CA Versailles, ch. soc. 4-4, 23 juillet 2025, n° 23/00725
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-4
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 23 JUILLET 2025
N° RG 23/00725
N° Portalis DBV3-V-B7H-VXR5
AFFAIRE :
[S] [R]
C/
Société CITYZ MEDIA
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 février 2023 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
Section : AD
N° RG : F 21/00804
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Khalil MIHOUBI
Me Arnaud BLANC DE LA NAULTE
Copie numérique adressée à:
FRANCE TRAVAIL
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT TROIS JUILLET DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [S] [R]
né le 10 juin 1960 à [Localité 9]
de nationalité française
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentant : Me Khalil MIHOUBI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D653
APPELANT
****************
Société CITYZ MEDIA anciennement dénommée CLEAR CHANNEL FRANCE
N° SIRET : 572 050 334
[Adresse 7]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Arnaud BLANC DE LA NAULTE de l'AARPI NMCG AARPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0007 substitué à l'audience par Me Emilie LESNE, avocat au barreau de Paris
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 mai 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [R] a été engagé par la société Clear Channel France, devenue Cityz média, en qualité d'adjoint technique, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 2 octobre 2001.
Cette société est spécialisée dans l'affichage publicitaire. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de cinquante salariés. Elle applique la convention collective nationale de la publicité.
M. [R] a fait l'objet d'arrêts de travail pour maladie à compter du mois de janvier 2018 jusqu'à son licenciement.
Par avis du 15 janvier 2019, le médecin du travail a déclaré M. [R] inapte à son poste sur le site d'[Localité 12] et apte à tout poste hors de ce site.
Par lettre du 2 mai 2019, M. [R] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 20 mai 2019.
Il n'est pas contesté que par requête 3 mai 2019, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt à l'effet de constater l'existence d'un harcèlement moral, de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
M. [R] a été licencié par lettre du 3 juin 2019 pour inaptitude et impossibilité de reclassement dans les termes suivants : « (') Monsieur,
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 06 Mai 2019, nous vous convoquions à un entretien préalable fixé initialement le 20 Mai 2019 dans nos locaux d'[Localité 12] avec Monsieur [M] [X], Directeur Technique, en vue d'un éventuel licenciement suite à votre inaptitude physique médicalement constatée et impossibilité de reclassement.
Suite à votre demande, nous avons accepté le report de cet entretien au Vendredi 24 Mai 2019.
Vous vous êtes présenté à cet entretien assisté par Monsieur [Z] [G]. Monsieur [X] était quant à lui assisté par Monsieur [C] [N].
Comme nous vous l'avons exposé au cours de cet entretien, nous vous informons par la présente que nous sommes malheureusement contraints d'envisager votre licenciement, au motif de votre Inaptitude médicalement constatée au poste d'Adjoint Technique, et face à l'impossibilité de vous reclasser, conformément aux mentions portées par la médecine du travail dans votre avis d'inaptitude.
Pour rappel, à la suite de deux visites de reprise auprès de la médecine du travail, vous avez été déclaré inapte à votre poste d'Adjoint Technique :
07/01/2019 (Visite de reprise 1): Inapte au poste de travail selon l'article R. 4624-42, à confirmer par un second examen, sera apte à tous postes en dehors de l'entreprise. Étude de poste prévue le 15 Janvier.
16/01/2019 (Visite de reprise 2): Inapte à son poste de travail d'Adjoint Technique sur le site d'[Localité 12], est apte à tous postes hors de ce site, étude de poste faite le 15 Janvier 2019.
Conformément aux dispositions légales, nous avons procédé à des recherches approfondies de notre entreprise en adéquation avec les recommandations du médecin du travail.
Suite aux retours des recherches de reclassement auprès de l'ensemble des régions CCF, nous avons été en mesure de vous proposer les postes suivants, après validation du médecin du travail et consultation des délégués du personnel compétents :
- Assistant expert (service logistique / [Localité 4]),
- Contrôleur de Gestion ([Localité 4]),
- Chargé de mission organisation ([Localité 4]),
- Assistant Maitrise (service Offre / [Localité 10]),
- Responsable Technique ([Localité 10]),
- Assistant expert (service commercial/[Localité 6]),
- Afficheur expert ([Localité 6]),
- Adjoint Technique ([Localité 8]),
- Adjoint Technique ([Localité 5]).
Ces postes vous ont été proposés, accompagnés par les définitions de fonctions et l'ensemble des détails contractuels par courriers recommandés en date des 04/04 et 17/04 derniers.
Malgré nos relances, ces propositions sont restées sans réponse de votre part.
Ainsi, face à cette impossibilité de procéder à votre reclassement, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour Inaptitude.
Ce licenciement prend effet à la date d'envol de ce courrier recommandé avec demande d'avis de réception. (...) ».
M. [R] a contesté son licenciement par lettre du 12 juin 2019.
Par requête du 21 juin 2021, M. [R] a de nouveau saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt à l'effet d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Par jugement du 14 février 2023, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (section activités diverses) a :
. déclaré être compétent pour traiter du litige
. fixé le salaire mensuel de M. [R] à 3 070, 25 euros
. débouté M. [R] de sa demande de requalification de son licenciement pour inaptitude ;
. condamné la SAS Clear channel France à verser à M. [R] les sommes de :
. 6 140,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
. 614,05 euros au titre des congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis
. 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
. dit que les sommes de nature salariale produiront les effets de droit au taux légal et capitalisation à compter de la saisine du bureau de conciliation et d'orientation,
. ordonné l'exécution provisoire au titre de l'article 515 du code de procédure civile
. débouté les parties de toutes les autres demandes
. condamné la SAS Clear channel France aux entiers dépens de l'instance
Par déclaration adressée au greffe le 15 mars 2023, M. [R] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 7 janvier 2025.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [R] demande à la cour de (sic) :
. Infirmer les chefs de jugements suivants expressément critiqués du jugement rendu le 14 février 2023 par la section activités diverses du conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt et notifié le 8 mars 2023 en ce qu'il a :
. Débouté, M. [R] de ses demandes à, titre principal de dire qu'il a fait l'objet de harcèlement moral,
. Débouté, M. [R] de sa demande de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Clear Channel France,
. Débouté, M. [R] de dire que cette résiliation produit les effets d'un licenciement nul,
. Débouté, M. [R] de sa demande condamner la société Clear Channel à lui verser à M. [R] la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le harcèlement moral subi et la somme de 52.194 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
. Débouté, M. [R] de ses demandes, A titre subsidiaire de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Clear Channel France et DIRE que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. Débouté, M. [R] de sa demande de condamner la société Clear Channel à lui verser la somme de 42.983 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. Débouté, M. [R] de ses demandes A titre infiniment subsidiaire de constater que la société Clear Channel a violé son obligation de sécurité de résultat cause de l'inaptitude de M. [R] et juger que le licenciement notifié le 3 juin 2019 est privé de cause réelle et sérieuse,
. Débouté, M. [R] de sa demande condamner la société Clear Channel à lui verser la somme de à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, (sic)
. Débouté, M. [R] de sa demande de requalification de son licenciement pour inaptitude
