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Décisions

CA Metz, 6e ch., 24 juillet 2025, n° 24/00827

METZ

Arrêt

Autre

CA Metz n° 24/00827

24 juillet 2025

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° RG 24/00827 - N° Portalis DBVS-V-B7I-GE76

Minute n° 25/00113

[D]

C/

S.E.L.A.R.L. [Y] [7]

Jugement Au fond, origine TJ à compétence commerciale de [Localité 19], décision attaquée en date du 02 Avril 2024, enregistrée sous le n° 21/00297

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU 24 JUILLET 2025

APPELANT :

Monsieur [U] [D]

[Adresse 12]

[Localité 2]

INDE

Représenté par Me Gilles ROZENEK, avocat au barreau de METZ

INTIMÉE :

SELARL [Y] [7], prise en la personne de Me [W] [Y], es qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la SARL [10]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Armelle BETTENFELD, avocat au barreau de METZ

En présence du Ministère public

Représenté par M. Le procureur général près la cour d'appel de METZ

DATE DES DÉBATS : En application de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 Juin 2025 tenue par Mme Anne-Yvonne FLORES, Magistrat rapporteur, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés et en a rendu compte à la cour dans son délibéré, pour l'arrêt être rendu le 24 Juillet 2025.

GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Cindy NONDIER

COMPOSITION DE LA COUR :

PRÉSIDENT : Mme FLORES, Présidente de Chambre

ASSESSEURS : Mme DEVIGNOT,Conseillère

Mme DUSSAUD, Conseillère

ARRÊT : Contradictoire

Rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Anne-Yvonne FLORES, Présidente de Chambre et par Mme Cindy NONDIER, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La SARL [11], immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Metz sous le n° B 357 800 614, a été mise en redressement judiciaire par jugement du tribunal de grande instance de Metz, chambre commerciale, rendu le 27 novembre 2019.

La date de la cessation des paiements a été fixée au 28 mai 2018 et la SELARL [Y] [1] [Z], prise en la personne de Mme [W] [Y], a été désignée en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement rendu par le tribunal judiciaire de Metz le 22 janvier 2020, la SCP [C] et Chanel, prise en la personne de Mme [C], a été désignée en qualité d'administrateur judiciaire.

Par jugement du tribunal judiciaire de Metz, chambre commerciale, en date du 27 mai 2020, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire.

La société employait neufs salariés au moment de l'ouverture de la procédure collective.

Par acte d'huissier en date du 27 octobre 2020, la SELARL [Y] [1] [Z], prise en la personne de Maître [W] [Y], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [11], a assigné M. [U] [D] en comblement du passif et en faillite personnelle, au visa des articles L.651-2, L. 653-4 et L. 653-5 du Code de commerce, devant la Chambre commerciale du tribunal judiciaire de Metz.

Par jugement contradictoire rendu le 02 avril 2024, le tribunal judiciaire de Metz :

Condamné M. [U] [D] à payer à la SELARL [Y] [6] [Z] ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [11] la somme de 400 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif ;

Débouté la SELARL [Y] [6] [Z] ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [11] de sa demande de condamnation de M. [U] [D] à une mesure de faillite personnelle ;

Condamné M. [U] [D] à payer à la SELARL [Y] [6] [Z] ès qualité de Liquidateur judiciaire de la SARL [11] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Ordonné l'exécution provisoire ;

Condamné M. [U] [D] aux dépens.

Par déclaration du 05 mai 2024, enregistrée au greffe de la cour d'appel de Metz le 06 mai 2024, M. [D] a interjeté appel aux fins d'annulation, subsidiairement infirmation, de ce jugement et visé l'ensemble de ses dispositions, sauf celle ayant débouté la SELARL [Y] et [Z] de sa demande de condamnation de M. [D] à une mesure de faillite personnelle.

La SELARL [Y] et [Z] a formé appel incident par voie de conclusions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 mars 2025.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions du 13 mars 2025, auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [D] demande à la cour d'appel de :

« Faire droit seul à l'appel interjeté par M. [U] [D],

Rejeter l'appel incident formé par la SELARL [Y] et [Z] es-qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [11], et la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées contre M. [D].

Prononcer la nullité de l'assignation en comblement de passif et en faillite personnelle délivrée à M. [U] [D] à la requête de la SELARL [Y] [1] [Z], Mandataires judiciaires, pris en la personne de Maître [W] [Y], agissant en qualité de liquidateur de la SARL [11],

En conséquence,

Annuler le jugement rendu parla Chambre Commerciale du tribunal judiciaire de Metz en date du 2 avril 2024, RG n° 21/00297, Minute 24/239,

Très subsidiairement, pour le cas où par impossible la Cour ne prononcerait pas la nullité du jugement,

Infirmer le jugement rendu le 02 avril 2024 par le tribunal judiciaire de Metz, Chambre Commerciale, RG n° 21/00297, Minute 24/239,

Et statuant à nouveau,

Débouter la SELARL [Y] [1] [Z], prise en la personne de Maître [W] [Y], ès-qualités de mandataire liquidateur de la SARL [11] de sa demande dirigée contre M. [U] [D] au titre de l'insuffisance d'actif,

La débouter de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Confirmer le jugement pour le surplus,

