CA Colmar, ch. 1 a, 23 juillet 2025, n° 24/03929
COLMAR
Arrêt
Autre
MINUTE N° 322/25
Copie exécutoire à
- la SELARL ARTHUS
Copie à M. le PG
Arrêt notifié aux parties
Le 23.07.2025
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 23 Juillet 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 24/03929 - N° Portalis DBVW-V-B7I-IM6K
Décision déférée à la Cour : 13 Septembre 2024 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG - Greffe des procédures collectives commerciales
APPELANT :
Monsieur [G] [V]
né le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 12] (CAMEROUN)
de nationalité camerounaise
[Adresse 2]
Représenté par Me Loïc RENAUD de la SELARL ARTHUS, avocat à la Cour
Avocat plaidant : Me ROSENSTHIEL, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMES :
S.E.L.A.R.L. [10], prise en la personne de Me [W] [U], liquidateur de l'EURL [9]
[Adresse 4]
non représentée, assignée par le commissaire de justice à personne habilitée le 16.01.2025
Monsieur le Procureur Général près la Cour d'appel de COLMAR
[Adresse 6]
assigné par le commissaire de justice à personne habilitée le 16.01.2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Juin 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. WALGENWITZ, Président de chambre.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. WALGENWITZ, Président de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
Mme RHODE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
Ministère Public :
représenté lors des débats par M. VARBANOV, substitut général, qui a fait connaître son avis et dont les conclusions écrites ont été communiquées aux parties.
ARRET :
- Réputé contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Mme Anne RHODE, Conseillère, en l'absence du Président de Chambre légitimement empêché et Mme Régine VELLAINE, cadre greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
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L'EURL [9] est immatriculée au RCS de [Localité 11] sous le numéro SIREN [N° SIREN/SIRET 5] depuis le 2 janvier 2020 pour l'exploitation d'une activité de transports publics de marchandises, déménagement, location de véhicules avec chauffeur, au moyen de véhicules n'excédant pas 3,5 tonnes, localisée au [Adresse 3] à [Localité 11].
'
Le 25 septembre 2023, la chambre commerciale du tribunal judiciaire de STRASBOURG prononçait la liquidation judiciaire de cette société, après déclaration de cessation des paiements.
'
Le 12 février 2024, le Ministère Public saisissait la chambre commerciale en vue de l'application, à l'égard de son dirigeant Monsieur [G] [V], des dispositions relatives à la faillite personnelle et aux autres mesures d'interdiction prévues aux articles L.653-1 et suivants du code de commerce.'
'
Par jugement du 13 septembre 2024, faisant application des articles L.653-1 et suivants du code de commerce, la chambre commerciale du tribunal judiciaire de STRASBOURG a :
FAIT INTERDICTION à monsieur [G] [V], ancien gérant de la SARL [9], de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale ;
FIXE la durée de l'interdiction à dix ans (10 ans) à compter de ce jour ;
DIT que le présent jugement sera mentionné au casier judiciaire de l'intéressé, au Registre du Commerce et au registre des entreprises ou sur le registre spécial ouvert au greffe en cas de non immatriculation à l'un de ces registres et publié au bulletin officiel des annonces commerciales et dans le quotidien régional '[8]' ;
DIT qu'en application des articles L 128-1 et suivants et R 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier National Automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;
ORDONNE la notification du présent jugement
- au liquidateur
- au juge commissaire
- au Procureur de la République
- au Trésorier Payeur Général
CONDAMNE le défendeur aux dépens ;
ORDONNE l'exécution provisoire,
au motif qu'en sa qualité de gérant de l'EURL [9], il avait commis deux fautes de gestion ayant conduit, en tout ou partie, à la liquidation judiciaire de l'entreprise':
'
- en ayant fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé, directement ou indirectement, en l'espèce en prélevant une somme de 6'747 euros sur les comptes de la société à des fins personnelles,'
- en s'étant abstenu de tenir une comptabilité pour l'année 2022.'
'
Par l'intermédiaire de son conseil, Monsieur [G] [V] a interjeté appel du jugement du 13 septembre 2024 par déclaration au greffe le 23 octobre 2024.
