CA Bordeaux, ch. soc. B, 24 juillet 2025, n° 22/05526
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION B
--------------------------
ARRÊT DU : 24 JUILLET 2025
PRUD'HOMMES
N° RG 22/05526 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-NAKK
Monsieur [P] [J]
c/
S.A.R.L. LEADER PRICE [Localité 4] ALDI MARCHE
Nature de la décision : avant dire droit - renvoi à l'audience du 16 décembre 2025
à 9 heures
Grosse délivrée aux avocats le :
à :
Me Hélène JANOUEIX de l'AARPI MONTESQUIEU AVOCATS, avocat au barreau de LIBOURNE
Me Anne MURGIER de la SELARL CAPSTAN LMS, avocat au barreau de PARIS
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 octobre 2022 (R.G. n°F 21/00105) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LIBOURNE, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 06 décembre 2022,
APPELANT :
[P] [J]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
Représenté et assisté par Me Hélène JANOUEIX de l'AARPI MONTESQUIEU AVOCATS, avocat au barreau de LIBOURNE
INTIMÉE :
S.A.R.L. LEADER PRICE [Localité 4] ALDI MARCHE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
Assisté par Me Anne MURGIER de la SELARL CAPSTAN LMS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Cécile AUTHIER
Représentée par Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 mai 2025 en audience publique, devant Monsieur Jean Rovinski, magistrat honoraire, chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Paule Menu, présidente,
Madame Sophie Lésineau, conseillère,
Monsieur Jean Rovinski, magistrat honoraire
greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
FAITS ET PROCEDURE
1. M. [J] a été engagé le 15 juin 2000 par contrat à durée indéterminée à temps complet par la société Lormodis Hard Discount en qualité d'employé commercial. A compter du 3 décembre 2018, son contrat de travail a été transféré à la société Leader Price [Localité 4] et il a occupé un poste de responsable rayon, employé, niveau 4B de la convention collective du commerce à prédominance alimentaire, suite à l'avenant du 1er août 2018. Convoqué le 29 septembre 2020 à un entretien préalable pour le 12 octobre suivant, M. [J] a été licencié pour faute grave par lettre recommandée le 10 novembre 2020 sans avoir fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire.
2.M. [J] a saisi par requête du 25 juin 2021 le conseil des prud'hommes de [Localité 5] pour contester la licéité de son licenciement.
Par jugement du 14 octobre 2022, le conseil des prud'hommes a :
- dit que le licenciement de M. [J] n'était pas abusif et reposait bien sur une faute grave
- débouté M. [J] de l'ensemble de ses demandes
- débouté la société Leader Price [Localité 4] de ses demandes reconventionnelles
- condamné M. [J] aux dépens.
M. [J] a fait appel de ce jugement.
PRETENTIONS
3. Par dernières conclusions du 9 avril 2025, M. [J] demande :
- l'infirmation du jugement
à titre principal :
- que son licenciement soit jugé abusif
- la condamnation de la société Leader Price [Localité 4] à lui payer les sommes suivantes :
.4 678€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis
.467,80€ au titre des congés payés afférents
.6 107,38€ à titre d'indemnité légale de licenciement, avec intérêts légaux à compter de la saisine
.36 254,50€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- la condamnation de la société Leader Price aux dépens et à lui payer la somme de
3 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
à titre subsidiaire :
- la requalification de son licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse
- la condamnation de la société Leader Price [Localité 4] à lui payer les sommes suivantes :
.4 678€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis
.467,80€ au titre des congés payés afférents
.6 107,38€ à titre d'indemnité légale de licenciement, avec intérêts légaux à compter de la saisine
- la condamnation de la société Leader Price aux dépens et à lui payer la somme de
3 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
à titre infiniment subsidiaire :
- la requalification de son licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse
- la condamnation de la société Leader Price [Localité 4] à lui payer les sommes suivantes :
- 4 504 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 450,40 euros au titre des congés payés afférents
- 13 386,88 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, avec intérêts légaux à compter de la saisine
- la condamnation de la société Leader Price aux dépens et à lui payer la somme de
3 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
4. Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 avril 2025, la société [Adresse 3] venant aux droits de la société Leader Price [Localité 4] demande à la cour de:
confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :
- dit que le licenciement de M. [J] n'était pas abusif et reposait bien sur une faute grave
- débouté M. [J] de l'ensemble de ses demandes et plus précisément de ses demandes suivantes :
- 4 678 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 467,80 euros à titre de congés payés sur indemnité sur indemnité compensatrice de préavis
- 6 107,38 euros à titre d'indemnité légale de licenciement
- 36 254 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse
- 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné M. [J] aux dépens
- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :
- débouté la société employeur de sa demande de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
En conséquence ;
A titre principal :
- débouter M. [J] de l'ensemble de ses demandes
A titre subsidiaire :
- limiter le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au
minimum du barème légal, soit à 6.312,33 euros bruts (3 mois de salaire)