Plus subsidiairement encore,

Réduire drastiquement la condamnation prononcée à l'encontre de M. [D] au titre de l'insuffisance d'actif, qui ne saurait excéder la somme de 100 000 euros,

En tout état de cause,

Condamner la SELARL [Y] [1] [Z], ès-qualités de mandataire liquidateur de la SARL [11] aux entiers dépens d'appel

Condamner la SELARL [Y] [1] [Z], ès-qualités de mandataire liquidateur de la SARL [11] à payer à M. [U] [D] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. »

Au soutien de ses prétentions, M. [D] se prévaut des articles L. 812-2 et R. 814-83 du code de commerce et affirme que lorsque le tribunal nomme en qualité de liquidateur dans une procédure de liquidation judiciaire une personne morale, il désigne en son sein une ou plusieurs personnes physiques pour la représenter dans l'accomplissement du mandat qui lui est confié. Estimant en l'espèce que le tribunal qui a prononcé la liquidation judiciaire a désigné en qualité de liquidateur la SELARL [Y] [6] [Z], prise en la personne de M. [Z], et que donc seul ce dernier a le pouvoir de représenter la SELARL [Y] et [Z] dans le mandat qui lui a été confié. M. [D] en déduit que Mme [Y] était dépourvue de capacité à agir en responsabilité pour insuffisance d'actif et en faillite personnelle contre lui, entachant ainsi la validité de l'assignation d'une irrégularité de fond en application de l'article 117 du code de procédure civile, justifiant ainsi le prononcé de la nullité sans qu'il soit nécessaire de démontrer l'existence d'un grief.

S'agissant ensuite de la responsabilité en insuffisance d'actif et en comblement de passif, M. [D] rappelle que l'article L. 651-2 ne vise que les dirigeant de droit et les dirigeants de fait, qu'il était dirigeant de droit de la société débitrice qu'à compter du 30 novembre 2018, ce qui est reconnu par le liquidateur. M. [D] conteste avoir été gérant de fait depuis 2012, décrivant pour le démontrer la structure du groupe [13], et considère donc que seules des fautes postérieures au 30 novembre 2018 peuvent lui être reprochées.

Sur la gestion irrégulière fondée sur le non-paiement régulier des cotisations sociales et des créances fiscales, et rappelant une nouvelle fois avoir pris ses fonctions de gérant à compter du 30 novembre 2018 seulement, M. [D] soutient que les dettes retenues sont moins nombreuses en 2019 qu'en 2018.

Sur l'accroissement considérable du passif par le défaut de mesures permettant la réorganisation de la société, M. [D] reprend la motivation du jugement laquelle retenait que les données relevées étaient antérieures à sa prise de fonction et que la situation déficitaire de la SARL [9] ne pouvait donc lui être imputée.

Sur l'absence et l'éloignement du dirigeant, M. [D] rappelle que cette faute a également été écartée par les premiers faute d'avoir été démontrée, outre son caractère fallacieux.

Sur l'absence de paiement régulier des charges courantes, M. [D] critique l'imprécision du liquidateur lui reprochant d'avoir cesser de payer régulièrement certaines charges courantes telles que les fournisseurs depuis 2017, les loyers à compter d'avril 2018, la TVA à compter d'avril 2018 et les caisses de retraites à compter de la fin d'année 2018. M. [D] ajoute que, concernant la TVA, ce point relève des dettes fiscales en majeure partie préexistantes à sa prise de fonction et qu'il en est de même concernant les créances fournisseurs et des loyers. M. [D] affirme ensuite que le non-paiement ou la persistance des non-paiements, constatés par le premier juge postérieurement à sa prise de fonction, n'est pas en soi une faute de gestion.

Sur le retard dans la déclaration de cessation des paiements, M. [D] expose que, la date de cessation des paiements ayant été fixée au 28 mai 2018, le délai de 45 jours prescrit à l'article L 640-4 du code de commerce était déjà expiré à la date à laquelle il a pris ses fonctions de dirigeant, soit en novembre 2019. M. [D] affirme que la connaissance de l'état de cessation de paiement par le dirigeant qui déclarait tardivement ladite cessation n'excède pas la simple négligence. Il ajoute que compte tenu du passif de la société, il n'y a rien d'étonnant à ce que les difficultés financières aient persistées après sa prise de fonction et que certaines charges aient demeurées impayées et qu'il revient au liquidateur de démontrer le contraire.

M. [D] ajoute n'avoir perçu ni salaire ni avantage par la SARL [9] suite à la nomination, qu'il a exercé ses fonctions totalement bénévolement et qu'il n'a donc exposé aucune dépense pour le compte de la société. Il précise encore que le seul manque de vigilance du dirigeant n'est pas constitutif d'une faute de gestion mais s'analyse en une simple négligence.

Sur l'insuffisance d'actif, M. [D] affirme qu'il n'est pas justifié par le liquidateur, estimant que c'est le tribunal judiciaire qui est venu pallier cette carence en l'évaluant à la hauteur de 1 352 520 euros. M. [D] reprend d'ailleurs la motivation du tribunal judiciaire ayant retenu que le liquidateur ne justifiait pas de ce que la totalité de l'insuffisance d'actif soit imputable à M. [D] compte tenu des difficultés antérieures de la société liquidée. M. [D] rappelle la jurisprudence récente de la cour de cassation selon laquelle l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif requiert la démonstration d'une faute de gestion antérieure au jugement d'ouverture et à la détermination du montant de cette insuffisance comme préjudice réparable maximal.

