort par ailleurs du rapport d'expertise judiciaire du 17 mai 2023 que:

- dans la chaîne de production, les seules voies de contamination de la bière, par des bactéries lactiques, ne peuvent se faire que dans l'échangeur à plaques, dans la cuve de fermentation et dans les accessoires de connexion.

- Les rapports d'expertise, non contradictoires, des cuves par ACM (M. [Y]) en date du 29 octobre 2021, et par le CETIM en date du 17 janvier 2022, concluent au non-respect des bonnes pratiques de fabrication des cuves inox de fermentation. En effet, l'analyse visuelle de l'intérieur des cuves, réalisées lors de ces expertises, montrent un manque de pénétration de la soudure sur le tube de remplissage, des soudures non arasées, des soudures irrégulières et la présence de rugosités importantes voire d'anfractuosités.

- Ces rapports ainsi que la visite sur le site lors de l'expertise ont permis de montrer des anomalies quant à l'intérieur des cuves de fermentation : rayures fines de surface pouvant être générées lors du nettoyage par un matériau abrasif (peu profondes et ne représentant pas un réel problème de niches bactériennes), des soudures non arasées, des soudures irrégulières, la présence de zones de rugosité importante voire d'anfractuosités plus problématiques en ce que des bactéries peuvent, lors des nettoyages des cuves entre chaque brassin, rester dans ces défauts de surfaces créées lors de la fabrication des cuves.

L'expert judiciaire a conclu que les défauts constatés sont à l'intérieur des cuves et donc difficiles à voir a priori et que des inspections à plusieurs niveaux auraient permis de les déceler chez le fabricant, la société Biodiffusion (étant noté que les cuves ont été directement livrées à la Brasserie [J] par le fabricant) et lors de la réception des cuves par la Brasserie [J].

Les conclusions de l'expert judiciaire rejoignent ainsi celles des experts amiables s'agissant de l'origine de la prolifération bactérienne.

Comme indiqué plus avant, le délai de deux années pour agir court à compter de la découverte du vice. La connaissance de l'existence du vice doit être certaine et dans toute son ampleur et ses conséquences. Le vice ne se confond pas avec la notion de désordre ou de non-conformité et est défini à l'article 1641 dont il ressort notamment qu'il doit être grave, antérieur à la vente, caché et rendre la chose impropre à l'usage auquel on la destine. De même, la découverte du vice n'est pas assimilable à la connaissance du désordre.

Au regard des éléments susvisés, Me [D] ès qualité, soutient à juste titre que la présence de vices cachés et l'origine de la prolifération des bactéries n'ont été révélées que par les expertises réalisées par son propre assureur, dont le premier rapport a été déposé le 2 octobre 2021.

Si le rapport d'expertise amiable du 2 octobre 2021 a permis à la Brasserie [J] d'avoir connaissance du vice caché affectant les cuves et peut être considéré comme marquant le point de départ du délai de prescription, les assignations en référé expertise délivrées par la Brasserie [J] à l'encontre de l'Eurl Biodiffusion intervenue moins de deux ans après, les 18 et 23 novembre 2022, ont interrompu le délai de prescription jusqu'au 22 septembre 2022, date de l'ordonnance désignant l'expert judiciaire, en application des articles 2241 et 2242 du code civil.

Le délai a ensuite été suspendu jusqu'à la date de dépôt du rapport d'expertise, le 17 mai 2023, en application de l'article 2239 du code civil.

Me [D] ès qualité ayant fait assigner la société Biodiffusion et son assureur, la société Axa France Iard, en garantie des vices cachés, par actes du 7 juin 2023, soit moins de deux ans après le 17 mai 2023, date à partir de laquelle un nouveau délai de deux ans commençait à courir, il convient de constater l'absence de prescription de son action à l'égard de la société Biodiffusion.

Selon l'article L 114-1 du code des assurances, toutes actions dérivant du contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'évènement qui y donne naissance (...). Quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier.

Aux termes de l'article L 124-3 du même code, si l'action de la victime contre l'assureur de responsabilité, qui trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice, se prescrit par le même délai que son action contre le responsable, elle peut cependant être exercée contre l'assureur, au-delà de ce délai, tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré.