Dans ses dernières conclusions datées du 22 mai 2025, transmises par voie électronique le 23 mai 2025, accompagnées d'un bordereau de pièces qui n'a pas fait l'objet de contestation des parties, Monsieur [G] [V] demande à la cour'de':
'
'DECLARER Monsieur [V] recevable en son appel,
L'y DIRE bien fondé,
En conséquence,
INFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a :
' fait interdiction à Monsieur [G] [V], ancien gérant de la SARL [9], de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant tout autre activité indépendante et toute personne morale,
' fixé l'interdiction ci-dessus à 10 ans à compter du jugement,
' dit que le présent jugement sera mentionné au casier judiciaire de Monsieur [G] [V], au registre du commerce, au registre des entreprises ou sur le registre spécial ouvert au greffe en cas de non-immatriculation l'un de ces registres et publié au bulletin officiel des annonces commerciales et dans le quotidien régional '[8]',
' dit qu'en application des articles L 128-1 et suivants et R 128-1 et suivants du code de commerce cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil National des Greffiers des Tribunaux de commerce,
' condamné Monsieur [G] [V] aux dépens,
ET STATUANT A NOUVEAU
A titre principal,
DIRE ET JUGER que Monsieur [G] [V] ne s'est pas rendu coupable de faits justifiant la sanction sollicitée,
En conséquence,
DEBOUTER Monsieur le Procureur Générale de sa demande tendant à d'appliquer à Monsieur [V] la sanction prévue à l'article L. 653-2 du code du commerce pour une durée de dix ans,
A titre subsidiaire,
DIRE que la durée de la sanction prononcée est disproportionnée,
En conséquence,
REDUIRE notablement la durée de la sanction portant interdiction pendant dix ans de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant tout autre activité indépendante et toute personne morale,
En tout état de cause
DIRE n'y avoir lieu à mention au bulletin n°2 du casier judiciaire la sanction portant interdiction pendant dix ans de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant tout autre activité indépendante et toute personne morale,
LAISSER les frais et dépens à la charge de l'Etat.'
'
A l'appui de son appel, il expose que':
'
- la comptabilité était régulièrement tenue jusqu'en 2022, date de cessation des paiements de l'entreprise (25 mars 2022) et qu'à supposer qu'un défaut de comptabilité soit établi et qu'une faute du gérant soit constatée, cela ne justifierait nullement une interdiction de gérer,
- concernant l'usage de biens ou de crédit de la personne morale contraire à son intérêt, il est question de 6 747 euros qu'il a prélevés car il ne disposait plus de salaire'; la modicité de ce montant serait telle que la somme en jeu ne serait pas suffisamment importante pour justifier une interdiction de gérer,
- l'inscription de la condamnation au casier judiciaire de M. [G] [V] nuirait à son avenir professionnel.
'
Dans ses conclusions datées du 5 mai 2025, transmises par voie électronique le même jour, Monsieur le procureur général conclut à la confirmation du jugement déféré, observant que Monsieur [G] [V] n'en était pas à sa première liquidation judiciaire de société qu'il avait dirigée.
La Cour se référera aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits de la procédure et de leurs prétentions, en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'affaire a été appelée et retenue à l'audience de plaidoirie du 2 juin 2025.
'
SUR CE :
'
1) Sur les manquements :
'
Au titre du défaut de tenue de la comptabilité :
'
L'article L653-5 6° du code de commerce dispose que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a fait disparaître des documents comptables, n'a pas tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou a tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.
Ce fait peut être déduit de l'absence d'éléments comptables (Cass. Com., 16 septembre 2014, n°13-10.514) ou d'une présentation incomplète, faute de communication de nombreux documents ou de réponses apportées aux questions (Cass. com., 6 mars 2019, n°20-10.557).
'
Aux termes des articles L. 123-12 à L. 123-28 et R. 123-172 à R. 123-209 du code de commerce, les commerçants se voient imposer la tenue d'une comptabilité donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise, au moyen de la tenue d'un livre journal, d'un grand livre et d'un livre d'inventaire.