Sur le lien de causalité, M. [D] soutient que le tribunal judiciaire n'a pas évoqué ce point et que le liquidateur n'apporte pas la preuve, qui pourtant lui incombe, de ce que chacune des fautes de gestion qui lui sont imputées ont contribuées à l'insuffisance d'actif. Pour se défendre, M. [D] affirme que le passif était bien supérieur à celui de la procédure collective au moment de sa prise de fonction et qu'il ne s'est donc pas aggravé. M. [D] soutient que le liquidateur aurait dû poursuivre l'ancien gérant, M. [L] qui, lui, a commis un certain nombre de faute à l'origine de l'insuffisance d'actif.

Par conclusions du 13 mars 2025, auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SELARL [Y] et [Z] demande à la cour d'appel de :

« Rejeter l'appel de M. [U] [D],

Accueillir le seul appel incident de SELARL [Y] et [Z] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société [11],

Infirmer le jugement en ce qu'il a limité à 400 000 euros le montant mis à la charge de M. [D], et l'a condamné à payer cette somme.

Et statuant à nouveau,

Condamner M. [U] [D] à régler la SELARL [Y] [1] [Z], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société [11] la somme de 1 393 683 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation signifiée le 27 octobre 2020

Très subsidiairement,

Confirmer le jugement,

Encore plus subsidiairement,

Condamner M. [U] [D] à régler la SELARL [Y] [1] [Z], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société [11] une somme qui ne saurait être inférieure à la somme de 100 000 euros.

En tout état de cause,

Déclarer M. [U] [D] irrecevable et subsidiairement mal fondé en l'ensemble de ses demandes, fins, moyens, conclusions et prétentions et les rejeter,

Condamner M. [U] [D] aux entiers frais et dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SELARL [Y] [6] [Z] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [11] une somme de 3 000 euros au titre de l'Article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel. »

Au soutien de ses prétentions, la SELARL [Y] et [Z] oppose à M. [D], s'agissant de sa demande de nullité du jugement, qu'il est constant que lorsqu'un mandataire judiciaire exerce ses fonctions sous forme de société, seule la société désignée est habilitée à agir et à exercer les fonctions de liquidateur judiciaire, indépendamment de la personne et de ses associés et qu'en l'espèce le mandataire désigné à la liquidation judiciaire de la SARL [9] est la SELARL [Y] et [Z]. Selon la SELARL [Y] et [Z], le demandeur à l'action était bien la SARL [9], représentée par elle par mandat judiciaire.

S'agissant de la qualité de gérant de M. [D], la SELARL [Y] et [Z] rappelle d'abord que l'action en comblement de passif issue de l'article L. 651-2 du code commerce peut aussi bien être dirigée contre le dirigeant de droit que contre le dirigeant de fait. La SELAR SELARL [Y] et [Z] distingue alors deux périodes.

Sur la période antérieure à la prise de fonction officielle de M. [D], désigné comme gérant le 30 novembre 2018, la SELARL [Y] et [Z] expose que la SARL [9] a été reprise par la société allemande [15] au cours de l'année 2012, qu'elle en détient depuis 99% des parts sociales. La SELARL [Y] et [Z] présente la société allemande comme la société mère qui selon elle n'était pas seulement l'associé unique, mais fournissait aide, assistance et main-d''uvre pour permettre l'exécution des marchés conclus par la SARL [9] de sorte que cette dernière en était totalement dépendante. La SELARL [Y] et [Z] estime que M. [D] ne pouvait ignorer la situation particulièrement difficile de la SARL [9] puisqu'il en détenait 99% du capital social au travers de la société allemande dont il était l'unique associé. La SELARL [Y] et [Z] soutient que la SARL [9] ne disposait d'aucune autonomie et que son gérant de droit, M. [L], n'en n'avait pas davantage puisque toute prise de décision dépendait de la société allemande, et donc M. [D], qui restait seule décisionnaire. La SELARL [Y] et [Z] en déduit que M. [D] était dirigeant de fait sur cette période.

Sur la période postérieure au 30 novembre 2018, la SELARL [Y] et [Z] estime qu'il est incontestable que le gérant de droit répond par principe des fautes de gestion qu'il a pu commettre et qu'aucune discussion ne peut être présentée à ce titre.

S'agissant des fautes commises, la SELARL [Y] et [Z] aborde en premier lieu la gestion irrégulière fondée sur le non paiement régulier des cotisations sociales et des créances fiscales, notamment pour les caisses de retraites à compter de fin 2018, pour la TVA à compter d'avril 2018, pour les loyers à compter d'avril 2018 et pour les fournisseurs depuis 2017. La SELARL [Y] et [Z] considère que cette faute est incontestable et que c'est à bon droit que le premier juge l'a retenue.

En deuxième lieu, la SELARL [Y] et [Z] reproche à M. [D] l'accroissement considérable du passif en raison de l'absence de mesure permettant la réorganisation de la SARL [9]. La SELARL [Y] et [Z] relève que la SARL [9] a dégagé des pertes succinctes conséquentes depuis l'exercice clos du 31 décembre 2017 faisant apparaitre un résultat d'exploitation négatif à hauteur de 557 692 euros, retenant également une perte d'exploitation de 596 560 sur l'exercice clos au 31 décembre 2018. La SELARL [Y] et [Z] soutient que, au regard du chiffre d'affaires réalisé, pour une facturation de 1 euros, le coût de production était de 1,40 euros.