En l'espèce, la société Brasserie Bellouf a fait assigner en référé expertise l'Eurl Biodiffusion par acte d'huissier en date du 18 mars 2022.

La société Axa France Iard restait exposée au recours en garantie de son assuré pendant un délai de deux ans à compter du 18 mars 2022, soit jusqu'au 18 mars 2024, étant précisé que la société Biodiffusion a appelé en cause son assureur, la société Axa France Iard par acte d'huissier du 18 août 2022.

La société Axa France Iard ayant été assignée au fond par Me [D] ès qualité par acte délivré le 7 juin 2023, l'action intentée contre cette dernière n'est donc pas prescrite.

Par voie de conséquence, l'action directe formée par Me [D] ès qualité à l'encontre de la société Axa France Iard, assureur de la société Biodiffusion, sera également déclarée recevable.

Il convient donc d'infirmer l'ordonnance déférée et de déclarer recevables l'action en garantie des vices cachés intentée par Me [D] ès qualité à l'encontre de l'Eurl Biodiffusion et de la société Axa France Iard.

Pour les mêmes motifs que ceux visés ci-dessus quant à l'origine du vice affectant les cuves, dès lors que la société [R] [X] Srl a été assignée en référé expertise devant le tribunal judiciaire de Nantes par la société Brasserie [J] par acte d'huissier délivré le 23 mars 2022, puis en garantie des produits défectueux par acte du 7 juin 2023, soit moins de deux ans après le 17 mai 2023, date du rapport d'expertise judiciaire, il convient de constater l'absence de prescription de son action en garantie des produits défectueux qui se prescrit dans un délai de trois ans, à l'égard de la société [R] [X] Srl, et de déclarer cette action recevable.

S'agissant de l'action intentée contre la société Generali Italia Spa, il ressort de la procédure que Me [D] ès qualité n'a pas intenté d'action directe à l'encontre de cette société, qu'il ne l'a en effet pas assignée au fond en sa qualité d'assureur de la société [R] [X] Srl et qu'il n'a donc formé aucune demande à l'encontre de cette société.

Il convient de relever à cet effet que Me [D] ès qualité a repris en page 3 de ses écritures, les demandes formées par assignation valant conclusions signifiées le 7 juin 2023 soit la condamnation in solidum de la société Micro-Brasserie Malterie Chaumontoise (Eurl Biodiffusion), la société Ghid [X] Srl et la société Axa France Iard à lui verser ès qualité de mandataire judiciaire de la Sarl Brasserie Belolouff la somme de 42 984 euros TTC, outre la condamnation de la société Axa France Iard à garantir l'ensemble des condamnations de son assurée, la société Micro-Brasserie Malterie Chaumontoise et la condamnation in solidum de la société Micro-Brasserie Malterie Chaumontoise (Eurl Biodiffusion), la société [R] [X] Srl et la société Axa France Iard à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

C'est la société [R] [X] qui a procédé à la mise en cause de son propre assureur aux fins de garantie par acte du 8 janvier 2024, soit dans le délai biennal.

C'est donc à tort que le juge de la mise en état, qui a statué ultra petita, a considéré que l'action directe de Me [D] ès qualité contre l'assureur du fabricant n'était pas recevable comme étant prescrite, étant au surplus relevé que la société Generali Italia Spa ne soulève pas dans ses conclusions devant la cour la prescription de l'action en garantie intentée par son assurée, la société [R] [X] Srl.

L'ordonnance sera infirmée sur ce point.

- Sur la demande d'expertise

En droit, les articles 907 et 913 9° du code de procédure civile confèrent au conseiller de la mise en état compétence pour ordonner mesure d'office toute mesure d'instruction.

L'article 146 du même code dispose, en son alinéa 1er, qu'une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver, et, en son alinéa 2, qu'en aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.

A titre subsidiaire, la société [R] [X] sollicite l'organisation d'une nouvelle expertise des dommages affectant les cuves au motif qu'elle conteste avoir été régulièrement invitée à l'expertise judiciaire de M. [G] évoquée dans l'assignation de Me [D] ès qualité.