'
Ainsi, toute personne physique ou personne morale ayant la qualité de commerçant, doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise, en tenant obligatoirement un livre journal, un grand livre et un livre d'inventaire, en enregistrant les opérations chronologiquement au jour le jour et doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice, comprenant le bilan, le compte de résultat et une annexe.
En l'espèce, il résulte du rapport établi le 5 janvier 2024 par Me [U], en sa qualité de liquidateur de la société EURL [9], que les comptes annuels de l'exercice 2022 n'ont pas été établis, l'ancien expert-comptable ayant précisé que les dernières déclarations de TVA déposées avaient été celles de l'exercice 2021.'
'
Au soutien de son appel, Monsieur [G] [V] indique qu'il a régulièrement tenu une comptabilité depuis la création de l'entreprise et jusqu'au 25 mars 2022, date de la cessation des paiements, fixée lors du jugement d'ouverture de la procédure de liquidation.
'
Cependant, si conformément à l'article L.631-8 du code de commerce, la date de la cessation des paiements a été fixée au 25 mars 2022 - alors que la procédure de liquidation judiciaire n'a été ouverte que le 25 septembre 2023 -'le caractère rétroactif de cette date de cessation de paiement ne libère pas le dirigeant de la société de son obligation de tenir une comptabilité, à compter de la date de cessation des paiements fixée dans le jugement prononçant le placement de la société en procédure collective.
'
Les difficultés financières d'une entreprise ne sont pas davantage de nature à exempter son dirigeant de la tenue régulière d'une comptabilité, dans le respect des obligations comptables, l'élément intentionnel du défaut de tenue de comptabilité étant caractérisé par 'la seule conscience de son auteur de se soustraire à ses obligations comptables légales'.
'
Monsieur [G] [V] ne conteste pas réellement cet état de fait (reconnu devant les premiers juges), se contentant d'affirmer à hauteur de cour 'avoir perdu pieds' sur la fin de la période d'activité, explication qui n'est pas davantage de nature à l'exempter de son obligation personnelle de dirigeant, de tenir une comptabilité complète, sincère et fiable.
'
Dès lors, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu le grief lié au défaut de tenue de la comptabilité.'
'
Au titre du détournement ou de la dissimulation de tout ou partie de l'actif :
Aux termes de l'article L653-4 5° du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale qui a détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif, ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
'
En l'espèce, il résulte du rapport établi par Me [U], en sa qualité de liquidateur, que le compte courant associé de Monsieur [G] [V] présente un compte débiteur de 6'747 euros, suite à un prélèvement qu'il a fait à son profit. Contrairement à ce que l'appelant soutient, il lui a été demandé, par le liquidateur, de procéder au remboursement de cette somme, demande qui n'a pas été suivie d'effet.
'
Dès lors, c'est à juste titre que les premiers juges ont aussi retenu le grief lié au détournement de tout ou partie de l'actif, la raison du retrait avancée par le dirigeant - à savoir lui permettre de subvenir à ses besoins, à défaut de perception de salaires depuis plusieurs mois - étant indifférente à régulariser la faute.'
'
2) Sur la sanction des manquements de Monsieur [G] [V] :
''
L'article L653-8 du code de commerce dispose que, dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
'
Aux termes de l'article L653-11 du code de commerce, lorsque le tribunal prononce la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8, il fixe la durée de la mesure qui ne peut être supérieure à quinze ans. Il peut ordonner l'exécution provisoire de sa décision. Les déchéances, les interdictions et l'incapacité d'exercer une fonction publique élective cessent de plein droit au terme fixé, sans qu'il y ait lieu au prononcé d'un jugement.
''
En l'espèce, le tribunal judiciaire a relevé, à juste titre, deux manquements graves imputables à Monsieur [G] [V], tels qu'exposés et développés plus haut et a fort logiquement décidé de prononcer une sanction d'interdiction de gérer à son encontre.
