CA Cayenne, ch. com., 4 août 2025, n° 24/00009
CAYENNE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE CAYENNE
[Adresse 2]
Chambre commerciale
ARRÊT N° 125
N° RG 24/00009 -
N° Portalis 4ZAM-V-B7I-BINK
[V] [D]
C/
[R] [X]
[T] [I] [BP]
[J] [U] [S] [DR]
[L] [H] [L] [H] [M]
[F] [P]
[A] [E] [O]
[Y] [G] [C]
ARRÊT DU 04 AOÛT 2025
Jugement Au fond, origine Tribunal mixte de Commerce de CAYENNE, décision attaquée en date du 08 Décembre 2023, enregistrée sous le n° 2021001780
APPELANT :
Monsieur [V] [D]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Isabelle DENIS, avocat constitué au barreau de GUYANE, Me Germain LICCIONI, avocat plaidant au barreau de PARIS
INTIMES :
Monsieur [R] [X]
[Adresse 13]
[Localité 4]
Monsieur [T] [I] [BP]
[Adresse 13]
[Localité 4]
Monsieur [J] [U] [S] [DR]
[Adresse 13]
[Localité 4]
Monsieur [L] [H] [L] [H] [M]
[Adresse 13]
[Localité 4]
Monsieur [F] [P]
[Adresse 13]
[Localité 4]
Monsieur [A] [E] [O]
[Adresse 13]
[Localité 4]
Monsieur [Y] [G] [C]
[Adresse 13]
[Localité 4]
tous représentés par Me Maurice CHOW CHINE, avocat constitué au barreau de GUYANE, Me Matthieu OLLIVRY, avocat plaidant au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 avril 2025 en audience publique et mise en délibéré au 21 juillet 2025 prorogé au 04 août 2025, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Mme Aurore BLUM, Présidente de chambre
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Mme Aurore BLUM,
Mme Patricia GOILLOT, Conseillère
M. Laurent SOCHAS, Conseiller
qui en ont délibéré.
GREFFIER :
Mme Hélène PETRO, Greffière, présente lors des débats et du prononcé
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 al 2 du Code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Monsieur [V] [D] issu d'une famille de tradition minière sur plusieurs générations, fondait en 2004 la société [6] dont il était le dirigeant de 2004 à 2009 date à laquelle il s'est retiré, tout en gardant une participation minoritaire d'1% du capital soit 29.'979.767 actions.
Devenue, le 26 juin 2019 la S.A. [7], ([5] ), et cotée sur le marché [11] depuis décembre 2006, la société est spécialisée dans l'exploitation et l'exploration minière sur différents continents: Pérou, Maroc, Côte d'Ivoire, Norvège, mais aussi en Guyane.
Le conseil d'administration présidé depuis novembre 2018 par Monsieur [Y] [G] [C], est composé par ailleurs de Monsieur [A] [E] [O] représentant la société [8], Monsieur [F] [Z], Monsieur [L] [H] [M], Monsieur [N] [DR], Monsieur [T] [I] [BP] [K] et Monsieur [R] [X].
Par acte du 29 octobre 2021, Monsieur [V] [D], estimant que le conseil d'administration avait commis à son égard des fautes lui ayant causé un préjudice financier significatif, assignait devant le tribunal mixte de commerce de Cayenne, au visa de l'article L225-251 du code de commerce, Monsieur [Y] [G] [C], Monsieur [A] [E] [O], Monsieur [F] [Z], Monsieur [L] [H] [M], Monsieur [N] [DR], de Monsieur [T] [I] [BP] [K] et Monsieur [R] [X], aux fins de les voir solidairement condamner à lui payer en leur qualité d'administrateur de la S.A. [7], sous le bénéfice de l'exécution provisoire la somme de:
- 4.086,000 euros en réparation de la perte de chance du fait de la rétention d'information fautive,
- 20'000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 8 décembre 2023, le tribunal mixte de commerce de Cayenne
sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- Déclarait recevable les demandes de Monsieur [V] [D],
- Déboutait Monsieur [V] [D] de sa demande de dommages et intérêts,
- Déboutait Monsieur [Y] [G] [C], Monsieur [A] [E] [O], Monsieur [F] [Z], Monsieur [L] [H] [M], Monsieur [N] [DR], Monsieur [T] [I] [BP] [K], et Monsieur [R] [X] de leur demande de dommages et intérêts,
- Condamnait Monsieur [V] [D] à payer à Monsieur [Y] [G] [C], Monsieur [A] [E] [O], Monsieur [F] [Z], Monsieur [L] [H] [M], Monsieur [N] [DR], Monsieur [T] [I] [BP] [K], et Monsieur [R] [X], chacun, la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Déboutait Monsieur [V] [D] de toutes autres demandes,
- Condamnait Monsieur [V] [D] aux dépens,
- Taxait et liquidait les frais de greffe à la somme de 150,56 euros.
Par acte du 6 janvier 2024 Monsieur [V] [D] relevait appel.