La SELARL [Y] et [Z] reproche également à M. [D] son absence et son éloignement, exposant qu'il ne se rendait quasiment jamais au siège social à [Localité 5], ne parlait pas français, méconnaissait la législation française et se désintéressait manifestement de la gestion de la société puisqu'aucune mesure n'était prise pour remédier à sa situation, ajoutant qu'il n'avait laissé aucune délégation ou pouvoir de signature pour permettre la gestion de la société. La SELARL [Y] et [Z] estime que le fait que M. [D] ait tenté de participer à la procédure collective n'excuse pas les fautes de gestion préexistantes. L'intimée affirme en somme que M. [D] s'est désintéressé de la société et qu'il ne produit aucune pièce de nature à prouver des démarches qu'il aurait entreprises pour tenter de redresser la situation.

La SELARL [Y] et [Z] oppose encore à M. [D] sa faute de gestion résultant du fait de n'avoir pris aucune mesure de nature à remédier au règlement du passif et au contraire d'avoir poursuivit l'activité de manière chaotique, relevant notamment que les salariés et fournisseurs étaient systématiquement payés en retard et que la situation de la société a perduré sur plusieurs années et même postérieurement à la prise de fonction de M. [D] en tant que gérant de droit.

La SELARL [Y] et [Z] affirme en outre que M. [D] a tardivement déclaré l'état de cessation des paiements. Reprenant la date de cessation des paiements fixée, non contestée et définitive, du 28 mai 2018, la SELARL [Y] et [Z] relève que M. [D] a été nommé gérant de droit le 30 novembre 2018 alors que la société se trouvait déjà en cessation des paiements qu'il ne pouvait ignorer puisqu'il était indirectement l'actionnaire principale. La SELARL [Y] et [Z] soutient que, malgré sa connaissance de la situation, M. [D] n'a déclaré l'état de cessation des paiements que le 05 novembre 2019, soit au-delà du délai de 45 jours et qu'il a donc poursuivi une activité déficitaire sans prendre la moindre mesure nécessaire.

La SELARL [Y] et [Z] précise que les fautes ainsi reprochées ne sont pas de simples négligences mais un désintéressement avéré de la gestion de la société.

Sur l'insuffisance d'actif, la SELARL [Y] et [Z] précise que le passif déclaré a été établi à la somme de 1 945 722 euros et qu'il est toujours en cours de vérification. Sur le montant de l'actif, l'intimée expose que l'actif net était constitué de créance clients chiffrées à 449 635 euros dans la déclaration des cessations des paiements et à 488 178 euros selon relevé du 29 juin 2020, ajoutant à cette somme le montant du matériel dressé par l'inventaire du commissaire de justice s'élevant à 2 900 euros ainsi que celle de 62 961 euros correspondant au superprivilège de salaires. La SELARL [Y] et [Z] en déduit que l'insuffisance d'actif s'élève à la somme de 1 393 683 euros (1 945 722 euros ' 486 178 euros + 2 900 euros ' 62 961 euros). La SELARL [Y] et [Z] affirme que, au regard du passif et des désintéressements de M. [D] pour la SARL [8], ce dernier doit être condamné pour une somme correspondant au montant de l'insuffisance d'actif total, très subsidiairement, à une somme qui ne pourrait être inférieure à 100 000 euros.

Par conclusions du 12 mars 2025, auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, le ministère public demande à la cour d'appel de :

« Déclarer l`appel recevable.

Confirmer le jugement rendu le 02 avril 2024 par la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Metz. »

Au soutien de ses prétentions, le ministère public expose d'abord que l'appel respecte les délais prescrits par l'article R. 661-3 du code de commerce et est donc recevable en la forme.

Sur la nullité du jugement, le ministère public se prévaut des articles L. 812-2, R.814-83 et R.814-45 du code de commerce et expose qu'une société de mandataire judiciaire désignée en qualité de liquidateur est représentée, pour l'accomplissement de cette mission par le ou les mandataires judiciaires associés nommés par le tribunal mais que pour autant, lorsque le mandat de justice est exercé par une société de mandataires judiciaires, le juge désigne celui ou ceux des associés qui conduiront la mission de sorte qu'un mandataire judiciaire associé exerçant au sein d'une société ne peut exercer sa profession à titre individuel et exerce nécessairement ses fonctions au nom de la société. L'appliquant à l'espèce, le ministère public relève que la SELARL [Y] [6] [Z], prise en la personne de M. [Z], avait été désignée en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [9] et en déduit que l'action issue de l'assignation du 27 octobre 2020 a été initiée par la SELARL [Y] [6] [Z], prise en la personne de Mme [Y], est recevable puisque Mme [Y] n'a pas agi en son nom propre mais en celui de la SELARL désignée comme liquidateur.

Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif et, d'abord, s'agissant de la qualité de dirigeant de M. [D], le ministère public reprend la définition du dirigeant de fait résultant des articles L.241-9 et L. 245-16 du code de commerce retenant que le dirigeant de fait est celui qui en toute souveraineté et indépendance exerce une activité positive de gestion et de direction, précisant que cette qualité ne se présume pas et que la charge de la preuve incombe au demandeur. Le ministère public relève qu'il ressort des procès verbaux d'assemblée générale que M. [D] avait en effet une gérance de fait, notamment compte tenu des articles 18 et 19 des statuts de la SARL [9]. Le ministère public ajoute que M. [D] détenait 99% des parts sociales de la société allemande [16], qui elle-même détenait 99% des parts sociales de la SARL [9] depuis 2012, qu'il apparait des procès verbaux que M. [D] participait à la gérance et à la direction de la SARL [9] et qu'il avait connaissance de ses difficultés avant sa prose de fonction en qualité de gérant. Le ministère public soutient donc que les fautes de gestions sont imputables à M. [D] tant avant sa prise de fonction officielle au 30 novembre 2018, qu'après.

Ensuite, s'agissant des fautes de gestion, le ministère public rappelle qu'elles se caractérisent par toute faute commise dans l'administration générale de la société, par action ou par omission et qu'une faute même légère, une simple imprudence ou négligence, suffit.

Sur la gestion irrégulière fondée sur le non-paiement régulier des cotisations sociales et créances fiscales, le ministère public précise d'abord qu'il est constant que le non respect des obligations fiscales et sociales est susceptible de constituer une faute de gestion en raison de son caractère systématique et lorsque ce non-paiement a contribué à l'insuffisance d'actifs, le dirigeant ayant nécessairement eu connaissance de cet état de fait. Le ministère public affirme qu'en l'espèce, M. [D], à sa prise de fonction officielle, n'a pris aucune mesure pour alléger la dette fiscale de la société et a poursuivi l'activité alors qu'il avait nécessairement connaissance des dettes. Le ministère ajoute que l'inscription de privilège par la société [18] en date du 23 mai 2019 permet d'établir que le passif social préexistait à la déclaration de cessation des paiements que M. [D] ne pouvait ignorer. Le ministère public affirme que ces manquements ne constituent pas de simples négligences ou imprudence mais une faute de gestion.

Sur l'accroissement considérable du passif par le défaut de mesure permettant la réorganisation de la société, le ministère public, évoquant les pertes d'exploitations sur les années 2017 et 2018 reprises par le liquidateur judiciaire, expose qu'il ressort des procès verbaux d'assemblée générale que M. [D] participait à la gérance et la direction et ne pouvait ignorer la situation. Le ministère public en déduit que l'accroissement du passif et l'absence de mesures prises par M. [D] constituent également des fautes de gestions qui lui sont imputables.

Sur l'absence et l'éloignement de M. [D], il ressort, selon le ministère public, du rapport du mandataire judiciaire en date du 29 juin 2020 que les principales difficultés sont liées au mode de gouvernance de la société caractérisé par l'éloignement géographique du dirigeant, l'absence de délégation de pouvoir et de signature, la barrière linguistique, les problèmes de communication, une mauvaise appréhension de la réglementation et des usages français ainsi que l'absence de gestion des conflits sociaux. Le ministère public estime également que le bilan économique social et environnemental du 10 mars 2020 établi que malgré les démarches effectuées en ce sens, il n'a pas été possible de rencontrer le dirigeant et que ce dernier ne s'est ni présenter ni fait représenter. Le ministère public affirme alors que, s'il est acté que M. [D] a tenté de participer aux audiences tenues dans le cadre de la procédure collective, force est de constater qu'avant l'ouverture de cette production et plus particulièrement des audiences, il était peu impliqué. Le ministère public en déduit que le désintéressement du gérant est suffisamment démontré.

Sur l'absence de paiement régulier des charges courantes, le ministère public affirme que cette situation ne pouvait être ignoré par M. [D] lors de sa gérance de fait et qu'elle a perduré à la suite de sa prise de fonction et en déduit que la faute de gestion ainsi reprochée est établie et qu'il ne s'agit pas d'une simple négligence.

Sur le retard dans la déclaration de la cessation des paiements, le ministère public rappelle que cette faute s'apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements fixée par le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report et que dès lors que le gérant a commis des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif, il doit répondre des dettes sociales, sans qu'il ne soit nécessaire de rechercher si celui-ci avait ou non personnellement bénéficié de la poursuite de l'exploitation. Le ministère public estime qu'en l'espèce, alors même que la cessation de paiements était déjà en cours antérieurement à la prise de fonction de M. [D] au 30 novembre 2018, il lui appartenait, en prenant connaissance de la situation, de procéder immédiatement à la déclaration de la cessation des paiements, précisant qu'il ne peut se prévaloir de l'inaction de son prédécesseur qui ne l'exonère pas de toute responsabilité. Le ministère public considère que cette faute dépasse là encore la simple négligence.