'
S'agissant de la durée de l'interdiction de gérer, la cour tiendra compte':
'
- du contexte dans lequel les difficultés de la société sont apparues, suite aux mesures de restrictions adoptées par le gouvernement au moment de la pandémie de la [7],'
- de l'importance limitée du préjudice découlant du détournement d'actif de l'ordre de 6'747 euros,'
- de l'importance du passif de 73'535 euros, soit 4'971 euros à titre chirographaire, le reste étant dû au trésor public,'
- du fait que la précédente société de transport dirigée par Monsieur [G] [V] a également fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire en 2016,
pour réduire ladite période à 5 ans.
'
En revanche, la demande de dispense d'inscription au casier judiciaire de cette sanction ne saurait être accordée, en ce qu'il convient de veiller à rendre publique cette décision, pour assurer une information utile des agents économiques.
'
Succombant, Monsieur [G] [V] sera condamné aux dépens de la procédure d'appel.'
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
'
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Strasbourg le 13 septembre 2024, sauf en ce qu'il a fixé la durée de l'interdiction à 10 ans,
L'infirme de ce chef,
'
Statuant à nouveau sur ce seul point et y ajoutant,
'
Fixe la durée de l'interdiction prononcée à l'encontre de Monsieur [G] [V] à 5 ans (cinq ans),
Dit qu'en application des articles 768 5° et R 69 9° du code de procédure pénale, une expédition de l'arrêt sera transmise au service du casier judiciaire national par les soins du greffe de la juridiction qui a statué après visa du Ministère Public,
Dit qu'en application de l'article R. 661-7 du Code de commerce, le greffier de la cour d'appel transmet dans les huit jours du prononcé de l'arrêt une copie de celui-ci au greffier du tribunal pour l'accomplissement des mesures de publicité prévues à l'article R. 621-8 lorsque l'arrêt infirme une décision soumise à la publicité,
Dit qu'en application des articles L.128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code du commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au Fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques et à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données,
Dit qu'en application de l'article R.128-3 du code du commerce une expédition de l'arrêt sera transmise par le Ministère Public, dans le délai de trois jours à compter de la date à laquelle la décision n'est plus susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution, au Président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce pour inscription au FNIG (Fichier National des Interdits de Gérer),
'
Condamne Monsieur [G] [V] aux dépens de la procédure d'appel.
Le cadre greffier : La Conseillère :
'
Copie exécutoire à
- la SELARL ARTHUS
Copie à M. le PG
Arrêt notifié aux parties
Le 23.07.2025
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 23 Juillet 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 24/03929 - N° Portalis DBVW-V-B7I-IM6K
Décision déférée à la Cour : 13 Septembre 2024 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG - Greffe des procédures collectives commerciales
APPELANT :
Monsieur [G] [V]
né le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 12] (CAMEROUN)
de nationalité camerounaise
[Adresse 2]
Représenté par Me Loïc RENAUD de la SELARL ARTHUS, avocat à la Cour
Avocat plaidant : Me ROSENSTHIEL, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMES :
S.E.L.A.R.L. [10], prise en la personne de Me [W] [U], liquidateur de l'EURL [9]
[Adresse 4]
non représentée, assignée par le commissaire de justice à personne habilitée le 16.01.2025
Monsieur le Procureur Général près la Cour d'appel de COLMAR
[Adresse 6]
assigné par le commissaire de justice à personne habilitée le 16.01.2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Juin 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. WALGENWITZ, Président de chambre.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. WALGENWITZ, Président de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
Mme RHODE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
Ministère Public :
représenté lors des débats par M. VARBANOV, substitut général, qui a fait connaître son avis et dont les conclusions écrites ont été communiquées aux parties.
ARRET :
- Réputé contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Mme Anne RHODE, Conseillère, en l'absence du Président de Chambre légitimement empêché et Mme Régine VELLAINE, cadre greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
'''''''''''
'''''''''''
L'EURL [9] est immatriculée au RCS de [Localité 11] sous le numéro SIREN [N° SIREN/SIRET 5] depuis le 2 janvier 2020 pour l'exploitation d'une activité de transports publics de marchandises, déménagement, location de véhicules avec chauffeur, au moyen de véhicules n'excédant pas 3,5 tonnes, localisée au [Adresse 3] à [Localité 11].