Statuant à nouveau
A titre principal,
. Dire que M. [R] a fait l'objet de harcèlement moral,
. Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [R] aux torts exclusifs de la société Clear Channel France,
. Dire que cette résiliation produit les effets d'un licenciement nul,
. Condamner la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel à verser à M. [R] la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le harcèlement moral subi,
. Condamner la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel à verser à M. [R] la somme de 52 194 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
A titre subsidiaire :
. Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [R] aux torts exclusifs de la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel France,
. Dire que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. Condamner la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel à verser à M. [R] la somme de 42 983 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
A titre infiniment subsidiaire :
. Constater que la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel a violé son obligation de sécurité de résultat cause de l'inaptitude de M. [R],
. Juger que le licenciement notifié le 3 juin 2019 est privé de cause réelle et sérieuse,
. Condamner la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel à verser à M. [R] la somme de 42 983 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En tout état de cause
. Débouter la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel France de son appel incident,
. Débouter la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
. Confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a condamné la Société à verser à M. [R] une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférent,
. Ordonner à la société Cityz Media venant aux droits Clear Channel France d'établir un bulletin de paie récapitulatif des condamnations prononcées par la Cour et une attestation pôle emploi rectifiée comportant la mention « licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse »,
. Condamner la société Cityz Media venant aux droits de la Société société Clear Channel à verser à M. [R] la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du CPC,
. Condamner la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 21 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Clear Channel France devenue Cityz media demande à la cour de :
. Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
. condamné la société Clear Channel France (désormais dénommée Cityz media) à verser à M. [R] les sommes de :
. 6 140,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
. 614,05 euros au titre des congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,
. 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
. débouté la société de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
. débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
. dit que les sommes de nature salariale produiront les effets de droit au taux légal et capitalisation à compter de la saisine du bureau de conciliation et d'orientation ;
. ordonné l'exécution provisoire au titre de l'article 515 du code de procédure civile ;
. condamné la SAS Clear channel France (désormais dénommée Cityz media) aux entiers dépens de l'instance.
. Confirmer le jugement entrepris du chef des demandes de M. [R] rejetées par les premiers juges.
En conséquence, et statuant à nouveau
. Juger que la société Cityz Media (anciennement dénommée Clear channel France) n'a commis aucun harcèlement moral ni aucun manquement de nature à justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [R] ;
. Juger valable et bien fondé le licenciement prononcé à l'encontre de M. [R] le 12 mars 2019 (sic),
. Débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
A titre reconventionnel
. Condamner M. [R] à payer à la société Cityz Media (anciennement dénommée Clear channel France) la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
. Condamner M. [R] à payer à la société Cityz Media
(anciennement dénommée Clear channel France) la somme de 1 euro sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, 1134 du code civil et L 1222-1 du code du travail,
. Condamner M. [R] aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l'article L. 1154-1 dans sa version applicable à l'espèce, interprété à la lumière de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Aux termes de l'article L. 1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
En l'espèce, le salarié invoque les faits suivants comme concourant, selon lui, au harcèlement moral dont il prétend avoir fait l'objet :
. un chantage au licenciement et de pressions en vue de quitter son emploi, dans un contexte de perte de marché
Le salarié rappelle le contexte de la période comprise entre juillet et septembre 2017, caractérisé par la perte, par la société Clear channel France, du marché d'affichage publicitaire de [Localité 11] métropole. La perte de ce marché n'est pas contestée par la société Cityz média (alors dénommée Clear channel France) et il n'est pas non plus discuté que le salarié exerçait, pour ce marché, des fonctions d'encadrement en sa qualité d'adjoint technique.
Il ressort des débats que le repreneur du marché (la société JC Decaux) a repris les contrats de travail des afficheurs de la société Clear channel France, mais pas celui des encadrants.
Il en est résulté que le salarié a continué à travailler pour la société Clear channel France, à [Localité 11], alors qu'elle avait perdu son marché d'affichage publicitaire.
Le salarié, qui évoque ce contexte, établit, de façon tout aussi contextuelle, que trois alertes ont été adressées à l'inspection du travail courant octobre 2017 et novembre 2017. Ces alertes ont déterminé la Direccte des Pays-de-la-Loire à organiser une visite de l'entreprise, le 13 décembre 2017 puis à adresser à l'employeur, le 2 janvier 2018, une lettre (pièce 11 du salarié), dont il ressort notamment que certains salariés ne s'étaient pas vus confier de travail après la perte du marché remporté par JC Decaux.
Ainsi, dans cette lettre, l'inspecteur du travail a écrit, à propos de deux salariés faisant l'objet d'un arrêt de travail pour maladie (MM. [E] et [L]) : « (') vous m'avez présenté les affectations et répartitions de travail envisagées pour les salariés intervenant sur la prestation perdue au profit de l'entreprise JC Decaux. (') Vous m'avez (') indiqué que vous n'envisagiez pas de confier d'activité à ces deux salariés à l'avenir. Dans un précédent courrier, je vous ai rappelé votre obligation de fournir du travail aux salariés que vous employez. (') Malgré mes rappels, vous avez décidé de ne pas réorganiser l'activité des établissements de [Localité 11] de manière à ce que ces deux salariés aient une activité à leur retour » d'arrêt maladie.
Indépendamment du contexte ci-dessus, le salarié se fonde sur deux attestations pour soutenir qu'à titre personnel, il a fait l'objet de pressions en vue de quitter son emploi et de ce qu'il présente comme un chantage au licenciement : l'attestation de M. [V] (pièce 32 du salarié) et celle de Mme [K] (sa pièce 38).
L'employeur conteste le caractère probant de ces attestations, motifs pris de ce que :
. celle de M. [V] est un témoignage de complaisance qui, au surplus, ne répond pas aux exigences fixées par l'article 202 du code de procédure civile puisqu'elle est dactylographiée,
. celle de Mme [K] est mensongère puisqu'elle indique que le salarié n'a pas été remplacé entre janvier 2018 et son licenciement de juin 2019 alors pourtant qu'en juillet 2018, elle adressait elle-même un organigramme de la région mentionnant M. [B] en qualité d'adjoint technique intérimaire.
S'agissant de l'attestation de M. [V], s'il est vrai qu'elle est dactylographiée, il n'en demeure pas moins qu'il revient au juge du fond d'apprécier souverainement si elle présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction. Or, l'attestation litigieuse présente de telles garanties en dépit de ce qu'elle est dactylographiée dès lors que de manière manuscrite, M. [V] écrit « voir documents joints », renvoyant en cela à son témoignage, certes dactylographié, mais signé de sa main, sa signature correspondant à celle figurant sur la carte nationale d'identité jointe à l'attestation.