- réduire à 4 208,22 euros et aux congés payés afférents la condamnation au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- débouter M. [J] du reste de ses demandes
En tout état de cause :
- condamner M. [J] aux dépens et à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Après clôture prononcée le 15 avril 2025, l'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience du 22 mai 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux dernières conclusions déposées et oralement reprises.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la rupture du contrat de travail
Exposé des moyens
5. M. [J] fait valoir :
- qu'il était d'usage dans l'entreprise d'encaisser des membres de sa famille, aucune interdiction ne lui ayant été communiquée, l'interdiction découlant du mail non daté versé aux débats ne concernant que l'utilisation de BRI BRD qu'il n'a pas signé
- qu'il a encaissé le caddie de sa femme le 28 août 2020, sans omettre de scanner des produits du charriot
- que l'employeur, qui s'appuie sur des films de vidéosurveillance, doit démontrer en préalable que le système mis en place a été autorisé par la préfecture et régulièrement déclaré à la CNIL, outre que les employés ont été informés individuellement de la présence des caméras, de leurs emplacements et des objectifs de la surveillance, après consultation préalable des instances représentatives du personnel (CSE)
- que faute de justifications, la preuve dont se prévaut la société employeur est illégale et doit être écartée des débats
- que l'article L. 1121-1 du code du travail autorise la vidéosurveillance à la condition qu'elle soit justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché, ce qui n'est pas le cas ici, les caméras filmant les salariés sur leur poste de travail en portant atteinte au droit au respect de leur vie privée tandis que la directrice adjointe, présente aux abords des caisses, avait tout loisir d'inspecter le charriot et de vérifier l'adéquation au ticket de caisse
- que l'huissier de justice n'a pas pu procéder à l'extraction des images, en sorte qu'une partie des vues a été filmée avec un smartphone puis retranscrites et que les images du constat ne sont pas probantes, rien ne permettant de démontrer que des produits ont été passés sans être scannés
- que le ticket de caisse n'est pas produit dans sa totalité
- que le document (pièce adverse n°11) intitulé 'démarque du 31.08.2020' est établi sur les pertes à deux jours de la visite de Mme [J] au magasin et ne permet pas de déterminer quels produits celle-ci auraient emportés sans qu'ils aient été scannés
- que le courriel du directeur du magasin, M. [Y], du 1er septembre 2020, révèle que deux personnes pouvaient vérifier l'adéquation du ticket de caisse de Mme [J] à son caddie, ce qui n'a pas été fait
- que la faute grave suppose que le maintien du salarié dans l'entreprise est impossible, ce qui suppose que la procédure de licenciement intervienne dans un délai restreint, après que l'employeur ait eu connaissance des faits fautifs allégués (Soc 20 décembre 2023 n°2221685 - 31 mars 2021 n°1920984), ce qui n'a pas été le cas puisqu'il a continué à travailler pendant deux mois et demi
- que les éléments de preuve rapportés sont insuffisants, alors que son ancienneté était de 20 ans, tandis que le conseil des prud'hommes n'a pas répondu à ses interrogations (absence d'intervention de ses supérieurs présents sur les lieux au moment des faits-absence de mise en oeuvre de la procédure dans un délai restreint et maintien du salarié à son poste sans mise à pied à titre conservatoire) et que l'employeur disposait de tous les éléments d'information nécessaires le 1er septembre 2020.
6.La société Leader Price rétorque :
- qu'en sa qualité de responsable rayon, le salarié devait notamment procéder à l'encaissement et à la vérification des paiements effectués par les clients, totaliser les versements et remplir la fiche 'feuille de caisse'
- qu'il était interdit aux salariés de procéder à l'encaissement d'un membre de la famille ou d'un proche (pièce n°7 procédure du suivi des BRI BRD et d'encaissement)
- que le salarié n'a pas respecté la procédure d'encaissement et a participé au vol de produits alimentaires et ménagers avec son épouse
- que le 28 août 2020, la directrice adjointe du magasin, Mme [M], a alerté son supérieur hiérarchique, M. [Y], directeur du magasin, des achats suspects de Mme [J]
- qu'un constat des vidéos de surveillance a été établi par huissier le jour même, permettant de faire la preuve que Mme [J] avait été encaissée par son mari, seul salarié masculin ce jour-là, dont le comportement s'est révélé étrange au point de suspecter une préméditation avec son épouse des vols, le salarié omettant de scanner de nombreux articles tandis que Mme [J] passait en bout de caisse avec son charriot sans l'avoir complétement vidé et réglait la somme de 38,84€ tandis que le charriot était plein
- que l'inventaire a permis d'établir que M. [J] a détourné des produits d'une valeur totale de 241,29€
- que le salarié a manqué aux procédures internes de l'entreprise en ne scannant qu'une partie des objets de la cliente, manquant de ce fait à son obligation de loyauté
- qu'elle n'a eu connaissance des faits reprochés qu'à compter du constat d'huissier du 23 septembre 2020, en sorte que la procédure a été engagée six jours seulement après la connaissance des faits, tandis que la mise à pied à titre conservatoire n'est pas un préalable indispensable à un licenciement pour faute grave.
Réponse de la cour
7. Il est démontré par la convention de mutation du 3 décembre 2018 que la société Leader Price [Localité 4] s'est substituée à la société Lormodis Hard Discount en qualité d'employeur de M. [J].
L'employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d'un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise.
