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Décisions

CA Besançon, 1re ch., 5 août 2025, n° 24/01065

BESANÇON

Arrêt

Autre

CA Besançon n° 24/01065

5 août 2025

Le copies exécutoires et conformes délivrées à

PM/[Localité 4]

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Minute n°

N° de rôle : N° RG 24/01065 - N° Portalis DBVG-V-B7I-EZLW

COUR D'APPEL DE BESANÇON

1ère chambre civile et commerciale

ARRÊT DU 05 AOUT 2025

Décision déférée à la Cour : jugement du 04 juin 2024 - RG N°22/01364 - TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE [Localité 3]

Code affaire : 90Z - Demande relative à d'autres droits indirects

COMPOSITION DE LA COUR :

M. Michel WACHTER, Président de chambre.

Philippe MAUREL et M. Cédric SAUNIER, Conseillers.

Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DEBATS :

L'affaire a été examinée en audience publique du 13 mai 2025 tenue par M. Michel WACHTER, président de chambre, Philippe MAUREL et M. Cédric SAUNIER, conseillers et assistés de Mme Fabienne ARNOUX, greffier.

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

L'affaire oppose :

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [V] [T]

né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 3],

demeurant [Adresse 2]

Représenté par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT - PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

Représenté par Me Nessim SIRAT de la SCP SMS, avocat au barreau de BESANCON, avocat plaidant

ET :

INTIMÉE

DIRECTION REGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES DE PACA & DU DEPARTEMENT DES BOUCHES DU RHONE

Sise [Adresse 5]

Représentée par Me Anne LAGARRIGUE de la SELARL ANNE LAGARRIGUE, avocat au barreau de HAUTE-SAONE

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.

*************

EXPOSE DU LITIGE

M. [V] [T] a fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle (ESFP) pour une période comprise entre l'année 2014 et l'année 2016. Les opérations ont débuté le 5 juillet 2017. Le contrôle a été diligenté après que les services du fisc aient été destinataires de la part de leurs homologues allemands d'une information sur les avoirs détenus à l'étranger par l'intéressé. Le 8 décembre de la même année, les services de l'administration fiscale ont adressé à l'administration suisse une demande d'assistance administrative interne aux fins de vérification de l'existence et de l'approvisionnement d'un compte détenu par le contribuable. Les autorités consultées ont répondu le 17 mai 2018 que M. [V] [T] était titulaire d'un compte ouvert dans les livres d'un établissement bancaire suisse sur lequel apparaissait un solde créditeur global, au mois d'août 2009, d'un montant de 209'824 euros. Le service des impôts a alors notifié à l'intéressé, le 27 juillet 2018, à défaut de réponse satisfaisante sur l'origine des fonds pour lesquels le titulaire du compte avait été interrogé, un redressement d'un montant de 108'575 euros en application de l'article L. 23 C du livre des procédures fiscales (LPF). Le montant retenu à titre de majoration de cotisations d'impôt a été calculé sur la base d'une taxation d'office. Un avis de mise en recouvrement a été émis le 28 septembre 2018. Le contribuable a alors sollicité le dégrèvement des prélèvements supplémentaires dont il a été déclaré redevable à la suite de la notification des rectifications, mais sa demande a été rejetée par décision du 4 avril 2022.

Par acte de commissaire de justice en date du 20 juillet 2022, M. [V] [T] a fait assigner le directeur régional des finances publiques de Provence Alpes Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône aux fins d'obtenir la décharge des impositions supplémentaires rendues exigibles après le contrôle exercé par l'administration fiscale concernant le compte bancaire ouvert dans un établissement étranger.

Suivant jugement en date du 4 juin 2024, le tribunal judiciaire de Besançon a débouté le requérant de l'intégralité de ses demandes. Pour statuer ainsi, il a retenu que :

' Les textes légaux sur lesquels la poursuite été fondée prévoyaient un délai au-delà duquel l'action en reprise n'était plus possible, soit un délai décennal, si bien que le dispositif légal n'encourait pas le grief suivant lequel les droits du contribuable étaient méconnus pour porter atteint au principe général de sécurité juridique et de libre circulation des capitaux dans l'espace économique européen en ne prévoyant aucun dispositif de prescription.

' Contrairement aux allégations du requérant, l'administration fiscale était avisée que le compte de dépôt à vue ouvert à l'étranger et non déclaré était depuis l'année 2009 approvisionné si bien qu'aucune irrégularité dans la procédure mise en 'uvre ne pouvait être stigmatisée.