S'agissant de l'attestation de Mme [K], c'est à raison que l'employeur expose qu'elle indique que « M. [R] n'a jamais été remplacé de son congé maladie en janvier 2018 jusqu'à son licenciement en juin 2019 ». Or, par sa pièce 51 (courriel de Mme [K] en date du 5 juillet 2018), l'employeur établit que M. [R] figurait dans les effectifs de la société pour les départements 44, 49 et 85 et que sous le nom de M. [R] est indiqué : « [J] [B] (adjoint technique - intérim) ». Cette indication fait à juste titre conclure à la société qu'il est inexact de prétendre que durant son arrêt de travail pour maladie, M. [R] n'a pas été remplacé puisqu'au contraire, il l'a été par un salarié intérimaire.
Il en résulte que l'attestation de Mme [K] est dépourvue de caractère probant, au contraire de celle de M. [V], qui, elle, n'est pas dépourvue de force probante.
Par la production de l'attestation de M. [V], collègue du salarié lui aussi affecté à [Localité 11] et délégué du personnel, il est établi que M. [R] s'est trouvé dans la même situation que celle, constatée par l'inspecteur du travail, de MM. [E] et [L]. En effet, selon cette attestation précise et circonstanciée (pièce 32 du salarié) : « En septembre 2017, les délégués du personnel ont décidé de déclencher un droit d'alerte pour protéger les collègues qui étaient victimes de pressions et de chantage en vue de quitter leur emploi suite à la perte de la concession de la mairie de [Localité 11]. Le climat est devenu très lourd dans l'agence et un collègue avait même menacé de se suicider. Suite au droit d'alerte, j'avais conseillé aux collègues de nous alerter lorsqu'ils seraient convoqués par la direction afin d'être présent. C'est ainsi que M. [R], qui était mon supérieur hiérarchique, m'a demandé de venir à un entretien non officiel qu'il a eu le 25 octobre 2017. Cet entretien étant en présence [du] directeur de région et du responsable ressources humaines ('). Lors de cet entretien et à plusieurs reprises, M. [R] a été clairement poussé à quitter la société. D'abord, [le directeur de région] lui a demandé s'il avait « bien réfléchi suite au dernier entretien ». [Le directeur de région] a insisté en disant que M. [R] « doit envisager son départ car il doit se séparer du staff technique et que le trinôme que vous formez avec [F] [E] (responsable technique) et [C] [N] (adjoint technique) ne peut plus fonctionner ». De son côté, [le responsable ressources humaines] a précisé à M. [R] qu'il pouvait quitter l'entreprise dans le cadre d'un « licenciement pour refus de mutation ou abandon de poste ». (') Dans les semaines qui ont suivi, M. [R] n'est plus revenu dans la société et a été mis en arrêt par son médecin traitant. Je peux assurer que depuis son licenciement, il n'a pas été remplacé. A ce jour, nous n'avons plus qu'un seul adjoint technique (M. [N]) et nous n'avons plus de responsable technique. (') ».
La cour relève que le témoignage de M. [V] fait état d'un entretien du 25 octobre 2017, au cours duquel, comme cela a été vu, des pressions ont été exercées sur le salarié pour qu'il quitte son emploi. Or, par une lettre adressée à une époque contemporaine de cet entretien, le 23 octobre 2017, à la société Clear channel France par l'inspecteur du travail, celui-ci rappelait que « toute menace ou allusion répétée de licenciement alors qu'aucun motif n'est à ce jour avancé par l'employeur, de même que toute « relance » répétée d'une négociation en vue de quitter l'entreprise alors que le salarié a manifesté son refus (') sont de nature à constituer une pression indue envers les salariés concernés » (pièce 18 du salarié).
Le témoignage précis et circonstancié de M. [V] se trouve donc corroboré à la fois par le contexte de la fin de l'année 2017 tel que décrit plus haut, en lien avec la perte d'un marché, mais aussi par la lettre que l'inspecteur du travail a, le 23 octobre 2017, jugé nécessaire d'adresser à l'employeur.
Ces éléments démontrent la réalité des pressions subies par le salarié, à au moins deux reprises (le 25 octobre 2017 et à une date antérieure à laquelle l'employeur avait demandé au salarié de « réfléchir » à un départ), pour quitter son emploi dans un contexte marqué par la perte d'un marché par l'employeur et l'intervention de l'inspection du travail après plusieurs alertes.
. une absence de fourniture de travail depuis la suppression de son poste
Le salarié expose qu'au cours du mois d'avril 2018, il a tenté de reprendre une activité mais qu'il a fait face à de nouvelles menaces de sa hiérarchie, laquelle lui a déclaré qu'elle « n'avait plus besoin de lui ».
Pour établir la réalité de ce fait, le salarié se fonde sur une lettre qu'il a adressée au président directeur général de la société Clear channel France le 12 novembre 2018, dans laquelle il dénonce, notamment, les pressions subies et évoque un entretien du 25 octobre 2017 au cours duquel sa hiérarchie lui a expliqué qu'elle n'avait plus besoin de lui.
Néanmoins, ce fait est daté par le salarié, dans la lettre sur laquelle il se fonde, du mois d'octobre 2017 et non pas du mois d'avril 2018.
Aussi, le fait ici étudié et qui est donc établi ne procède toutefois pas d'un fait différent de celui examiné auparavant, relatif au « chantage au licenciement » et aux « pressions en vue de quitter son emploi ».
. son inaptitude limitée sur l'établissement du salarié
Ce fait est établi par le salarié dès lors que l'avis d'inaptitude du médecin du travail en date du 16 janvier 2019 conclut que le salarié est « inapte à son poste de travail d'adjoint technique sur le site d'[Localité 12], est apte à tous postes hors ce site (...) » (pièce 4 de l'employeur).
. l'absence d'enquête
Le salarié expose que les faits de chantage au licenciement ont été dénoncés tant par les délégués du personnel, le salarié, que le CHSCT de sorte que la société aurait dû déclencher une enquête conformément aux prescriptions de l'article 4 de l'accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 relatif au harcèlement et à la violence au travail. Il ajoute que la société a manqué de ce chef à son obligation puisqu'elle n'a procédé à aucune enquête.
La société, qui soutient que l'article 4 de l'accord susvisé n'a pas de valeur contraignante, conteste ne pas avoir réalisé d'enquête et expose même en avoir réalisé quatre.
Contrairement aux allégations du salarié, l'employeur établit, par ses pièces 34 et 41 (respectivement un « support d'enquête CHSCT Clear channel France ' enquête du CHSCT du 2 octobre 2017 » et une lettre du 26 janvier 2018 adressée par la société à l'inspecteur du travail) avoir réalisé plusieurs enquêtes en lien avec le climat anxiogène généré par la perte du marché d'affichage publicitaire de [Localité 11] métropole.
Le fait présenté par le salarié n'est donc pas établi.
