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Décisions

CA Versailles, ch. soc. 4-4, 23 juillet 2025, n° 23/01601

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 23/01601

23 juillet 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-4

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 23 JUILLET 2025

N° RG 23/01601

N° Portalis DBV3-V-B7H-V5CQ

AFFAIRE :

[Y] [F]

C/

Société AYMING

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 mai 2023 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F19/02290

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Oriane DONTOT

Me Arnaud DOUMENGE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT TROIS DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [Y] [F]

né le 21 novembre 1959 à [Localité 5]

[Adresse 7]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & TEYTAUD SALEH, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617

Plaidant : Me Yann LE GOATER de la SELARL RAMBAUD-LE-GOATER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1229

APPELANT

****************

Société AYMING

N° SIRET : 414 119 735

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Arnaud DOUMENGE de la SELARL NERVAL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L131

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 9 avril 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [F] a été engagé en qualité de juriste international, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 17 février 2006 par la société Alma consulting group, devenue la société Ayming.

Son Kbis indique qu'elle exerce comme activité « Le conseil opérationnel aux entreprises en vue de l'amélioration de leurs résultats nets, par la conception, la commercialisation et la fourniture de tous produits et services, notamment études et audits visant la recherche d'économies, de primes, d'aides et de subventions et plus généralement l'optimisation des comptes de résultat et de bilan dans le domaine de la gestion et de la finance le développement des outils informatiques supportant la collecte et la vérification matérielle des informations utiles à l'appréciation des postes du compte de résultat et du bilan audités. Toutes prestations de services en matière de traitement et de recouvrement de créances et toutes prises de participation et acquisitions commerciales et financières dans tous domaines pouvant se rattacher à son objet social. » L'effectif de la société au jour de la rupture est supérieur à dix salariés. Elle applique la convention collective nationale Syntec.

A compter du 4 mai 2014, le salarié a été placé en mi-temps thérapeutique jusqu'au 10 juin 2014. Il a ensuite été placé en arrêt de travail le 13 novembre 2018, à la suite d'une chute dans l'escalier à son domicile, prise en charge au titre de la législation sur les accidents du travail. Puis il a de nouveau été en arrêt de travail, du 7 juin 2019 au 19 juillet 2019.

Au dernier état de la relation M. [F] exerçait les fonctions de responsable juridique international.

Convoqué par lettre du 20 juin 2019 à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 2 juillet 2019, M. [F] a été licencié par lettre du 11 juillet 2019 pour faute grave dans les termes suivants:

« (') Nous avons le regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute grave, pour les raisons qui auraient dû vous être exposées lors de votre entretien préalable du 2 juillet 2019, auquel vous ne vous êtes pas présenté, étant précisé que lesdites raisons ont été préalablement et synthétiquement portées à votre connaissance par e-mail du 27 juin 2019 (après que vous nous ayez fait part de votre impossibilité d'assister à cet entretien) et sont complétées par les précisions ci-après. Vous exercez au sein de la société Ayming des fonctions de Responsable Juridique International, statut cadre.

Compte tenu de l'importance des responsabilités en découlant et de votre niveau hiérarchique, nous étions légitimement en droit d'attendre de votre part un comportement exemplaire, impliquant notamment que vous:

- agissiez, en toutes circonstances, au mieux des intérêts de la société et du Groupe, notamment en étant le garant proactif de la conformité des contrats, conventions et accords signés au niveau international;

- et adoptiez en toutes circonstances, à l'égard de votre hiérarchie, un comportement loyal et fassiez preuve de transparence dans l'accomplissement de vos missions en assurant un reporting des missions réalisées.

Or, nous venons de prendre très récemment connaissance de manquements de votre part d'une particulière gravité, lesquels sont notamment la résultante d'une absence totale de transparence et de communication de votre part, tant avec votre hiérarchie qu'avec vos différents interlocuteurs au sein du Groupe.

A cet égard, il s'avère en premier lieu que, le 13 juin 2019, une des Juristes de la Direction juridique, qui a repris certains de vos dossiers depuis le début de votre arrêt de travail, nous a alertés sur un certain nombre de clauses figurant dans le contrat STCR02 qui avait pourtant été relu et validé par vos soins, susceptibles d'être fortement préjudiciables aux intérêts de l'entreprise et du groupe.

Après vérifications opérées par nos soins, il s'avère que vous avez validé un contrat commercial négocié avec le client STMicroelectronics (et qui a été conclu depuis lors), alors même pourtant que celui-ci contenait un certain nombre de clauses totalement inacceptables pour notre entreprise d'un point de vue juridique (par exemple, insertion d'une obligation de résultat sur une mission de propriété intellectuelle, renonciation à toute faculté ultérieure de recours contre le client, faculté de résiliation de convenance accordée au client sans aucune contrepartie pour nous, cession du droit de propriété intellectuelle sur l'intégralité de nos livrables, etc.), et ne correspondant en tout état de cause absolument pas aux standards du Groupe.

Or, si vous aviez réalisé vos diligences correctement, avec rigueur et implication, de telles clauses auraient été (immédiatement) identifiées par vos soins et signalées à vos interlocuteurs, ce qui n'a manifestement pas été le cas.

Quoiqu'il en soit, au-delà des risques juridiques majeurs que vous faites ainsi peser sur votre employeur, vos carences nous placent aujourd'hui dans une situation particulièrement délicate à l'égard de notre cliente interne ([N] [W]) et d'un de nos clients grands comptes (STMicroelectronics-STCRO2), nous contraignant à devoir solliciter auprès de ce dernier l'ouverture de nouvelles négociations (alors, pour rappel, que le contrat dont il s'agit a d'ores et déjà été conclu et qu'il n'est donc absolument pas certain qu'il accepte le principe même de telles négociations).