'
Le 25 septembre 2023, la chambre commerciale du tribunal judiciaire de STRASBOURG prononçait la liquidation judiciaire de cette société, après déclaration de cessation des paiements.
'
Le 12 février 2024, le Ministère Public saisissait la chambre commerciale en vue de l'application, à l'égard de son dirigeant Monsieur [G] [V], des dispositions relatives à la faillite personnelle et aux autres mesures d'interdiction prévues aux articles L.653-1 et suivants du code de commerce.'
'
Par jugement du 13 septembre 2024, faisant application des articles L.653-1 et suivants du code de commerce, la chambre commerciale du tribunal judiciaire de STRASBOURG a :
FAIT INTERDICTION à monsieur [G] [V], ancien gérant de la SARL [9], de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale ;
FIXE la durée de l'interdiction à dix ans (10 ans) à compter de ce jour ;
DIT que le présent jugement sera mentionné au casier judiciaire de l'intéressé, au Registre du Commerce et au registre des entreprises ou sur le registre spécial ouvert au greffe en cas de non immatriculation à l'un de ces registres et publié au bulletin officiel des annonces commerciales et dans le quotidien régional '[8]' ;
DIT qu'en application des articles L 128-1 et suivants et R 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier National Automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;
ORDONNE la notification du présent jugement
- au liquidateur
- au juge commissaire
- au Procureur de la République
- au Trésorier Payeur Général
CONDAMNE le défendeur aux dépens ;
ORDONNE l'exécution provisoire,
au motif qu'en sa qualité de gérant de l'EURL [9], il avait commis deux fautes de gestion ayant conduit, en tout ou partie, à la liquidation judiciaire de l'entreprise':
'
- en ayant fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé, directement ou indirectement, en l'espèce en prélevant une somme de 6'747 euros sur les comptes de la société à des fins personnelles,'
- en s'étant abstenu de tenir une comptabilité pour l'année 2022.'
'
Par l'intermédiaire de son conseil, Monsieur [G] [V] a interjeté appel du jugement du 13 septembre 2024 par déclaration au greffe le 23 octobre 2024.
Dans ses dernières conclusions datées du 22 mai 2025, transmises par voie électronique le 23 mai 2025, accompagnées d'un bordereau de pièces qui n'a pas fait l'objet de contestation des parties, Monsieur [G] [V] demande à la cour'de':
'
'DECLARER Monsieur [V] recevable en son appel,
L'y DIRE bien fondé,
En conséquence,
INFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a :
' fait interdiction à Monsieur [G] [V], ancien gérant de la SARL [9], de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant tout autre activité indépendante et toute personne morale,
' fixé l'interdiction ci-dessus à 10 ans à compter du jugement,
' dit que le présent jugement sera mentionné au casier judiciaire de Monsieur [G] [V], au registre du commerce, au registre des entreprises ou sur le registre spécial ouvert au greffe en cas de non-immatriculation l'un de ces registres et publié au bulletin officiel des annonces commerciales et dans le quotidien régional '[8]',
' dit qu'en application des articles L 128-1 et suivants et R 128-1 et suivants du code de commerce cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil National des Greffiers des Tribunaux de commerce,
' condamné Monsieur [G] [V] aux dépens,
ET STATUANT A NOUVEAU
A titre principal,
DIRE ET JUGER que Monsieur [G] [V] ne s'est pas rendu coupable de faits justifiant la sanction sollicitée,
En conséquence,
DEBOUTER Monsieur le Procureur Générale de sa demande tendant à d'appliquer à Monsieur [V] la sanction prévue à l'article L. 653-2 du code du commerce pour une durée de dix ans,
A titre subsidiaire,
DIRE que la durée de la sanction prononcée est disproportionnée,
En conséquence,
REDUIRE notablement la durée de la sanction portant interdiction pendant dix ans de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant tout autre activité indépendante et toute personne morale,
En tout état de cause
DIRE n'y avoir lieu à mention au bulletin n°2 du casier judiciaire la sanction portant interdiction pendant dix ans de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant tout autre activité indépendante et toute personne morale,
LAISSER les frais et dépens à la charge de l'Etat.'
