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CA Rouen, ch. civ. et com., 24 juillet 2025, n° 25/00056

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 25/00056

24 juillet 2025

N° RG 25/00056 - N° Portalis DBV2-V-B7J-J3DI

COUR D'APPEL DE ROUEN

CH. CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 24 JUILLET 2025

DÉCISION DÉFÉRÉE :

2024F1003

Tribunal de commerce du Havre du 27 décembre 2024

APPELANTE :

S.A.S. NORMANDIE GRANIT

[Adresse 8]

[Localité 5]

représentée et assistée par Me Pierre RAMAGE, avocat au barreau du HAVRE

INTIMES :

SELARL [M] [S] prise en la personne de sa gérante, Maître [M] [S]

[Adresse 1]

[Localité 6]

représentée par Me Yannick ENAULT de la SELARL YANNICK ENAULT-GREGOIRE LECLERC, avocat au barreau de ROUEN

PARQUET GENERAL

[Adresse 3]

[Localité 4]

présent à l'audience

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 17 juin 2025 sans opposition des avocats devant Mme VANNIER, présidente de chambre, rapporteur.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme VANNIER, présidente de chambre

M. URBANO, conseiller

Mme MENARD-GOGIBU, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme RIFFAULT, greffière

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

DEBATS :

A l'audience publique du 17 juin 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 24 juillet 2025.

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 24 juillet 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme VANNIER, présidente de chambre et par Mme RIFFAULT, greffière.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société Normandie Granit exerce une activité de reconditionnement de pierres tombales en granit.

Par requête datée du 12 novembre 2024, le procureur de la République près le tribunal judiciaire du Havre a saisi le présidente du tribunal de commerce du Havre aux fins d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à l'égard de la société Normandie Granit.

Par jugement réputé contradictoire en date du 27 décembre 2024, le tribunal de commerce du Havre a :

- constaté l'état de cessation des paiements et l'impossibilité manifeste d'un redressement judiciaire ;

- ouvert la procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SAS Normandie Granit;

- fixé provisoirement au 12 novembre 2024 la date de cessation des paiements ;

- désigné Madame [W] [K], en qualité de juge-commissaire ;

- désigné la SELARL [M] [S] prise en la personne de Maître [M] [S] demeurant [Adresse 2], en qualité de liquidateur judiciaire ;

- désigné la SELARL [S] [T] commissaire-priseur judiciaire demeurant [Adresse 7], en qualité de commissaire-priseur aux fins de réaliser l'inventaire et la prisée prévus à l'article L. 622-1 du code de commerce ;

- fixé à huit mois à compter du présent jugement le délai dans lequel le liquidateur devra établir la liste des créances déclarées prévue à l'article L. 624-1 du code de commerce ;

- fixé à un an le délai au terme duquel il examinera la clôture de la procédure conformément à l'article L. 643-9 du code de commerce ;

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement conformément à la loi ;

- dit que les dépens seront employés en frais privilégié de procédure.

La société Normandie Granit a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 31 décembre 2024.

Par ordonnance datée du 13 janvier 2025, la première présidente de la cour d'appel de Rouen a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement entrepris.

Par ordonnance du 28 mai 2025, la présidente de la chambre civile et commerciale a rejeté toutes les demandes présentées par la Selarl [M] [S] ès qualités de liquidateur de la société Normandie Granit, et déclaré l'appel de Normandie Granit recevable.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 5 juin 2025, la société Normandie Granit demande à la cour de :

- juger la société Normandie Granit recevable et bien fondée en son appel ;

- infirmer purement et simplement le jugement entrepris ;

Et, statuant à nouveau,

- juger la société Normandie Granit in bonis ;

- ordonner le retrait pur et simple de la mention de liquidation judiciaire du KBIS de la société au frais exclusifs des intimés ;

- ordonner à Maître [S], membre de la SELARL [M] [S], de restituer à la société Normandie Granit toutes sommes qu'elle a pu conserver au titre d'honoraires ou frais divers ;

- statuer ce que de droit quant aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 26 mars 2025, la SELARL [M] [S] demande à la cour de :

- juger que la déclaration d'appel est dépourvue d'effet dévolutif, les conclusions de l'appelante tendant à l'infirmation du jugement n'énonçant pas les chefs du dispositif du jugement critiqués.

En conséquence :

- juger que la cour n'est saisie d'aucune demande, l'absence d'effet dévolutif opérant pour l'ensemble des intimés.