Sur l'insuffisance d'actif, le ministère public précise que seules des fautes de gestion antérieures à l'ouverture de la procédure collective peuvent être prises en compte pour engager la responsabilité pour insuffisance d'actif du dirigeant fautif et qu'il n'est pas nécessaire, pour retenir la responsabilité pour insuffisance d'actif, que le passif soit entièrement chiffré ni que l'actif ait été réalisé tant que l'insuffisance d'actif est certaine. Le ministère public ajoute que le dirigeant d'une personne morale peut être déclaré responsable sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce même si la faute de gestion qu'il a commise n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif et il peut être condamné à supporter en tout ou partie des dettes sociales, même si sa faute n'est à l'origine que d'une partie d'entre elles. Le ministère public rappelle également que le jugement qui condamne le dirigeant d'une personne morale à ce titre doit préciser en quoi chaque faute retenue a contribué à l'insuffisance d'actif. Appliquant ces principes à l'espèce, le ministère public retient que les fautes relevées sont antérieures à l'ouverture de la procédure collective en date du 27 novembre 2019, qu'il résulte du dossier une insuffisance d'actif d'un montant de 1 352 000 euros et que les fautes de gestions précédemment évoquées ont chacune concouru à l'aggravation de l'insuffisance d'actif, justifiant la condamnation de M. [D] au paiement d'une somme supérieure à celle retenue par le premier juge, sans pour autant recouvrir la totalité de l'insuffisance d'actif.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre préliminaire, le délai d'appel étant, en application des articles R. 661-3 du code de commerce et 643 du code de procédure civile, de 10 jours augmentés de deux mois du fait de la résidence à l'étranger de M. [D], l'appel interjeté par ce dernier selon déclaration du 05 mai 2024 est recevable.

I- Sur la nullité du jugement

Aux termes de l'article 117 du code de procédure civile, constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte : Le défaut de capacité d'ester en justice ; Le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ; Le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice.

L'article 119 du même code dispose que les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d'un grief et alors même que la nullité ne résulterait d'aucune disposition expresse.

En vertu de l'article L. 812-2, II, du code de commerce, alinéa 1er, nul ne peut être désigné en justice pour exercer les fonctions de mandataire judiciaire s'il n'est inscrit sur la liste établie à cet effet par une commission nationale.

Il résulte enfin des articles L. 812-1 alinéa 1 et L. 812-3 alinéa 4 du code de commerce que seules les personnes inscrites sur liste établie à cet effet par une commission, d'une part, que les mandataires judiciaires sont les mandataires personnes physiques ou morales chargés par décision de justice de représenter les créanciers et de procéder éventuellement à la liquidation d'une entreprise et, d'autre part, les personnes morales inscrites ne peuvent exercer les fonctions de mandataire judiciaire que par l'intermédiaire d'un de leurs membres lui-même inscrit sur la liste.

En l'espèce, il est constant que la SELARL [Y] [6] [Z], prise en la personne de M. [Z] a été désignée liquidateur par jugement du 27 mai 2020 prononçant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.

Le fait que la SELARL [Y] et [Z], en tant que personne morale, M. [Z] et Mme [Y], en tant que personnes physiques, soient inscrites sur la liste des mandataires judicaire établie par la commission nationale n'est pas discuté. Les qualités, pour Mme [Y] et M. [Z], de membres de la SELARL [Y] ne sont pas contestées.

Ainsi, la SELARL [Y] et [Z] ne peut exercer ses fonctions de mandataire judiciaire que par l'intermédiaire de M. [Z] ou Mme [Y] de sorte l'un et l'autre ont pouvoir et capacité de la représenter pour tout acte judiciaire en exécution du mandat pour lequel elle a été désignée.

De plus, il ressort de l'acte d'assignation que la SELARL [Y] et [Z], représentée par Mme [Y], a précisé agir en qualité de liquidateur de la SARL [9]. Elle n'agit donc pas en son nom personnel.

Il s'en suit que l'assignation ne comporte aucune irrégularité.

Il convient donc de rejeter la demande de nullité.

II- Sur l'insuffisance d'actif

Selon l'article L. 651-2 du code de commerce lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

Sur la qualité de dirigeant

Il est contant que le dirigeant de fait est celui qui exerce en toute indépendance une activité positive de gestion et de direction de la personne morale.

En l'espèce, M. [D] revêt la qualité de dirigeant de droit depuis le 30 novembre 2018, cependant sa qualité de gérant de fait sur la période antérieure est questionnée.

Il ressort des pièces produites que M. [U] [D] est dirigeant de la société de droit allemand [14], laquelle détient 19 711 parts, sur 19 728, de la SARL [11], soit plus de 99% du capital social.

Il est observé à l'article 13 des statuts de la SARL [10], en leur version la plus ancienne produite, soit au 30 juin 2014, une limitation des pouvoirs du gérant selon ces termes : « Toutefois à titre de règlement intérieur et sans que cela ne puisse être opposé aux tiers, les opérations suivantes ne pourront être effectuées qu'après autorisation des associés, quelle que soit sa forme, donnée aux conditions de majorité des assembles ordinaires d'associés :

Créations et fermetures de succursales et établissements,

Acquisitions et aliénations de participations,

Conclusions et résiliation de tous baux de locaux et fonds de commerce,

Conclusions de tous emprunts,

Engagement sous forme de cautions ou garanties,

Conclusion de tout contrat de crédit-bail ou leasing,

Acquisition, vente et nantissement de tous fonds de commerce,

Acquisition ou cession de tout immeuble,

Hypothèque à conférer sur tout immeuble. »

Il est précisé à l'article 18 des statuts que les décisions des assemblées ordinaires sont prises par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié des parts sociales.