Il est versé aux débats par la société employeur :
- la lettre recommandée de convocation du salarié à l'entretien préalable du 12 octobre 2020
- la lettre de notification du licenciement pour faute grave du 10 novembre 2020 reprochant au salarié, en violation de la procédure n°60 relative aux rôles des hôtes et hôtesses de caisse interdisant l'enregistrement des achats d'un parent ou d'un ami, l'omission volontaire du scannage d'articles se trouvant dans le caddie de son épouse le 28 août 2020 à 13h49, alors qu'il travaillait en caisse, pour réduire la facture d'achats de 241,29€ au minimum à 38,84€ et la même omission volontaire le 11 septembre suivant à 11h04, pour réduire la facture de 199,75€ à 31,78€
- le courriel du 13 février 2020, à l'adresse des directeurs pour communication à l'ensemble de leurs personnels, de la note d'utilisation des BRI BRD, portant la mention 'Ne pas faire passer à sa caisse membre famille' et huit signatures
- le courriel du directeur du magasin, M. [Y], du 1er septembre 2020 ainsi rédigé à l'adresse de sa hiérarchie : 'Samedi matin, je suis alerté par mon adjointe Mme [M] qui me demande de visionner les vidéos du magasin. En effet, la femme du responsable frais M. [J], a fait ses courses dans le magasin et a trouvé anormal qu'une partie de ses achats aient été déjàa emballés dans des sacs cabas dans le caddie et que son passage en caisse lui a semblé trop rapide par rapport à la quantité du caddie. L'équipe du magasin était composée cet après-midi là de trois personnes : mon adjointe Mme [M], du responsable frais M. [J] et de la responsable caisse Mme [Z]. M. [J] et Mme [Z] sont amis à l'extérieur du magasin. A la lecture des vidéos, on peut voir Mme [J] faire ses courses et remplir un gros caddie d'environ 240€ et ne payer que 38€. En effet, Mme [Z] n'a pas exercé son rôle de responsable de caisse en laissant s'installer Mme [J] à la caisse de son mari alors qu'elle finissait d'encaisser un client. Elle s'est permise d'abandonner son poste de travail pour aller quelque chose à sa voiture et n'a pas contrôlé le ticket de caisse de Mme [J] encaissé par son mari. M. [J] connaissait les consignes pour l'encaissement des membres de sa famille et a passé outre, et a laissé le caddie encore remplie derrière la caisse et n'a pas passé tous les articles sur le tapis en caisse...Je me tiens à votre disposition pour des explications sur les vidéos et pour la suite à donner pour ses deux personnes que je ne veux plus dans mon magasin.'
- le procès-verbal de constat d'huissier du 23 septembre 2020 dont il résulte :
.que l'horloge du matériel de vidéo-surveillance du magasin, fort de 15 caméras, faisait apparaître un décalage de 7 heures et 53 minutes par rapport à l'heure réelle
.que le visionnage des images à partir de 13 heures 45 minutes le 28 août 2020 filmées par smartphone faute de pouvoir procéder à une extraction, a permis de mettre en avant la rencontre dans le magasin entre Mme [Z] et Mme [J], le passage de Mme [J] à la caisse tenue par son mari, tandis que Mme [Z] qui tenait la seconde caisse était sortie du magasin, le passage par M. [J] de certains articles de son épouse au-dessus de la caisse, sans les scanner, le passage de Mme [J] en bout de caisse pour réceptionner les marchandises mises sur le tapis sans que le charriot ait été complètement vidé pour permettre l'enregistrement de tous les articles, s'agissant notamment du contenu d'un sac jaune, le retour de Mme [Z] dans le magasin, le départ de Mme [J] tandis que son mari quitte la caisse pour s'installer à celle occupée par Mme [Z] qui se retire alors, la circonstance que le caddie de Mme [J] déborde d'articles tandis que le ticket de caisse correspondant audit caddie (14 articles - 28 août 2020 - 13h50) est d'un montant de 38,84€.
Il est versé aux débats par M. [J] :
- son contrat de travail à durée indéterminée à temps complet du 21 novembre 2001 et son avenant du 1er août 2018
- la convention de mutation du 3 décembre 2018 et son contrat de travail du même jour
- son certificat de travail et son reçu pour solde de tout compte
- sa lettre de dénégation du 18 novembre 2020 adressée à son employeur, dans laquelle il reconnaît avoir encaissé son épouse mais sans avoir volontairement omis de scanner des articles
- divers bulletins de paie.
M. [J] affirme que la communication ne lui aurait pas été faite du courriel contenant selon la société employeur la règle de prohibition d'encaissement par un salarié des membres de sa famille et non pas seulement les règles d'encaissement avec utilisation de BRI BRD et invoque la pratique contraire en cours au sein du magasin. Il n'est pas établi par le document versé aux débats que M. [J] ait porté sa signature sur le document, la société employeur ne précisant pas laquelle de ces signatures serait celle du salarié. Il y a lieu d'inviter la société Leader Price [Localité 4] à justifier par tous moyens l'existence de la signature apposée par M. [J] sur le document litigieux ou la réalité de l'information à lui donnée de la teneur de ce document.
Selon l'article 5 du règlement UE 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection des données ou RGPD), les données à caractère personnel doivent être traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée, être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, ne pas être traitées ultérieurement d'une manière incompatible avec ces finalités et être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées.
Selon son article 6 §1, un traitement de données à caractère personnel n'est licite que si, et dans la mesure où, au moins une des conditions suivantes est remplie :
a) la personne concernée a consenti au traitement de ses données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques ;
b) le traitement est nécessaire à l'exécution d'un contrat auquel la personne concernée est partie ou à l'exécution de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci;
c) le traitement est nécessaire au respect d'une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis
d) le traitement est nécessaire à la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne concernée ou d'une autre personne physique ;
e) le traitement est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique dont est investi le responsable du traitement ;
f) le traitement est nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers, à moins que ne prévalent les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée qui exigent une protection des données à caractère personnel, notamment lorsque la personne concernée est un enfant.
Selon les articles 13 et 14 du RGPD, le responsable du traitement de données personnelles doit délivrer aux personnes concernées des informations relatives notamment aux finalités du dispositif de contrôle, à leur droit d'accès et de rectification, aux coordonnées du délégué à la protection des données.
L'utilisation des constats et attestations réalisés à partir de la captation et du visionnage des images issues du système de vidéoprotection du magasin de [Localité 4] constitue un traitement de données à caractère personnel au sens de l'article 4 du RGPD, de sorte que la société employeur est tenue au respect des obligations instituées par les dispositions des articles 5, 6, 13 et 14 du RGPD.
Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1222-4 du code du travail, 'aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance.' (au moyen de son contrat de travail ou d'un avenant, d'une réunion d'information ou d'une note de service adressée à l'ensemble des salariés définissant les finalités poursuivies du système de vidéosurveillance, les destinataires des images et les modalités concrètes de l'exercice du droit d'accès dont bénéficient les personnes concernées).
Pour répondre aux moyens de M. [J] qui fait valoir successivement, pour établir la légalité du moyen de preuve employé :
- qu'il doit être prouvé que le système mis en place a été autorisé par la Préfecture et régulièrement déclaré à la CNIL
- qu'il doit être établi que les caméras de surveillance installées avaient une finalité légitime (sécurité des biens et des personnes - prévention des vols etc) et proportionnées au but recherché (article L. 1121-1 du code du travail)
- que les employés avaient été informés individuellement de la présence des caméras, de leur emplacement et des objectifs de la surveillance
- que les instances représentatives du personnel ( CE et CSE -articles L. 2323-32, alinéa 3 ancien et L. 2323-47, alinéa 3 du code du travail) avaient été consultées avant l'installation des caméras, la société employeur se borne à relever :
- que M. [J] invoque dans ses conclusions du 26 février 2025 et pour la première fois, quatre ans après son licenciement, la validité du système de vidéosurveillance
- que l'éventuelle illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats
- que la Cour de cassation a jugé qu'un moyen de preuve déloyal utilisé par l'employeur (par exemple des enregistrements clandestins réalisés à l'insu du salarié) peut être recevable et utilisé contre le salarié (et inversement dans le cas d'un moyen de preuve déloyal utilisé par le salarié à l'encontre de son employeur) s'il est indispensable à l'exercice de ses droits et n'est pas susceptible de porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (vie privée etc)
- qu'au cas présent, compte-tenu des faits reprochés, il est évident que la production de l'extrait de vidéosurveillance et du procès-verbal de constat est indispensable à l'exercice du droit de la preuve.
En l'état des pièces produites et des conclusions des parties, la cour n'est pas en mesure :
- d'apprécier les conditions dans lesquelles le système de vidéosurveillance a été installé au sein du magasin (date de mise en oeuvre- autorisation de la CNIL et autorisations administratives- finalités du dispositif etc)
- d'apprécier les conditions dans lesquelles a été assuré le droit d'information et d'accès des personnes (salariés et visiteurs du magasin) aux enregistrements qui les concernaient (affichage de pictogramme indiquant que le site est sous vidéosurveillance - note interne - affichage de documents papier etc - indication de la personne responsable à laquelle il convenait de s'adresser pour l'exercice du droit d'accès - information des représentants du personnel).
La cour ne peut pas, dès lors, par une mise en balance des intérêts en jeu afin d'assurer aux salariés concernés une protection suffisante de leur droit au respect de la vie privée, se déterminer sur la finalité du dispositif de vidéoprotection et dire si les données à caractère personnel concernant M. [J] avaient été collectées pour des finalités déterminées et légitimes sans atteinte excessive aux libertés du salarié par une surveillance constante, répondre à la question de savoir si ce dernier avait été mis en place à l'insu du salarié ou non et s'il a été en mesure d'exercer son droit d'accès aux enregistrements le concernant dans des conditions de traitement ultérieure des données compatible avec les finalités du dispositif de contrôle (information sur les personnes autorisées à visionner les images - durée de conservation prenant en compte la préservation du caractère contradictoire du débat dans le cadre de l'instance prud'homale et devant la cour d'appel - information du salarié lors de l'entretien préalable des faits qui lui étaient reprochés pour la préservation de ses droits de la défense).
Il y a lieu, en conséquence, par décision avant dire-droit, de solliciter des parties toutes informations et justificatifs permettant à la cour d'apprécier :
- si la preuve issue de l'exploitation du dispositif de vidéosurveillance est licite
- si, au cas de son illicéité, son utilisation porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, par la mise en balance du droit à la preuve et des droits antinomiques en présence, permettant sa production par son caractère indispensable en présence d'une atteinte strictement proportionnée au but poursuivi (légitimité du contrôle et appréciation des raisons concrètes justifiant le recours à la vidéosurveillance)
- les conditions pratiques du droit d'accès du salarié aux données enregistrées par le système de vidéosurveillance.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt avant dire-droit ;
Invite la société Leader Price [Localité 4] à justifier par tous moyens l'existence de la signature apposée par M. [J] sur le courriel du 13 février 2020, à l'adresse des directeurs pour communication à l'ensemble de leurs personnels, de la note d'utilisation des BRI BRD, portant la mention 'Ne pas faire passer à sa caisse membre famille' ou, à défaut, la réalité de l'information à lui donnée de la teneur de ce document.
