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Décisions

CA Orléans, ch. civ., 23 juillet 2025, n° 24/02920

ORLÉANS

Arrêt

Autre

CA Orléans n° 24/02920

23 juillet 2025

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE CIVILE - TRIBUNAL PARITAIRE DES BAUX RURAUX

EXPÉDITIONS le : 23/07/2025

COPIES aux PARTIES

[R] [D], S.C.E.A. [D] DUTHEIL P. ET FILS

[S] [H] épouse [C], [O] [H] épouse [Z], [A] [H] épouse [I]

Me Emilie FRENETTE

Me Alain CHAUMIER

ARRÊT du : 23 JUILLET 2025

N° : - 25

N° RG 24/02920 - N° Portalis DBVN-V-B7I-HC4L

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement Tribunal paritaire des baux ruraux de TOURS en date du 03 Septembre 2024

PARTIES EN CAUSE

APPELANTS

Monsieur [R] [D]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

comparant en personne,

assisté de Me Pierre DUPONCHEL de la SELASU DUPONCHEL - SAINT MARCOUX Avocats à la Cour, avocat au barreau de PARIS

ayant pour autre avocat Me Emilie FRENETTE, avocat au barreau d'ORLEANS

S.C.E.A. [D] DUTHEIL P. ET FILS, prise en la personne de son représentant légal, domiclié en cette qualité au siège social,

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Pierre DUPONCHEL de la SELASU DUPONCHEL - SAINT MARCOUX Avocats à la Cour, avocat au barreau de PARIS

ayant pour autre avocat Me Emilie FRENETTE, avocat au barreau d'ORLEANS

D'UNE PART

INTIMÉES :

Madame [S] [H] épouse [C]

[Adresse 24]

[Localité 3]

comparante,

assistéé de Me Alain CHAUMIER, avocat au barreau de BLOIS

Madame [O] [H] épouse [Z]

[Adresse 26]

[Localité 3]

comparante,

assistéé de Me Alain CHAUMIER, avocat au barreau de BLOIS

Madame [A] [H] épouse [I]

[Adresse 11]

[Localité 2]

comparante,

assistéé de Me Alain CHAUMIER, avocat au barreau de BLOIS

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du 02 Octobre 2024

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l'audience publique du 08 Avril 2025 à 14h00, l'affaire a été plaidée devant Mme Laure-Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, en l'absence d'opposition des parties ou de leurs représentants.

Lors du délibéré, au cours duquel Mme Laure-Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles a rendu compte des débats à la collégialité, la Cour était composée de:

Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,

Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,

Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

GREFFIER :

Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.

ARRÊT :

Prononcé publiquement le 23 juillet 2025 (délibéré prorogé, initialement fixé au 24 juin 2025) par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant acte sous seing privé signé le 29 novembre 1979, M. [L] [H] a consenti un 'bail à fermage' à M. [J] [D] et M. [F] [D] portant sur les parcelles suivantes pour un total de 8 hectares 77 ares et 90 centiares :

Lieu dit [Localité 30], section [Cadastre 17], commune [Localité 2]

Lieu dit [Localité 30], section [Cadastre 18], commune [Localité 2]

Lieu dit [Localité 25], section [Cadastre 5], commune [Localité 2]

Lieu dit [Localité 32], section [Cadastre 9], commune [Localité 2]

Lieu dit [Localité 32], section [Cadastre 10], commune [Localité 2]

Lieu dit [Localité 29], section [Cadastre 6], commune [Localité 2]

Lieu dit [Localité 31], section [Cadastre 16], commune [Localité 12]

Lieu dit [Localité 31], section [Cadastre 20], commune [Localité 12]

Lieu dit [Localité 31], section [Cadastre 19], commune [Localité 12]

Lieu dit [Localité 32], section [Cadastre 23], commune [Localité 12]

Lieu dit [Localité 32], section [Cadastre 22], commune [Localité 12]

Lieu dit [Localité 32], section [Cadastre 21], commune [Localité 12].

M. [L] [H] est décédé le 29 juillet 1981 laissant pour ayants droit son épouse [P] [E] et ses trois filles Mme [S] [H], Mme [O] [H], Mme [A] [H].

Par acte authentique du 23 juin 1982, Mme [P] [E] veuve [H] a fait donation, en trois lots, de la nue-propriété des parcelles à ses trois filles et conservé l'usufruit.

Aux termes d'un acte sous-seing privé du 1er novembre 1989, Mme veuve [L] [H] a consenti un nouveau bail à ferme à MM. [J] et [F] [D] sur les mêmes parcelles que celles mentionnées au bail du 29 novembre 1979.

Mme [P] [E] veuve [H] est décédée le 24 octobre 2018.

Selon requête déposée au greffe le 3 mars 2022, Mme [S] [H] épouse [C], Mme [O] [H] épouse [Z] et Mme [A] [H] épouse [I] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Tours afin de voir prononcer la résiliation du bail rural conclu le 29 novembre 1979.

Au cours de la procédure, les parties se sont accordées sur la restitution des parcelles suivantes, lesquelles ont été mises à disposition d'un autre exploitant à compter du 1er janvier 2024 :

- commune de [Localité 2] : 2ha 28a 16ca,

- [Cadastre 7], [Localité 32],

- [Cadastre 6], [Localité 29],

- commune de [Localité 12] : 2ha 80a 5ca,

- [Cadastre 21] [Localité 28],

- [Cadastre 22], [Localité 32],

- [Cadastre 21], [Localité 32].

Par jugement en date du 3 septembre 2024, le tribunal paritaire des baux ruraux de Tours a :

- prononcé la nullité du bail rural du 1er novembre 1989 consenti par Mme [P] [E] veuve [H] à M. [F] [D] et M. [J] [D],

- prononcé la résiliation du bail rural découlant de la cession prohibée à la SCA- [D] Dutheil du bail rural consenti le 29 novembre 1979 par M. [L] [H] à M. [J] [D] et M. [F] [D] portant sur les parcelles suivantes :

Lieu dit [Localité 30], section [Cadastre 17], commune [Localité 2]

Lieu dit [Localité 30], section [Cadastre 18], commune [Localité 2]

Lieu dit [Localité 25], section [Cadastre 5], commune [Localité 2]

Lieu dit [Localité 32], section [Cadastre 9], commune [Localité 2]

Lieu dit [Localité 32], section [Cadastre 10], commune [Localité 2]

Lieu dit [Localité 29], section [Cadastre 6], commune [Localité 2]

Lieu dit [Localité 31], section [Cadastre 16], commune [Localité 12]

Lieu dit [Localité 31], section [Cadastre 20], commune [Localité 12]

Lieu dit [Localité 31], section [Cadastre 19], commune [Localité 12]

Lieu dit [Localité 32], section [Cadastre 23], commune [Localité 12]

Lieu dit [Localité 32], section [Cadastre 22], commune [Localité 12]

Lieu dit [Localité 32], section [Cadastre 21], commune [Localité 12],

- déclaré la SCA [D] Dutheil et M. [R] [D] occupants sans droit ni titre sur ces parcelles,

- enjoint à la SCA [D] Dutheil et à M. [R] [D] de libérer les lieux au terme de la période culturale et au plus tard le 31 octobre 2024,

Sur l'expulsion,

- dit qu'à défaut pour la SCA [D] Dutheil et M. [R] [D] d'avoir volontairement libérés les lieux au 31 octobre 2024, Mme [S] [H] épouse [C], Mme [O] [H] épouse [Z] et Mme [A] [H] épouse [I] pourront faire procéder à leur expulsion ainsi qu'à celle de tous occupants de leur chef, y compris le cas échéant avec le concours de la force publique,

Sur l'indemnité d'occupation,

- condamné in solidum la SCA [D] Dutheil et M. [R] [D] à payer à Mme [S] [H] épouse [C], Mme [O] [H] épouse [Z] et Mme [A] [H] épouse [I] une indemnité d'occupation de 50,00 euros par jour à compter du 1er novembre 2024,

Sur l'astreinte passé le délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision,

- condamné in solidum la SCA [D] Dutheil et M. [R] [D], à défaut de libération des parcelles au plus tard dans les trois mois de la signification du jugement au paiement d'une astreinte de 30 euros par jour de retard,

- maintenu l'exécution provisoire,

- condamné in solidum la SCA [D] Dutheil et M. [R] [D] aux dépens de l'instance,

- condamné in solidum la SCA [D] Dutheil et M. [R] [D] à payer à Mme [S] [H] épouse [C], Mme [O] [H] épouse [Z] et Mme [A] [H] épouse [I] la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration en date du 2 octobre 2024, M. [R] [D] et la SCEA [D] Dutheil P. Et Fils ont relevé appel de l'intégralité des chefs de ce jugement.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 8 avril 2025 par des lettres recommandées dont elles ont accusé réception les 24 et 25 janvier 2025, à l'exception de M. [R] [D] dont la lettre est revenue pour 'défaut d'accès ou d'adressage', mais qui était présent à l'audience, assisté de son avocat.

Les parties ont déposé des conclusions soutenues oralement.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 7 avril 2025, soutenues oralement, M. [D] et la SCEA [D] Dutheil demandent à la cour de :

- infirmer le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Tours du 3 septembre 2024,

En conséquence,

- juger qu'il existe un bail rural ayant débuté le 29 mars 2015 au plus tard ou à défaut le 1er novembre 2015 et au plus tard le 27 février 2017 et portant sur les parcelles cadastrées suivantes :

Commune de [Localité 2] : 2ha 28a 16ca

- [Cadastre 7] ' [Cadastre 8] [Localité 32]

- [Cadastre 6] [Localité 29]

Commune de [Localité 12] : 2ha 80a 5ca

- [Cadastre 21] [Localité 28]

- [Cadastre 22] [Localité 32]

- [Cadastre 23] [Localité 32]

Commune de [Localité 2] : 1ha 74a 98ca

- [Cadastre 14] [Localité 30]

- [Cadastre 15] [Localité 30]

- [Cadastre 5] [Localité 25]

Commune de [Localité 12] : 1ha 84a 85ca

- [Cadastre 19] [Localité 31]

- [Cadastre 20] [Localité 31]

- [Cadastre 13] [Localité 27]

- juger que ce bail a été partiellement résilié d'un commun accord des parties avec effet le 1er janvier 2024, s'agissant des parcelles suivantes :

Commune de [Localité 2] : 2ha 28a 16ca

- [Cadastre 7] ' [Cadastre 8] [Localité 32]

- [Cadastre 6] [Localité 29]

Commune de [Localité 12] : 2ha 80a 5ca

- [Cadastre 21] [Localité 28]

- [Cadastre 22] [Localité 32]

- [Cadastre 23] [Localité 32]

- juger que ce bail directement consenti à la SCEA [D]-Dutheil porte aujourd'hui sur les parcelles suivantes :

Commune de [Localité 2] : 1ha 74a 98ca

- [Cadastre 14] [Localité 30]

- [Cadastre 15] [Localité 30]

- [Cadastre 5] [Localité 25]

Commune de [Localité 12] : 1ha 84a 85ca

- [Cadastre 19] [Localité 31]

- [Cadastre 20] [Localité 31]

- [Cadastre 13] [Localité 27]

- juger que ce bail devra faire l'objet d'une régularisation par écrit sur la base d'un fermage proposé par la SCEA [D]-Dutheil à 9 hectolitres par hectare,

- Ou à défaut d'accord entre les parties ordonner une expertise judiciaire pour établir la valeur locative des parcelles n'ayant pas fait l'objet de la résiliation amiable aux fins de fixation de cette valeur locative dans le cadre du renouvellement du bail ou de l'action en révision du prix de fermage,

A titre subsidiaire,

- infirmer le jugement au Tribunal paritaire des baux ruraux de Tours du 3 septembre 2024 en ce qu'il a prononcé la nullité du bail du 1er novembre 1989,

En conséquence,

- juger que ce bail est régulier et valide par application de la théorie du mandat apparent,

- juger prescrite l'action en nullité du bail de 1989 de Mmes [S] [H] épouse [C], [O] [H] épouse [Z] et [A] [H] épouse [I],

A défaut,

- juger que le bail de 1979 n'a pas fait l'objet d'une session illicite,

- confirmer que ce bail est un bail à ferme et fixer la valeur locative sur une base 9 hectolitres par hectare,

- ordonner une expertise judiciaire aux fins de fixation de cette valeur dans le cadre de l'action en renouvellement du bail ou à défaut de l'action révision du prix de fermage,

En toute hypothèse,

- débouter Mmes [S] [H] épouse [C], [O] [H] épouse [Z] et [A] [H] épouse [I] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner Mmes [S] [H] épouse [C], [O] [H] épouse [Z] et [A] [H] épouse [I] à verser à la SCEA [D]-Dutheil et à M. [R] [D]-Dutheil une somme de 4.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les mêmes aux entiers dépens.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 8 avril 2025, soutenues oralement, Mmes [S] [H] épouse [C], [O] [H] épouse [Z] et [A] [H] épouse [I] demandent à la cour de :

- confirmer en tous points le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Tours du 3 septembre 2024 ;

- condamner solidairement M. [R] [D] et la SCA [D]-Dutheil P. et Fils aux entiers dépens ainsi qu'à la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

Sur l'existence d'un bail rural verbal au profit de la SCEA [D]-Dutheil ou à défaut de M. [R] [D]-Dutheil

Moyens des parties

Les appelants font plaider qu'en dépit du bail de 1979, les intimées ont adressé à la SCEA [D] Dutheil, prise en la personne de son gérant, le 20 mars 2015, un courrier par lequel elles lui faisaient parvenir le relevé d'identité bancaire du compte de Mme [P] [H] afin de faciliter les démarches de versement, à savoir le règlement du fermage, alors qu'elles soutiennent qu'il n'est pas démontré que les terres initialement louées à [J] et [F] [D] avaient été mises à la disposition de la SCEA. Ils en déduisent qu'elles ont reconnu l'existence d'un bail rural de façon claire et non équivoque au bénéfice de celle-ci ; acceptation corroborée par le courrier adressé le 25 février 2017 par Mme [P] [H] à M. [R] [D] en qualité de gérant de la SCEA, avec copie à ses filles, lui demandant de lui faire parvenir la facture de fermage 2016 et les factures de fermages précédentes pour établir l'historique de comptes financiers, ce qui confirme qu'il existait une relation locative directe avant le 25 février 2017, relation qui a débuté à minima le 29 mars 2015, dès lors qu'en demandant la facture de fermage 2016, réglable à terme échu, Mme [H] mère et ses filles reconnaissaient que le bail direct avec la SCEA avait débuté une année plus tôt et ils en déduisent que cette date, au plus tard, doit être retenue comme point de départ du bail à la SCEA.

Ils indiquent que par la suite, les échanges entre les parties corroboraient une nouvelle fois le caractère non équivoque de la relation locative entre les intimées et la SCEA, ainsi, le 2 mai 2017, Mme [A] [I], avec copie à ses soeurs, écrivait directement au service comptabilité de la SCEA pour lui adresser les dégrèvements consécutifs aux gels, inondations et sécheresses, permettant ainsi le calcul par la locataire, en l'occurrence la SCEA, du montant du fermage (pièce n°5) ; le 7 janvier 2020, Mme [O] [Z] s'adressait une nouvelle fois à M. [R] [D] en qualité de gérant de la SCEA, au [Adresse 1], siège social de la société, lui demandant une nouvelle fois les éléments nécessaires à l'établissement du fermage 2019 (pièce n°6), alors qu'il n'y est pas personnellement domicilié ; le 31 août 2020, Maître [B], notaire des intimées, écrivait à la SCEA, précisant qu'en suite du décès de leur mère [P] [H], Mmes [C], [Z] et [I] avaient récupéré la jouissance individuelle des vignes « exploitées par vous », lui indiquait la répartition des parcelles, lui précisant que les intimées sollicitaient la conclusion d'un bail à long terme avec la société, et ce bien évidemment dans la continuité de la situation locative précédente et d'ores et déjà admise ; le 25 janvier 2020, le conseil même des intimées écrivait à M. [R] [D] au [Adresse 1], siège social de la SCEA, en lui demandant de justifier des modalités de règlement du calcul du fermage.

Ils en déduisent qu'il en résulte l'existence claire et non équivoque d'un bail rural entre la SCEA et les intimées portant sur l'ensemble du parcellaire objet des baux de 1979 et 1989, l'article L. 411-1 du code rural et de la pêche maritime stipulant qu'il y a bail rural, serait-il verbal, dès lors que sont mis à disposition d'un exploitant personne physique ou morale, des biens agricoles (ici vignes) en vue de les exploiter et moyennant contrepartie financière ; les biens litigieux ont bien été mis à disposition de la SCEA par les intimées et moyennant contrepartie financière aux fins d'exploitation, le tout sans discussion possible ; la SCEA ayant libéré spontanément une partie des vignes qui ont depuis lors été sortie du CVI de la SCEA et ont été mises à disposition par les intimées au profit d'un autre exploitant, avec effet au 1er janvier 2024, il convient donc de juger qu'une résiliation partielle est intervenue s'agissant du bail verbal conclu au bénéfice de la SCEA, bail qui ne peut être qu'un bail à ferme et il y lieu de fixer le prix du fermage conformément à l'arrêté préfectoral.

Mmes [H] répondent que pour qu'il y ait existence claire et non équivoque d'un bail au bénéfice de la SCEA il aurait été nécessaire qu'il y ait dans les échanges entre les parties une indication selon laquelle le bail de 1979, voire celui de 1989, était résilié ; la SCEA existait lors de la conclusion du bail de 1979 au profit de [J] et [F] [D], de sorte qu'elle ne pouvait exploiter qu'en vertu, - d'une cession ou d'un apport du droit au bail, l'une comme l'autre étant illicite, - d'une mise à disposition selon les articles L. 411-37 (à l'époque 824) du code rural ; matériellement, c'est la société qui exploite les biens qui lui sont mis à disposition et c'est elle qui concrètement et solidairement est redevable du fermage, dès lors, il n'est pas anormal de s'adresser à elle, sans que cela remette en cause le fait que les preneurs étaient [J] et [F] [D] et non la SCEA.

Elles ajoutent qu'elles n'ont fait que poursuivre des pratiques antérieures sans que cela puisse valoir consentement clair et non équivoque à la conclusion d'un bail au profit de la SCEA qui serait différent du bail de 1979.

Réponse de la cour

Il faut rappeler que l'article L. 411-1 alinéa 1er du code rural et de la pêche maritime dispose que toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l'article L. 311-1 est régie par les dispositions du présent titre, sous les réserves énumérées à l'article L. 411-2 et que la preuve de l'existence des contrats visés dans le présent article peut être apportée par tous moyens, ce qui autorise le bail verbal, - que, dès lors que les quatre conditions précisément énoncées par l'article L.411-1 (mise à disposition, à titre onéreux, d'un immeuble agricole, avec pour destination voulue d'exercer une activité agricole définie à l'article L. 311-1 du code rural ) sont réunies, un bail à ferme est caractérisé, sans que les parties puissent y renoncer puisque cette définition est d'ordre public.

M. [R] [D] et la SCEA [D] Dutheil, qui reconnaissent l'existence du bail régularisé le 29 novembre 1979 par M. [L] [H] à M. [J] [D] et M. [F] [D] comme l'existence de celui régularisé le 1er novembre 1989 consenti par Mme [P] [E] veuve [H] à M. [F] [D] et M. [J] [D] sur les mêmes parcelles ne peut contester que le bail verbal dont elle demande la reconnaissance porte sur des parcelles louées selon les baux précités.

La reconnaissance du bail rural verbal étant subordonnée à la résiliation préalable de ces baux précédents (Cass. 3e civ., 17 févr. 2022, n° 21-10.341), ce qui n'est pas le cas, puisqu'il porterait sur les mêmes parcelles, il y a lieu de débouter les appelants de leur demande.

Sur la validité du bail du 1er novembre 1989 consenti par Mme [P] [E] veuve [H] à M. [F] [D] et M. [J] [D]

Moyens des parties

Les appelants indiquent qu'à son décès le 29 juillet 1981, [L] [H] a laissé pour lui succéder Mme [P] [E], son épouse, usufruitière, et leurs trois filles nues propriétaires, aux termes d'un acte de donation passé le 23 juin 1982 en l'étude de Maître [T], notaire ; [P] [E] veuve [H] est décédée le 24 octobre 2018.

Ils relèvent que dans leurs conclusions, les intimées indiquent que le bail du 1er novembre 1989 dispose de termes et conditions identiques à ceux du bail précédemment conclu en 1979 ; ne les contestant pas, ils en déduisent qu'elles acceptent ces conditions énoncées au bail de 1989 portant la signature d'[P] [H], seul étant contesté l'absence de signature des intimées, le bail ayant été régularisé à l'époque où elles étaient devenues nues-propriétaires des biens loués.

Ils se prévalent de ce fait, de la théorie du mandat apparent, les circonstances les ayant amenés à ne pas vérifier le mandat, en d'autres termes à ne pas en douter, d'autant que, Mme [P] [H] s'est présentée comme seule propriétaire, se substituant à son époux, ce dernier étant décédé de longue date, elle était à même d'indiquer aux locataires qu'elle n'était pas pleinement propriétaire des biens mais uniquement usufruitière, une donation étant intervenue le 23 juin 1982, de longue date, elle était parfaitement informée du fait qu'elle était usufruitière.

Ils font valoir que dans un courrier du 25 février 2017 adressé à M. [R] [D], avec ses filles en copie, Mme [P] [H] lui demande la communication du fermage 2016 et indique, désormais selon ma volonté, ce sont mes filles qui gèrent mes biens, sans indiquer qu'elle est usufruitière, ce qui prouve qu'elle se considère seule propriétaire des terres litigieuses, délégant à ses filles le suivi du règlement des loyers ; ce n'est que le 28 janvier 2020 qu'il sera indiqué à M. [R] [D] la volonté de Mmes [H] d'établir un bail de fermage, demande faisant suite au décès de leur mère le 24 octobre 2018. Ils s'estiment fondés à se prévaloir du mandant apparent.

Ils se prévalent de la prescription de l'article 2224 du code civil en soutenant que le 29 mars 2015, Mme [A] [H], écrivant pour son compte et celui de ses soeurs, lui adressait un relevé d'identité bancaire de sa mère aux fins de faciliter le versement de la contrepartie financière de la location des terres, précisant que cette dernière était hébergée à l'EHPAD. Ils en déduisent que les intimées, informées de la situation locative, devaient agir avant le 29 mars 2020 pour solliciter la nullité du bail, ajoutant que si l'on tient compte du courrier du 25 février 2017 par lequel Mme [H] demande à M. [R] [D] la facture du fermage 2016, de sorte qu'elle le considère comme exploitant, les intimées devaient agir au plus tard le 17 février 2022 alors qu'elles ont saisi le tribunal par requête du 3 mars 2022.

Mmes [H] répondent que les échanges entre les parties sont nécessairement intervenus dans la continuité du bail de 1979 puisqu'elles n'ont eu connaissance du bail de 1989 qu'en 2021, et en ont obtenu copie en cours de procédure et, en tout cas, la prescription ne commence à courir qu'à compter de la cessation du manquement au bail alors que celle-ci perdure encore.

Elles font valoir que M. [R] [D] ne pouvait ignorer que Mme [P] [H] n'était pas pleine propriétaire des biens loués, d'autant qu'il avait une parfaite connaissance de l'existence de ses 3 filles, en raison des liens d'amitié liant [L] [H] à [J] et [F] [D], quand bien même la donation n'aurait pas été portée à sa connaissance et qu'il appartenait au preneur de s'assurer des pouvoirs de Mme [P] [H].

Réponse de la cour

Selon l'article 595, alinéa 4, du code civil, l'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural (Cass. 3e civ., 13 janv. 2015, n° 13-24.907).

En raison des liens d'amitié unissant les parties, Mme [O] [H] tutoyant M. [R] [D] dans un courrier du 7 janvier 2020, ce dernier ne pouvait ignorer que [L] [H] laissant pour lui succéder, outre son épouse, ses 3 filles, il en résultait que la première n'était pas seule propriétaire des biens. Il lui appartenait, en tout cas, d'effectuer des recherches élémentaires sur la propriété du bien qu'il se proposait de prendre en location (Cass. 3e civ., 20 mai 2014, n° 13-11.314) et ne peut donc se prévaloir d'une quelconque apparence.

Pour ce qui concerne la fin de non recevoir tirée de la prescription, l'action en nullité du bail doit être intentée dans un délai de 5 ans à compter du moment où le nu-propriétaire a eu connaissance de l'acte litigieux. Faute d'établir la date à laquelle Mmes [H] ont eu connaissance du bail de 1989, la prescription de leur action ne peut être admise puisque si les appelants se prévalent d'un courrier de Mme [P] [H], avec copie à ses filles, aucune mention de ce bail n'y figure, la demande portant, notamment, sur la liste des parcelles et l'historique des comptes financiers, ce qui prouve que Mmes [H] n'étaient en possession d'aucun document, étant précisé que ce bail, pièce appelants n°2, mentionne les parcelles louées.

Le jugement est donc confirmé en ce qu'il déclare le bail nul pour avoir été consenti par l'usufruitière seule, sans l'accord des nues-propriétaires. Il n'y a donc pas lieu d'analyser le bail afin de déterminer s'il s'agit d'un bail à ferme ou à métayage.

Sur la résiliation du bail de 1979

Moyens des parties

Les appelants font plaider que la cession illicite du bail implique, au sens des dispositions de l'article L.411-35 du Code rural et de la pêche maritime, qu'elle ait été opérée au profit du descendant du preneur d'origine ou au profit d'une société sans l'accord préalable du ou des propriétaires alors que deux éléments permettent de considérer qu'aucune cession illicite n'est intervenue que ce soit au profit de M. [R] [D] ou que ce soit au profit de la SCEA [D]-Dutheil ; en premier lieu, M. [R] [D] est fondé à se prévaloir des dispositions de l'article L.411-34 du code rural, [F] [D] est décédé en 2016, peu de temps après avoir mis fin à ses fonctions de gérant de la SCEA le 21 mars 2016, à cette date, son fils [R] était déjà associé exploitant de la SCEA et gérait la conduite effective et directe de l'exploitation des vignes propriétés des intimées de longue date, puisqu'il ressort de l'extrait KBIS de la SCEA [D]-Dutheil que M. [R] [D] en était déjà associé le 6 avril 1993 ; des pièces produites aux débats, il ressort qu'à minima en 2015, à supposer que la Cour déboute les appelants de la reconnaissance d'un bail directement à la SCEA, que M. [R] [D] était bien considéré par les intimées comme l'exploitant en place, et il démontre qu'il a poursuivi l'exploitation des parcelles objet du bail rural ; en second lieu, il n'est pas plus démontré une cession illicite au bénéfice de la SCEA, puisqu'il n'est pas contesté que n'a jamais été régularisée une demande d'apport du droit au bail au profit de la SCEA, pour la simple raison qu'il existait un bail directement consenti par les intimées à la SCEA [D]-Dutheil. Il en déduit que le jugement doit être infirmé.

Mmes [H] font d'abord valoir la résiliation du bail de 1979 en raison d'une cession prohibée, en soutenant que les biens objet du bail de 1979 ont été, dès l'origine, mis en valeur par la SCEA [D] Dutheil Père & Fils dont l'activité a débuté en 1974 avec pour associés fondateur [J] et [F] [D], père d'[R] [D], et Mme [X] [D] ; le 1er octobre 1997, M. [J] [D] a fait valoir ses droits à la retraite et a mis fin à ses fonctions de gérant ; le 27 décembre 1999, MM. [F] et [J] [D] ont fait apport à une société commerciale [D] Dutheil Holding de la totalité, sauf une part, des parts sociales qu'ils possédaient dans la SCEA [D] Dutheil Père & Fils ; il en résulte que depuis cette date, cette dernière exploite irrégulièrement les biens loués, la société n'étant plus constituée de seules personnes physiques et il s'ensuit une première cession de bail illicite sanctionnable par la résiliation du bail ; le 9 mai 2009, M. [F] [D] a cédé la part qu'il détenait encore à son fils [R], de sorte qu'il n'était plus associé de la SCEA ; lors de l'assemblée générale du 21 mars 2016, M. [F] [D] a démissionné de la gérance de la SCEA ; ni lors de son retrait de la société ni lors de la fin de ses fonctions, il n'a été fait mention d'une cession à son fils [R] de ses droits dans le bail du 29 novembre 1979 et il n'est pas soutenu que M. [F] [D] ait poursuivi personnellement l'exploitation des biens loués. Elles considèrent que depuis le 9 mai 2009, MM. [J] et [F] [D] ayant tous deux cessé leur activité d'exploitant, il est intervenu une cession de bail illicite au profit de la SCEA, cession sanctionnée par la résiliation du bail.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime, En cas de décès du preneur, le bail continue au profit de son conjoint, du partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité, de ses ascendants et de ses descendants participant à l'exploitation ou y ayant participé effectivement au cours des cinq années antérieures au décès.

L'article L. 411-35 de ce code dispose que, (...) toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipés. A défaut d'agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le tribunal paritaire.

A l'énoncé de l'article L. 411-38 de ce code, Le preneur ne peut faire apport de son droit au bail à une société civile d'exploitation agricole ou à un groupement de propriétaires ou d'exploitants qu'avec l'agrément personnel du bailleur et sans préjudice du droit de reprise de ce dernier. Les présentes dispositions sont d'ordre public.

M. [R] [D], qui prétend avoir poursuivi l'exploitation des parcelles objet du bail depuis 2015, ne prouve ni n'allègue avoir sollicité la cession du bail consenti à son père à son profit, conformément à l'article L. 411-35. Les dispositions du code rural et de la pêche étant d'ordre public, il en découle qu'il n'a jamais été titulaire du bail conclu en 1979.

Il en est de même de la SCEA [D]-Dutheil à laquelle le droit au bail n'a pu être apporté, en l'absence de preneur régulier, MM. [J] et [F] [D], preneurs du bail de 1979, ayant tous deux cessé leur activité d'exploitant depuis le 9 mai 2009, M. [R] [D] n'ayant jamais eu la qualité de preneur.

En conséquence, le jugement qui déclare tant M. [R] [D] que la SCEA occupants sans droit ni titre ne peut qu'être confirmé. Il sera également confirmé en ce qu'il ordonne l'expulsion des occupants, fixe le montant de l'indemnité d'occupation et prononce une astreinte qui, par contre, commencera à courir dans le délai de trois mois à compter de la signification du présent arrêt, à défaut de libération des parcelles.

Sur les demandes annexes

M. [R] [D] et la SCEA [D]-Dutheil, in solidum, seront condamnés au paiement des entiers dépens d'appel et à verser à Mmes [H] une indemnité de procédure de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, eux-mêmes étant déboutés de leur demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe, rendu en dernier ressort ;

Confirme le jugement, en toutes ses dispositions, sauf à fixer le point de départ de l'astreinte à trois mois à compter de la signification du présent arrêt, à défaut de libération des parcelles ;

Y ajoutant ;

Déboute la SCEA [D]-Dutheil P et Fils de sa demande de reconnaissance d'un bail verbal sur les parcelles ainsi cadastrées :

Commune de [Localité 2] : 1ha 74a 98ca

- [Cadastre 14] [Localité 30]

- [Cadastre 15] [Localité 30]

- [Cadastre 5] [Localité 25]

Commune de [Localité 12] : 1ha 84a 85ca

- [Cadastre 19] [Localité 31]

- [Cadastre 20] [Localité 31]

- [Cadastre 13] [Localité 27] ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne M. [R] [D] et la SCEA [D]-Dutheil P et Fils, in solidum, au paiement des entiers dépens d'appel ;

Les déboute de leur demande d'indemnité de procédure ;

Condamne M. [R] [D] et la SCEA [D]-Dutheil P et Fils, in solidum, à verser à Mmes [S] [H] épouse [C], [O] [H] épouse [Z] et [A] [H] épouse [I] une indemnité de procédure de 4 000 euros.

Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de Chambre et Mme Karine DUPONT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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