Ainsi, non seulement la société [14], par le biais de son gérant M. [D], se réserve le pouvoir de gestion et de direction concernant des affaires financières et patrimoniales de la SARL [10] dépassant les pouvoirs usuels d'un associé non gérant, mais elle peut le faire dans une indépendance certaine puisqu'elle dispose de plus de la majorité des parts sociales.

De plus, il est produit plusieurs courriels envoyés par M. [X] [G], dont il n'est pas contesté qu'il agissait au nom de M. [D]. Dans l'un d'eux, daté du 09 juin 2016, il est discuté des prix de vente facturés et sollicité un changement de fournisseur. Dans celui du 07 novembre 2017 apparait la remise en question de délais de fabrication ainsi que le prix facturé. Il apparait donc une ingérence positive de M. [D] dans la gestion de la SARL [10].

Il en résulte que M. [D] était dirigeant de fait de la SARL [10] antérieurement à sa nomination officielle comme gérant de droit et en tout état de cause depuis 2016.

Sur l'insuffisance d'actif

L'insuffisance d'actif s'apprécie au jour où statue la juridiction saisie et correspond à la différence entre le passif existant au jugement d'ouverture (créances vérifiées et admises) et l'actif de la personne morale ou du patrimoine affecté, disponible ou non.

La charge de la preuve de l'insuffisance d'actif incombe au mandataire judiciaire.

Pour appliquer l'article L 651-2 susvisé il n'est pas nécessaire que le passif soit entièrement chiffré, ni que l'actif ait été réalisé. Il suffit que l'insuffisance d'actif soit certaine.

En l'espèce, la SELARL [Y] et [Z] estime l'insuffisance d'actif à la somme de 1 393 683 euros.

Il ressort du rapport du mandataire judiciaire daté du 29 juin 2020 un passif total définitif de 1 945 722,91 euros.

L'inventaire de l'actif mobilier établi par commissaire de justice fait état d'une valeur de 2 860 euros, ayant donné lieu a une vente pour le prix de 2 900 euros selon ordonnance du 07 décembre 2020. Il ressort en outre du rapport de l'administrateur judiciaire, selon documents comptables portant sur l'exercice 2018, un actif disponible d'un montant de 1 201 153 euros.

Il en résulte une insuffisance d'actif à hauteur de 741 667,91 euros (1 945 722,91 - 1 201 153 - 2 900 euros).

Sur les manquements reprochés

Pour rappel, au titre de l'article L. 651-2 du code de commerce, la responsabilité pour insuffisance d'actif du dirigeant de droit ou de fait de la société débitrice ne peut être engagée que s'il a commis une ou plusieurs fautes de gestion ayant contribuée à l'insuffisance d'actif et dépassant la simple négligence.

Sur le non-paiement régulier des cotisations sociales et des créances fiscales

En l'espèce, si M. [D] se défend en soutenant qu'il n'a pris ses fonctions de dirigeant de droit qu'à compter de novembre 2018 et que les créances sociales et fiscales, qu'il ne conteste pas, ont diminués par la suite, il est rappelé que sa qualité de dirigeant de fait a été établie sur la période antérieure de sorte que c'est sous sa gestion et sa direction que la SARL [10] n'a pas honoré ces obligations de paiement.

De plus, il ressort en outre des bordereaux de déclarations de créance fournis que la direction générale des finances publiques a déclaré des créances correspondant aux cotisations foncières des entreprises, aux taxes sur la valeur ajoutée et à l'impôt sur le revenu pour les années 2018 et 2019.

Toutefois, si le non paiement de ces créances constitue effectivement une faute de gestion, il n'apparait pas clairement que le non-paiement de ces dettes soit la cause de l'insuffisance d'actif et non la conséquence, d'autant qu'il n'est pas justifié du montant d'éventuelles pénalités de retard qui aurait pu augmenter le passif, de sorte que le lien de causalité entre cette faute et l'insuffisance d'actif n'est pas certain.

Le lien de causalité faisant défaut, le manquement ne peut être retenu.

Sur le non-paiement régulier des charges courantes

En l'espèce, il est fait état de créances de loyer et de fournisseur importantes. Cependant, comme pour les créances sociales et fiscales, il n'est pas déterminé si elles sont la cause ou la conséquence de l'insuffisance d'actif.

Quand bien même il serait vraisemblable que le défaut de paiement des fournisseurs soit à l'origine de retards, de perte de confiance des clients et donc d'une diminution des commandes, le lien causal entre la faute de gestion et l'insuffisance d'actif n'est pas certain.

Le manquement ne peut donc être retenu.

Sur l'absence de mesure prise face à l'accroissement considérable du passif

En l'espèce, il est constant que le chiffre d'affaires de la SARL [9] a considérablement chuté entre 2015 et 2016, passant de 7 000 000 d'euros à 2 296 761 d'euros pour diminuer à 1 308 698 euros sur l'exercice 2018. De même, les capitaux propres ont suivi la même dynamique sur cette période passant de 740 899 euros en 2015, à 359 199 euros en 2016, -337 534 euros en 2017 et -916 171 euros en 2018.