. la dégradation de son état de santé
Le salarié établit la dégradation de son état de santé par :
. l'avis d'inaptitude temporaire du médecin du travail en date du 19 avril 2018, dont les conclusions sont les suivantes : « inapte temporaire. Orientation vers le médecin traitant. Revoir à la reprise » (pièce 19) ;
. la lettre de la CPAM de Loire-Atlantique du 2 juillet 2018 dont il ressort que son « arrêt de travail du 08/01/2018 a été reconnu en rapport avec une affection de longue durée nécessitant des soins continus ou une interruption de travail supérieure à six mois par le médecin conseil » (pièce 20) ;
. les arrêts de travail du salarié, continus de janvier 2018 à janvier 2019 ;
. l'avis d'inaptitude du médecin du travail en date du 16 janvier 2019 qui conclut ainsi, après une étude de poste : « inapte à son poste de travail d'adjoint technique sur le site d'[Localité 12], est apte à tous postes hors ce site (...) » (pièce 4 de l'employeur).
En définitive, sont établies d'une part les pressions exercées sur le salarié par sa hiérarchie, fin 2017, pour qu'il quitte son travail, dans un contexte caractérisé par la perte d'un marché, d'autre part le fait que son inaptitude a été circonscrite au site d'[Localité 12], et enfin la dégradation de l'état de santé du salarié à compter de janvier 2018 et ce, de façon continue jusqu'au mois de janvier 2019.
Ces faits, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il incombe par conséquent à l'employeur de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L'inaptitude sur l'établissement, ce fait est décorrélé de toute décision de l'employeur, lequel n'a pas à justifier d'une raison objective.
En revanche, la société conteste toute menace ou tout chantage au licenciement alors que la cour a tenu ce fait comme étant établi. Non seulement l'employeur ne caractérise pas sa décision de faire pression sur le salarié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral, mais en outre, les pressions durables dont le salarié a apporté la démonstration établissent positivement la réalité d'un harcèlement moral au regard du contexte particulièrement anxiogène découlant de la perte, par l'employeur, d'un marché important.
Le harcèlement moral étant établi, il convient, par voie d'infirmation, de condamner l'employeur à payer au salarié une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail et ses conséquences
Lorsque le salarié demande la résiliation du contrat de travail, il doit apporter la démonstration de manquements de l'employeur à l'exécution de ses obligations contractuelles et que ces manquement présentent une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.
Si les manquements sont établis et présentent un degré de gravité suffisant, la résiliation est alors prononcée aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou ' si la résiliation est fondée sur des faits de harcèlement moral ' d'un licenciement nul.
La résiliation produit effet au jour où le juge la prononce si à cette date, le salarié est toujours au service de son employeur (et en cas d'arrêt confirmatif, à la date du jugement de première instance). Si en revanche le salarié a été licencié à la date du prononcé de la résiliation, alors c'est à la date d'envoi de la notification du licenciement qu'est fixée la prise d'effet de la résiliation judiciaire.
Si les manquements invoqués par le salarié ne sont pas établis ou ne présentent pas un caractère de gravité suffisant, alors le juge doit débouter le salarié de sa demande.
En l'espèce, le salarié invoque le harcèlement moral qu'il a subi pour solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Ce harcèlement moral a été établi, et il présente un lien avec l'inaptitude compte tenu de la date à laquelle ont été identifiés les faits de harcèlement moral (fin de l'année 2017) et de celle à partir de laquelle le salarié a été placé en arrêt de travail pour maladie (janvier 2018).
Ce harcèlement moral présente une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.
Il convient donc, par voie d'infirmation, de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et de dire que cette résiliation produit les effets d'un licenciement nul.
Compte tenu de ce que le salarié a été licencié par lettre du 3 juin 2019, c'est à cette date que la résiliation produira ses effets.
En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, le salarié peut prétendre à une indemnité pour licenciement nul qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu de l'ancienneté du salarié (près de 18 ans), de son niveau de rémunération (3 070,25 euros bruts mensuels), de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à son âge lors du licenciement (59 ans), à sa formation, à son expérience professionnelle, de ce qu'il justifie des indemnités qui lui ont été accordées par Pôle emploi (60,15 euros par jour pendant 201 jours puis 60,39 euros par jour pendant 184 jours ' pièce 31 du salarié), mais ne justifie pas avoir recherché un emploi et ne conteste pas avoir fait valoir ses droits à retraite dont il ne justifie pas en dépit d'une sommation de communiquer que lui a adressée l'employeur, le préjudice qui résulte, pour lui de la perte injustifiée de son emploi sera réparé par une indemnité de 45 000 euros bruts, somme au paiement de laquelle, par voie d'infirmation, l'employeur sera condamné.
En ce qui concerne l'indemnité compensatrice de préavis, l'employeur expose que le salarié ne peut y prétendre dès lors que le licenciement a été prononcé pour inaptitude du salarié et impossibilité de reclassement de sorte qu'il était dans l'impossibilité d'exécuter son préavis.
Cependant, lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à l'indemnité compensatrice de préavis, peu important les motifs de rupture (Soc., 5 juin 2001, Bull. civ. V, n° 211) et peu important au demeurant que ledit salarié soit dans l'impossibilité physique d'exécuter le préavis.
Il s'ensuit que le salarié peut en l'espèce prétendre à une indemnité compensatrice de préavis, son licenciement ayant été déclaré nul.
Le montant alloué au salarié par le conseil de prud'hommes n'est pas utilement discuté par les parties. Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il condamne l'employeur à payer au salarié la somme de 6 140,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 614,05 euros au titre des congés payés afférents.
Enfin, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, dont les dispositions sont d'ordre public et sont donc dans les débats, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol.
En l'espèce, la société est mal fondée à solliciter des dommages-intérêts pour procédure abusive, dès lors que les demandes du salarié ont été accueillies pour partie, ce qui établit que l'action qu'il a intentée contre son ancien employeur ne présentait rien d'abusif.
Il conviendra donc, ajoutant au jugement, de débouter l'employeur de ce chef de demande.
Sur la remise des documents
Il conviendra de donner injonction à l'employeur de remettre au salarié un certificat de travail, une attestation France travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, l'employeur sera condamné aux dépens de la procédure d'appel et le jugement sera confirmé en ce qu'il met les dépens de première instance à sa charge.
Il conviendra par ailleurs de confirmer le jugement en ce qu'il condamne l'employeur à payer au salarié la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et de condamner en outre l'employeur à payer au salarié une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de ce même texte, au titre des frais engagés en appel.
PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement mais seulement en ce qu'il condamne la société Clear channel France à payer à M. [R] les sommes de 6 140,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 614,05 euros au titre des congés payés afférents et de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
INFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail liant M. [R] à société Clear channel France nouvellement dénommée société Cityz média,
FIXE les effets de la résiliation judiciaire au 3 juin 2019,
DIT que la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul,
CONDAMNE la société Cityz média à payer à M. [R] les sommes suivantes :
. 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
. 45 000 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement nul,
ORDONNE le remboursement par la société Cityz média aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à M. [R] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage en application de l'article L. 1235-4 du code du travail,
DONNE injonction à la société Cityz média de remettre à M. [R] un certificat de travail, une attestation France travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
CONDAMNE la société Cityz média à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Cityz média aux dépens de la procédure d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Dorothée Marcinek, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-4
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 23 JUILLET 2025
N° RG 23/00725
N° Portalis DBV3-V-B7H-VXR5
AFFAIRE :
[S] [R]
C/
Société CITYZ MEDIA
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 février 2023 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
Section : AD
N° RG : F 21/00804
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Khalil MIHOUBI
Me Arnaud BLANC DE LA NAULTE
Copie numérique adressée à:
FRANCE TRAVAIL
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT TROIS JUILLET DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [S] [R]
né le 10 juin 1960 à [Localité 9]
de nationalité française
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentant : Me Khalil MIHOUBI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D653
APPELANT
****************
Société CITYZ MEDIA anciennement dénommée CLEAR CHANNEL FRANCE
N° SIRET : 572 050 334
[Adresse 7]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Arnaud BLANC DE LA NAULTE de l'AARPI NMCG AARPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0007 substitué à l'audience par Me Emilie LESNE, avocat au barreau de Paris
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 mai 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [R] a été engagé par la société Clear Channel France, devenue Cityz média, en qualité d'adjoint technique, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 2 octobre 2001.
Cette société est spécialisée dans l'affichage publicitaire. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de cinquante salariés. Elle applique la convention collective nationale de la publicité.
M. [R] a fait l'objet d'arrêts de travail pour maladie à compter du mois de janvier 2018 jusqu'à son licenciement.
Par avis du 15 janvier 2019, le médecin du travail a déclaré M. [R] inapte à son poste sur le site d'[Localité 12] et apte à tout poste hors de ce site.
Par lettre du 2 mai 2019, M. [R] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 20 mai 2019.
Il n'est pas contesté que par requête 3 mai 2019, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt à l'effet de constater l'existence d'un harcèlement moral, de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
M. [R] a été licencié par lettre du 3 juin 2019 pour inaptitude et impossibilité de reclassement dans les termes suivants : « (') Monsieur,
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 06 Mai 2019, nous vous convoquions à un entretien préalable fixé initialement le 20 Mai 2019 dans nos locaux d'[Localité 12] avec Monsieur [M] [X], Directeur Technique, en vue d'un éventuel licenciement suite à votre inaptitude physique médicalement constatée et impossibilité de reclassement.
Suite à votre demande, nous avons accepté le report de cet entretien au Vendredi 24 Mai 2019.
Vous vous êtes présenté à cet entretien assisté par Monsieur [Z] [G]. Monsieur [X] était quant à lui assisté par Monsieur [C] [N].
Comme nous vous l'avons exposé au cours de cet entretien, nous vous informons par la présente que nous sommes malheureusement contraints d'envisager votre licenciement, au motif de votre Inaptitude médicalement constatée au poste d'Adjoint Technique, et face à l'impossibilité de vous reclasser, conformément aux mentions portées par la médecine du travail dans votre avis d'inaptitude.
Pour rappel, à la suite de deux visites de reprise auprès de la médecine du travail, vous avez été déclaré inapte à votre poste d'Adjoint Technique :
07/01/2019 (Visite de reprise 1): Inapte au poste de travail selon l'article R. 4624-42, à confirmer par un second examen, sera apte à tous postes en dehors de l'entreprise. Étude de poste prévue le 15 Janvier.
16/01/2019 (Visite de reprise 2): Inapte à son poste de travail d'Adjoint Technique sur le site d'[Localité 12], est apte à tous postes hors de ce site, étude de poste faite le 15 Janvier 2019.
Conformément aux dispositions légales, nous avons procédé à des recherches approfondies de notre entreprise en adéquation avec les recommandations du médecin du travail.
Suite aux retours des recherches de reclassement auprès de l'ensemble des régions CCF, nous avons été en mesure de vous proposer les postes suivants, après validation du médecin du travail et consultation des délégués du personnel compétents :
- Assistant expert (service logistique / [Localité 4]),
- Contrôleur de Gestion ([Localité 4]),
- Chargé de mission organisation ([Localité 4]),
- Assistant Maitrise (service Offre / [Localité 10]),
- Responsable Technique ([Localité 10]),
- Assistant expert (service commercial/[Localité 6]),
- Afficheur expert ([Localité 6]),
- Adjoint Technique ([Localité 8]),
- Adjoint Technique ([Localité 5]).
Ces postes vous ont été proposés, accompagnés par les définitions de fonctions et l'ensemble des détails contractuels par courriers recommandés en date des 04/04 et 17/04 derniers.
Malgré nos relances, ces propositions sont restées sans réponse de votre part.
Ainsi, face à cette impossibilité de procéder à votre reclassement, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour Inaptitude.
Ce licenciement prend effet à la date d'envol de ce courrier recommandé avec demande d'avis de réception. (...) ».
M. [R] a contesté son licenciement par lettre du 12 juin 2019.
Par requête du 21 juin 2021, M. [R] a de nouveau saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt à l'effet d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Par jugement du 14 février 2023, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (section activités diverses) a :
. déclaré être compétent pour traiter du litige
. fixé le salaire mensuel de M. [R] à 3 070, 25 euros
. débouté M. [R] de sa demande de requalification de son licenciement pour inaptitude ;
. condamné la SAS Clear channel France à verser à M. [R] les sommes de :
. 6 140,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
. 614,05 euros au titre des congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis
. 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
. dit que les sommes de nature salariale produiront les effets de droit au taux légal et capitalisation à compter de la saisine du bureau de conciliation et d'orientation,
. ordonné l'exécution provisoire au titre de l'article 515 du code de procédure civile
. débouté les parties de toutes les autres demandes
. condamné la SAS Clear channel France aux entiers dépens de l'instance
Par déclaration adressée au greffe le 15 mars 2023, M. [R] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 7 janvier 2025.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [R] demande à la cour de (sic) :
. Infirmer les chefs de jugements suivants expressément critiqués du jugement rendu le 14 février 2023 par la section activités diverses du conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt et notifié le 8 mars 2023 en ce qu'il a :
. Débouté, M. [R] de ses demandes à, titre principal de dire qu'il a fait l'objet de harcèlement moral,
. Débouté, M. [R] de sa demande de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Clear Channel France,
. Débouté, M. [R] de dire que cette résiliation produit les effets d'un licenciement nul,
. Débouté, M. [R] de sa demande condamner la société Clear Channel à lui verser à M. [R] la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le harcèlement moral subi et la somme de 52.194 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