Par ailleurs, et toujours à la faveur de la reprise de vos dossiers pendant votre arrêt de travail, nous avons découverts avec stupéfaction que vous avez entendu valider seul des contrats rédigés en espagnol (alors même pourtant que vous ne parlez pas cette langue), en vous contentant de procéder à leur traduction par le biais du logiciel Google Trad.

Vous n'êtes pourtant pas sans savoir que ce logiciel, s'il permet effectivement de comprendre le sens global d'un document, ne permet absolument pas d'en appréhender les particularités juridiques liées au droit local et, ce faisant, peut être source d'erreurs, d'imprécisions et/ou de contre-sens. Bien plus, en tant que Juriste vous êtes tout particulièrement conscient des spécificités du langage. Juridique, qui plus est quand il s'agit d'un droit local.

Vous avez, ce faisant, agi avec une légèreté blâmable, ce qui est d'autant plus inacceptable que la règle en vigueur au sein du Groupe est de travailler à l'international sur de la documentation rédigée en anglais (de sorte qu'il vous appartenait, avant toute analyse juridique, de solliciter auprès de votre client interne qu'il procède à la traduction en anglais du contrat en cause, et non pas d'intervenir sur un document dont vous n'étiez pas certain d'appréhender pleinement le sens et la portée).

Nous avons par ailleurs très récemment découvert par le Manager Director de notre filiale Italienne que, suite à la fusion Alma Lowendal intervenue en 2015, aucune vérification des contrats n'a été faite et la filiale n'a pu bénéficier de votre appui pour revoir les trames de contrats commerciaux, ni même n'a été alertée par vos soins sur la nécessité le faire, alors pourtant qu'elles ne correspondent absolument pas aux standards du Groupe.

Il vous avait pourtant été demandé de mettre en place des audits des contrats et des comités des risques dans chacune de nos filiales étrangères, cette mission relevant en tout état de cause de votre champ de responsabilités en termes de conformité juridique.

Vous avez ce faisant placé une nouvelle fois l'entreprise et le Groupe dans une situation à risques, alors même qu'en votre qualité de Responsabilité Juridique International nous attendions de votre part tout le contraire, dès lors que votre rôle était d'assurer la conformité juridique des filiales Internationales. Nous sommes enfin au regret de constater, depuis maintenant plusieurs mois, la persistance de problématiques vous concernant en matière de transparence et de communication, ainsi qu'une attitude trop souvent non constructive.

Nous avions pourtant attiré vivement votre attention sur ces problématiques à l'occasion de votre dernier entretien annuel d'évaluation, en insistant sur le fait que vous deviez absolument vous positionner à l'avenir dans une démarche d'accompagnement notamment sur les sujets stratégiques et cesser d'être un frein au début des projets et, plus généralement, que vous adoptiez en toutes circonstances une attitude de nature à favoriser l'échange et la transparence.

Or, loin de prendre en considération ces demandes impératives et légitimes, vous avez manifestement fait le choix, depuis lors, de continuer à vous positionner dans une démarche non conforme, ce qui contraint votre hiérarchie à devoir systématiquement vous relancer pour obtenir des informations sur les dossiers en cours, et ce, au détriment de la qualité et de la fluidité des échanges.

Nous considérons donc que l'ensemble de ces problématiques constitue de graves manquements à vos obligations contractuelles, rendant totalement impossible la poursuite de votre contrat de travail. Nous sommes par conséquent contraints de vous notifier, par la présente et à effet immédiat, votre licenciement pour faute grave, sans indemnité de préavis ni de licenciement. (...) »,

Par requête du 12 septembre 2019, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de contester son licenciement et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.

Par jugement du 16 mai 2023, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section encadrement) a :

. fixé le salaire de référence à 8 435,50 euros

. Débouté M. [F] de sa demande de reconnaissance d'une situation de harcèlement moral ;

. Dit que le licenciement de M. [F] ne relève pas de la faute grave mais d'une cause réelle et sérieuse ;

. Condamné la société Ayming à verser à M. [F] la somme de 36 319,51 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

. Condamné la société Ayming à verser à M. [F] la somme de 25 306,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ainsi qu'à la somme de 2 530,65 euros à titre de congés payés sur préavis ;

. Condamné la société Ayming à verser à M. [F] la somme de 1 501,44 euros à titre d'indemnités de repas ;

. Condamné la société Ayming à verser à M. [F] la somme de 1 500 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

. Débouté M. [F] de toutes ses autres demandes ;

. Ordonné la remise de l'attestation Pôle Emploi rectifiée, du certificat de travail et du bulletin de salaire dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement ;

. Débouté la société Ayming de sa demande reconventionnelle ;

. Dit que les dépens éventuels de l'instance seront à la charge de la société Ayming.