Le 16 février 2025, en l'absence de constitution des intimés, avis était donné à l'appelant d'avoir à signifier la déclaration d'appel, dans le mois de l'avis transmis par le greffe lequel y procédait le 11 mars 2024.
Le 4 avril 2024, les intimés se constituaient.
Par premières conclusions déposées le 4 avril 2024 et dernières du 9 janvier 2025, M. [V] [D] au visa de l'article 1240 et suivants du Code civil; 1850 du Code civil; L.225-251 et L.225-252 et suivants du Code de commerce demande de :
- Confirmer le jugement en date du 8 décembre 2023 en ce qu'il a déclaré les demandes de Monsieur [V] [D] recevables,
- Confirmer le jugement en date du 8 décembre 2023 en ce qu'il a débouté les intimés de leurs demandes à titre de dommages et intérêts.
Statuant à nouveau :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a :
- Débouté Monsieur [V] [D] de sa demande de dommages et intérêts,
- Condamné Monsieur [V] [D] à payer à Monsieur
[Y] [W], Monsieur [A] [E] [O], Monsieur [F] [Z], Monsieur [L] [H] [M], Monsieur [N] [DR], Monsieur [T] [I] [BP] [K], et Monsieur [R] [X], chacun, la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Débouté Monsieur [V] [D] de toutes autres demandes,
- Condamné Monsieur [V] [D] aux dépens,
- Ordonné l'exécution provisoire,
- Taxé et liquidé les frais de greffe à la somme de 150,56 euros.
Statuant à nouveau :
- Condamner solidairement Monsieur [Y] [G] [C], Monsieur [A] [E] [O], Monsieur [F] [Z], Monsieur [L] [H] [M], Monsieur [N] [DR], Monsieur [T] [I] [BP] [K], et Monsieur [R] [X] [B], à payer à Monsieur [D] la somme de 4.603.500 euros à titre de dommages et intérêts.
En tout état de cause,
- Les condamner chacun à payer à Monsieur [D] la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de l'instance.
A l'appui de ses prétentions, il fait valoir :
- qu'en novembre 2015, la société [5] a déposé auprès des services préfectoraux de la Guyane une demande d'autorisation pour la construction et l'exploitation d'une usine de traitement gravitaire d'or et d'une usine modulaire de traitement du minerai aurifère,
- que selon arrêté du 18 novembre 2015, le préfet de la Guyane l'autorisait a exploité une installation de séparation gravitaire d'or primaire et une unité modulaire de traitement du minéral aurifère sur la commune de [Localité 12],
- que les actionnaires ont été informés de l'autorisation préfectorale, puis par la suite uniquement par le biais de communiqués de presse successifs,
- qu'aucune information n'a été partagée quant à l'existence de difficultés relatives à l'autorisation d'exploiter et encore moins à l'existence d'un contentieux administratif,
- qu'il n'a appris que fortuitement le 1er octobre 2021, que par jugement du 30 septembre 2021, le tribunal administratif avait prononcé la caducité de l'arrêté du 18 novembre 2015, en raison des actions d'associations environnementales,
- que ce n'est que le 6 octobre 2021, le conseil d'administration communiquait sur la situation,
- qu'il n'a eu d'autre choix que de saisir le tribunal mixte de commerce de Cayenne aux fins de voir sanctionner la résistance dolosive des administrateurs,
- que les associés victimes d'une rétention d'information de la part des dirigeants sont en droit de revendiquer des dommages et intérêts, que dès lors son action est recevable,
- que la rétention d'une information sur l'existence d'un contentieux en cours, susceptible d'impacter l'activité de la société est constitutive d'une faute,
- qu'aucune information ne lui a été communiquée après la visite sur site des agents de la [9] le 21 août 2018, pas plus que sur la requête déposée le 17 août 2020 par les associations environnementales tendant notamment à réclamer l'annulation de l'arrêté du 18 novembre 2015,
- que le rapport de gestion du 24 mai 2021 relatif à l'exercice 2020 ne mentionne aucun risque judiciaire,
- que l'appel du jugement administratif, dépourvu d'effet suspensif, pouvait conduire à la fermeture de l'usine du site de Dieu-Merci; à cet égard un communiqué de presse de la société confirmait l'arrêt de l'outil industriel,
- que l'absence d'information ne lui a pas permis d'opérer un arbitrage sur tout ou partie du portefeuille des actions détenues,
- qu'aucun élément ne permet de confirmer qu'il a pu être informé de la situation,
- qu'il semble s'agir d'une pratique de la société puisque l'autorité des marchés financiers a requis 3,7 millions d'euros d'amende, contre d'anciens dirigeants, le commissaire aux comptes et le cabinet d'audit la société [5] pour des faits de rétention d'informations et diffusion d'informations trompeuses pour des faits de 2017,
- que le fait qu'il soit un investisseur 'averti', voire un investisseur 'qualifié', n'a pas de pertinence, dès lors qu'il se fonde sur un devoir de loyauté, de transparence,
- que son patrimoine actuel est intégralement constitué des actions détenues,
- que la valeur de l'action qui était de 0,50 € au mois d'avril 2019, n'était plus que de 0,27 € au 27 août 2020, et désoemais de 0,00 18 € au 3 avril 2024.