'
A l'appui de son appel, il expose que':
'
- la comptabilité était régulièrement tenue jusqu'en 2022, date de cessation des paiements de l'entreprise (25 mars 2022) et qu'à supposer qu'un défaut de comptabilité soit établi et qu'une faute du gérant soit constatée, cela ne justifierait nullement une interdiction de gérer,
- concernant l'usage de biens ou de crédit de la personne morale contraire à son intérêt, il est question de 6 747 euros qu'il a prélevés car il ne disposait plus de salaire'; la modicité de ce montant serait telle que la somme en jeu ne serait pas suffisamment importante pour justifier une interdiction de gérer,
- l'inscription de la condamnation au casier judiciaire de M. [G] [V] nuirait à son avenir professionnel.
'
Dans ses conclusions datées du 5 mai 2025, transmises par voie électronique le même jour, Monsieur le procureur général conclut à la confirmation du jugement déféré, observant que Monsieur [G] [V] n'en était pas à sa première liquidation judiciaire de société qu'il avait dirigée.
La Cour se référera aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits de la procédure et de leurs prétentions, en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'affaire a été appelée et retenue à l'audience de plaidoirie du 2 juin 2025.
'
SUR CE :
'
1) Sur les manquements :
'
Au titre du défaut de tenue de la comptabilité :
'
L'article L653-5 6° du code de commerce dispose que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a fait disparaître des documents comptables, n'a pas tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou a tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.
Ce fait peut être déduit de l'absence d'éléments comptables (Cass. Com., 16 septembre 2014, n°13-10.514) ou d'une présentation incomplète, faute de communication de nombreux documents ou de réponses apportées aux questions (Cass. com., 6 mars 2019, n°20-10.557).
'
Aux termes des articles L. 123-12 à L. 123-28 et R. 123-172 à R. 123-209 du code de commerce, les commerçants se voient imposer la tenue d'une comptabilité donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise, au moyen de la tenue d'un livre journal, d'un grand livre et d'un livre d'inventaire.
'
Ainsi, toute personne physique ou personne morale ayant la qualité de commerçant, doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise, en tenant obligatoirement un livre journal, un grand livre et un livre d'inventaire, en enregistrant les opérations chronologiquement au jour le jour et doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice, comprenant le bilan, le compte de résultat et une annexe.
En l'espèce, il résulte du rapport établi le 5 janvier 2024 par Me [U], en sa qualité de liquidateur de la société EURL [9], que les comptes annuels de l'exercice 2022 n'ont pas été établis, l'ancien expert-comptable ayant précisé que les dernières déclarations de TVA déposées avaient été celles de l'exercice 2021.'
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Au soutien de son appel, Monsieur [G] [V] indique qu'il a régulièrement tenu une comptabilité depuis la création de l'entreprise et jusqu'au 25 mars 2022, date de la cessation des paiements, fixée lors du jugement d'ouverture de la procédure de liquidation.
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Cependant, si conformément à l'article L.631-8 du code de commerce, la date de la cessation des paiements a été fixée au 25 mars 2022 - alors que la procédure de liquidation judiciaire n'a été ouverte que le 25 septembre 2023 -'le caractère rétroactif de cette date de cessation de paiement ne libère pas le dirigeant de la société de son obligation de tenir une comptabilité, à compter de la date de cessation des paiements fixée dans le jugement prononçant le placement de la société en procédure collective.
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Les difficultés financières d'une entreprise ne sont pas davantage de nature à exempter son dirigeant de la tenue régulière d'une comptabilité, dans le respect des obligations comptables, l'élément intentionnel du défaut de tenue de comptabilité étant caractérisé par 'la seule conscience de son auteur de se soustraire à ses obligations comptables légales'.
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Monsieur [G] [V] ne conteste pas réellement cet état de fait (reconnu devant les premiers juges), se contentant d'affirmer à hauteur de cour 'avoir perdu pieds' sur la fin de la période d'activité, explication qui n'est pas davantage de nature à l'exempter de son obligation personnelle de dirigeant, de tenir une comptabilité complète, sincère et fiable.