Suivant déclaration au greffe en date du 16 juillet 2024, formalisée par voie électronique, M. [V] [T] a interjeté appel du jugement rendu. Dans le dernier état de ses écritures en date du 10 octobre 2024, il sollicite l'infirmation de la décision et invite la cour à statuer dans le sens suivant :

' Juger que le système répressif fiscal français, tel qu'instauré par les articles L. 23 C du LPF et 755 du code général des impôts (CGI) va au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir l'efficacité des contrôles fiscaux et lutter contre la fraude et l'évasion fiscale et est donc contraire à la libre circulation des capitaux.

En conséquence :

' Décharger le concluant des suppléments d'impôt mis à sa charge suivant avis de mise en recouvrement du 28 septembre 2018, en principal, intérêts et majorations, pour un total de 108'575 euros.

À défaut :

' Juger que la mise en 'uvre de l'article L. 23 C du LPF est, en l'espèce, irrégulière.

En conséquence :

' Décharger le concluant des suppléments d'impôt mis à sa charge suivant avis de mise en recouvrement du 28 septembre 2018, en principal, intérêts et majorations pour un total de 108'575 euros.

Très subsidiairement :

' Juger que le concluant est co-titulaire du compte bancaire n° 02 42- 74 04 98 avec Mme [U] [Y].

En conséquence :

' Ramener l'imposition à la somme de 54'287 euros et prononcer la décharge pour le surplus.

En tout état de cause :

' Condamner M. le directeur régional des finances publiques de Provence Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône à verser au concluant la somme de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses prétentions, il fait valoir les moyens et arguments suivants :

' L'article L. 23 C du LPF ne permet pas au contribuable contrôlé d'invoquer à son bénéfice une prescription de l'action en recouvrement de l'impôt éludé dans la mesure où le dispositif mis en 'uvre aboutit à un effet d'imprescriptibilité contraire à l'impératif de sécurité juridique, lequel a valeur de principe général du droit.

' La Cour de Justice de l'Union Européenne s'est déterminée en ce sens en déniant toute validité aux modalités de réintégration dans l'assiette d'évaluation des biens taxables des biens du contribuable détenus à l'étranger sans possibilité pour le propriétaire de faire valoir la prescription de l'action en taxation supplémentaire. Ce dispositif fiscal contrevient en conséquence à la règle de libre circulation des capitaux puisqu'elle permet à tout moment à l'administration de procéder à une taxation suivie d'une mise en recouvrement de cotisations supplémentaires sans possibilité pour le contribuable d'être déchargé de toute obligation contributive nouvelle en l'état de la prescription de l'action.

' La procédure engagée par l'administration fiscale intimée est irrégulière dans la mesure où, à la date à laquelle elle a été destinataire d'une information de son homologue allemand, elle ignorait le montant du solde créditeur sur le compte de dépôt ouvert dans un établissement bancaire suisse, et ne disposait d'aucun élément lui permettant de déduire que le compte en question était approvisionné.

' Le compte a été ouvert en son nom personnel mais également à celui de Mme [U] [Y], ce dont il se déduit qu'il n'est redevable que de la moitié du montant représentatif du redressement opéré puisque la sanction fiscale doit être partagée avec le co-titulaire de ce compte qui n'avait été déclaré par aucun d'eux à l'administration des impôts.

* * *

En réponse, l'administration des impôts conclut, aux termes de ses conclusions en date du 18 décembre 2024, à la confirmation pure et simple du jugement attaqué, outre la décision de rejet notifiée au contribuable le 4 avril 2022 et accessoirement le condamner au paiement d'une indemnité de 3000 euros en compensation des frais irrépétibles exposés. Elle soutient, à cet égard, que :

' Contrairement à ce que soutient l'appelant, la rectification opérée sur le fondement de l'article L. 23 C LPF est enfermée dans un délai de prescription si bien que la jurisprudence de la CJUE et du Conseil d'État dont se prévaut M. [T] ne sont pas applicables aux faits de l'espèce.

' La procédure est parfaitement régulière en ce que l'administration concluante détenait, dès la demande d'explication adressée au contribuable, le 26 octobre 2017, les éléments lui assurant que le compte ouvert à l'étranger était approvisionné.

' Aucun élément n'ayant été apporté sur l'origine des fonds, il n'était pas possible pour l'administration concluante d'apprécier la proportion de la contribution de M. [T] à la provision déposée en compte. En toute hypothèse les co-titulaires sont régis par la règle de la solidarité si bien qu'il est loisible aux services fiscaux de s'adresser à l'un ou l'autre.