Par premières conclusions du 11 septembre 2024 et dernières conclusions du 11 février 2025 les intimés demandent au visa de l'article L225-252 du code de commerce de :
À titre principal :
- Juger irrecevable l'action de Monsieur [V] [D].
À titre subsidiaire :
- Juger infondées et injustifiées les demandes indemnitaires de Monsieur [V] [D].
En conséquence :
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté [V] [D] del'ensemble de ses demandes.
Statuant à nouveau :
- Juger l'action de [V] [D] abusive,
- Le condamner à la somme de 25.000 euros au titre de l'article 32-1 Code de procédure civile à chacun des intimés,
- 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'instance.
A l'appui de leurs prétentions, ils font fait valoir :
- que M. [D], à la personnalité autoritaire envahissante et n'a pas participé à la création de S.A. [7] en raison de désaccords stratégiques,
- que depuis il nourrit un profond ressentiment contre la nouvelle équipe dirigeante à laquelle il ne cesse de chercher à nuire,
- qu'il multiplie les tentatives d'intimidation, les procédures contentieuses (commerciales, arbitrales et pénales ),
- qu'il a posé de très nombreuses questions écrites à la nouvelle direction avant chaque assemblée générale, dont il critique ouvertement les choix réalisés, insinuant en substance qu'il aurait été un meilleur dirigeant,
- que l'action 'ut singuli' de Monsieur [D] est irrecevable, de caractère subsidiaire, l'associé ayant vocation à agir qu'en cas de carence des organes sociaux,
- qu'en outre une juridiction ne peut statuer sur une action ut singuli que si la société a été directement mise en cause, alors que dans le cas présent les demandes en réparation sont exclusivement personnelles
- quant à l'action dite 'individuelle' elle n'est recevable que si le préjudice subi et distinct de celui qui l'aurait été par la société,
- que la perte de valeur des titres n'a aucun caractère personnel,
- que les administrateurs sont dépourvus de qualité pour se défendre d'un prétendument manquement à une information financière prétendument défaillante,
- que sur le fond, l'introduction d'une procédure administrative ne constitue pas une information privilégiée de nature à influer sur le cours de bourse,
- que les actionnaires étaient informés des risques réglementaires liés à l'obtention ou renouvellement des titres miniers, comme communiqué dans le rapport de gestion 2019,
- que de manière générale le risque contentieux sur les autorisations et les concessions en Guyane est très élevé, pour être tous attaqués par les associations environnementales d'une part, d'autre part à raison du cadre juridique instable du fait des modifications successives du code minier et des jurisprudences du conseil d'État et du conseil Constitutionnel,
- que l'introduction de la requête était une information trop imprécise, temporaire ou non pertinente pour justifier d'une information immédiate du marché,
- que le risque que le tribunal administratif se prononce sur la caducité des arrêtés préfectoraux 2015 et 2018, n'est apparu que tardivement,
- que l'information du dépôt de la requête administrative n'était pas une information qui aurait pu avoir un impact sensible sur le cours de l'action,
- que la baisse tensionnelle du cours de l'action tient en une cause capitalistique et financière liée à la création d'actions nouvelles et en rien à la situation opérationnelle du site 'Dieu-Merci',
- qu'en fait, la présente action n'a de volonté que de nuire, Monsieur [D] reproche en vérité depuis août 2020 à la société [5] de ne pas avoir conclu avec lui de partenariats relatifs au développement des actifs miniers notamment ceux de Guyane, de ne pas lui avoir confié de fonction d'administrateur au conseil d'administration.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 mars 2025.
Sur ce, la cour
Sur la recevabilité de l'action
Selon l'article 225-251 du Code de commerce :
' Les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.
Si plusieurs administrateurs ou plusieurs administrateurs et le directeur général ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage.'.
Aux termes de l'article 225-252 du Code de commerce :
' Outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, les actionnaires peuvent, soit individuellement, soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, intenter l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l'entier préjudice subi par la société, à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués.'.
Par ailleurs, l'article R 225-170 du même code énonce :
' Lorsque l'action sociale est intentée par un ou plusieurs actionnaires, agissant soit individuellement, soit dans les conditions prévues à l'article R. 225-169, le tribunal ne peut statuer que si la société a été régulièrement mise en cause par l'intermédiaire de ses représentants légaux.
Le tribunal peut désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans l'instance, lorsqu'il existe un conflit d'intérêt entre celle-ci et ses représentants légaux.'.
Il s'en excipe que l'action sociale dite « ut singuli » est poursuivie par les associés « pour le compte de la société » en cas de carence de la société qui n'aura pas diligenté de procédure visant à engager la responsabilité du dirigeant. L'exercice de l'action sociale 'ut singuli' permet à l'associé de se substituer aux organes sociaux défaillants pour demander aux dirigeants de réparer le dommage que leur faute a causé à la société tout entière.
Le demandeur doit apporter la preuve d'une faute (faute de gestion, violation des statuts ou de la loi) par le dirigeant et prouver que cette faute a causé un préjudice à la société.