A titre subsidiaire :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce du Havre du 27 décembre 2024 en toutes ses dispositions.

A titre plus subsidiaire encore, dans l'hypothèse où la cour infirmerait le jugement entrepris en ce qu'il a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Normandie Granit :

- ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Normandie Granit avec toutes conséquences de droit ;

- débouter la société Normandie Granit de ses demandes.

En toute hypothèse :

- rejeter la demande de la société Normandie Granit tendant à voir ordonner à Maître [S], membre de la société [M] [S], de restituer à la société Normandie Granit toute somme qu'elle a pu conserver au titre d'honoraires ou frais divers ;

- condamner Monsieur [B] [U], président de la société Normandie Granit, à payer à la société [M] [S] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Normandie Granit au paiement des entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 6 juin 2025, le Ministère public demande à la cour de :

- infirmer le jugement de liquidation judiciaire entrepris le 27 décembre 2024 ;

- prononcer l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Normandie Granit, comportant désignation de la SELARL [M] [S] comme mandataire judiciaire, rejeter en l'état l'ensemble des demandes de la société Normandie Granit ;

- statuer ce que droit sur les dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 juin 2025.

Pour un exposé détaillé des demandes et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE

Sur l'appel

La Selarl [M] [S] fait valoir que la société Normandie Granit se borne dans ses conclusions d'appel à demander à la Cour d'infirmer le jugement entrepris de sorte que l'appel n'a pas d'effet dévolutif, qu'en l'absence d'énonciations dans les conclusions de l'appelant des chefs du dispositif du jugement critiqué la Cour ne peut que confirmer le jugement.

La société Normandie Granit ne répond pas sur ce point.

Il a été constaté dans l'ordonnance du 28 mai 2025, s'agissant des conclusions de l'appelante, que celle-ci avait indiqué au dispositif de ses conclusions du 24 janvier 2025, qu'elle sollicitait l'infirmation du jugement et statuant à nouveau, juger la société Normandie Granit in bonis, que d'autres demandes étaient présentées de sorte que les conclusions étaient conformes aux dispositions de de l'article 954 du code de procédure civile, et dans ses dernières conclusions l'appelante a sollicité l'infirmation du jugement entrepris et demandé qu'il soit jugé que la société Normandie Granit était in bonis, que soit ordonné le retrait de la liquidation judiciaire ainsi que la restitution de sommes, la Cour est donc valablement saisie de demandes dont elle doit apprécier le bien- fondé.

Sur le fond

La société Normandie Granit expose que son activité consiste notamment à reconditionner les pierres tombales en granit pour une deuxième vie funéraire, qu'elle a été immatriculée le 1er avril 2021, qu'au 31 mars 2024, elle a réalisé un chiffre d'affaires de 149 797 € , a embauché un salarié en contrat à durée indéterminée et que son carnet de commandes est rempli, qu'elle n'a à ce jour aucune dette sociale ni fiscale, de même qu'elle n'a aucune dette à l'égard de ses fournisseurs. Elle déclare que suite à un changement d'expert-comptable, les comptes ont bien été transmis à l'administration fiscale mais semble-t-il pas au greffe du tribunal de commerce, qu'une convocation a été envoyée pour se présenter devant le tribunal de commerce et que le greffe a ensuite indiqué à l'expert-comptable qu'en cas de dépôt des comptes, la convocation devenait sans objet, que personne ne s'est donc présenté à la convocation mais que la société a appris ultérieurement qu'elle avait été placée en liquidation judiciaire.

Elle fait valoir que la société n'a pas reçu la convocation et que le tribunal aurait dû adresser une convocation par commissaire de justice, que le jugement fait état d'injonctions de payer mais qu'aucune injonction ne lui a été signifiée et qu'elle n'a aucune dette connue, qu'il ne lui reste qu'un seul prêt à rembourser, lequel prend fin en février 2025, que le compte bancaire a un solde positif de 50 000 € et que des commandes ont été enregistrées pour un montant de 115 000 €, qu'il n'y a donc pas lieu à l'ouverture d'une procédure collective.

La Selarl [M] [S] réplique que les déclarations de créances reçues laissent apparaitre un passif de 90 712, 44 €. Elle indique qu'au jour où la Cour statue, la société ne démontre pas disposer de liquidités que sauf à démontrer l'existence d'actifs disponibles suffisants, l'état de cessation des paiements apparait constitué, qu'il appartient cependant à la Cour d'apprécier si le redressement de la société est manifestement impossible.

