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CA Besançon, premier président, 24 juillet 2025, n° 25/00038

BESANÇON

Ordonnance

Autre

CA Besançon n° 25/00038

24 juillet 2025

COUR D'APPEL DE BESANÇON

[Adresse 2]

[Localité 3]

Le premier président

ORDONNANCE N° 25/e

DU 24 JUILLET 2025

ORDONNANCE

N° de rôle : N° RG 25/00038 - N° Portalis DBVG-V-B7J-E4WD

Code affaire : 96 E - Demande d'indemnisation à raison d'une détention provisoire

L'affaire, plaidée à l'audience publique du 12 juin 2025, au Palais de justice de Besançon, devant Monsieur Marc RIVET, président de chambre délégataire de Madame la première présidente, assisté de Monsieur Xavier DEVAUX, directeur des services de greffe, a été mise en délibéré au 10 juillet 2025. Les parties ont été avisées qu'à cette date, l'ordonnance serait rendue par mise à disposition au greffe. Le délibéré a été prorogé au 24 juillet 2025.

PARTIES EN CAUSE :

Monsieur [O] [G] [L]

né le [Date naissance 1] 1988 à [Localité 8] (PAKISTAN)

de nationalité Pakistanaise, demeurant Chez [F] [Adresse 9] - [Adresse 4]

DEMANDEUR

Représenté par Me Yanis ARIOUAT, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Aurore PECOURT, avocat au barreau de SEINE ST DENIS

ET :

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, [Adresse 5]

DEFENDEUR

Représenté par Me Agathe HENRIET, avocat au barreau de BESANCON

En présence de Monsieur François PRELOT, avocat général

**************

Le 27 juin 2021, [O] [G] [L] était mis en examen des chefs d'escroquerie, faux et usage de faux, falsification de documents délivrés par une administration publique, participation à une association de malfaiteurs.

Il était placé le même jour en détention provisoire avant d'être remis en liberté le 26 octobre 2021.

Nonobstant sa reconnaissance partielle des faits, il bénéficiait le 31 mai 2024 d'une ordonnance de non-lieu consécutive à l'annulation d'actes de procédure relatifs à la garde-à-vue et aux fouilles des mis en examen, devenue définitive.

Par requête du 22 novembre 2024, il saisissait Madame le premier président de la cour d'appel de Besançon aux fins de réparation du préjudice moral consécutif à sa détention à hauteur de 30 000 euros, de la perte de chance de trouver un emploi à hauteur de 4'000 euros, enfin l'allocation de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'examen de la requête, initialement fixé au 24 avril 2025, était finalement renvoyé à l'audience du 12 juin 2025 à laquelle les parties présentaient oralement leurs prétentions et moyens. A l'issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 10 juillet 2025.

Moyens et prétentions des parties

Dans sa requête, [O] [G] [L] expose':

S'agissant de son préjudice moral

- qu'il n'avait jamais été condamné et incarcéré auparavant';

- que l'incarcération subie avait altéré sa vie familiale ;

- que sa méconnaissance de la langue française avait compliqué son séjour carcéral';

- que les conditions de détention à la maison d'arrêt de [Localité 6] avaient été particulièrement difficiles en raison de la vétusté des lieux et de l'épidémie de [7].

S'agissant de son préjudice matériel

que son incarcération l'avait privé des ressources tirées de son emploi de « commerçant ou dans le bâtiment'».

L'Agent Judiciaire de l'Etat':

- conteste la recevabilité de la requête faute pour le requérant de de mentionner son adresse';

- propose subsidiairement la réparation de son préjudice moral à hauteur de 11 700 euros';

- conclut au rejet de la réparation de son préjudice matériel faute de justificatif';

- conclut également au rejet de la demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile, la facture du Conseil du requérant ne précisant pas si ces honoraires intéressaient spécifiquement la requête présentée.

Le Ministère Public superposait pour l'essentiel ses réquisitions aux observations de l'Agent Judiciaire de l'Etat proposant subsidiairement la réparation du préjudice moral de [O] [G] [L] à hauteur de 12 000 euros.

Le 10 mars 2025, le conseil du requérant proposait des observations en réponse, réitérant ses demandes sans toutefois apporter d'éléments additionnels.