Par suite, ce fondement est irrecevable au cas d'espèce, en l'absence de mise en cause de la société et de demandes à son bénéfice.
En revanche, un actionnaire qui subit un préjudice personnel peut engager une action individuelle au visa de l'article 1843-5 alinéa 1er du Code civil lequel dispose :
' Outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, un ou plusieurs associés peuvent intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société ; en cas de condamnation, les dommages-intérêts sont alloués à la société.'.
A cet égard, les intimés rappellent que l'action individuelle en responsabilité dont dispose un associé contre un dirigeant ne peut tendre qu'à la réparation d'un préjudice personnel et distinct de celui causé à la société.
Au cas particulier, M. [D] se fondant sur l'article 1240 du Code civil, reproche aux administrateurs un manque de loyauté, de transparence dans les informations données aux actionnaires, ce qui a conduit à une perte de chance de procéder aux arbitrages les plus opportuns sur son portefeuille d'actions, le cours aurait chuté lorsque les informations ont été connues du plus grand nombre.
S'il est constant que la dépréciation de titres ne caractérise pas préjudicie distinct de celui la société, l'absence de communication aux actionnaires par la société des actions des associations environnementales qui ont conduit au jugement du 30 septembre 2021 du tribunal administratif, prononçant la caducité de l'arrêté préfectoral du 18 novembre 2015 autorisant l'exploitation du site, est constitutive d'une faute qui cause un préjudice à M. [D].
La question de savoir si l'information a eu ou non un effet impactant sur le cours de l'action est sans objet en présence d'un manquement à un devoir de transparence, de loyauté à l'égard des actionnaires, lesquels en raison de leur soutien à la société par leurs engagements financiers, doivent être informés de l'ensemble des aléas qui peuvent avoir une répercussion sur l'activité de la société, comme en l'espèce, les recours formés contre les autorisations d'exploiter; par suite en adoptant les motifs du premier juge, il convient de confirmer le jugement sur ce point, en ce que le conseil d'administration a commis une faute à l'égard d'un actionnaire pour défaut de transparence et absence d'information.
Sur l'évaluation du préjudice
M. [D] évoque une perte de chance de procéder à des arbitrages sur son portefeuille d'actions, il prétend n'avoir personnellement appris que fortuitement le 1er octobre 2021, par le jugement du 30 septembre 2021, que le tribunal administratif avait prononcé la caducité de l'arrêté du 18 novembre 2015, que le conseil d'administration n'a communiqué sur la situation que le 6 octobre 2021.
Il évalue la perte sur la valeur de son portefeuille, par référence au bénéfice qu'il a obtenu de la vente de 4.604.272 titres entre le 31 décembre 2019 et le 20 août 2020, pour un montant de 1.085.672,10 euros, la côté selon [10] étant au 20 août 2020 de 0,27 euros, alors qu'au 6 octobre 2021 la valeur n'étant plus que de 0.043 euros.
Les appelants soutiennent que la baise tendancielle du cours de l'action s'explique par une cause capitaliste et financière et non opérationnelle, la création d'actions nouvelles étant le seul moyen de financement de la société [5].
A cet égard, ils rappellent que le capital social était constitué de :
- 274.208.499 actions au 3 mai 2019,
- 1.663.657.904 actions au 30 septembre 2022,
- 3.907.675.081 actions à ce jour.
Si l'analyse des graphiques de courbes démontre effectivement au tendance baissière de l'action à la date du jugement le 30 septembre 2021, celle ci était déjà engagée depuis l'été 2019 et n'a cessé de se poursuivre.
Le groupe [6] est d'envergure mondiale, il en subit donc toutes les influences, économiques, géopolitiques de sorte qu'il n'est pas caractérisé que l'activité du seul site de 'Dieu-Merci' soit d'une influence significative dans le cours de l'action, aussi le lien de causalité entre la baisse du cours de l'action et les conséquences de la décision du tribunal administratif, prononçant la caducité de l'arrêt préfectoral, n'est pas suffisamment caractérisée.
En conséquence, M. [D] est débouté de sa demande d'indemnisation
Sur la demande fondée au titre de l'article 32-1 du Code de procédure civile par les intimés
Aux termes de l'article 32-1 du Code de procédure civile :
' Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.'
S'il appartient à toutes les juridictions de statuer sur le dommage causé par le comportement abusif de l'une des parties faut-il démontrer un abus constitutif d'une faute, en l'espèce, il n'est pas démontré la faute de l'appelant, qui ne succombe que dans la démonstration du lien de causalité au titre de l'existence de son préjudice en lient avec la faute avérée des intimés.
En conséquence, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande
Chaque partie succombant, il n'y a pas lieu de faire droit à l'indemnité de procédure, pour les mêmes raisons chaque partie conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise en disposition au greffe.
CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qui concerne l'indemnité de procédure et les dépens.
Statuant à nouveau,
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile
LAISSE à chaque partie la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par la Présidente de chambre et la Greffière.
