CA Grenoble, 26 avril 1995, n° 93-4879
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation partielle
La Cour statue sur l'appel interjeté par Monsieur Joaquim Marques Roque à l'encontre d'un jugement rendu le 4 octobre 1993 par le Tribunal de Commerce de Grenoble qui l'a notamment condamné à payer 180 000 F à la SARL Holding Manin Rivière, pour solde du prix d'achat d'un hangar métallique.
Suivant facture du 30 mars 1990 et attestation du 2 avril 1990, la Société Holding Manin Rivière, établie à Voreppe (38340), a vendu à Monsieur Roque, établi à Junqueira, dans la province de Coimbra au Portugal, un "entrepôt d'occasion", pour le prix de 500 000 F, comprenant le démontage et les frais de mise à disposition.
Le prix de l'entrepôt était de 381 200 F ; les frais de démontage et de mise à disposition s'élèvent à 118 800 F.
Le paiement devait se faire en trois fois. Les deux premiers acomptes de 170 000 F et de 150 000 F ont été payés.
Monsieur Roque a refusé le paiement du troisième acompte au motif que des éléments métalliques démontés étaient défectueux et ne pouvaient pas être remontés.
Il a fait constater cet état de choses par maître Bouvier, huissier de justice, le 7 août 1990.
Monsieur Manin, dirigeant de la Société Holding Rivière s'est engagé à remettre en état les éléments métalliques abîmés.
Il a fait constater leur remise en état par maître Langlois, huissier de justice, le 29 décembre 1992.
Devant la Cour, Monsieur Roque conclut ainsi qu'il suit : "Mettre à néant le jugement rendu le 4 octobre 1993 par le Tribunal de Commerce de Grenoble. Prononcer la résolution du contrat de vente de l'entrepôt, ancienne gare de Grenoble par la SARL Holding Manin Rivière à Monsieur Roque. Ordonner restitution du chèque national n° 758729.16 du 30 mars 1990 de 170 000 F sur B.C.P. Condamner la SARL Holding Manin Rivière à rembourser à Monsieur Roque les sommes à ce jour versées soit 320 000 F et à lui payer en réparation de ses préjudices, la somme de 200 000 F. Condamner encore la SARL Holding Manin Rivière à payer à Monsieur Roque la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts, et celle de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile. Donner acte à Monsieur Roque de ce qu'il tient le matériel en l'état, et la disposition de la SARL Holding Manin Rivière. Condamner la SARL Holding Manin Rivière aux entiers dépens."
Il fait valoir, en substance, qu'au moment de procéder à l'enlèvement de la charpente demandée, il a constaté que le tiers des éléments étaient inutilisables. Il a donc dû faire revenir à vide au Portugal quatre camions.
Il précise que Monsieur Manin s'est engagé à refaire à neuf ce qui était inutilisable et qu'il n'a pas tenu son engagement. Faute de pouvoir utiliser les deux tiers de la charpente métallique en sa possession, il demande la résiliation du contrat et des dommages et intérêts.
La Société Holding Manin Rivière conclut, ainsi qu'il suit : "Dire mal fondé l'appel interjeté le 14 décembre 1993, par Monsieur Marques Roque. Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 4 octobre 1993 par le Tribunal de Commerce de Grenoble. Y ajoutant du fait de l'appel. Ordonner la capitalisation des intérêts dus en application de l'article 1154 du Code civil. Condamner Monsieur Marques Roque à payer à la Société Holding Manin Rivière une somme de 5 000 F, en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel." Elle fait valoir en substance qu'elle a exécuté son obligation de délivrance en mettant à la disposition de Monsieur Roque la charpente métallique commandée qui a été transportée au Portugal hormis dix éléments de fermes endommagés. Elle indique que ces éléments ont été réparés et sont à la disposition de Monsieur Roque. Elle ajoute que Monsieur Roque n'a demandé la résolution de la vente que quand il a été convoqué devant le Tribunal de Coimbra, lors de la procédure d'exequatur de l'ordonnance de référé le condamnant à payer 180 000 F, au titre de solde du prix.
Sur ce,
Sur le droit applicable :
Attendu que le contrat qui donne lieu à litige inclut la vente d'un hangar d'occasion et son démontage ; qu'il résulte des factures produites que la prestation de service n'est pas prépondérante ; qu'il entre donc dans le champ d'application juridique de la convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises (articles 3, 2) ;
Qu'il a été conclu entre un vendeur établi en France et un acheteur établi au Portugal, donc dans des États différents ;
Que la France est partie à la convention ; Que le Portugal ne l'a pas signée ni ratifiée ;
Qu'il y a donc lieu de rechercher si la convention est applicable parce que "les règles de droit international privé mènent à l'application de la loi d'un État contractant" (article 1, 1, G) ;
Attendu qu'en matière de vente internationale d'objets mobiliers corporels, les règles de conflit de lois sont stipulées, en France, par la Convention de La Haye du 15 juin 1955 ;
Que l'objet du contrat, (vente d'un hangar d'occasion avec démontage) entre dans la catégorie des marchandises à fabriquer ou à produire incluse dans le champ d'application de la Convention de la Haye ;
Qu'à défaut de choix de loi, et compte tenu des circonstances qui entourent la conclusion du contrat, la loi applicable est "la loi interne du pays où le vendeur a sa résidence habituelle au moment où il reçoit la commande" (article 3, alinéa 1er de la Convention de La Haye) ;
Que, depuis le 1er janvier 1988, la loi interne française applicable aux ventes internationale est la convention de Vienne, du 11 avril 1980 ;
Attendu, en conséquence, que le contrat conclu par Monsieur Roque et la Société Holding en mars 1990 est régi par la Convention de Vienne ;
Attendu que la Cour a, lors de l'audience, avisé les parties de l'application de cet instrument international et les a invitées à faire connaître, avant le 20 mars, si elle entendaient conclure sur ce texte ; qu'elle a précisé que leur silence serait interprété comme une renonciation à conclure ;
Attendu que, par note en délibéré autorisée du 24 mars 1994, la Société Holding Manin Rivière a conclu à l'applicabilité de la Convention de Vienne, au fait qu'en l'absence de plan de reconstitution, l'entrepôt était "un ensemble d'éléments modulables et usagés, permettant de reconstituer un ou plusieurs entrepôts d'une surface totale semblable à celle de l'entrepôt initial" ; Qu'elle indique qu'elle n'a pas commis de contravention essentielle, qu'elle a réparé les éléments défectueux et qu'elle les tient à la disposition de Monsieur Marques Roque ;
Qu'elle précise que la rétention par Monsieur Roque de 36 % du prix alors que le matériel endommagé représentait 3,4 % du total de la vente justifie sa demande de dommages et intérêts.