Elle fait valoir que conformément aux dispositions de l'article 12 du règlement (UE) n° 2020/1784 du Parlement européen et du Conseil relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, elle avait refusé l'assignation en référé-expertise au motif qu'elle n'était pas accompagnée d'une traduction en italien. Elle n'a par ailleurs été rendue destinataire ni de l'ordonnance de référé expertise ni d'une quelconque convocation aux opérations d'expertise.

Cependant, il convient de relever outre que la société [R] [X] Srl ne produit aucune pièce perpmettant de vérifier qu'elle avait refusé l'assignation en référé-expertise, que le juge des référés du tribunal judiciaire de Nantes a précisé dans son ordonnance de référé en date du 22 septembre 2022, que la société [R] [X], citée par acte transmis selon l'article 4 du règlement CE n° 1397.2007 du 13 novembre 2007, et qui a notamment signé l'avis de réception de la lettre recommandée qui lui a été adressée directement par l'huissier français le 29 mars 2022, n'a pas comparu. Il a statué par ordonnance réputée contradictoire.

De même, l'expert judiciaire a souligné dans son rapport en pages 16 et 20 que la société [R] [X] a fourni divers documents, en italien, sur la qualité des matériaux utilisés pour la fabrication de ses cuves et une déclaration du fabricant lui-même sur les essais de conformité concernant des cuves modèle B1700600, soit les cuves fournies à la société Brasserie [J], assorties des numéros de matricule.

Ces éléments permettent de vérifier que la société [R] [X] Srl a été invitée à participer aux opérations d'expertise puisqu'elle a fait parvenir à l'expert judiciaire divers documents, l'expert ne précisant pas que ces documents lui ont été fournis par une autre partie. Le fait qu'elle n'ait pas été mentionnée sur la feuille de présence montre qu'elle ne s'est pas déplacée pour assister aux opérations d'expertise mais ne suffit pas dans ces conditions à établir qu'elle n'a pas été régulièrement convoquée, et ce alors qu'elle a bien été destinataire du rapport d'expertise judiciaire.

Au vu des éléments du dossier (don't deux rapports d'expertise amiable, un rapport d'expertise judiciaire qui ont été soumis à la discussion contradictoire des parties), il appartiendra aux juges du fond d'en apprécier la portée sans qu'il apparaisse justifié d'ordonner dès à présent une mesure d'expertise que ceux-ci auront la faculté d'ordonner s'ils l'estiment nécessaire à la solution du litige.

En l'état, il n'apparaît pas justifié d'ordonner une nouvelle mesure d'expertise et la demande en ce sens sera rejetée.

- Sur les demandes accessoires

Le sens du présent arrêt conduit à l'infirmation des dispositions de l'ordonnance relatives aux dépens et frais irrépétibles, mis à la charge de Me [D] ès qualité.

Statuant de ce chef pour la première instance et en appel, l'Eurl Biodiffusion, la société Axa Frace Iard, la société [R] [X] Srl et la société Generali Italia Spa qui succombent en leur fin de non-recevoir, seront condamnées in solidum aux dépens ainsi qu'à verser à Me [D] ès qualité la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme l'ordonnance du juge de la mise en état en date du 19 septembre 2024 en toutes ses dispositions;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare recevable l'action en garantie des vices cachés intentée par Maître [D] ès qualité de mandataire judiciaire de la Sarl Brasserie [J] à l'encontre de l'Eurl Biodiffusion et la société Axa France Iard

Déclare recevable l'action en garantie des produits défectueux intentée par Maître [D] ès qualité de mandataire judiciaire de la Sarl Brasserie [J] à l'encontre de la société [R] [X] Srl ;

Déboute la société [R] [X] Srl de sa demande d'expertise ;

Condamne in solidum l'Eurl Biodiffusion, la société Axa France Iard, la société [R] [X] Srl et la société Generali Italia Spa aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne in solidum solidum l'Eurl Biodiffusion, la société Axa France Iard, la société [R] [X] Srl et la société Generali Italia Spa à payer à Maître [D] ès qualité la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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