La Greffière La Présidente de chambre
Hélène PETRO Aurore BLUM
[Adresse 2]
Chambre commerciale
ARRÊT N° 125
N° RG 24/00009 -
N° Portalis 4ZAM-V-B7I-BINK
[V] [D]
C/
[R] [X]
[T] [I] [BP]
[J] [U] [S] [DR]
[L] [H] [L] [H] [M]
[F] [P]
[A] [E] [O]
[Y] [G] [C]
ARRÊT DU 04 AOÛT 2025
Jugement Au fond, origine Tribunal mixte de Commerce de CAYENNE, décision attaquée en date du 08 Décembre 2023, enregistrée sous le n° 2021001780
APPELANT :
Monsieur [V] [D]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Isabelle DENIS, avocat constitué au barreau de GUYANE, Me Germain LICCIONI, avocat plaidant au barreau de PARIS
INTIMES :
Monsieur [R] [X]
[Adresse 13]
[Localité 4]
Monsieur [T] [I] [BP]
[Adresse 13]
[Localité 4]
Monsieur [J] [U] [S] [DR]
[Adresse 13]
[Localité 4]
Monsieur [L] [H] [L] [H] [M]
[Adresse 13]
[Localité 4]
Monsieur [F] [P]
[Adresse 13]
[Localité 4]
Monsieur [A] [E] [O]
[Adresse 13]
[Localité 4]
Monsieur [Y] [G] [C]
[Adresse 13]
[Localité 4]
tous représentés par Me Maurice CHOW CHINE, avocat constitué au barreau de GUYANE, Me Matthieu OLLIVRY, avocat plaidant au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 avril 2025 en audience publique et mise en délibéré au 21 juillet 2025 prorogé au 04 août 2025, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Mme Aurore BLUM, Présidente de chambre
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Mme Aurore BLUM,
Mme Patricia GOILLOT, Conseillère
M. Laurent SOCHAS, Conseiller
qui en ont délibéré.
GREFFIER :
Mme Hélène PETRO, Greffière, présente lors des débats et du prononcé
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 al 2 du Code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Monsieur [V] [D] issu d'une famille de tradition minière sur plusieurs générations, fondait en 2004 la société [6] dont il était le dirigeant de 2004 à 2009 date à laquelle il s'est retiré, tout en gardant une participation minoritaire d'1% du capital soit 29.'979.767 actions.
Devenue, le 26 juin 2019 la S.A. [7], ([5] ), et cotée sur le marché [11] depuis décembre 2006, la société est spécialisée dans l'exploitation et l'exploration minière sur différents continents: Pérou, Maroc, Côte d'Ivoire, Norvège, mais aussi en Guyane.
Le conseil d'administration présidé depuis novembre 2018 par Monsieur [Y] [G] [C], est composé par ailleurs de Monsieur [A] [E] [O] représentant la société [8], Monsieur [F] [Z], Monsieur [L] [H] [M], Monsieur [N] [DR], Monsieur [T] [I] [BP] [K] et Monsieur [R] [X].
Par acte du 29 octobre 2021, Monsieur [V] [D], estimant que le conseil d'administration avait commis à son égard des fautes lui ayant causé un préjudice financier significatif, assignait devant le tribunal mixte de commerce de Cayenne, au visa de l'article L225-251 du code de commerce, Monsieur [Y] [G] [C], Monsieur [A] [E] [O], Monsieur [F] [Z], Monsieur [L] [H] [M], Monsieur [N] [DR], de Monsieur [T] [I] [BP] [K] et Monsieur [R] [X], aux fins de les voir solidairement condamner à lui payer en leur qualité d'administrateur de la S.A. [7], sous le bénéfice de l'exécution provisoire la somme de:
- 4.086,000 euros en réparation de la perte de chance du fait de la rétention d'information fautive,
- 20'000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 8 décembre 2023, le tribunal mixte de commerce de Cayenne
sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- Déclarait recevable les demandes de Monsieur [V] [D],
- Déboutait Monsieur [V] [D] de sa demande de dommages et intérêts,
- Déboutait Monsieur [Y] [G] [C], Monsieur [A] [E] [O], Monsieur [F] [Z], Monsieur [L] [H] [M], Monsieur [N] [DR], Monsieur [T] [I] [BP] [K], et Monsieur [R] [X] de leur demande de dommages et intérêts,
- Condamnait Monsieur [V] [D] à payer à Monsieur [Y] [G] [C], Monsieur [A] [E] [O], Monsieur [F] [Z], Monsieur [L] [H] [M], Monsieur [N] [DR], Monsieur [T] [I] [BP] [K], et Monsieur [R] [X], chacun, la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Déboutait Monsieur [V] [D] de toutes autres demandes,
- Condamnait Monsieur [V] [D] aux dépens,
- Taxait et liquidait les frais de greffe à la somme de 150,56 euros.
Par acte du 6 janvier 2024 Monsieur [V] [D] relevait appel.
Le 16 février 2025, en l'absence de constitution des intimés, avis était donné à l'appelant d'avoir à signifier la déclaration d'appel, dans le mois de l'avis transmis par le greffe lequel y procédait le 11 mars 2024.