Par déclaration adressée au greffe le 16 juin 2023, le salarié a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 11 mars 2025.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 novembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [F] demande à la cour de :

. Déclarer recevable et bien fondé M. [F] en son appel de la décision rendue le 16 mai 2023 par le conseil de prud'hommes de Nanterre ;

Y faisant droit :

. Annuler, infirmer, à tout le moins réformer ledit jugement en ce qu'il a :

. fixé le salaire de référence à 8 435, 50 euros,

. Débouté M. [F] de sa demande de reconnaissance d'une situation de harcèlement moral ;

. Limité les condamnations de la société Ayming aux sommes suivantes :

. 36 319,51 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

. 25 306,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ainsi qu'à la somme de 2 530,65 euros à titre de congés payés afférents,

.1 500 euros au titre de l'article 700,

. Débouté M. [F] de toutes ses autres demandes,

Et statuant à nouveau :

Sur le rappel de primes

. Condamner la société Ayming à verser à M. [F] une somme de 15 254,50 euros brut à titre de rappel de salaire sur prime, outre congés payés afférents pour une somme de 1 525,45 euros brut, avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2019, date de la convocation de l'employeur devant le Bureau de conciliation et d'orientation ;

Sur le licenciement

. Juger que le licenciement notifié à M. [F] par courrier recommandé avec A/R daté du 11 juillet 2019 est nul et de nul effet comme consécutif à un harcèlement moral ;

. Juger que son licenciement est, à tout le moins, dénué de cause réelle et sérieuse ;

. Fixer le salaire de référence à la somme de 8 785, 50 euros

. Condamner la société Ayming à verser à M. [F] une somme de 40 022,83 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2019, date de la convocation de l'employeur devant le Bureau de conciliation et d'orientation ;

. Condamner la société Ayming à verser à M. [F] une somme de 26.356,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, et de 2.635,65 euros au titre des congés payés y afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2019, date de la convocation de l'employeur devant le Bureau de conciliation et d'orientation ;

. Condamner la société Ayming à verser à M. [F] une somme de 316.278 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, en application des dispositions de l'article L. 1235-3-1 2° du code du travail, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;

. Condamner, à titre subsidiaire, la société Ayming à verser à M. [F] une somme de 101.033,25 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;

. Condamner, à titre subsidiaire, la société Ayming à verser à M. [F] une somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;

. Ordonner la remise d'une attestation Pôle Emploi, d'un Certificat de travail et des Bulletins de paie conformes, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document dans un délai de quinze jours de la notification de l'arrêt à intervenir ;

. Ordonner la communication de l'arrêt à intervenir au Pôle emploi et à l'URSSAF ;

. Condamner la société Ayming, en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, à rembourser au Pôle emploi les allocations de chômage à hauteur du quantum qu'il lui plaira de fixer ;

. Débouter la société Ayming de l'ensemble de ses demandes au titre de son appel incident ;

. Confirmer pour le surplus la décision déférée en ses dispositions non contraires aux présentes et notamment :

. Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la société Ayming à verser à M. [F] une somme de 1 501,44 euros correspondant à une indemnité de repas ;

. Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la société Ayming à verser à M. [F] une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance ;

. Condamner la société Ayming à verser à M. [F] une somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

. Condamner la même aux entiers dépens de 1 ère instance et d'appel et accorder à Maître Oriane Dontot, avocat, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 juillet 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles SAS Ayming demande à la cour de :

À titre principal :

. Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

. Fixé le salaire de référence de M. [F] à 8.435,50 euros ;

. Débouté M. [F] de sa demande de reconnaissance d'une situation de harcèlement moral ;

. Débouté M. [F] de ses demandes suivantes :

. 15 254,50 euros bruts à titre de rappel de salaire sur prime, outre 1.525,45 euros bruts au titre des congés-payés y afférents ;

. 316 278 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

. ou, à titre subsidiaire, 101 033,25 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

. 100 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;

. Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

. Dit que le licenciement de M. [F] ne relève pas de la faute grave mais d'une cause réelle et sérieuse ;

. Condamné la société Ayming au paiement des sommes suivantes :

. 36.319,51 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

. 25.306,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 2 530,65 euros au titre des congés-payés y afférents ;

. 1501,44 euros à titre d'indemnités de repas ;

. 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Et, statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

. Débouter M. [F] de l'ensemble de ses demandes et prétentions ;

. Condamner M. [F] au paiement d'une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

À titre infiniment subsidiaire :

. Confirmer le jugement en ce qu'il a limité les condamnations prononcées à l'encontre de la société Ayming aux sommes suivantes :

. 36 319,51 euros bruts à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

. 25 306,50 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

. 2 530,65 euros au titre des congés-payés y afférents ;

. Limiter la condamnation susceptible d'être prononcée à titre d'indemnité de repas à la somme de 499,56 euros à titre d'indemnité de repas ;

. Réduire très significativement le montant de l'indemnité pour licenciement nul ou, à défaut, sans cause réelle et sérieuse susceptible d'être accordée à M. [F] ;

. Débouter M. [F] de sa demande d'astreinte au titre de la remise d'une attestation Pôle emploi, d'un certificat de travail et de bulletins de paie conformes.

MOTIFS

A titre liminaire, la cour relève que le salarié sollicite l'annulation du jugement mais ne présente dans ses écritures aucun moyen de fait et de droit à l'appui de cette demande d'annulation, dont la cour n'est donc pas saisie.

Sur le rappel de salaire au titre de primes sur objectifs 2018 et 2019

Le salarié expose que jusqu'en 2018, sa prime d'objectifs lui a toujours été versée, même si l'employeur a tenté à plusieurs reprises de lui supprimer l'avance mensuelle correspondante, que le versement de cette rémunération « variable » correspondant à 20 % du salaire n'a jamais été conditionné à la réussite d'objectifs clairement identifiés et dont le calcul aurait été expressément défini, que la prime d'objectifs annuelle a systématiquement été versée par l'employeur et ce n'est que lorsque Mme [T], directrice juridique du groupe, a cru pouvoir utiliser cette rémunération complémentaire comme un moyen de pression que la question des objectifs à remplir annuellement s'est posée. Il fait valoir que cette prime sur objectifs est devenue une composante de la rémunération fixe, de par son montant (20 % de son salaire) et ses modalités de versement (une partie mensuellement puis le solde en décembre de chaque année).