Pour l'exposé complet des demandes et des moyens des parties, il est expressément renvoyé à leurs conclusions écrites au titre de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de la requête

L'article 149 du code de procédure pénale dispose que :

«'Sans préjudice de l'application des dispositions des articles L. 141-2 et L. 141-3 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Toutefois, aucune réparation n'est due lorsque cette décision a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l'article 122-1 du code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne, lorsque la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause, ou lorsque la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites. A la demande de l'intéressé, le préjudice est évalué par expertise contradictoire réalisée dans les conditions des articles 156 et suivants.

Lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement lui est notifiée, la personne est avisée de son droit de demander réparation, ainsi que des dispositions des articles 149-1 à 149-3 (premier alinéa).'»

L'article 149-2 précise que «'le premier président de la cour d'appel, saisi par voie de requête dans le délai de six mois de la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, statue par une décision motivée.'»

Il est constant que':

- [O] [G] [B] a élu domicile au cabinet de son Conseil ce qui suffit à permettre la notification des décisions le concernant';

- Il a bénéficié d'une décision définitive de non-lieu rendue le 31 mai 2024';

- Sa demande, datée du 22 novembre 2024, a été formée dans le délai de six mois suivant l'ordonnance de non-lieu.

La requête est par conséquent recevable.

Sur l'indemnisation du préjudice

Sur la période d'incarcération

Il n'est pas contesté que [O] [G] [B] a été écroué le 27 juin 2021 et remis en liberté le 26 octobre 2021.

Il a donc été incarcéré durant 122 jours.

Il ne se trouvait pas durant cette période sous le coup d'une exécution de peine d'emprisonnement de sorte que la période indemnisable recouvre l'intégralité de la période d'incarcération.

Sur l'indemnisation du préjudice moral

Il convient d'apprécier les préjudices allégués par le requérant au regard, notamment, de la durée de sa détention, de ses conditions particulières, de sa répercussion sur l'état de santé physique et psychique de l'intéressé, de la personnalité et de la situation familiale de celui-ci.

[O] [G] [B] n'ayant jamais été condamné ni incarcéré auparavant, il est vraisemblable que cette incarcération a été de nature à l'affecter.

Il n'en demeure pas moins qu'au regard des règles ordinaires d'administration de la preuve, pèse sur le requérant la charge d'établir l'existence des éléments ayant incarné et éventuellement majoré son préjudice.

Or il ne produit au soutien de sa demande'aucune justification des conséquences alléguées de la détention sur sa vie personnelle et éventuellement familiale, celle-ci étant demeurée brumeuse, sa requête procédant par référence':

- à un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté daté de 2018 mis en perspective avec un rapport daté de 2013, l'amenant à la conclusion péremptoire mais non documentée selon laquelle «'il est clairement établi que les problématiques relevées dans le rapport de 2013 ['] n'avaient pas trouvé de solutions en 2018, pas plus qu'en 2021'».

- à la pandémie de [7] sans préciser en quoi celle-ci aurait emporté «'de nombreuses restrictions'» préjudiciables à l'intéressé.

On doit en conclure que [O] [G] [L] ne justifie d'aucune conséquence particulière de la détention provisoire sur le plan personnel ou familial.

Il convient donc de fixer son indemnisation à l'aune d'un préjudice moral principiel tiré de la privation de liberté dont la pertinence n'est que partiellement remise en cause par l'ordonnance de non-lieu. La somme de 3'000 euros y satisfera.

S'agissant de la perte de chance de trouver un emploi, la requête initialement présentée comme les observations en réponse ultérieures se dispensent de la production d'un quelconque justificatif, le conseil du requérant précisant simplement que ce dernier «'vivait en France depuis quelques mois'» et «'n'avait pas eu le temps de maîtriser la langue française'» ce qui vient contredire la réalité du préjudice allégué.

Il n'y a donc pas lieu à accorder une quelconque indemnisation de ce chef.

Sur les dépens

Les dépens seront laissés à la charge de l'Etat.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Il est conforme à l'équité d'allouer la somme de 300 euros à [O] [G] [L] en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par décision susceptible de recours devant la commission nationale de réparation des détentions,

- Déclare la requête de [M] [G] [L] recevable';

- Lui alloue la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral';

- Lui alloue la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

- Laisse les dépens à la charge du Trésor public.

LE GREFFIER, LE PREMIER PRÉSIDENT

par délégation,

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