Le 4 avril 2024, les intimés se constituaient.
Par premières conclusions déposées le 4 avril 2024 et dernières du 9 janvier 2025, M. [V] [D] au visa de l'article 1240 et suivants du Code civil; 1850 du Code civil; L.225-251 et L.225-252 et suivants du Code de commerce demande de :
- Confirmer le jugement en date du 8 décembre 2023 en ce qu'il a déclaré les demandes de Monsieur [V] [D] recevables,
- Confirmer le jugement en date du 8 décembre 2023 en ce qu'il a débouté les intimés de leurs demandes à titre de dommages et intérêts.
Statuant à nouveau :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a :
- Débouté Monsieur [V] [D] de sa demande de dommages et intérêts,
- Condamné Monsieur [V] [D] à payer à Monsieur
[Y] [W], Monsieur [A] [E] [O], Monsieur [F] [Z], Monsieur [L] [H] [M], Monsieur [N] [DR], Monsieur [T] [I] [BP] [K], et Monsieur [R] [X], chacun, la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Débouté Monsieur [V] [D] de toutes autres demandes,
- Condamné Monsieur [V] [D] aux dépens,
- Ordonné l'exécution provisoire,
- Taxé et liquidé les frais de greffe à la somme de 150,56 euros.
Statuant à nouveau :
- Condamner solidairement Monsieur [Y] [G] [C], Monsieur [A] [E] [O], Monsieur [F] [Z], Monsieur [L] [H] [M], Monsieur [N] [DR], Monsieur [T] [I] [BP] [K], et Monsieur [R] [X] [B], à payer à Monsieur [D] la somme de 4.603.500 euros à titre de dommages et intérêts.
En tout état de cause,
- Les condamner chacun à payer à Monsieur [D] la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de l'instance.
A l'appui de ses prétentions, il fait valoir :
- qu'en novembre 2015, la société [5] a déposé auprès des services préfectoraux de la Guyane une demande d'autorisation pour la construction et l'exploitation d'une usine de traitement gravitaire d'or et d'une usine modulaire de traitement du minerai aurifère,
- que selon arrêté du 18 novembre 2015, le préfet de la Guyane l'autorisait a exploité une installation de séparation gravitaire d'or primaire et une unité modulaire de traitement du minéral aurifère sur la commune de [Localité 12],
- que les actionnaires ont été informés de l'autorisation préfectorale, puis par la suite uniquement par le biais de communiqués de presse successifs,
- qu'aucune information n'a été partagée quant à l'existence de difficultés relatives à l'autorisation d'exploiter et encore moins à l'existence d'un contentieux administratif,
- qu'il n'a appris que fortuitement le 1er octobre 2021, que par jugement du 30 septembre 2021, le tribunal administratif avait prononcé la caducité de l'arrêté du 18 novembre 2015, en raison des actions d'associations environnementales,
- que ce n'est que le 6 octobre 2021, le conseil d'administration communiquait sur la situation,
- qu'il n'a eu d'autre choix que de saisir le tribunal mixte de commerce de Cayenne aux fins de voir sanctionner la résistance dolosive des administrateurs,
- que les associés victimes d'une rétention d'information de la part des dirigeants sont en droit de revendiquer des dommages et intérêts, que dès lors son action est recevable,
- que la rétention d'une information sur l'existence d'un contentieux en cours, susceptible d'impacter l'activité de la société est constitutive d'une faute,
- qu'aucune information ne lui a été communiquée après la visite sur site des agents de la [9] le 21 août 2018, pas plus que sur la requête déposée le 17 août 2020 par les associations environnementales tendant notamment à réclamer l'annulation de l'arrêté du 18 novembre 2015,
- que le rapport de gestion du 24 mai 2021 relatif à l'exercice 2020 ne mentionne aucun risque judiciaire,
- que l'appel du jugement administratif, dépourvu d'effet suspensif, pouvait conduire à la fermeture de l'usine du site de Dieu-Merci; à cet égard un communiqué de presse de la société confirmait l'arrêt de l'outil industriel,
- que l'absence d'information ne lui a pas permis d'opérer un arbitrage sur tout ou partie du portefeuille des actions détenues,
- qu'aucun élément ne permet de confirmer qu'il a pu être informé de la situation,
- qu'il semble s'agir d'une pratique de la société puisque l'autorité des marchés financiers a requis 3,7 millions d'euros d'amende, contre d'anciens dirigeants, le commissaire aux comptes et le cabinet d'audit la société [5] pour des faits de rétention d'informations et diffusion d'informations trompeuses pour des faits de 2017,
- que le fait qu'il soit un investisseur 'averti', voire un investisseur 'qualifié', n'a pas de pertinence, dès lors qu'il se fonde sur un devoir de loyauté, de transparence,
- que son patrimoine actuel est intégralement constitué des actions détenues,
- que la valeur de l'action qui était de 0,50 € au mois d'avril 2019, n'était plus que de 0,27 € au 27 août 2020, et désoemais de 0,00 18 € au 3 avril 2024.
Par premières conclusions du 11 septembre 2024 et dernières conclusions du 11 février 2025 les intimés demandent au visa de l'article L225-252 du code de commerce de :
À titre principal :
- Juger irrecevable l'action de Monsieur [V] [D].
À titre subsidiaire :
- Juger infondées et injustifiées les demandes indemnitaires de Monsieur [V] [D].
En conséquence :
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté [V] [D] del'ensemble de ses demandes.
Statuant à nouveau :
- Juger l'action de [V] [D] abusive,
- Le condamner à la somme de 25.000 euros au titre de l'article 32-1 Code de procédure civile à chacun des intimés,
- 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'instance.
A l'appui de leurs prétentions, ils font fait valoir :
- que M. [D], à la personnalité autoritaire envahissante et n'a pas participé à la création de S.A. [7] en raison de désaccords stratégiques,
- que depuis il nourrit un profond ressentiment contre la nouvelle équipe dirigeante à laquelle il ne cesse de chercher à nuire,
- qu'il multiplie les tentatives d'intimidation, les procédures contentieuses (commerciales, arbitrales et pénales ),
- qu'il a posé de très nombreuses questions écrites à la nouvelle direction avant chaque assemblée générale, dont il critique ouvertement les choix réalisés, insinuant en substance qu'il aurait été un meilleur dirigeant,
- que l'action 'ut singuli' de Monsieur [D] est irrecevable, de caractère subsidiaire, l'associé ayant vocation à agir qu'en cas de carence des organes sociaux,
- qu'en outre une juridiction ne peut statuer sur une action ut singuli que si la société a été directement mise en cause, alors que dans le cas présent les demandes en réparation sont exclusivement personnelles
- quant à l'action dite 'individuelle' elle n'est recevable que si le préjudice subi et distinct de celui qui l'aurait été par la société,
- que la perte de valeur des titres n'a aucun caractère personnel,
- que les administrateurs sont dépourvus de qualité pour se défendre d'un prétendument manquement à une information financière prétendument défaillante,
- que sur le fond, l'introduction d'une procédure administrative ne constitue pas une information privilégiée de nature à influer sur le cours de bourse,
- que les actionnaires étaient informés des risques réglementaires liés à l'obtention ou renouvellement des titres miniers, comme communiqué dans le rapport de gestion 2019,
- que de manière générale le risque contentieux sur les autorisations et les concessions en Guyane est très élevé, pour être tous attaqués par les associations environnementales d'une part, d'autre part à raison du cadre juridique instable du fait des modifications successives du code minier et des jurisprudences du conseil d'État et du conseil Constitutionnel,
- que l'introduction de la requête était une information trop imprécise, temporaire ou non pertinente pour justifier d'une information immédiate du marché,
- que le risque que le tribunal administratif se prononce sur la caducité des arrêtés préfectoraux 2015 et 2018, n'est apparu que tardivement,
- que l'information du dépôt de la requête administrative n'était pas une information qui aurait pu avoir un impact sensible sur le cours de l'action,
- que la baisse tensionnelle du cours de l'action tient en une cause capitalistique et financière liée à la création d'actions nouvelles et en rien à la situation opérationnelle du site 'Dieu-Merci',
- qu'en fait, la présente action n'a de volonté que de nuire, Monsieur [D] reproche en vérité depuis août 2020 à la société [5] de ne pas avoir conclu avec lui de partenariats relatifs au développement des actifs miniers notamment ceux de Guyane, de ne pas lui avoir confié de fonction d'administrateur au conseil d'administration.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 mars 2025.
Sur ce, la cour
Sur la recevabilité de l'action
Selon l'article 225-251 du Code de commerce :
' Les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.
Si plusieurs administrateurs ou plusieurs administrateurs et le directeur général ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage.'.
Aux termes de l'article 225-252 du Code de commerce :
' Outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, les actionnaires peuvent, soit individuellement, soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, intenter l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l'entier préjudice subi par la société, à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués.'.
Par ailleurs, l'article R 225-170 du même code énonce :
' Lorsque l'action sociale est intentée par un ou plusieurs actionnaires, agissant soit individuellement, soit dans les conditions prévues à l'article R. 225-169, le tribunal ne peut statuer que si la société a été régulièrement mise en cause par l'intermédiaire de ses représentants légaux.
Le tribunal peut désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans l'instance, lorsqu'il existe un conflit d'intérêt entre celle-ci et ses représentants légaux.'.
Il s'en excipe que l'action sociale dite « ut singuli » est poursuivie par les associés « pour le compte de la société » en cas de carence de la société qui n'aura pas diligenté de procédure visant à engager la responsabilité du dirigeant. L'exercice de l'action sociale 'ut singuli' permet à l'associé de se substituer aux organes sociaux défaillants pour demander aux dirigeants de réparer le dommage que leur faute a causé à la société tout entière.
Le demandeur doit apporter la preuve d'une faute (faute de gestion, violation des statuts ou de la loi) par le dirigeant et prouver que cette faute a causé un préjudice à la société.