Sollicite des parties toutes informations et justificatifs permettant à la cour d'apprécier:
- si la preuve issue de l'exploitation du dispositif de vidéosurveillance mis en oeuvre est licite
- si, au cas de son illicéité, son utilisation porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, par la mise en balance du droit à la preuve et des droits antinomiques en présence, permettant sa production par son caractère indispensable en présence d'une atteinte strictement proportionnée au but poursuivi (légitimité du contrôle et appréciation des raisons concrètes justifiant le recours à la vidéosurveillance)
- les conditions pratiques de l'information de M. [J] sur la mise en oeuvre du système de vidéosurveillance et de son droit d'accès aux données enregistrées
Réserve les demandes des parties en leur entier
Renvoie l'examen de l'affaire à l'audience du 16 décembre 2025 à 9 heures devant la chambre sociale section A salle M
Dit que l'ordonnance de clôture sera rendue le 21 novembre 2025
Réserve les dépens
Signé par Marie-Paule Menu, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps MP. Menu
CHAMBRE SOCIALE - SECTION B
--------------------------
ARRÊT DU : 24 JUILLET 2025
PRUD'HOMMES
N° RG 22/05526 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-NAKK
Monsieur [P] [J]
c/
S.A.R.L. LEADER PRICE [Localité 4] ALDI MARCHE
Nature de la décision : avant dire droit - renvoi à l'audience du 16 décembre 2025
à 9 heures
Grosse délivrée aux avocats le :
à :
Me Hélène JANOUEIX de l'AARPI MONTESQUIEU AVOCATS, avocat au barreau de LIBOURNE
Me Anne MURGIER de la SELARL CAPSTAN LMS, avocat au barreau de PARIS
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 octobre 2022 (R.G. n°F 21/00105) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LIBOURNE, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 06 décembre 2022,
APPELANT :
[P] [J]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
Représenté et assisté par Me Hélène JANOUEIX de l'AARPI MONTESQUIEU AVOCATS, avocat au barreau de LIBOURNE
INTIMÉE :
S.A.R.L. LEADER PRICE [Localité 4] ALDI MARCHE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
Assisté par Me Anne MURGIER de la SELARL CAPSTAN LMS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Cécile AUTHIER
Représentée par Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 mai 2025 en audience publique, devant Monsieur Jean Rovinski, magistrat honoraire, chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Paule Menu, présidente,
Madame Sophie Lésineau, conseillère,
Monsieur Jean Rovinski, magistrat honoraire
greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
FAITS ET PROCEDURE
1. M. [J] a été engagé le 15 juin 2000 par contrat à durée indéterminée à temps complet par la société Lormodis Hard Discount en qualité d'employé commercial. A compter du 3 décembre 2018, son contrat de travail a été transféré à la société Leader Price [Localité 4] et il a occupé un poste de responsable rayon, employé, niveau 4B de la convention collective du commerce à prédominance alimentaire, suite à l'avenant du 1er août 2018. Convoqué le 29 septembre 2020 à un entretien préalable pour le 12 octobre suivant, M. [J] a été licencié pour faute grave par lettre recommandée le 10 novembre 2020 sans avoir fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire.
2.M. [J] a saisi par requête du 25 juin 2021 le conseil des prud'hommes de [Localité 5] pour contester la licéité de son licenciement.
Par jugement du 14 octobre 2022, le conseil des prud'hommes a :
- dit que le licenciement de M. [J] n'était pas abusif et reposait bien sur une faute grave
- débouté M. [J] de l'ensemble de ses demandes
- débouté la société Leader Price [Localité 4] de ses demandes reconventionnelles
- condamné M. [J] aux dépens.
M. [J] a fait appel de ce jugement.
PRETENTIONS
3. Par dernières conclusions du 9 avril 2025, M. [J] demande :
- l'infirmation du jugement
à titre principal :
- que son licenciement soit jugé abusif
- la condamnation de la société Leader Price [Localité 4] à lui payer les sommes suivantes :
.4 678€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis
.467,80€ au titre des congés payés afférents
.6 107,38€ à titre d'indemnité légale de licenciement, avec intérêts légaux à compter de la saisine
.36 254,50€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- la condamnation de la société Leader Price aux dépens et à lui payer la somme de
3 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
à titre subsidiaire :
- la requalification de son licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse
- la condamnation de la société Leader Price [Localité 4] à lui payer les sommes suivantes :
.4 678€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis
.467,80€ au titre des congés payés afférents
.6 107,38€ à titre d'indemnité légale de licenciement, avec intérêts légaux à compter de la saisine
- la condamnation de la société Leader Price aux dépens et à lui payer la somme de
3 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
à titre infiniment subsidiaire :
- la requalification de son licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse
- la condamnation de la société Leader Price [Localité 4] à lui payer les sommes suivantes :
- 4 504 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 450,40 euros au titre des congés payés afférents
- 13 386,88 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, avec intérêts légaux à compter de la saisine
- la condamnation de la société Leader Price aux dépens et à lui payer la somme de
3 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
4. Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 avril 2025, la société [Adresse 3] venant aux droits de la société Leader Price [Localité 4] demande à la cour de:
confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :
- dit que le licenciement de M. [J] n'était pas abusif et reposait bien sur une faute grave
- débouté M. [J] de l'ensemble de ses demandes et plus précisément de ses demandes suivantes :
- 4 678 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 467,80 euros à titre de congés payés sur indemnité sur indemnité compensatrice de préavis
- 6 107,38 euros à titre d'indemnité légale de licenciement
- 36 254 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse
- 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné M. [J] aux dépens
- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :
- débouté la société employeur de sa demande de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
En conséquence ;
A titre principal :
- débouter M. [J] de l'ensemble de ses demandes
A titre subsidiaire :
- limiter le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au
minimum du barème légal, soit à 6.312,33 euros bruts (3 mois de salaire)
- réduire à 4 208,22 euros et aux congés payés afférents la condamnation au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- débouter M. [J] du reste de ses demandes
En tout état de cause :
- condamner M. [J] aux dépens et à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Après clôture prononcée le 15 avril 2025, l'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience du 22 mai 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux dernières conclusions déposées et oralement reprises.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la rupture du contrat de travail
Exposé des moyens
5. M. [J] fait valoir :
- qu'il était d'usage dans l'entreprise d'encaisser des membres de sa famille, aucune interdiction ne lui ayant été communiquée, l'interdiction découlant du mail non daté versé aux débats ne concernant que l'utilisation de BRI BRD qu'il n'a pas signé
- qu'il a encaissé le caddie de sa femme le 28 août 2020, sans omettre de scanner des produits du charriot
- que l'employeur, qui s'appuie sur des films de vidéosurveillance, doit démontrer en préalable que le système mis en place a été autorisé par la préfecture et régulièrement déclaré à la CNIL, outre que les employés ont été informés individuellement de la présence des caméras, de leurs emplacements et des objectifs de la surveillance, après consultation préalable des instances représentatives du personnel (CSE)
- que faute de justifications, la preuve dont se prévaut la société employeur est illégale et doit être écartée des débats
- que l'article L. 1121-1 du code du travail autorise la vidéosurveillance à la condition qu'elle soit justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché, ce qui n'est pas le cas ici, les caméras filmant les salariés sur leur poste de travail en portant atteinte au droit au respect de leur vie privée tandis que la directrice adjointe, présente aux abords des caisses, avait tout loisir d'inspecter le charriot et de vérifier l'adéquation au ticket de caisse
- que l'huissier de justice n'a pas pu procéder à l'extraction des images, en sorte qu'une partie des vues a été filmée avec un smartphone puis retranscrites et que les images du constat ne sont pas probantes, rien ne permettant de démontrer que des produits ont été passés sans être scannés
- que le ticket de caisse n'est pas produit dans sa totalité
- que le document (pièce adverse n°11) intitulé 'démarque du 31.08.2020' est établi sur les pertes à deux jours de la visite de Mme [J] au magasin et ne permet pas de déterminer quels produits celle-ci auraient emportés sans qu'ils aient été scannés
- que le courriel du directeur du magasin, M. [Y], du 1er septembre 2020, révèle que deux personnes pouvaient vérifier l'adéquation du ticket de caisse de Mme [J] à son caddie, ce qui n'a pas été fait
- que la faute grave suppose que le maintien du salarié dans l'entreprise est impossible, ce qui suppose que la procédure de licenciement intervienne dans un délai restreint, après que l'employeur ait eu connaissance des faits fautifs allégués (Soc 20 décembre 2023 n°2221685 - 31 mars 2021 n°1920984), ce qui n'a pas été le cas puisqu'il a continué à travailler pendant deux mois et demi
- que les éléments de preuve rapportés sont insuffisants, alors que son ancienneté était de 20 ans, tandis que le conseil des prud'hommes n'a pas répondu à ses interrogations (absence d'intervention de ses supérieurs présents sur les lieux au moment des faits-absence de mise en oeuvre de la procédure dans un délai restreint et maintien du salarié à son poste sans mise à pied à titre conservatoire) et que l'employeur disposait de tous les éléments d'information nécessaires le 1er septembre 2020.
6.La société Leader Price rétorque :
- qu'en sa qualité de responsable rayon, le salarié devait notamment procéder à l'encaissement et à la vérification des paiements effectués par les clients, totaliser les versements et remplir la fiche 'feuille de caisse'
- qu'il était interdit aux salariés de procéder à l'encaissement d'un membre de la famille ou d'un proche (pièce n°7 procédure du suivi des BRI BRD et d'encaissement)
- que le salarié n'a pas respecté la procédure d'encaissement et a participé au vol de produits alimentaires et ménagers avec son épouse
- que le 28 août 2020, la directrice adjointe du magasin, Mme [M], a alerté son supérieur hiérarchique, M. [Y], directeur du magasin, des achats suspects de Mme [J]
- qu'un constat des vidéos de surveillance a été établi par huissier le jour même, permettant de faire la preuve que Mme [J] avait été encaissée par son mari, seul salarié masculin ce jour-là, dont le comportement s'est révélé étrange au point de suspecter une préméditation avec son épouse des vols, le salarié omettant de scanner de nombreux articles tandis que Mme [J] passait en bout de caisse avec son charriot sans l'avoir complétement vidé et réglait la somme de 38,84€ tandis que le charriot était plein
- que l'inventaire a permis d'établir que M. [J] a détourné des produits d'une valeur totale de 241,29€
- que le salarié a manqué aux procédures internes de l'entreprise en ne scannant qu'une partie des objets de la cliente, manquant de ce fait à son obligation de loyauté
- qu'elle n'a eu connaissance des faits reprochés qu'à compter du constat d'huissier du 23 septembre 2020, en sorte que la procédure a été engagée six jours seulement après la connaissance des faits, tandis que la mise à pied à titre conservatoire n'est pas un préalable indispensable à un licenciement pour faute grave.
Réponse de la cour
7. Il est démontré par la convention de mutation du 3 décembre 2018 que la société Leader Price [Localité 4] s'est substituée à la société Lormodis Hard Discount en qualité d'employeur de M. [J].
L'employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d'un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise.