Par ailleurs, l'administrateur judiciaire mentionne dans son rapport que, face à cet effondrement du chiffre d'affaires, le poste salaires et traitements n'a diminué que de 14,75 % entre 2015 et 2016, laissant les charges sociales à égal montant, que l'achat de matière première et autres approvisionnements a diminué dans des proportions quasiment identiques à la baisse du chiffre d'affaires mais que le poste autres charges à largement augmenté entre ces deux exercices. L'administrateur judiciaire observe également que, sur les exercices suivants, le poste salaires et traitement n'a pas été proportionnellement réduit par rapport à la baisse du chiffre d'affaires.

Il s'en suit que, malgré l'effondrement constant de la performance financière de la SARL [9] sur cette période, laissant déjà elle-même présager d'une gestion inefficace de la société, les observations de l'administrateur judiciaire ne font que conforter le fait que M. [D] n'a pas pris les mesures nécessaires pour diminuer les charges de la société qui ont au contraire augmenté.

Il ressort en outre de la lettre du 04 avril 2018 rédigé par M. [L], alors dirigeant de droit, à l'attention de M. [D], que le paiement prioritaire de la créance de la société [17] a été demandé par ce dernier, au détriment des autres fournisseurs et en contrepartie du matériel nécessaire à la production d'autres commandes. Il apparait donc que, alors que l'entreprise fait partie d'un groupe et que la stratégie financière aurait pu être réorganiser à ce stade pour soutenir l'entreprise française, M. [D] a au contraire priorisé la société allemande quitte à priver la SARL [10] des matériaux nécessaires pour honorer les engagements pris auprès de sa clientèle.

Ces modes de gestion dépassent donc la simple négligence et il est indubitable que les choix effectués ont participé à l'augmentation du passif sans corrélation avec l'actif, conduisant ainsi à l'insuffisance d'actif.

Le manquement est donc pleinement établi.

Sur l'absence et l'éloignement du dirigeant

En l'espèce, il est constant que M. [D] réside en Inde, ne parle pas français et est dirigeant du groupe auquel appartient la SARL [9]. Ces éléments de fait ne constituent cependant pas une faute de gestion, d'autant plus que l'usage des technologies numériques permet de nos jours de pallier à la distance et à la barrière de la langue.

De plus, si la méconnaissance de la législation française, à la supposer établie, est en revanche susceptible de caractériser une faute de gestion, il n'apparait pas clairement des éléments produits qu'elle à l'origine des défauts de paiement des cotisations sociales et fiscales, ou même des salaires. Il n'est donc pas établi que c'est par méconnaissance de la législation que ces dettes n'ont pas été réglée et rien n'exclue que cela soit la conséquence d'une absence de disponibilités pour le faire.

Faute de lien de causalité certain, le manquement reproché n'est donc pas constitué.

Sur la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements

Selon l'article L.640-4 du code de commerce, l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements, laquelle est définie aux termes de l'article L631-1 du code de commerce comme l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible.

Pour constituer une faute, au-delà du retard constaté, doit être déterminé la conscience pour le dirigeant d'avoir pris du retard dans la déclaration de cessation de paiement.

En l'espèce, il est constant que l'état de cessation des paiements a été fixé par le tribunal de grande instance de Metz à la date du 28 mai 2018 alors que M. [D] a requis l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire par acte du 08 novembre 2019.

En l'espèce, il a été vu que la SARL [9] enregistre une perte conséquente de son chiffre d'affaires depuis 2015 et que ses capitaux propres se trouvent négatifs depuis 2017, s'élevant à -916 171 euros en 2018. Il ressort en outre du rapport de l'administrateur judiciaire des pertes d'exploitation à hauteur de -381 701 euros en 2016, -696 732 euros en 2017 et -578 637 euros en 2018.

Compte tenu des chiffres constatés, M. [D] ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de la SARL [9] de sorte que l'absence de déclaration constitue une faute de gestion.

De plus, faute de déclaration dans les délais, la SARL [9] a poursuivit une activité déficitaire participant à l'insuffisance d'actif.

Le manquement est donc constitué.

Dès lors, plusieurs fautes de gestion reprochées à M. [D] étant retenues, sa responsabilité en comblement de l'insuffisance d'actif est engagée.

Néanmoins, toutes les fautes reprochées n'étant pas retenues, il y a lieu de le condamner au paiement de la somme de 100 000 euros au titre du comblement de l'insuffisance d'actif.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

III- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La cour confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Metz le 02 avril 2024 en ce qu'il a condamné M. [D] aux dépens ainsi qu'à payer à la SELARL [Y] et [Z] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Y ajoutant, M. [D] succombant à hauteur de cour, l'équité commande de le condamner aux dépens ainsi qu'à payer à la SELARL [Y] et [Z] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare l'appel de M. [U] [D] recevable ;

Déboute M. [B] [D] de sa demande de nullité de l'assignation ;

Infirme le jugement rendu le 02 avril 2024 par le tribunal judiciaire de Metz en ce qu'il a condamné M. [U] [D] à payer à la SELARL [Y] et [Z] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL [11] la somme de 400 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif ;

Le confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

Condamne M. [U] [D] à payer à la SELARL [Y] et [Z] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL [11] la somme de 100 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif

Y ajoutant,

Condamne M. [U] [D] aux dépens d'appel ;

Déboute M. [U] [D] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [U] [D] à payer à la SELARL [Y] et [Z] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL [11] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente de chambre

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