L'employeur objecte que son contrat de travail stipule expressément que la prime annuelle est fonction de l'atteinte des objectifs qualitatifs et quantitatifs communiqués chaque année par le biais d'une note de service ou lors de l'entretien annuel, que le salarié n'a pas rempli l'ensemble des objectifs qui lui étaient impartis pour l'année 2018 et 2019, de sorte qu'il ne pouvait effectivement pas prétendre au paiement de l'intégralité de sa prime, qu'il ne saurait se prévaloir d'un quelconque usage ou engagement unilatéral de l'employeur, puisqu'il invoque un avantage individuel, alors qu'un usage ou un engagement unilatéral doit présenter un caractère de constance, de généralité et de fixité, qu'aucun accord clair et non équivoque n'est intervenu pour garantir au salarié le versement de sa rémunération variable, sans tenir compte de l'atteinte de ses objectifs.

**

Le contrat de travail du salarié indique en son article « 5.2 - Rémunération Variable :

5.2.1 - Prime annuelle sur objectifs qualitatifs et quantitatifs

- Conditions d'octroi

Vous percevrez une prime qui sera fonction de l'atteinte des objectifs qualitatifs et quantitatifs communiqués chaque année par le biais d'une note de service ou lors de votre entretien annuel.

- Montant

Vous percevrez une prime maximale de 20% de votre rémunération annuelle fixe.

5.2.2 - Avance garantie sur rémunération variable à titre exceptionnel pendant 12 mois

Durant les 12 premiers mois suivant votre prise de fonction, il vous sera alloué une avance mensuelle garantie sur votre rémunération variable de 500 euros brut mensuel.

Cette avance ne sera pas reconduite les années ultérieures. Vous pourrez toutefois, pour les années ultérieures, bénéficier d'une avance qui sera déductible du montant global de votre prime annuelle. »

Contrairement à ce que soutient le salarié, le principe et les modalités de calcul de la rémunération variable n'ont pas été fixés de façon unilatérale par l'employeur mais en application des dispositions contractuelles liant les parties, lesquelles prévoient que les objectifs sont communiqués chaque année au salarié par une note de service ou lors de l'entretien annuel.

Il résulte de l'article L. 1221-1 du code du travail que lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut les modifier dès lors qu'ils sont réalisables et qu'ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice et non en cours d'exécution de cet exercice.

En l'espèce, d'abord, l'employeur ne conteste pas l'affirmation du salarié selon laquelle jusqu'en 2018 il a systématiquement perçu, chaque année, une rémunération variable correspondant à 20% de sa rémunération fixe, correspondant à une prime annuelle maximale de 17 556 euros bruts, les parties étant d'accord sur ce montant.

Ensuite, l'employeur n'établit pas avoir communiqué au salarié ses objectifs pour les années 2018, la seule indication figurant dans l'entretien d'évaluation 2018 selon laquelle ses objectifs n'ont pas été atteints n'étant pas de nature à permettre de retenir que l'employeur a satisfait à son obligation de communiquer au salarié ses objectifs en amont de l'exercice considéré.

Pour l'année 2019, il ressort des pièces produites que ses objectifs quantitatifs ont été fixés dans l'entretien annuel portant sur l'année 2018 (cf pièce 29 de l'employeur), aucun objectif qualitatif n'étant en revanche fixé. Toutefois, l'employeur ne justifie pas que le salarié n'a pas rempli ces objectifs pour la part de l'année 2019 durant laquelle il a exécuté son contrat de travail, se bornant à affirmer que « il est manifeste que les objectifs fixés au titre de cette année, tels que consignés lors de l'entretien annuel portant sur l'année 2018 (pièce n°29), n'ont pas été remplis, même partiellement. ».

En conséquence, le salarié est fondé à solliciter pour les deux années litigieuses le paiement de la prime maximale sur objectifs fixée contractuellement, au prorata de son temps de présence s'agissant de la prime 2019, ainsi qu'il le sollicite.

Compte tenu de ce que le salarié n'a perçu qu'une somme de 10 800 euros au titre de sa rémunération variable 2018, et pour l'année 2019 au cours de laquelle il a été licencié, qu'une somme de 5 400 euros, il convient, par voie d'infirmation, de faire droit à sa demande de rappel de salaire au titre de la prime sur objectifs pour les années 2018 et 2019.

Il convient ainsi de condamner l'employeur à lui verser à ce titre la somme de 15 254,50 euros bruts à titre de rappel de salaire sur prime, outre 1 525,45 euros brut au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2019, date de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation.

Sur le licenciement

Le salarié expose, dans ses conclusions de plus de cinquante pages ne comportant aucun plan, que les fautes qui lui sont reprochées ne sont pas sérieuses, qu'il avait une bonne image auprès des filiales contrairement à ce que soutient l'employeur, qu'il s'est mal entendu avec sa N+1 dès l'arrivée de celle-ci, qu'elle a systématiquement annulé ou repoussé les reporting mensuels, qu'au motif qu'il ne parlait pas anglais elle l'a exclu d'un dossier Véolia, dont le contrat a été conclu en avril 2019, qu'elle n'a pas apprécié la liberté du salarié dans l'organisation de son travail, que le manque de transparence ne caractérise pas une faute grave. Il fait valoir que son licenciement est « nul et de nul effet comme étant le dernier acte du harcèlement moral qu'il a subi de la part de son employeur ».

L'employeur objecte que le salarié se livre à de nombreuses contrevérités, que la faute grave est établie, et que le salarié n'a pas été victime de harcèlement moral.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il appartient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, le salarié soutient (cf p. 43 de ses conclusions) qu'il a « subi non seulement un préjudice économique certain, il a également subi un préjudice moral important qui doit être réparé, que sa souffrance au travail puis le choc alors ressenti lors de son licenciement a conduit son médecin traitant à l'arrêter une nouvelle fois pour dépression et burn-out et le diriger vers un spécialiste, puis à poursuivre ses arrêts de travail jusqu'en juillet 2020, qu'il a incontestablement subi un harcèlement moral au sein d'Ayming, harcèlement qui a, non seulement, porté atteinte à ses droits, son honneur et sa dignité, mais qui a également fini par avoir raison de sa santé physique et psychologique. L'anxiété ressentie par le salarié était d'ailleurs d'autant plus forte que les tentatives de l'employeur de lui supprimer une partie de sa rémunération l'ont placé dans une situation financière difficile avec sa banque. Enfin, cette méthode inique de gestion de la carrière d'un salarié que l'employeur sait particulièrement vulnérable a nécessairement abouti à la diminution de sa confiance en lui et de son estime, blessure narcissique que (il) mettra beaucoup de temps à dépasser. (il) est ainsi toujours suivi. »

La cour en déduit qu'il invoque à l'appui du harcèlement moral allégué la suppression d'une partie de sa rémunération variable, constitutive d'une méthode inique de gestion de sa carrière par l'employeur, et le licenciement pour faute grave dont il a fait l'objet.

La cour a précédemment retenu que l'employeur n'avait pas réglé au salarié une partie de sa rémunération variable au motif d'une non-atteinte des objectifs alors que ceux-ci ne lui avaient pas été notifiés. Ce fait est donc établi.

Ensuite il est établi que le salarié a été licencié pour faute grave.

Enfin, le salarié établit avoir fait l'objet d'un arrêt de travail en mars 2019 à la suite d'une entorse, puis à nouveau à compter du 7 juin 2019 prolongé à plusieurs reprises jusqu'au 12 octobre 2019. Le dossier médical qu'il produit établi qu'il est très réceptif au stress et a notamment fait l'objet d'une hospitalisation en psychiatrie en 2012 à la suite de laquelle il a repris son travail en mi-temps thérapeutique.

Ainsi, en prenant en compte les documents médicaux produits, la cour retient que les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

Il appartient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

S'agissant de la suppression d'une partie de sa rémunération variable, il a été précédemment relevé que l'employeur se borne à soutenir, sans l'établir, que le salarié n'a pas rempli ses objectifs pour les années 2018 et 2019. L'employeur ne justifie donc pas par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral sa décision de ne pas verser au salarié la totalité de la prime annuelle d'objectifs pour les années 2018 et 2019.

S'agissant du licenciement pour faute grave qui lui a été notifié durant son arrêt de travail, il convient d'en examiner ici le bien-fondé.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d'une importance telle qu'ils rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l'employeur et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail, et d'une gravité suffisante pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise, le doute devant bénéficier au salarié.

Enfin, si la lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables, la datation dans cette lettre des faits invoqués n'est pas nécessaire (Soc., 20 octobre 2015, pourvoi n° 14-15.565) et l'employeur est en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier ce motif. (Soc., 1er mars 2017, pourvoi n° 15-22.156).

En l'espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, reproche au salarié les fautes suivantes :

- une absence totale de transparence et de communication, tant avec sa hiérarchie qu'avec ses différents interlocuteurs au sein du groupe,

Pour établir ce grief, l'employeur produit notamment le compte-rendu d'entretien annuel d'évaluation de 2019 (portant sur l'année 2018), dont il ressort que sa supérieure hiérarchique, Mme [T], souligne notamment la nécessité pour le salarié de faire évoluer « sa posture afin d'être plus dans l'échange, la transparence et la communication (ex veolia info par LB- Mise en copie par MATP sur sujets RH) », ainsi que le ton inadapté employé dans certains de ses courriels, notamment aux fins de déstabilisation de Mme [T], laquelle a été contrainte d'alerter Mme [J], DRH du groupe, sur la tentative de déstabilisation de la part du salarié (cf pièce 32 de l'employeur). L'employeur établit également que le 26 avril 2019, le salarié a demandé à un client s'il avait obtenu une réponse de la part de la société pendant son absence, sans prendre la peine d'interroger ses collègues au préalable (pièce n°33, page 2).

Ce premier grief est établi.

- la validation d'un contrat commercial négocié (contrat STCRO2) devant être conclu avec le client STMicroelectronics, contenant un certain nombre de clauses totalement inacceptables pour l'entreprise,

Pour établir ce grief, l'employeur rappelle d'abord qu'en sa qualité de responsable juridique international, le salarié devait assister ses différents interlocuteurs internes (au sein des filiales internationales du groupe) lors des négociations contractuelles menées avec leurs partenaires commerciaux, afin de s'assurer que les contrats à signer soient conformes au droit applicable et aux intérêts du groupe. Il produit un courriel de Mme [U], juriste, chargée par Mme [W] de vérifier la conformité du contrat en lieu et place du salarié, alors arrêt maladie, dans lequel celle-ci indique que :

« Bonjour [N],

Pour faire suite à ton échange de mail avec [K], je reviens vers toi concernant le contrat STCRO2. ['] Concernant le corps du contrat, j'avoue avoir beaucoup de remarques que je liste après et réparti en 3 catégories

1 = à faire si ce n'est pas déjà fait,

2 = points qui me paraissent présenter un fort risque pour Ayming,

3 = points sur lesquels je souhaite attirer ton attention. [']

2/ Concernant le document en lui-même je suis assez étonnée que vous ayez accepté les clauses suivantes qui, à mon sens, mettent en risque Ayming

- à l'article 8.3 : la possibilité d'un audit du client sans information préalable à Ayming. [']

- à l'article 8.5 : le client dispose d'une faculté de suspensions unilatérale des prestations sans contrepartie. [']

- à l'article 8.6 : que le client puisse modifier de lui-même les prestations et que si cette modification est mineure elle ne donnera lieu à aucune révision du contrat

- à l'article 8.7 : les conséquences financières du retard de livraison d'un livrable doivent être supportées par Ayming. En l'espèce, il est visé un retard qui engendrerait lui-même une impossibilité pour le client d'exécuter ses propres obligations, or cela est en principe qualifié de dommage indirect, qui est exclu dans nos contrats. Par ailleurs, il serait opportun d'ajouter "exclusivement" à "imputable au prestataire". D'ailleurs cela est en contradiction avec l'article 12.2

qui exclut les préjudices indirects ou consécutifs.

- à l'article 11 - Propriété intellectuelle : nous cédons exclusivement l'ensemble des Prestations au client. Le terme Prestation étant défini comme " le support opérationnel et l'accompagnement au Client" en théorie tu ne devrais plus exercer la prestation pour un autre client. En général dans nos clauses de PI nous séparons la cession au client des éléments spécifiquement élaborés pour lui et la conservation de nos méthodes et savoir-faire. La garantie d'éviction prévue dans la clause n'est d'ailleurs pas idéale en l'espèce.

- à l'article 12.1 est prévu une obligation de résultat qui semble cantonnée car il est précisé "une obligation de résultat quant à la conformité des Prestations au cahier des charges, au calendrier d'exécution et aux spécifications définis en Annexe 2". Toutefois l'annexe 2 étant la description de la prestation, nous avons tout simplement une obligation de résultat

- à l'article 12.3 nous renonçons à tout recours contre le client

- l'article 13§1 me semble inadapté et le §2 est plutôt risqué et faire doublement avec la responsabilité

- l'article 14.2 n'est ni adaptée ni acceptable - nous ne pouvons fournir nos procédés et droits à un éventuel repreneur et encore moins prendre en charge les frais du prestataire qui serait appelé à nous remplacer en cas de résiliation

Penses-tu qu'il est possible de négocier ces clauses à ce stade ' [6]-je intégrer mes propositions de modification dans le contrat ' ».

Dans un courriel également produit par l'employeur, Mme [W] a indiqué à Mme [U] que : « le projet de contrat avait été « pré validé par [Y] [[F]]», ce qui ressort en effet du courriel du salarié à Mme [W] produit en pièce 18 par le salarié, que deux contrats identiques avaient déjà été conclus avec le client et qu'il convenait donc de « mesurer l'impact » (sic) avant d'engager de nouvelles négociations.

L'employeur établit que Mme [T] a alors signalé à sa direction sa « surprise de découvrir qu'il avait accepté des points ou plus exactement qu'il n'avait pas soulevé des points inacceptables juridiquement (ex : obligation de résultat sur une mission intellectuelle, renonciation à recours contre le client, une faculté de résiliation de convenance accordée au client sans contrepartie, cession de droit de propriété intellectuelle sur l'intégralité de nos livrables, etc.) Une telle situation nous met d'ailleurs en difficulté avec un de nos clients grand compte qui ne comprend pas qu'après n'avoir soulevé aucune observation nous revenons vers lui avec tous ces points. ['] » .

ll établit enfin que ce contrat a dû faire l'objet d'une renégociation des clauses problématiques avec ce client par l'intermédiaire de Mme [U]. A ce titre, il importe peu que le projet de contrat validé par le salarié avait pour unique objet de régulariser, avec un effet rétroactif au 5 mai 2018, une collaboration déjà existante depuis un an et déjà en partie facturée au client concernant le projet « WakeMeUp » que ce dernier pilotait pour le compte d'un consortium d'entreprises, cet argument étant inopérant quant à la conformité juridique des clauses de contrat relevant de la responsabilité du salarié, s'agissant notamment de la renonciation à tout recours contre le client, d'une faculté de résiliation de convenance accordée au client sans contrepartie ou encore de la cession de droit de propriété intellectuel sur l'intégralité des livrables de la société.

Le grief est établi.

- la validation, par le salarié seul, des contrats rédigés en espagnol en se contentant de procéder à leur traduction par le biais du logiciel Google Trad,

Pour établir ce grief, l'employeur expose d'abord que, toujours durant l'arrêt de travail du salarié, Mme [T] a constaté le 14 juin 2019 que l'intéressé avait validé seul des contrats rédigés en espagnol en procédant à leur traduction par le biais du logiciel « Google Trad », ce dont elle a aussitôt informé la DRH Groupe. Il produit à ce titre un courriel de Mme [T] signalant cette situation à la DRH et un courriel de Mme [T] à la directrice générale au sujet d'un contrat dont elle indique qu'il a pris du temps car elle était dans l'attente du retour de la traduction du contrat en italien (comme le fait d'ailleurs Mme [T] - pièce n°27).

Toutefois, ainsi que le souligne à juste titre le salarié, l'employeur ne vise aucun contrat précis ni ne caractérise les erreurs, imprécisions et contresens que le salarié aurait laissé subsister du fait de son incompétence supposée en espagnol juridique.

Le grief n'est pas établi.

- l'absence de vérification des contrats et d'appui à une filiale pour revoir les trames de contrats commerciaux, et l'absence d'alerte à sa hiérarchie sur la nécessité le faire,

Pour établir ce grief, et illustrer les termes de la lettre de licenciement lui reprochant bien de ne pas assurer la conformité juridique des filiales, l'employeur produit différents échanges de courriels entre le salarié et différents interlocuteurs juridiques au sein de filiale, ainsi qu'avec Mme [T] dont il ressort notamment que le salarié a validé la rédaction proposée par son interlocuteur (pièce n°23E), alors que Mme [T] lui avait demandé de « bien vérifier le point soulevé car il est important que nous n'entérinions pas simplement un wording mais que nous puissions challenger une proposition faite par nos clients internes » (pièce n°23E), le salarié lui répondant avoir préféré initialement « différer la nouvelle rédaction » et précisé qu' « (il voulait) une consultation d'avocat US indépendant mais comme [A] est avocat, nous avons tranché dans le vif face à l'évolution rapide du marché. »

Il en résulte que le salarié a pu valider seul les contrats relevant de son périmètre, sans en informer sa hiérarchie.

L'employeur produit également un courriel du 26 avril 2019 de M. [H] au salarié le relançant pour obtenir une réponse à sa demande concernant les commentaires apportés par le client Kimble sur un projet de contrat en cours de négociation, ses demandes précédentes (des 22 mars et 16 avril 2019) dans laquelle il précisait « Ce document doit être signé rapidement car nous serons en phase de familiarisation à [Localité 8] la semaine prochaine ». étant demeurées sans retour de sa part (pièce n°25E), le salarié lui répondant le 26 avril 2019 être « Désolé pour le silence prolongé. A propos du contenu de l'avenant et la solution docusign je reviens vers toi dès que possible. Nos agendas à [R] et moi étaient chargés par la reprise après interruption et repos pendant la semaine sainte pour nous deux. Nous devons faire un point juridique interne la semaine prochaine. ». L'employeur établit que le projet de contrat à signer avec le client Kimble ne contenait aucune des modifications proposées en mars/avril (pièce n°52, page 3), alors que Mme [T] avait expressément fait savoir que certains points devaient être renégociés (notamment une clause prévoyant une absence totale de délai de paiement des factures du client) (pièce n°53 et pièce n°52, page 2).

Enfin, l'employeur établit que le salarié a validé un contrat non conforme aux standards du groupe , de sorte qu'il a dû être modifié, ce que Mme [T] annonçait à Mme [D] le 31 juillet 2019 (pièce n°27, page 2), soit peu après le licenciement du salarié : « Tu trouveras, enfin, ci-joint votre trame de contrat que nous avons modifié conformément à nos standards Groupe et conformément à nos échanges avec [C] concernant notamment la clause de responsabilité et de rémunération. (') Dans un second temps, afin de sécuriser totalement cette trame, je serai favorable à soumettre ce Contrat à l'appréciation d'un avocat Italien. ».

Le grief est établi.

En définitive seul le grief relatif à la validation, par le salarié seul, des contrats rédigés en espagnol en se contentant de procéder à leur traduction par le biais du logiciel Google Trad, n'est pas établi.

L'ensemble des autres faits reprochés au salarié sont établis, réels et sérieux au regard des fonctions de responsable juridique du salarié, sans toutefois rendre impossible son maintien dans l'entreprise durant le préavis, ainsi que l'a retenu à juste titre le conseil de prud'hommes.

L'employeur prouve donc que sa décision de licencier le salarié repose sur des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

En l'absence d'agissements répétés de harcèlement moral, puisque seule a été retenue la suppression d'une partie de sa rémunération variable, le jugement sera confirmé en ce qu'il écarte l'existence d'un harcèlement moral, pour lequel la cour relève que le salarié ne formule d'ailleurs aucune demande indemnitaire spécifique.

Le jugement sera en conséquence également confirmé en ce qu'il rejette la demande de nullité du licenciement et indemnités afférentes et dit qu'il dit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse.

Sur les indemnités de rupture du contrat de travail

Le salarié sollicite l'infirmation des différentes sommes allouées en première instance au titre des indemnités de rupture, en se fondant sur un salaire mensuel brut de référence de 8 435,50 euros. L'employeur sollicite quant à lui la confirmation desdites sommes dans l'hypothèse où la cour confirme le jugement du conseil de prud'hommes sur le licenciement.

Sur le salaire brut mensuel de référence

Le salarié fait valoir qu'il percevait une rémunération mensuelle de base d'un montant de 7 315 euros, ainsi qu'un avantage en nature mensuel de 7,50 euros, auquel il convient d'ajouter la prime annuelle de 20 %, soit 17 556 euros, portant donc son salaire brut mensuel de référence à la somme de 8 785,50 euros.

L'employeur objecte que le salaire de référence, correspondant à la moyenne des 12 mois précédant son arrêt maladie de juin 2019, s'établit à 8 435,50 euros, que c'est bien ce montant qu'il convient de retenir, le salarié n'étant pas fondé à réclamer un quelconque rappel de prime annuelle pour 2018 et 2019.

Toutefois la cour a précédemment retenu que le salarié était fondé à solliciter une prime annuelle pour les années 2018 et 2019, de sorte qu'il convient de retenir son calcul et, par voie d'infirmation, de fixer son salaire de référence brut mensuel à la somme de 8 785,50 euros.

Par voie d'infirmation il convient en conséquence de condamne la société Ayming à payer au salarié les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre2019, date de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation,

. 40 022,83 euros bruts à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

. 26 356,50 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

. 2 635,65 euros au titre des congés-payés afférents.

Sur l'indemnité de repas

Pour solliciter l'infirmation du chef de dispositif du jugement le condamnant à verser au salarié une somme de 1 501,44 euros à ce titre, l'employeur soutient que le raisonnement du salarié est erroné, que les titres-restaurant sont financés, d'une part, par l'employeur (dont la contribution bénéficie d'exonérations sociales et fiscales) et, d'autre part, par les salariés auxquels ces titres sont remis contre paiement de leur valeur libératoire, étant précisé qu'en l'absence de texte spécifique l'employeur a le choix entre le paiement contre remise des titres ou la retenue sur salaire, auquel cas la somme due par le salarié apparaît sur son bulletin de paie dans la zone réservée aux retenues, avec indication de sa nature, que le principe de la retenue sur salaire opérée au titres-restaurant a au demeurant été expressément validée par la Cour de cassation (cf. Soc., 1er mars 2017, n°15-18.333), que la participation de l'employeur aux titres-restaurant est exonérée des cotisations sociales dans la limite d'un plafond réévalué chaque année (soit 5,44 euros en moyenne entre 2017 et 2019), que cette participation ne peut excéder 60% ni être inférieure à 50% de la valeur libératoire des titres, les 40% ou 50% restant sont donc à la charge des salariés, qu'en application de ces principes, la valeur des titres-restaurants ne peut donc être déterminée, au mieux, que sur une base de calcul correspondant à ce montant de 1,81 euros, que par conséquent sa demande ne peut, en tout état de cause, excéder un montant de 499,56 euros.

Le salarié soutient qu'il travaillait deux jours par semaine en télétravail sans pour autant percevoir d'indemnité de repas pour ces deux jours travaillés, qu'il n'a jamais perçu d'indemnité de repas au titre de ses deux jours de télétravail sur la base d'une moyenne d'exonération maximale de la participation patronale des trois dernières années d'un montant de 5,44 euros (2 jours x 46 semaines x 5.44 € x 3 ans), de sorte que le jugement doit être confirmé de ce chef.

**

Aux termes du premier alinéa du I de l'article L. 1222-9 du code du travail : " (...) le télétravail désigne toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication ".

Les agents exerçant leurs fonctions en télétravail bénéficient du même droit à l'attribution de ce titre que s'ils exerçaient leurs fonctions sur leur lieu d'affectation. (CE, 7 juillet 2022, n 457 140).

Le ticket-restaurant, qui constitue un avantage en nature payé par l'employeur entrant dans la rémunération du salarié, ne constitue pas une fourniture diverse au sens de l'article L. 3251-1 du code du travail (Soc., 1er mars 2017, pourvoi n° 15-18.333, 15-18.709, Bull. 2017, V, n° 36).

L'employeur soutient, sans réplique du salarié, que sa participation aux titres-restaurant est exonérée des cotisations sociales dans la limite d'un plafond réévalué chaque année (soit 5,44 euros en moyenne entre 2017 et 2019), que cette participation ne peut excéder 60% ni être inférieure à 50% de la valeur libératoire des titres, les 40% ou 50% restant sont donc à la charge des salariés, qu'en application de ces principes, la valeur des titres-restaurants ne peut donc être déterminée, au mieux, que sur une base de calcul correspondant à ce montant de 1,81 euros, que par conséquent sa demande ne peut, en tout état de cause, excéder un montant de 499,56 euros.

Par voie d'infirmation il convient en conséquence de condamner l'employeur à verser au salarié la somme de 499,56 euros au titre de l'indemnité de repas, avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre2019, date de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation,

Sur la remise des documents

Il convient d'ordonner à l'employeur de remettre à un certificat de travail, une attestation France Travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Les dépens d'appel sont à la charge de la société Ayming, partie succombante.

Il paraît inéquitable de laisser à la charge du salarié l'intégralité des sommes avancées par lui et non comprises dans les dépens. Il lui sera alloué la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel. L'employeur est débouté de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant dans les limites de sa saisine, par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

CONFIRME le jugement sauf en ce qu'il déboute M. [F] de sa demande de rappel de salaire au titre de la prime sur objectifs 2018 et 2019, et en ce qu'il condamne la société Ayming à verser à M. [F] les sommes de 1 501,44 euros à titre d'indemnités de repas, 36 319,51 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 25 306,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 2 530,65 euros au titre des congés payés afférents,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

CONDAMNE la société Ayming à verser à M. [F] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre2019, date de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation,

- 15 254,50 euros bruts à titre de rappel de salaire sur prime d'objectifs 2018 et 2019, outre 1 525,45 euros brut au titre des congés payés afférents,

- 499,56 euros au titre de l'indemnité de repas,

- 40 022,83 euros bruts à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 26 356,50 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 2 635,65 euros au titre des congés-payés afférents.

ORDONNE à l'employeur de remettre à un certificat de travail, une attestation France Travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Ayming à payer à M. [F] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et déboute l'employeur de sa demande à ce titre,

CONDAMNE la société Ayming aux dépens d'appel.

. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Dorothée Marcinek, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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