Attendu que Monsieur Marques Roque n'a pas, à la date du 19 avril 1995, soumis à la Cour de note en délibéré ; que son silence doit donc être interprété comme un renonciation à conclure ;
Attendu, sur le point de savoir si les contractants ont entendu vendre et acheter un entrepôt d'occasion ou une charpente métallique, qu'il résulte des termes "entrepôt d'occasion" et "démontage" qui figurent sur la facture du 30 mars et l'attestation du 20 avril 1990, que l'accord des parties s'est fait sur un corps certain, devant être démonté pour être remonté à l'identique ;
Que la vente ne portait pas sur des poutrelles métalliques pouvant être réutilisées dans une architecture différente, encore moins sur de la ferraille de rebut ;
Attendu qu'il y a lieu d'examiner si la Société Holding, vendeur, a livré des marchandises conformes au contrat comme le prévoit l'article 35 de la Convention de Vienne ;
Qu'il est constant entre les parties, qu'une certaine quantité de marchandises (un tiers selon Monsieur Roque, dix éléments de fermes selon la Société Holding), n'étaient pas propres à l'usage spécial de remontage à l'identique porté expressément à la connaissance du vendeur ;
Attendu que ce défaut portant sur une partie seulement de l'entrepôt et concernant des éléments métalliques qu'il était possible de réparer, ne constituait pas une contravention essentielle de nature à priver substantiellement Monsieur Roque de ce qu'il était en droit d'attendre du contrat (article 25) ; Qu'il ne justifiait pas une résolution du contrat (article 49) ; Qu'il est de fait que le contrat n'a pas été résolu en août 1990 ;
Attendu qu'il est constant que les parties sont convenues que la Société Holding réparerait les éléments métalliques abîmés ;
Que Monsieur Roque conclut que l'engagement porterait sur une réfection à neuf ; qu'il n'établit pas que la Société Holding ait accepté une telle charge, ayant pour effet de multiplier par quarante (coût de l'acier neuf ouvragé), la valeur de certains éléments vendus ;
Que la Société Holding établit par le constat de maître Langlois qu'elle tient à la disposition de Monsieur Roque dix éléments de fermes rectilignes ne comportant que de très légères déformations ;
Attendu, en conséquence, que la Société Holding a réparé, conformément à l'article 46,3 de la Convention de Vienne, le défaut de conformité des marchandises qu'elle avait vendues ;
Attendu que Monsieur Roque n'est pas venu prendre livraison de ces marchandises réparées ;
Qu'il ne justifie pas qu'après réparation, elles soient encore impropres à être utilisées dans la reconstruction de l'entrepôt ;
Attendu cependant que, conformément à l'article 48,1 de la Convention de Vienne, l'acheteur conserve un droit à dommages-intérêts malgré la réparation en nature faite à ses frais par le vendeur ;
Que la Cour, tenant compte du retard souffert par Monsieur Roque et du fait qu'il a dû ou devra faire déplacer deux fois des véhicules de transport, lui alloue, à titre de dommages et intérêts, 50 000 F, représentant au surplus dix pour cent de la valeur globale de la vente ;
Que la créance de la Société Holding se trouve donc réduite à 130 000 F ;
Attendu, sur les demandes d'intérêts et de capitalisation des intérêts, que l'article 78 de la Convention de Vienne stipule que tout retard de paiement donne lieu à paiement des intérêts moratoires, sans qu'une mise en demeure soit nécessaire ; que ceux-ci courront donc, sur 130 000 F, du 1er octobre 1990, date à laquelle les fermes abîmées ont été tenues à la disposition de Monsieur Roque, après réparation ;
Que les intérêts seront capitalisés lorsqu'une année entière aura couru, à compter des conclusions du 28 septembre 1994, en faisant pour la première fois la demande ;
Attendu, sur la restitution à Monsieur Roque du chèque national de garantie de 170 000 F, que celle-ci n'aura lieu qu'après paiement de la créance de la Société Holding ;
Attendu, pour les sommes réclamées par chaque partie au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, que chacune succombe partiellement en appel ; Qu'il est donc équitable que les parties supportent les dépens et les frais irrepétibles du procès qu'elles ont exposés.
Par ces motifs : La Cour :
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
REFORME
partiellement le jugement déféré ;
Condamne Monsieur Roque à payer à la Société Holding Manin Rivière 130 000 F, pour solde du prix de vente ;
Ordonne à la Société Holding Manin Rivière de restituer à Monsieur Roque le chèque de 170 000 F, lorsqu'elle aura reçu paiement de la créance ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Dit que les parties supporteront la charge des dépens et frais irrépétibles qu'elles ont exposés.