. Débouté, M. [R] de ses demandes, A titre subsidiaire de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Clear Channel France et DIRE que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. Débouté, M. [R] de sa demande de condamner la société Clear Channel à lui verser la somme de 42.983 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. Débouté, M. [R] de ses demandes A titre infiniment subsidiaire de constater que la société Clear Channel a violé son obligation de sécurité de résultat cause de l'inaptitude de M. [R] et juger que le licenciement notifié le 3 juin 2019 est privé de cause réelle et sérieuse,
. Débouté, M. [R] de sa demande condamner la société Clear Channel à lui verser la somme de à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, (sic)
. Débouté, M. [R] de sa demande de requalification de son licenciement pour inaptitude
Statuant à nouveau
A titre principal,
. Dire que M. [R] a fait l'objet de harcèlement moral,
. Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [R] aux torts exclusifs de la société Clear Channel France,
. Dire que cette résiliation produit les effets d'un licenciement nul,
. Condamner la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel à verser à M. [R] la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le harcèlement moral subi,
. Condamner la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel à verser à M. [R] la somme de 52 194 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
A titre subsidiaire :
. Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [R] aux torts exclusifs de la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel France,
. Dire que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. Condamner la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel à verser à M. [R] la somme de 42 983 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
A titre infiniment subsidiaire :
. Constater que la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel a violé son obligation de sécurité de résultat cause de l'inaptitude de M. [R],
. Juger que le licenciement notifié le 3 juin 2019 est privé de cause réelle et sérieuse,
. Condamner la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel à verser à M. [R] la somme de 42 983 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En tout état de cause
. Débouter la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel France de son appel incident,
. Débouter la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
. Confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a condamné la Société à verser à M. [R] une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférent,
. Ordonner à la société Cityz Media venant aux droits Clear Channel France d'établir un bulletin de paie récapitulatif des condamnations prononcées par la Cour et une attestation pôle emploi rectifiée comportant la mention « licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse »,
. Condamner la société Cityz Media venant aux droits de la Société société Clear Channel à verser à M. [R] la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du CPC,
. Condamner la société Cityz Media venant aux droits de la société Clear Channel aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 21 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Clear Channel France devenue Cityz media demande à la cour de :
. Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
. condamné la société Clear Channel France (désormais dénommée Cityz media) à verser à M. [R] les sommes de :
. 6 140,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
. 614,05 euros au titre des congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,
. 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
. débouté la société de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
. débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
. dit que les sommes de nature salariale produiront les effets de droit au taux légal et capitalisation à compter de la saisine du bureau de conciliation et d'orientation ;
. ordonné l'exécution provisoire au titre de l'article 515 du code de procédure civile ;
. condamné la SAS Clear channel France (désormais dénommée Cityz media) aux entiers dépens de l'instance.
. Confirmer le jugement entrepris du chef des demandes de M. [R] rejetées par les premiers juges.
En conséquence, et statuant à nouveau
. Juger que la société Cityz Media (anciennement dénommée Clear channel France) n'a commis aucun harcèlement moral ni aucun manquement de nature à justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [R] ;
. Juger valable et bien fondé le licenciement prononcé à l'encontre de M. [R] le 12 mars 2019 (sic),
. Débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
A titre reconventionnel
. Condamner M. [R] à payer à la société Cityz Media (anciennement dénommée Clear channel France) la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
. Condamner M. [R] à payer à la société Cityz Media
(anciennement dénommée Clear channel France) la somme de 1 euro sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, 1134 du code civil et L 1222-1 du code du travail,
. Condamner M. [R] aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l'article L. 1154-1 dans sa version applicable à l'espèce, interprété à la lumière de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Aux termes de l'article L. 1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
En l'espèce, le salarié invoque les faits suivants comme concourant, selon lui, au harcèlement moral dont il prétend avoir fait l'objet :
. un chantage au licenciement et de pressions en vue de quitter son emploi, dans un contexte de perte de marché
Le salarié rappelle le contexte de la période comprise entre juillet et septembre 2017, caractérisé par la perte, par la société Clear channel France, du marché d'affichage publicitaire de [Localité 11] métropole. La perte de ce marché n'est pas contestée par la société Cityz média (alors dénommée Clear channel France) et il n'est pas non plus discuté que le salarié exerçait, pour ce marché, des fonctions d'encadrement en sa qualité d'adjoint technique.
Il ressort des débats que le repreneur du marché (la société JC Decaux) a repris les contrats de travail des afficheurs de la société Clear channel France, mais pas celui des encadrants.
Il en est résulté que le salarié a continué à travailler pour la société Clear channel France, à [Localité 11], alors qu'elle avait perdu son marché d'affichage publicitaire.
Le salarié, qui évoque ce contexte, établit, de façon tout aussi contextuelle, que trois alertes ont été adressées à l'inspection du travail courant octobre 2017 et novembre 2017. Ces alertes ont déterminé la Direccte des Pays-de-la-Loire à organiser une visite de l'entreprise, le 13 décembre 2017 puis à adresser à l'employeur, le 2 janvier 2018, une lettre (pièce 11 du salarié), dont il ressort notamment que certains salariés ne s'étaient pas vus confier de travail après la perte du marché remporté par JC Decaux.
Ainsi, dans cette lettre, l'inspecteur du travail a écrit, à propos de deux salariés faisant l'objet d'un arrêt de travail pour maladie (MM. [E] et [L]) : « (') vous m'avez présenté les affectations et répartitions de travail envisagées pour les salariés intervenant sur la prestation perdue au profit de l'entreprise JC Decaux. (') Vous m'avez (') indiqué que vous n'envisagiez pas de confier d'activité à ces deux salariés à l'avenir. Dans un précédent courrier, je vous ai rappelé votre obligation de fournir du travail aux salariés que vous employez. (') Malgré mes rappels, vous avez décidé de ne pas réorganiser l'activité des établissements de [Localité 11] de manière à ce que ces deux salariés aient une activité à leur retour » d'arrêt maladie.
Indépendamment du contexte ci-dessus, le salarié se fonde sur deux attestations pour soutenir qu'à titre personnel, il a fait l'objet de pressions en vue de quitter son emploi et de ce qu'il présente comme un chantage au licenciement : l'attestation de M. [V] (pièce 32 du salarié) et celle de Mme [K] (sa pièce 38).
L'employeur conteste le caractère probant de ces attestations, motifs pris de ce que :
. celle de M. [V] est un témoignage de complaisance qui, au surplus, ne répond pas aux exigences fixées par l'article 202 du code de procédure civile puisqu'elle est dactylographiée,
. celle de Mme [K] est mensongère puisqu'elle indique que le salarié n'a pas été remplacé entre janvier 2018 et son licenciement de juin 2019 alors pourtant qu'en juillet 2018, elle adressait elle-même un organigramme de la région mentionnant M. [B] en qualité d'adjoint technique intérimaire.
S'agissant de l'attestation de M. [V], s'il est vrai qu'elle est dactylographiée, il n'en demeure pas moins qu'il revient au juge du fond d'apprécier souverainement si elle présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction. Or, l'attestation litigieuse présente de telles garanties en dépit de ce qu'elle est dactylographiée dès lors que de manière manuscrite, M. [V] écrit « voir documents joints », renvoyant en cela à son témoignage, certes dactylographié, mais signé de sa main, sa signature correspondant à celle figurant sur la carte nationale d'identité jointe à l'attestation.