Il est versé aux débats par la société employeur :
- la lettre recommandée de convocation du salarié à l'entretien préalable du 12 octobre 2020
- la lettre de notification du licenciement pour faute grave du 10 novembre 2020 reprochant au salarié, en violation de la procédure n°60 relative aux rôles des hôtes et hôtesses de caisse interdisant l'enregistrement des achats d'un parent ou d'un ami, l'omission volontaire du scannage d'articles se trouvant dans le caddie de son épouse le 28 août 2020 à 13h49, alors qu'il travaillait en caisse, pour réduire la facture d'achats de 241,29€ au minimum à 38,84€ et la même omission volontaire le 11 septembre suivant à 11h04, pour réduire la facture de 199,75€ à 31,78€
- le courriel du 13 février 2020, à l'adresse des directeurs pour communication à l'ensemble de leurs personnels, de la note d'utilisation des BRI BRD, portant la mention 'Ne pas faire passer à sa caisse membre famille' et huit signatures
- le courriel du directeur du magasin, M. [Y], du 1er septembre 2020 ainsi rédigé à l'adresse de sa hiérarchie : 'Samedi matin, je suis alerté par mon adjointe Mme [M] qui me demande de visionner les vidéos du magasin. En effet, la femme du responsable frais M. [J], a fait ses courses dans le magasin et a trouvé anormal qu'une partie de ses achats aient été déjàa emballés dans des sacs cabas dans le caddie et que son passage en caisse lui a semblé trop rapide par rapport à la quantité du caddie. L'équipe du magasin était composée cet après-midi là de trois personnes : mon adjointe Mme [M], du responsable frais M. [J] et de la responsable caisse Mme [Z]. M. [J] et Mme [Z] sont amis à l'extérieur du magasin. A la lecture des vidéos, on peut voir Mme [J] faire ses courses et remplir un gros caddie d'environ 240€ et ne payer que 38€. En effet, Mme [Z] n'a pas exercé son rôle de responsable de caisse en laissant s'installer Mme [J] à la caisse de son mari alors qu'elle finissait d'encaisser un client. Elle s'est permise d'abandonner son poste de travail pour aller quelque chose à sa voiture et n'a pas contrôlé le ticket de caisse de Mme [J] encaissé par son mari. M. [J] connaissait les consignes pour l'encaissement des membres de sa famille et a passé outre, et a laissé le caddie encore remplie derrière la caisse et n'a pas passé tous les articles sur le tapis en caisse...Je me tiens à votre disposition pour des explications sur les vidéos et pour la suite à donner pour ses deux personnes que je ne veux plus dans mon magasin.'
- le procès-verbal de constat d'huissier du 23 septembre 2020 dont il résulte :
.que l'horloge du matériel de vidéo-surveillance du magasin, fort de 15 caméras, faisait apparaître un décalage de 7 heures et 53 minutes par rapport à l'heure réelle
.que le visionnage des images à partir de 13 heures 45 minutes le 28 août 2020 filmées par smartphone faute de pouvoir procéder à une extraction, a permis de mettre en avant la rencontre dans le magasin entre Mme [Z] et Mme [J], le passage de Mme [J] à la caisse tenue par son mari, tandis que Mme [Z] qui tenait la seconde caisse était sortie du magasin, le passage par M. [J] de certains articles de son épouse au-dessus de la caisse, sans les scanner, le passage de Mme [J] en bout de caisse pour réceptionner les marchandises mises sur le tapis sans que le charriot ait été complètement vidé pour permettre l'enregistrement de tous les articles, s'agissant notamment du contenu d'un sac jaune, le retour de Mme [Z] dans le magasin, le départ de Mme [J] tandis que son mari quitte la caisse pour s'installer à celle occupée par Mme [Z] qui se retire alors, la circonstance que le caddie de Mme [J] déborde d'articles tandis que le ticket de caisse correspondant audit caddie (14 articles - 28 août 2020 - 13h50) est d'un montant de 38,84€.
Il est versé aux débats par M. [J] :
- son contrat de travail à durée indéterminée à temps complet du 21 novembre 2001 et son avenant du 1er août 2018
- la convention de mutation du 3 décembre 2018 et son contrat de travail du même jour
- son certificat de travail et son reçu pour solde de tout compte
- sa lettre de dénégation du 18 novembre 2020 adressée à son employeur, dans laquelle il reconnaît avoir encaissé son épouse mais sans avoir volontairement omis de scanner des articles
- divers bulletins de paie.
M. [J] affirme que la communication ne lui aurait pas été faite du courriel contenant selon la société employeur la règle de prohibition d'encaissement par un salarié des membres de sa famille et non pas seulement les règles d'encaissement avec utilisation de BRI BRD et invoque la pratique contraire en cours au sein du magasin. Il n'est pas établi par le document versé aux débats que M. [J] ait porté sa signature sur le document, la société employeur ne précisant pas laquelle de ces signatures serait celle du salarié. Il y a lieu d'inviter la société Leader Price [Localité 4] à justifier par tous moyens l'existence de la signature apposée par M. [J] sur le document litigieux ou la réalité de l'information à lui donnée de la teneur de ce document.
Selon l'article 5 du règlement UE 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection des données ou RGPD), les données à caractère personnel doivent être traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée, être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, ne pas être traitées ultérieurement d'une manière incompatible avec ces finalités et être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées.
Selon son article 6 §1, un traitement de données à caractère personnel n'est licite que si, et dans la mesure où, au moins une des conditions suivantes est remplie :
a) la personne concernée a consenti au traitement de ses données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques ;
b) le traitement est nécessaire à l'exécution d'un contrat auquel la personne concernée est partie ou à l'exécution de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci;
c) le traitement est nécessaire au respect d'une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis
d) le traitement est nécessaire à la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne concernée ou d'une autre personne physique ;
e) le traitement est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique dont est investi le responsable du traitement ;
f) le traitement est nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers, à moins que ne prévalent les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée qui exigent une protection des données à caractère personnel, notamment lorsque la personne concernée est un enfant.
Selon les articles 13 et 14 du RGPD, le responsable du traitement de données personnelles doit délivrer aux personnes concernées des informations relatives notamment aux finalités du dispositif de contrôle, à leur droit d'accès et de rectification, aux coordonnées du délégué à la protection des données.
L'utilisation des constats et attestations réalisés à partir de la captation et du visionnage des images issues du système de vidéoprotection du magasin de [Localité 4] constitue un traitement de données à caractère personnel au sens de l'article 4 du RGPD, de sorte que la société employeur est tenue au respect des obligations instituées par les dispositions des articles 5, 6, 13 et 14 du RGPD.
Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1222-4 du code du travail, 'aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance.' (au moyen de son contrat de travail ou d'un avenant, d'une réunion d'information ou d'une note de service adressée à l'ensemble des salariés définissant les finalités poursuivies du système de vidéosurveillance, les destinataires des images et les modalités concrètes de l'exercice du droit d'accès dont bénéficient les personnes concernées).
Pour répondre aux moyens de M. [J] qui fait valoir successivement, pour établir la légalité du moyen de preuve employé :
- qu'il doit être prouvé que le système mis en place a été autorisé par la Préfecture et régulièrement déclaré à la CNIL
- qu'il doit être établi que les caméras de surveillance installées avaient une finalité légitime (sécurité des biens et des personnes - prévention des vols etc) et proportionnées au but recherché (article L. 1121-1 du code du travail)
- que les employés avaient été informés individuellement de la présence des caméras, de leur emplacement et des objectifs de la surveillance
- que les instances représentatives du personnel ( CE et CSE -articles L. 2323-32, alinéa 3 ancien et L. 2323-47, alinéa 3 du code du travail) avaient été consultées avant l'installation des caméras, la société employeur se borne à relever :
- que M. [J] invoque dans ses conclusions du 26 février 2025 et pour la première fois, quatre ans après son licenciement, la validité du système de vidéosurveillance
- que l'éventuelle illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats
- que la Cour de cassation a jugé qu'un moyen de preuve déloyal utilisé par l'employeur (par exemple des enregistrements clandestins réalisés à l'insu du salarié) peut être recevable et utilisé contre le salarié (et inversement dans le cas d'un moyen de preuve déloyal utilisé par le salarié à l'encontre de son employeur) s'il est indispensable à l'exercice de ses droits et n'est pas susceptible de porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (vie privée etc)
- qu'au cas présent, compte-tenu des faits reprochés, il est évident que la production de l'extrait de vidéosurveillance et du procès-verbal de constat est indispensable à l'exercice du droit de la preuve.
En l'état des pièces produites et des conclusions des parties, la cour n'est pas en mesure :
- d'apprécier les conditions dans lesquelles le système de vidéosurveillance a été installé au sein du magasin (date de mise en oeuvre- autorisation de la CNIL et autorisations administratives- finalités du dispositif etc)
- d'apprécier les conditions dans lesquelles a été assuré le droit d'information et d'accès des personnes (salariés et visiteurs du magasin) aux enregistrements qui les concernaient (affichage de pictogramme indiquant que le site est sous vidéosurveillance - note interne - affichage de documents papier etc - indication de la personne responsable à laquelle il convenait de s'adresser pour l'exercice du droit d'accès - information des représentants du personnel).
La cour ne peut pas, dès lors, par une mise en balance des intérêts en jeu afin d'assurer aux salariés concernés une protection suffisante de leur droit au respect de la vie privée, se déterminer sur la finalité du dispositif de vidéoprotection et dire si les données à caractère personnel concernant M. [J] avaient été collectées pour des finalités déterminées et légitimes sans atteinte excessive aux libertés du salarié par une surveillance constante, répondre à la question de savoir si ce dernier avait été mis en place à l'insu du salarié ou non et s'il a été en mesure d'exercer son droit d'accès aux enregistrements le concernant dans des conditions de traitement ultérieure des données compatible avec les finalités du dispositif de contrôle (information sur les personnes autorisées à visionner les images - durée de conservation prenant en compte la préservation du caractère contradictoire du débat dans le cadre de l'instance prud'homale et devant la cour d'appel - information du salarié lors de l'entretien préalable des faits qui lui étaient reprochés pour la préservation de ses droits de la défense).
Il y a lieu, en conséquence, par décision avant dire-droit, de solliciter des parties toutes informations et justificatifs permettant à la cour d'apprécier :
- si la preuve issue de l'exploitation du dispositif de vidéosurveillance est licite
- si, au cas de son illicéité, son utilisation porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, par la mise en balance du droit à la preuve et des droits antinomiques en présence, permettant sa production par son caractère indispensable en présence d'une atteinte strictement proportionnée au but poursuivi (légitimité du contrôle et appréciation des raisons concrètes justifiant le recours à la vidéosurveillance)
- les conditions pratiques du droit d'accès du salarié aux données enregistrées par le système de vidéosurveillance.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt avant dire-droit ;
Invite la société Leader Price [Localité 4] à justifier par tous moyens l'existence de la signature apposée par M. [J] sur le courriel du 13 février 2020, à l'adresse des directeurs pour communication à l'ensemble de leurs personnels, de la note d'utilisation des BRI BRD, portant la mention 'Ne pas faire passer à sa caisse membre famille' ou, à défaut, la réalité de l'information à lui donnée de la teneur de ce document.
Sollicite des parties toutes informations et justificatifs permettant à la cour d'apprécier:
- si la preuve issue de l'exploitation du dispositif de vidéosurveillance mis en oeuvre est licite
- si, au cas de son illicéité, son utilisation porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, par la mise en balance du droit à la preuve et des droits antinomiques en présence, permettant sa production par son caractère indispensable en présence d'une atteinte strictement proportionnée au but poursuivi (légitimité du contrôle et appréciation des raisons concrètes justifiant le recours à la vidéosurveillance)
- les conditions pratiques de l'information de M. [J] sur la mise en oeuvre du système de vidéosurveillance et de son droit d'accès aux données enregistrées
Réserve les demandes des parties en leur entier
Renvoie l'examen de l'affaire à l'audience du 16 décembre 2025 à 9 heures devant la chambre sociale section A salle M
Dit que l'ordonnance de clôture sera rendue le 21 novembre 2025
Réserve les dépens
Signé par Marie-Paule Menu, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps MP. Menu