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Dès lors, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu le grief lié au défaut de tenue de la comptabilité.'
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Au titre du détournement ou de la dissimulation de tout ou partie de l'actif :
Aux termes de l'article L653-4 5° du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale qui a détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif, ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
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En l'espèce, il résulte du rapport établi par Me [U], en sa qualité de liquidateur, que le compte courant associé de Monsieur [G] [V] présente un compte débiteur de 6'747 euros, suite à un prélèvement qu'il a fait à son profit. Contrairement à ce que l'appelant soutient, il lui a été demandé, par le liquidateur, de procéder au remboursement de cette somme, demande qui n'a pas été suivie d'effet.
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Dès lors, c'est à juste titre que les premiers juges ont aussi retenu le grief lié au détournement de tout ou partie de l'actif, la raison du retrait avancée par le dirigeant - à savoir lui permettre de subvenir à ses besoins, à défaut de perception de salaires depuis plusieurs mois - étant indifférente à régulariser la faute.'
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2) Sur la sanction des manquements de Monsieur [G] [V] :
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L'article L653-8 du code de commerce dispose que, dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
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Aux termes de l'article L653-11 du code de commerce, lorsque le tribunal prononce la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8, il fixe la durée de la mesure qui ne peut être supérieure à quinze ans. Il peut ordonner l'exécution provisoire de sa décision. Les déchéances, les interdictions et l'incapacité d'exercer une fonction publique élective cessent de plein droit au terme fixé, sans qu'il y ait lieu au prononcé d'un jugement.
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En l'espèce, le tribunal judiciaire a relevé, à juste titre, deux manquements graves imputables à Monsieur [G] [V], tels qu'exposés et développés plus haut et a fort logiquement décidé de prononcer une sanction d'interdiction de gérer à son encontre.
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S'agissant de la durée de l'interdiction de gérer, la cour tiendra compte':
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- du contexte dans lequel les difficultés de la société sont apparues, suite aux mesures de restrictions adoptées par le gouvernement au moment de la pandémie de la [7],'
- de l'importance limitée du préjudice découlant du détournement d'actif de l'ordre de 6'747 euros,'
- de l'importance du passif de 73'535 euros, soit 4'971 euros à titre chirographaire, le reste étant dû au trésor public,'
- du fait que la précédente société de transport dirigée par Monsieur [G] [V] a également fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire en 2016,
pour réduire ladite période à 5 ans.
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En revanche, la demande de dispense d'inscription au casier judiciaire de cette sanction ne saurait être accordée, en ce qu'il convient de veiller à rendre publique cette décision, pour assurer une information utile des agents économiques.
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Succombant, Monsieur [G] [V] sera condamné aux dépens de la procédure d'appel.'
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
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Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Strasbourg le 13 septembre 2024, sauf en ce qu'il a fixé la durée de l'interdiction à 10 ans,
L'infirme de ce chef,
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Statuant à nouveau sur ce seul point et y ajoutant,
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Fixe la durée de l'interdiction prononcée à l'encontre de Monsieur [G] [V] à 5 ans (cinq ans),
Dit qu'en application des articles 768 5° et R 69 9° du code de procédure pénale, une expédition de l'arrêt sera transmise au service du casier judiciaire national par les soins du greffe de la juridiction qui a statué après visa du Ministère Public,
Dit qu'en application de l'article R. 661-7 du Code de commerce, le greffier de la cour d'appel transmet dans les huit jours du prononcé de l'arrêt une copie de celui-ci au greffier du tribunal pour l'accomplissement des mesures de publicité prévues à l'article R. 621-8 lorsque l'arrêt infirme une décision soumise à la publicité,
Dit qu'en application des articles L.128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code du commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au Fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques et à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données,
Dit qu'en application de l'article R.128-3 du code du commerce une expédition de l'arrêt sera transmise par le Ministère Public, dans le délai de trois jours à compter de la date à laquelle la décision n'est plus susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution, au Président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce pour inscription au FNIG (Fichier National des Interdits de Gérer),
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Condamne Monsieur [G] [V] aux dépens de la procédure d'appel.
Le cadre greffier : La Conseillère :
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