S'agissant de l'attestation de Mme [K], c'est à raison que l'employeur expose qu'elle indique que « M. [R] n'a jamais été remplacé de son congé maladie en janvier 2018 jusqu'à son licenciement en juin 2019 ». Or, par sa pièce 51 (courriel de Mme [K] en date du 5 juillet 2018), l'employeur établit que M. [R] figurait dans les effectifs de la société pour les départements 44, 49 et 85 et que sous le nom de M. [R] est indiqué : « [J] [B] (adjoint technique - intérim) ». Cette indication fait à juste titre conclure à la société qu'il est inexact de prétendre que durant son arrêt de travail pour maladie, M. [R] n'a pas été remplacé puisqu'au contraire, il l'a été par un salarié intérimaire.
Il en résulte que l'attestation de Mme [K] est dépourvue de caractère probant, au contraire de celle de M. [V], qui, elle, n'est pas dépourvue de force probante.
Par la production de l'attestation de M. [V], collègue du salarié lui aussi affecté à [Localité 11] et délégué du personnel, il est établi que M. [R] s'est trouvé dans la même situation que celle, constatée par l'inspecteur du travail, de MM. [E] et [L]. En effet, selon cette attestation précise et circonstanciée (pièce 32 du salarié) : « En septembre 2017, les délégués du personnel ont décidé de déclencher un droit d'alerte pour protéger les collègues qui étaient victimes de pressions et de chantage en vue de quitter leur emploi suite à la perte de la concession de la mairie de [Localité 11]. Le climat est devenu très lourd dans l'agence et un collègue avait même menacé de se suicider. Suite au droit d'alerte, j'avais conseillé aux collègues de nous alerter lorsqu'ils seraient convoqués par la direction afin d'être présent. C'est ainsi que M. [R], qui était mon supérieur hiérarchique, m'a demandé de venir à un entretien non officiel qu'il a eu le 25 octobre 2017. Cet entretien étant en présence [du] directeur de région et du responsable ressources humaines ('). Lors de cet entretien et à plusieurs reprises, M. [R] a été clairement poussé à quitter la société. D'abord, [le directeur de région] lui a demandé s'il avait « bien réfléchi suite au dernier entretien ». [Le directeur de région] a insisté en disant que M. [R] « doit envisager son départ car il doit se séparer du staff technique et que le trinôme que vous formez avec [F] [E] (responsable technique) et [C] [N] (adjoint technique) ne peut plus fonctionner ». De son côté, [le responsable ressources humaines] a précisé à M. [R] qu'il pouvait quitter l'entreprise dans le cadre d'un « licenciement pour refus de mutation ou abandon de poste ». (') Dans les semaines qui ont suivi, M. [R] n'est plus revenu dans la société et a été mis en arrêt par son médecin traitant. Je peux assurer que depuis son licenciement, il n'a pas été remplacé. A ce jour, nous n'avons plus qu'un seul adjoint technique (M. [N]) et nous n'avons plus de responsable technique. (') ».
La cour relève que le témoignage de M. [V] fait état d'un entretien du 25 octobre 2017, au cours duquel, comme cela a été vu, des pressions ont été exercées sur le salarié pour qu'il quitte son emploi. Or, par une lettre adressée à une époque contemporaine de cet entretien, le 23 octobre 2017, à la société Clear channel France par l'inspecteur du travail, celui-ci rappelait que « toute menace ou allusion répétée de licenciement alors qu'aucun motif n'est à ce jour avancé par l'employeur, de même que toute « relance » répétée d'une négociation en vue de quitter l'entreprise alors que le salarié a manifesté son refus (') sont de nature à constituer une pression indue envers les salariés concernés » (pièce 18 du salarié).
Le témoignage précis et circonstancié de M. [V] se trouve donc corroboré à la fois par le contexte de la fin de l'année 2017 tel que décrit plus haut, en lien avec la perte d'un marché, mais aussi par la lettre que l'inspecteur du travail a, le 23 octobre 2017, jugé nécessaire d'adresser à l'employeur.
Ces éléments démontrent la réalité des pressions subies par le salarié, à au moins deux reprises (le 25 octobre 2017 et à une date antérieure à laquelle l'employeur avait demandé au salarié de « réfléchir » à un départ), pour quitter son emploi dans un contexte marqué par la perte d'un marché par l'employeur et l'intervention de l'inspection du travail après plusieurs alertes.
. une absence de fourniture de travail depuis la suppression de son poste
Le salarié expose qu'au cours du mois d'avril 2018, il a tenté de reprendre une activité mais qu'il a fait face à de nouvelles menaces de sa hiérarchie, laquelle lui a déclaré qu'elle « n'avait plus besoin de lui ».
Pour établir la réalité de ce fait, le salarié se fonde sur une lettre qu'il a adressée au président directeur général de la société Clear channel France le 12 novembre 2018, dans laquelle il dénonce, notamment, les pressions subies et évoque un entretien du 25 octobre 2017 au cours duquel sa hiérarchie lui a expliqué qu'elle n'avait plus besoin de lui.
Néanmoins, ce fait est daté par le salarié, dans la lettre sur laquelle il se fonde, du mois d'octobre 2017 et non pas du mois d'avril 2018.
Aussi, le fait ici étudié et qui est donc établi ne procède toutefois pas d'un fait différent de celui examiné auparavant, relatif au « chantage au licenciement » et aux « pressions en vue de quitter son emploi ».
. son inaptitude limitée sur l'établissement du salarié
Ce fait est établi par le salarié dès lors que l'avis d'inaptitude du médecin du travail en date du 16 janvier 2019 conclut que le salarié est « inapte à son poste de travail d'adjoint technique sur le site d'[Localité 12], est apte à tous postes hors ce site (...) » (pièce 4 de l'employeur).
. l'absence d'enquête
Le salarié expose que les faits de chantage au licenciement ont été dénoncés tant par les délégués du personnel, le salarié, que le CHSCT de sorte que la société aurait dû déclencher une enquête conformément aux prescriptions de l'article 4 de l'accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 relatif au harcèlement et à la violence au travail. Il ajoute que la société a manqué de ce chef à son obligation puisqu'elle n'a procédé à aucune enquête.
La société, qui soutient que l'article 4 de l'accord susvisé n'a pas de valeur contraignante, conteste ne pas avoir réalisé d'enquête et expose même en avoir réalisé quatre.
Contrairement aux allégations du salarié, l'employeur établit, par ses pièces 34 et 41 (respectivement un « support d'enquête CHSCT Clear channel France ' enquête du CHSCT du 2 octobre 2017 » et une lettre du 26 janvier 2018 adressée par la société à l'inspecteur du travail) avoir réalisé plusieurs enquêtes en lien avec le climat anxiogène généré par la perte du marché d'affichage publicitaire de [Localité 11] métropole.
Le fait présenté par le salarié n'est donc pas établi.