Par suite, ce fondement est irrecevable au cas d'espèce, en l'absence de mise en cause de la société et de demandes à son bénéfice.
En revanche, un actionnaire qui subit un préjudice personnel peut engager une action individuelle au visa de l'article 1843-5 alinéa 1er du Code civil lequel dispose :
' Outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, un ou plusieurs associés peuvent intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société ; en cas de condamnation, les dommages-intérêts sont alloués à la société.'.
A cet égard, les intimés rappellent que l'action individuelle en responsabilité dont dispose un associé contre un dirigeant ne peut tendre qu'à la réparation d'un préjudice personnel et distinct de celui causé à la société.
Au cas particulier, M. [D] se fondant sur l'article 1240 du Code civil, reproche aux administrateurs un manque de loyauté, de transparence dans les informations données aux actionnaires, ce qui a conduit à une perte de chance de procéder aux arbitrages les plus opportuns sur son portefeuille d'actions, le cours aurait chuté lorsque les informations ont été connues du plus grand nombre.
S'il est constant que la dépréciation de titres ne caractérise pas préjudicie distinct de celui la société, l'absence de communication aux actionnaires par la société des actions des associations environnementales qui ont conduit au jugement du 30 septembre 2021 du tribunal administratif, prononçant la caducité de l'arrêté préfectoral du 18 novembre 2015 autorisant l'exploitation du site, est constitutive d'une faute qui cause un préjudice à M. [D].
La question de savoir si l'information a eu ou non un effet impactant sur le cours de l'action est sans objet en présence d'un manquement à un devoir de transparence, de loyauté à l'égard des actionnaires, lesquels en raison de leur soutien à la société par leurs engagements financiers, doivent être informés de l'ensemble des aléas qui peuvent avoir une répercussion sur l'activité de la société, comme en l'espèce, les recours formés contre les autorisations d'exploiter; par suite en adoptant les motifs du premier juge, il convient de confirmer le jugement sur ce point, en ce que le conseil d'administration a commis une faute à l'égard d'un actionnaire pour défaut de transparence et absence d'information.
Sur l'évaluation du préjudice
M. [D] évoque une perte de chance de procéder à des arbitrages sur son portefeuille d'actions, il prétend n'avoir personnellement appris que fortuitement le 1er octobre 2021, par le jugement du 30 septembre 2021, que le tribunal administratif avait prononcé la caducité de l'arrêté du 18 novembre 2015, que le conseil d'administration n'a communiqué sur la situation que le 6 octobre 2021.
Il évalue la perte sur la valeur de son portefeuille, par référence au bénéfice qu'il a obtenu de la vente de 4.604.272 titres entre le 31 décembre 2019 et le 20 août 2020, pour un montant de 1.085.672,10 euros, la côté selon [10] étant au 20 août 2020 de 0,27 euros, alors qu'au 6 octobre 2021 la valeur n'étant plus que de 0.043 euros.
Les appelants soutiennent que la baise tendancielle du cours de l'action s'explique par une cause capitaliste et financière et non opérationnelle, la création d'actions nouvelles étant le seul moyen de financement de la société [5].
A cet égard, ils rappellent que le capital social était constitué de :
- 274.208.499 actions au 3 mai 2019,
- 1.663.657.904 actions au 30 septembre 2022,
- 3.907.675.081 actions à ce jour.
Si l'analyse des graphiques de courbes démontre effectivement au tendance baissière de l'action à la date du jugement le 30 septembre 2021, celle ci était déjà engagée depuis l'été 2019 et n'a cessé de se poursuivre.
Le groupe [6] est d'envergure mondiale, il en subit donc toutes les influences, économiques, géopolitiques de sorte qu'il n'est pas caractérisé que l'activité du seul site de 'Dieu-Merci' soit d'une influence significative dans le cours de l'action, aussi le lien de causalité entre la baisse du cours de l'action et les conséquences de la décision du tribunal administratif, prononçant la caducité de l'arrêt préfectoral, n'est pas suffisamment caractérisée.
En conséquence, M. [D] est débouté de sa demande d'indemnisation
Sur la demande fondée au titre de l'article 32-1 du Code de procédure civile par les intimés
Aux termes de l'article 32-1 du Code de procédure civile :
' Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.'
S'il appartient à toutes les juridictions de statuer sur le dommage causé par le comportement abusif de l'une des parties faut-il démontrer un abus constitutif d'une faute, en l'espèce, il n'est pas démontré la faute de l'appelant, qui ne succombe que dans la démonstration du lien de causalité au titre de l'existence de son préjudice en lient avec la faute avérée des intimés.
En conséquence, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande
Chaque partie succombant, il n'y a pas lieu de faire droit à l'indemnité de procédure, pour les mêmes raisons chaque partie conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise en disposition au greffe.
CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qui concerne l'indemnité de procédure et les dépens.
Statuant à nouveau,
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile
LAISSE à chaque partie la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par la Présidente de chambre et la Greffière.
La Greffière La Présidente de chambre
Hélène PETRO Aurore BLUM