Le Ministère Public indique que le mandataire judiciaire a justifié de déclarations de créances à hauteur de 90 712 € dont 75 000 € correspondent à des indemnités de résiliation de crédits-bail, que la société n'a pas justifié de ses disponibilités, que si la Cour infirmait le jugement il y aurait lieu à ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.

*

* *

Selon l'article L 631-1 du code de commerce la procédure de redressement judiciaire est ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L 631-2 ou L 631-3 qui dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en état de cessation des paiements.

Selon l'article L 640-1 du code précité, la liquidation judiciaire est ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement judiciaire est manifestement impossible. Elle est destinée à mettre fin à l'activité de l'entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits ou de ses biens.

L'appréciation de cessation des paiements s'apprécie le jour où le juge statue.

Les pièces versées aux débats établissent que le tribunal de commerce a été saisi par requête du Ministère Public au motif que plusieurs injonctions de payer auraient été rendues à l'encontre de la société Normandie Granit et que son représentant ne se serait pas présenté à l'entretien de prévention auquel il avait convoqué.

Le dirigeant de la société Normandie Granit ne s'est pas présenté à l'audience du tribunal de commerce à laquelle il avait été convoqué par lettre en recommandé avec accusé de réception et il n'a pas l'objet d'une citation par un commissaire de justice. Le tribunal a déclaré que la société se trouvait en état de cessation des paiements et qu'aucune perspective de redressement ou de cession n'existait mais n'a pas mentionné les éléments à partir desquels elle faisait ce constat. Or, ne figure au dossier aucune injonction de payer, aucune réclamation de fournisseur ou de toute autre créancier. Si le passif déclaré entre les mains du mandataire est à ce jour de 90 712 ,44 €, il est en grande partie composé d'indemnités de résiliation de contrats de crédits-bail soit les sommes de 2 080,85 €, 6 334,44 € et 68 526,19 €, mais ces contrats n'avaient pas été résiliés avant l'ouverture de la procédure. Le compte bancaire a été restitué à la société par le mandataire en raison de l'arrêt de l'exécution provisoire laquelle dispose de la somme de 31 239 €.

De l'ensemble de ces éléments, il résulte qu'il n'est pas établi que la société Normandie Granit soit en cessation des paiements à la date où la Cour statue, de sorte qu'il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à son encontre, et de dire qu'il n'y a pas lieu à ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.

Sur la restitution de sommes conservées et la demande de retrait de la mention de la liquidation judiciaire

La société Normandie Granit demande à la Cour d'ordonner à Me [S] membre de la SARL [M] [S] de lui restituer toutes sommes qu'elle aurait pu conserver au titre d'honoraires ou frais divers.

La SELARL [M] [S] réplique que Me [S] n'est pas partie à l'instance et n'exerce son activité que sous la forme d'une société, qu'en outre, il n'y a pas lieu à restitution du droit fixe ainsi que des frais de greffe qui sont dus même lorsque le jugement de liquidation judiciaire est anéanti, que la Cour de cassation a déclaré que l'anéantissement du jugement de liquidation judiciaire ne saurait priver le mandataire de la rémunération qui lui est due au titre de sa mission, qu'il en est de même pour les frais de greffe.

Me [S] n'est pas partie à l'instance, en outre, le mandataire judiciaire a droit à une rémunération en application de l'article R 663-19 du code de commerce , bien que le jugement soit infirmé la demande de restitution du droit fixe et des frais de greffe ne peut donc prospérer.

Le retrait de la mention de la liquidation judiciaire du Kbis n'a pas besoin d'être ordonné et aucun frais ne peut être mis à la charge de la Selarl [M] [S] à ce titre.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il y a lieu de débouter la Selarl [M] [S] de sa demande présentée au titre de frais irrépétibles. Les dépens seront laissés à la charge de la société Normandie Granit qui n'avait pas comparu en première instance.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe ;

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau,

Dit n'y avoir lieu au prononcé de l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire ou de redressement judiciaire à l'égard de la Sarl Normandie Granit.

Rejette la demande de la société Normandie Granit au titre de la restitution de sommes d'argent et au titre de frais relatifs au Kbis.

Déboute la Selarl [M] [S] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Dit que la société Normandie Granit conserve la charge des entiers dépens.

La greffière, La présidente,

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