. la dégradation de son état de santé
Le salarié établit la dégradation de son état de santé par :
. l'avis d'inaptitude temporaire du médecin du travail en date du 19 avril 2018, dont les conclusions sont les suivantes : « inapte temporaire. Orientation vers le médecin traitant. Revoir à la reprise » (pièce 19) ;
. la lettre de la CPAM de Loire-Atlantique du 2 juillet 2018 dont il ressort que son « arrêt de travail du 08/01/2018 a été reconnu en rapport avec une affection de longue durée nécessitant des soins continus ou une interruption de travail supérieure à six mois par le médecin conseil » (pièce 20) ;
. les arrêts de travail du salarié, continus de janvier 2018 à janvier 2019 ;
. l'avis d'inaptitude du médecin du travail en date du 16 janvier 2019 qui conclut ainsi, après une étude de poste : « inapte à son poste de travail d'adjoint technique sur le site d'[Localité 12], est apte à tous postes hors ce site (...) » (pièce 4 de l'employeur).
En définitive, sont établies d'une part les pressions exercées sur le salarié par sa hiérarchie, fin 2017, pour qu'il quitte son travail, dans un contexte caractérisé par la perte d'un marché, d'autre part le fait que son inaptitude a été circonscrite au site d'[Localité 12], et enfin la dégradation de l'état de santé du salarié à compter de janvier 2018 et ce, de façon continue jusqu'au mois de janvier 2019.
Ces faits, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il incombe par conséquent à l'employeur de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L'inaptitude sur l'établissement, ce fait est décorrélé de toute décision de l'employeur, lequel n'a pas à justifier d'une raison objective.
En revanche, la société conteste toute menace ou tout chantage au licenciement alors que la cour a tenu ce fait comme étant établi. Non seulement l'employeur ne caractérise pas sa décision de faire pression sur le salarié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral, mais en outre, les pressions durables dont le salarié a apporté la démonstration établissent positivement la réalité d'un harcèlement moral au regard du contexte particulièrement anxiogène découlant de la perte, par l'employeur, d'un marché important.
Le harcèlement moral étant établi, il convient, par voie d'infirmation, de condamner l'employeur à payer au salarié une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail et ses conséquences
Lorsque le salarié demande la résiliation du contrat de travail, il doit apporter la démonstration de manquements de l'employeur à l'exécution de ses obligations contractuelles et que ces manquement présentent une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.
Si les manquements sont établis et présentent un degré de gravité suffisant, la résiliation est alors prononcée aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou ' si la résiliation est fondée sur des faits de harcèlement moral ' d'un licenciement nul.
La résiliation produit effet au jour où le juge la prononce si à cette date, le salarié est toujours au service de son employeur (et en cas d'arrêt confirmatif, à la date du jugement de première instance). Si en revanche le salarié a été licencié à la date du prononcé de la résiliation, alors c'est à la date d'envoi de la notification du licenciement qu'est fixée la prise d'effet de la résiliation judiciaire.
Si les manquements invoqués par le salarié ne sont pas établis ou ne présentent pas un caractère de gravité suffisant, alors le juge doit débouter le salarié de sa demande.
En l'espèce, le salarié invoque le harcèlement moral qu'il a subi pour solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Ce harcèlement moral a été établi, et il présente un lien avec l'inaptitude compte tenu de la date à laquelle ont été identifiés les faits de harcèlement moral (fin de l'année 2017) et de celle à partir de laquelle le salarié a été placé en arrêt de travail pour maladie (janvier 2018).
Ce harcèlement moral présente une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.
Il convient donc, par voie d'infirmation, de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et de dire que cette résiliation produit les effets d'un licenciement nul.
Compte tenu de ce que le salarié a été licencié par lettre du 3 juin 2019, c'est à cette date que la résiliation produira ses effets.
En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, le salarié peut prétendre à une indemnité pour licenciement nul qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu de l'ancienneté du salarié (près de 18 ans), de son niveau de rémunération (3 070,25 euros bruts mensuels), de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à son âge lors du licenciement (59 ans), à sa formation, à son expérience professionnelle, de ce qu'il justifie des indemnités qui lui ont été accordées par Pôle emploi (60,15 euros par jour pendant 201 jours puis 60,39 euros par jour pendant 184 jours ' pièce 31 du salarié), mais ne justifie pas avoir recherché un emploi et ne conteste pas avoir fait valoir ses droits à retraite dont il ne justifie pas en dépit d'une sommation de communiquer que lui a adressée l'employeur, le préjudice qui résulte, pour lui de la perte injustifiée de son emploi sera réparé par une indemnité de 45 000 euros bruts, somme au paiement de laquelle, par voie d'infirmation, l'employeur sera condamné.
En ce qui concerne l'indemnité compensatrice de préavis, l'employeur expose que le salarié ne peut y prétendre dès lors que le licenciement a été prononcé pour inaptitude du salarié et impossibilité de reclassement de sorte qu'il était dans l'impossibilité d'exécuter son préavis.
Cependant, lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à l'indemnité compensatrice de préavis, peu important les motifs de rupture (Soc., 5 juin 2001, Bull. civ. V, n° 211) et peu important au demeurant que ledit salarié soit dans l'impossibilité physique d'exécuter le préavis.
Il s'ensuit que le salarié peut en l'espèce prétendre à une indemnité compensatrice de préavis, son licenciement ayant été déclaré nul.
Le montant alloué au salarié par le conseil de prud'hommes n'est pas utilement discuté par les parties. Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il condamne l'employeur à payer au salarié la somme de 6 140,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 614,05 euros au titre des congés payés afférents.
Enfin, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, dont les dispositions sont d'ordre public et sont donc dans les débats, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol.
En l'espèce, la société est mal fondée à solliciter des dommages-intérêts pour procédure abusive, dès lors que les demandes du salarié ont été accueillies pour partie, ce qui établit que l'action qu'il a intentée contre son ancien employeur ne présentait rien d'abusif.
Il conviendra donc, ajoutant au jugement, de débouter l'employeur de ce chef de demande.
Sur la remise des documents
Il conviendra de donner injonction à l'employeur de remettre au salarié un certificat de travail, une attestation France travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, l'employeur sera condamné aux dépens de la procédure d'appel et le jugement sera confirmé en ce qu'il met les dépens de première instance à sa charge.
Il conviendra par ailleurs de confirmer le jugement en ce qu'il condamne l'employeur à payer au salarié la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et de condamner en outre l'employeur à payer au salarié une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de ce même texte, au titre des frais engagés en appel.
PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement mais seulement en ce qu'il condamne la société Clear channel France à payer à M. [R] les sommes de 6 140,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 614,05 euros au titre des congés payés afférents et de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
INFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail liant M. [R] à société Clear channel France nouvellement dénommée société Cityz média,
FIXE les effets de la résiliation judiciaire au 3 juin 2019,
DIT que la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul,
CONDAMNE la société Cityz média à payer à M. [R] les sommes suivantes :
. 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
. 45 000 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement nul,
ORDONNE le remboursement par la société Cityz média aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à M. [R] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage en application de l'article L. 1235-4 du code du travail,
DONNE injonction à la société Cityz média de remettre à M. [R] un certificat de travail, une attestation France travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
CONDAMNE la société Cityz média à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Cityz média aux dépens de la procédure d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Dorothée Marcinek, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente