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Décisions

CA Versailles, ch. soc. 4-4, 23 juillet 2025, n° 23/00043

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 23/00043

23 juillet 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80J

Chambre sociale 4-4

ARRET N°

REPUTE CONTRADICTOIRE

DU 23 JUILLET 2025

N° RG 23/00043

N° Portalis DBV3-V-B7H-VTJ3

AFFAIRE :

[D] [E]

C/

Société [F]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 décembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PONTOISE

Section : E

N° RG : F 21/00412

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Anissa BOURGUIBA

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT TROIS JUILLET DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [D] [E]

né le 4 décembre 1988 à [Localité 7] (95)

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Anissa BOURGUIBA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D2048

APPELANT

****************

Société DE [L] prise en la personne de Me [Y] [T] [F] - mandataire liquidateur de la société JM ET VOUS

[Adresse 1]

[Localité 5]

Non représentée

INTIMEE

****************

UNEDIC délégation AGS CGEA [Localité 8]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Non représentée

PARTIE INTERVENANTE

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 6 juin 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,

Greffier lors des débats : Madame Meriem EL FAQIR

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [E] a été engagé par la société J.M et vous en qualité chef pâtissier, par contrat de travail à durée indéterminée, stipulant une période d'essai de 4 mois, à compter du 1er janvier 2021.

La société J.M et vous a pour activité des services des traiteurs. L'effectif de la société, était au jour de la rupture de plus de 11 salariés, en l'occurrence, 27.

La convention collective nationale applicable est celle des hôtels, cafés, restaurants.

M. [E] a été placé en arrêt de travail du 19 janvier au 3 mars 2021, consécutivement à un accident du travail survenu le 19 janvier 2021.

Par lettre du 5 mars 2021, la société a mis fin à la période d'essai à effet du 19 mars 2021.

Par requête du 2 août 2021, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise en contestation de la rupture de sa période d'essai et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.

A l'occasion du bureau de conciliation et d'orientation, M. [E] a formulé une demande provisionnelle correspondant au délai de prévenance. Le bureau de conciliation a fait droit à sa demande.

Par requête du 24 mai 2022, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise en formation de référé aux fins de paiement des sommes allouées par le bureau de conciliation et d'orientation.

Par ordonnance du 18 juillet 2022, le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise, en formation de référé a :

. condamné la société J.M et vous à payer à M. [E] les sommes suivantes :

10 551,72 euros net au titre de l'indemnité de non-concurrence,

500 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 15 décembre 2022, le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise (section encadrement) a :

. confirmé l'ordonnance provisionnelle rendue par le bureau de conciliation et d'orientation du 2 décembre 2021 (minute 21/481),

.condamné la société J.M à verser, en deniers ou quittance, à M. [E] la somme de : 1 465,51 euros au titre du délai de prévenance,

.confirmé l'ordonnance rendu par la formation de référé le 18 juillet 2022 (RG R.22/52 ' minute 22/62),

.condamné la société J.M à verser, en deniers ou quittance, à M. [E] la somme de : 10 551,72 euros net au titre de l'indemnité de non-concurrence,

.débouté les parties du surplus de leurs demandes,

.mis les éventuels dépens de l'instance à la charge des parties pour moitié.

Par déclaration adressée au greffe le 3 janvier 2023, M. [E] a interjeté appel de ce jugement.

Tandis que l'affaire avait été clôturée par ordonnance du 22 octobre 2024, le tribunal de commerce de Pontoise, par décision du 4 novembre 2024, a prononcé la liquidation judiciaire de la société J.M et vous et désigné la Selarl de [L] en qualité de liquidateur judiciaire. Cette décision a été prise dix jours avant l'audience de plaidoirie et n'a été connue de l'appelant et de la cour que pendant le délibéré, qui avait été fixé au 15 janvier 2025.

Par arrêt du 15 janvier 2025 (RG n°23/00043), la cour d'appel de Versailles a :

. ordonné la réouverture des débats à l'audience du 6 juin 2025 pour permettre :

à M. [E] de mettre en cause les organes de la procédure collective et l'AGS,

à chaque partie de conclure le cas échéant avant cette date,

. enjoint les parties de conclure selon le calendrier suivant :

jusqu'au 28 février 2025 pour l'appelant pour régulariser ses conclusions à la suite de l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société J.M et vous,

jusqu'au 11 avril 2025 aux intimés,

jusqu'au 11 mai 2025 à l'appelant pour répondre.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 27 mai 2025.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie postale reçues le 28 février 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [E] demande à la cour de :

. débouter la société J.M de l'intégralité de ses demandes

. déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par M. [E]

. Confirmer le jugement du conseil des prud'hommes en date du 15 décembre 2022 en ce qu'il a :

Confirmé l'ordonnance provisionnelle rendue par le bureau de conciliation et d'orientation du 2 décembre 2021 et condamné la société J .M à verser, à M. [E] la somme de 1 465,51 euros au titre du délai de prévenance

- Confirmé l'ordonnance rendue par la formation de référé le 18 juillet 2022 et condamné la société J.M à verser, à M. [E] la somme de 10 551,72 euros net à titre d'indemnité de non-concurrence

. Infirmer le jugement du conseil des prud'hommes en date du 15 décembre 2022 en ce qu'il a débouté M. [E] du surplus de ses demandes et mis les dépens de l'instance à la charge des parties pour moitié

Statuant à nouveau, il est demandé à la cour de :

1. prononcer la nullité de la rupture de la période d'essai en date du 5 mars 2021 à titre principal sur le fondement de la discrimination (article L. 1132-1 du code du travail) et à titre subsidiaire sur le fondement de la violation de l'article 1226-9 du code du travail,

en conséquence,

. fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société J.M la somme de 128 965,32 euros à titre de dommages et intérêts pour nullité de la rupture de la période d'essai,

2. constater la discrimination subie par M. [E] en raison de son état de santé et fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société J.M la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts,

3. juger que la société J.M a violé l'article L. 1226-9 du code du travail (rupture de la période d'essai durant la suspension du contrat de travail) et fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société J.M la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts,

4. condamner la société J.M à verser à M. [E] la somme de 600 euros au titre du matériel détérioré,

En tout état de cause,

. fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société JM la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

. enjoindre Maître [F] es qualité de liquidateur judiciaire à remettre à M. [E] l'attestation France travail, le solde de tout compte et les bulletins de salaires conformes à ses prétentions sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du prononcé de la décision ;

. dire que les sommes fixées au passif de la société JM porteront intérêt au taux légal de la date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation jusqu'à la date d'ouverture de la procédure collective,

. dire que l'arrêt à intervenir sera opposable à l'AGS-CGEA et que celle-ci sera tenu à garantie à l'égard des sommes dues à M. [E] dans les conditions et limites prévues aux articles L 3253-8 et suivants et des plafonds prévus aux articles L 3253-17 du code du travail et D 3253-5 du code du travail

. dire que les dépens seront inscrits au titre des créances privilégiées de liquidation judiciaire conformément à l'article 622-7 du code de commerce.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 octobre 2023 aux termes desquelles la société J.M, alors in bonis, demandait à la cour de :

. Infirmer le jugement entrepris ;

. Dire que la rupture de la période d'essai est régulière ;

. Débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes ;

. Condamner M. [E] à payer à la société J.M la somme de 1 465,51 euros, versée sur décision de la formation de référé ;

. Condamner M. [E] à payer à la société J.M la somme de 10 551, 72 euros indûment versée au titre de l'indemnité de non concurrence ;

. Condamner M. [E] à verser à la société J.M. la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

. Condamner M. [E] aux entiers dépens.

Ni l'AGS ni le liquidateur judiciaire, régulièrement mis en cause ainsi qu'il sera dit ci-après, n'ont constitué avocat.

MOTIFS

A titre liminaire, et en premier lieu, la société J.M. et vous n'étant plus valablement représentée que par son liquidateur judiciaire, la Selarl de [L], la société J.M. et vous ayant perdu sa qualité à agir par l'effet du jugement de liquidation judiciaire et ne formulant pas de demande ressortant d'un droit propre, la cour relève qu'à défaut de conclusions du liquidateur, l'appel incident formé par la société J.M. et vous n'est plus soutenu et la cour n'est plus saisie d'aucun moyen régulièrement dirigé contre les chefs du jugement initialement critiqués par la société.

En second lieu, le salarié a fait signifier à l'AGS et au liquidateur une assignation en intervention forcée :

. par acte de commissaire de justice du 13 mars 2025 à l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 8] remis à personne habilitée à recevoir l'acte,

. par acte de commissaire de justice du 11 mars 2025 à la Selarl de [L], prise en la personne de Maître [Y] [T] [F] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société J.M et vous, remis à personne habilitée à recevoir l'acte.

Le présent arrêt sera en conséquence réputé contradictoire.

Sur la nullité de la rupture de la période d'essai et la demande de dommages-intérêts pour discrimination

Le salarié expose d'abord que la rupture de sa période d'essai est nulle car consécutive à une discrimination en raison de son état de santé, se fondant en cela sur la chronologie des événements, et ensuite qu'elle est nulle car prononcée durant une période de suspension consécutive à un accident du travail.

En application de l'article 954 du code de procédure civile, le liquidateur judiciaire et l'AGS sont présumés s'approprier les motifs du jugement suivants : « M. [E] n'apporte aucun élément probant liant directement la rupture de sa période d'essai et son accident et n'établit pas la discrimination qu'il invoque.

Il se réfère à titre subsidiaire à l'article L. 1226-9 du code du travail. Cet article appartient au chapitre VI « Maladie, accident du travail et inaptitude médicale », section 1 « Absences pour maladie ou accident ». Ce texte vise une rupture pendant la suspension du contrat de travail suite à un arrêt.

En l'espèce, l'arrêt de travail de M. [E] s'arrête le 3 mars 2021.

La société fait part de son intention de rompre la période d'essai le 5 mars 2021 avec cessation du contrat le 19 mars donc hors de la durée de l'arrêt.

En cas de rupture de la période d'essai par l'un des contractants, il n'est pas nécessaire de motiver cette décision.

Toutefois, la société J.M. et vous a indiqué au salarié un délai de prévenance de 15 jours.

Le Conseil constate la validité de la rupture de la période d'essai et en conséquence déboute M. [E] de ses demandes à ce titre ».

***

L'article L. 1226-9 du code du travail dispose qu'au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.

La résiliation du contrat de travail pendant la période de suspension provoquée par un accident du travail est nulle même si elle intervient pendant la période d'essai, et l'impossibilité de maintenir le contrat pendant cette même période ne peut résulter que de circonstances indépendantes du comportement du salarié (Soc., 12 mai 2004, pourvoi n°02-44.325, publié).

Par ailleurs, il ressort de l'article L. 1132-1 du code du travail dispose qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son état de santé ou de son handicap.

Il n'appartient pas au salarié qui s'estime victime d'une discrimination d'en prouver l'existence. Suivant l'article L. 1134-1, il doit seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination. Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Enfin, il ressort de l'article L. 1132-4 du code du travail que tout acte pris en méconnaissance des dispositions relatives à la discrimination est nul.

En l'espèce, et en premier lieu, le contrat de travail du 1er janvier 2021 prévoit en son article 7 que « le présent contrat ne deviendra définitif qu'à l'expiration d'une période de 4 mois qui pourra être prolongée d'une période de 4 mois conformément à la convention collective applicable. Toute suspension qui se produirait pendant la période d'essai (maladie, congés') prolongerait d'autant la durée de cette période, qui doit correspondre à un travail effectif. Pendant cette période d'essai, chaque partie pourra mettre fin au contrat dans les conditions prévues par la convention collective pour la rupture de la période d'essai ».

Par lettre du 5 mars 2021, la société a manifesté au salarié son intention de mettre fin à la période d'essai à compter du 19 mars 2021.

Or, le salarié avait antérieurement fait l'objet d'un arrêt de travail consécutivement à un accident du travail entre le 19 janvier 2021 et le 3 mars 2021.

Selon l'article R. 4624-31 du code du travail, le travailleur bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail :

1° Après un congé de maternité ;

2° Après une absence pour cause de maladie professionnelle ;

3° Après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel.

Dès que l'employeur a connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l'examen de reprise le jour de la reprise effective du travail par le travailleur, et au plus tard dans un délai de huit jours qui suivent cette reprise.

Tant que la visite de reprise prévue par l'article susvisé n'a pas eu lieu, le contrat de travail reste suspendu.

Or, au cas d'espèce, au terme de l'arrêt de travail pour cause d'accident du travail, qui avait duré plus de 30 jours, le salarié n'a pas bénéficié d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail.

Il en résulte que lorsque l'employeur a notifié au salarié la rupture de sa période d'essai, son contrat de travail était toujours suspendu. Or, l'employeur n'a à cette occasion ni excipé d'une faute grave de l'intéressé, ni de son impossibilité de maintenir son contrat de travail pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.

De là il découle que la rupture de la période d'essai est nulle de ce seul chef.

Le salarié demandant, en plus de la nullité de la période d'essai, des dommages-intérêts en raison de la discrimination qu'il prétend avoir subie, il convient également, en second lieu, d'examiner la question de la discrimination en raison de son état de santé.

A ce titre, le salarié se prévaut de la chronologie précitée et du fait que le 3 mars, dernier jour de son arrêt de travail, l'employeur lui a adressé un texto lui indiquant qu'il « doit lui parler », ajoutant : « si tu reprends toujours demain, on se donne rdv au labo demain matin 9h » (pièce 12 du salarié) étant précisé qu'il n'est pas contesté que lors dudit rendez-vous, il lui a été annoncé la rupture de sa période d'essai.

Ces éléments laissent supposer l'existence d'une discrimination en raison de son état de santé. Il revient par conséquent à l'employeur de justifier que sa décision de rompre la période d'essai est motivée par des raisons objectives étrangères à toute discrimination.

Or, en première instance, la société se bornait à exposer que l'employeur n'a pas à motiver sa décision pour mettre fin à la période d'essai ainsi que l'a rappelé le conseil de prud'hommes.

Au contraire, parce que la cour a retenu que les éléments présentés par le salarié laissaient supposer une discrimination, il revenait à l'employeur de justifier que sa décision de rompre la période d'essai était étrangère à toute discrimination.

A cet égard, il convient de rappeler que selon l'article L. 1221-20 du code du travail, la période d'essai est conçue, notamment, pour permettre à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience.

Or, le salarié n'a en définitive travaillé pour l'employeur que du 1er au 19 janvier 2019. Durant cette période très courte, loin des quatre mois prévus initialement, il n'est pas possible que l'employeur ait pu se forger une représentation aussi exacte que possible des compétences du salarié et de ses qualités professionnelles, étant relevé que pendant ces quelques jours de travail, l'employeur n'invoque aucun manquement du salarié.

En tout état de cause, l'employeur ne présente aucun élément objectif propre à justifier des raisons pour lesquelles il a mis fin à la période d'essai du salarié après une période aussi brève.

La discrimination en raison de l'état de santé du salarié est donc établie.

Il en résulte que, de ce chef également, la rupture est nulle et que le salarié a subi un préjudice qu'il convient de réparer par une indemnité de 2 000 euros tant sur le fondement de la discrimination que sur celui de la violation de l'article L. 1226-9 du code du travail, somme qui, par voie d'infirmation, sera fixée au passif de la société J.M et vous.

La rupture du contrat de travail du salarié étant nulle, le salarié peut prétendre à une indemnité pour rupture abusive de la période d'essai dont le juge évalue souverainement le préjudice ( Soc., 9 janv. 2019, pourvoi nº 17-31.754).

Compte tenu de l'ancienneté du salarié, de son niveau de rémunération (2 931,03 euros bruts mensuels auxquels s'ajoute la prime de production, d'un montant de 500 euros, mais pas la prime exceptionnelle de 113,94 euros en raison, précisément, de son caractère exceptionnel), de ce que le salarié ne justifie cependant pas de ses recherches d'emploi postérieurement à la rupture ni de sa situation, il convient, d'évaluer à 7 000 euros le préjudice qui résulte, pour lui, de la perte injustifiée de son emploi et, par voie d'infirmation de fixer cette somme au passif de la société J.M et vous.

Sur la demande de dommages-intérêts au titre du matériel détérioré

Le salarié expose avoir mis à disposition de l'entreprise une trancheuse d'une valeur de 600 euros qui lui appartenait et que ce matériel a été détérioré durant son utilisation par un autre salarié. Il ajoute que l'employeur s'était engagé à le remplacer mais qu'il n'a pas honoré sa promesse.

L'employeur est présumé s'approprier les motifs suivants : « M. [E] dit qu'un matériel lui appartenant a été détérioré. Il n'explique pas la présence de ce matériel privé au sein de l'entreprise et ne justifie pas que l'employeur lui ait demandé d'apporter cet appareil ni le quantum de son préjudice (facture de réparation ou de rachat), en conséquence, le Conseil le déboute de ce chef de demande ».

***

Par des motif pertinents que la cour adopte et dont il ressort que le salarié ne justifie ni que l'employeur lui ait demandé d'apporter sa trancheuse ni de l'existence d'un préjudice, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il déboute le salarié de ce chef de demande.

Sur les demandes relatives aux condamnations prononcées par le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et par la formation de référé du conseil de prud'hommes

Dans sa décision ici déférée du 15 décembre 2022, le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise a notamment :

. Confirmé l'ordonnance provisionnelle rendue par le bureau de conciliation et d'orientation du 2 décembre 2021 (minute 21/481) ;

. Confirmé l'ordonnance rendue par la formation de référé le 18 juillet 2022 (dossier RG R.22/52 - minute R.22/62).

S'agissant des condamnations prononcées par la formation de référé

Le conseil de prud'hommes n'est pas juge d'appel de la formation de référé. Par conséquent, il ne pouvait confirmer l'ordonnance du 18 juillet 2022 rendue par le conseil de prud'hommes statuant en référé.

Pour permettre la confirmation, par la cour, de cette décision du 18 juillet 2022, il aurait été nécessaire que l'une des parties relève appel de la décision prise en référé. Or, seul le jugement du 15 décembre 2022 a été déféré à la cour.

Il convient donc de déclarer le salarié irrecevable en sa demande tendant à la confirmation du chef de dispositif du jugement qui confirme l'ordonnance rendue par la formation de référé le 18 juillet 2022.

S'agissant des condamnations prononcées par le bureau de conciliation et d'orientation

Le bureau de conciliation et d'orientation, outre qu'il est chargé de rapprocher les parties, est investi de pouvoirs juridictionnels par l'article R. 1454-14 du code du travail qui s'inscrivent dans le cadre de la mise en état. Il peut trancher immédiatement les difficultés contentieuses de première urgence et en particulier accorder au salarié une provision.

Cela a été le cas en l'espèce puisque le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes lui a accordé une provision de 1 465,51 euros au titre du délai de prévenance dont le salarié a été privé.

Cette mesure était en tout état de cause provisoire et ne s'imposait pas au bureau de jugement qui pouvait ordonner la restitution d'une provision injustement allouée, ou, au contraire, confirmer la décision du bureau de conciliation et d'orientation.

Sauf exception, l'appel et le pourvoi contre une décision du bureau de conciliation et d'orientation ne sont possibles qu'avec le jugement sur le fond ainsi qu'il résulte de l'article R. 1454-16 du code du travail.

Par conséquent, le salarié est recevable à demander la confirmation du chef de dispositif du jugement qui fait droit à sa demande au titre du délai de prévenance.

Sur le fond, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont relevé que le salarié avait droit à un délai de 15 jours de prévenance qui n'ont pas été rémunérés par l'employeur ce qui, par conséquent, justifiait l'octroi d'une indemnité provisionnelle de 1 465,51 euros correspondant auxdits 15 jours.

Le jugement sera de ce chef confirmé sauf à fixer cette somme au passif de la société J.M. et vous.

Sur les intérêts

Le jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 4 novembre 2024 a arrêté le cours des intérêts légaux par application des dispositions de l'article L. 622-28 du code de commerce.

En conséquence, la demande du salarié tendant à « dire que les sommes fixées au passif de la société JM porteront intérêt au taux légal de la date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation jusqu'à la date d'ouverture de la procédure collective » ne peut être accueillie s'agissant des dommages-intérêts qui lui ont été accordés au titre de la discrimination, de l'article L. 1226-9 et de la perte de son emploi par suite de la rupture de sa période d'essai. En effet, ces dommages-intérêts s'analysent en des créances indemnitaires. Or, de telles créances ne naissent que du jour où elles sont judiciairement établies, c'est-à-dire au cas d'espèce, au jour du présent arrêt, lequel est postérieur au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire qui a arrêté le cours des intérêts légaux.

En revanche, les intérêts relatifs à la somme de 1 465,51 euros accordée au salarié au titre du délai de prévenance dont il a été privé courront du jour de la réception, par la société J.M. et vous, de sa convocation devant le bureau de conciliation jusqu'au 4 novembre 2024, jour de la décision du tribunal de commerce de Pontoise par laquelle la liquidation judiciaire de la société J.M. et vous a été prononcée.

Sur la remise des documents

Il conviendra de donner injonction au liquidateur judiciaire de la société J.M. et vous de remettre au salarié une attestation France travail, un solde de tout compte et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte.

Sur la garantie de l'AGS

Le présent arrêt sera déclaré opposable à l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 8] dans la limite de sa garantie et il sera dit que cet organisme ne devra faire l'avance de la somme représentant les créances garanties que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à son paiement,

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement sera infirmé en ce qu'il prononce un partage des dépens.

Statuant à nouveau, les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la liquidation judiciaire de la société J.M. et vous et leur emploi en frais de justice privilégiés sera ordonné.

Il conviendra par ailleurs :

. de confirmer le jugement en ce qu'il déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile relativement aux frais irrépétibles de première instance,

. de dire n'y avoir lieu à condamnations au titre de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant des frais irrépétibles engagés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire, la cour :

DÉCLARE M. [E] irrecevable en sa demande de confirmation du chef de dispositif du jugement confirmant l'ordonnance de référé du 18 juillet 2022,

CONFIRME le jugement en ce qu'il déboute M. [E] de sa demande relative au matériel détérioré, en ce qu'il fait droit à la demande de M. [E] au titre du délai de prévenance dont le salarié a été privé et en ce qu'il déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT nulle la rupture de la période d'essai de M. [E],

FIXE au passif de la société J.M et Vous les sommes suivantes dues à M. [E] :

. 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination en raison de l'état de santé et pour violation de l'article L. 1226-9 du code du travail,

. 7 000 euros au titre de la nullité de la rupture de la période d'essai,

. 1 465,51 euros au titre du délai de prévenance, avec intérêts au taux légal à compter du jour de la réception, par la société J.M. et vous, de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation jusqu'au 4 novembre 2024,

DONNE injonction à la Selarl de [L], liquidateur judiciaire de la société J.M. et vous de remettre à M. [E] une attestation France travail, un solde de tout compte et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision,

REJETTE la demande d'astreinte,

DÉCLARE le présent arrêt opposable à l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 8] dans la limite de sa garantie et dit que cet organisme ne devra faire l'avance de la somme représentant les créances garanties que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à son paiement,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

DIT n'y avoir lieu à condamnations au titre de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant des frais irrépétibles engagés en cause d'appel.

MET les dépens à la charge de la liquidation judiciaire de la société J.M. et vous et ordonne leur emploi en frais de justice privilégiés,

. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Dorothée Marcinek, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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