* * *

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 23 avril 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'appelant se recommande d'un arrêt rendu par la CJUE pour dénier toute efficience au dispositif légal de reprise dans la mesure où celui-ci est pourvu d'un effet d'imprescriptibilité qui fait obstacle à ce que le contribuable contrôlé puisse invoquer à son bénéfice l'avantage acquis que constitue pour lui l'écoulement du délai de prescription. Il estime donc que, faute de comporter un dispositif pondérateur de l'action en taxation et en recouvrement reconnu à l'administration fiscale qui demeure libre, en l'état du dispositif en viguer, de procéder à une rectification quelle que soit la date à laquelle le fait générateur de l'impôt s'est produit, la poursuite engagée contre lui est entachée d'irrégularité. Ce n'est donc pas un moyen de fin de non-recevoir qui est invoqué par l'appelant mais le défaut de base légale à la poursuite engagée, en raison de l'anomalie affectant un corpus de règles légales consistant pour l'assujetti à être privé du droit d'invoquer un moyen exonératoire tel celui tiré de la prescription de l'action.

Selon l'argumentaire soutenu par le contribuable, l'article L. 23 C du LPF, faute d'assurer avec suffisance les droits acquis dont peut se recommander le contribuable détenteur d'un bien à l'étranger, méconnaîtrait le principe de sécurité juridique et concomitamment celui de la libre circulation des capitaux dans l'espace européen.

Les textes applicables en la matière sont les suivants :

L'article 1649-A alinéas 2 et 3 du code général des impôts dispose que :

« Les personnes physiques (') domiciliées ou établies en France, sont tenues de déclarer en même temps que leur déclaration de revenus (') les références des comptes ouverts, détenus, utilisés ou clos à l'étranger.

Les sommes, titres ou valeurs transférés à l'étranger ou en provenance de l'étranger par l'intermédiaire de comptes non déclarés dans les conditions prévues au deuxième alinéa constituent sauf preuve contraire des revenus imposables.'

L'article L. 23 C du LPF édicte que :

« Lorsque l'obligation prévue au deuxième alinéa de l'article 1649-A du code général des impôts n'a pas été respectée au moins une fois au titre des 10 années précédentes, l'administration peut demander à la personne physique soumise à cette obligation de fournir dans un délai de 60 jours toutes informations, justifications sur l'origine et les modalités d'acquisition des avoirs figurant sur le compte ou le contrat de capitalisation ou le placement de même nature. Lorsque la personne a répondu de façon insuffisante aux demandes d'information et de justification, l'administration lui adresse une mise en demeure d'avoir à compléter sa réponse dans un délai de 30 jours en précisant les compléments de réponse qu'elle souhaite. »

L'article 755 du code général des impôts énonce que :

« Les avoirs figurant sur un compte détenu à l'étranger, au sens du deuxième alinéa de l'article 1649-A (') dont l'origine, les modalités d'acquisition n'ont pas été justifiées dans le cadre de la procédure prévue à l'article L. 23 C du livre des procédures fiscales sont réputées constituer, jusqu'à preuve contraire, un patrimoine acquis à titre gratuit assujetti, à la date d'expiration des délais prévus au même article L. 23 C aux droits de mutation à titre gratuit au taux le plus élevé mentionné au tableau III de l'article 777.

Ces droits sont calculés sur la valeur la plus élevée connue de l'administration des avoirs figurant sur le compte ou le contrat au cours des 10 années précédant l'envoi de la demande d'information ou de justifications prévues à l'article L. 23 C LPF, diminuée de la valeur des avoirs dont l'origine et les modalités d'acquisition ont été justifiées. »

Aux termes de l'article L. 181-O A du LPF :

« Par exception au premièr alinéa de l'article L. 180, le droit de reprise de l'administration relatif aux impôts et droits qui y sont mentionnés peut s'exercer jusqu'à l'expiration de la 10e année suivant celle du fait générateur de ces impôts ou droits quand ils sont assis sur des biens ou droits mentionnés aux articles 1649 -A du code général des impôts (') »

L'arrêt dont se recommande M. [T] a été rendu par la CJUE le 27 janvier 2022 (n° 788/19). L'affaire portait sur le dispositif fiscal espagnol d'imposition des avoirs détenus à l'étranger et non déclaré à l'administration des impôts. La cour après avoir relevé que tout manquement à l'obligation déclarative de détention des biens à l'étranger conduit à regarder les gains patrimoniaux non justifiés comme soumis à l'impôt au titre de la première année non prescrite et s'accompagne du prononcé de sanction proportionnelles et forfaitaires dont la licéîté ne peut être intrinsèquement contestée, a dit pour droit que :

« le dispositif espagnol méconnaît cette liberté, notamment en prévoyant que l'inexécution ou le respect imparfait et tardif de l'obligation d'information relative aux biens et aux droits situés à l'étranger, entraîne l'imposition de revenus non déclarés correspondant à la valeur de ces avoirs en tant que gains patrimoniaux non justifiés, sans possibilité, en pratique, de bénéficier de la prescription.»

Le Conseil d'État s'était déjà précédemment prononcé en ce sens, dans un arrêt rendu le 23 juin 2014 (Dr Fisc 2014 n° 41 comm. 582), confirmant un arrêt de la CAA de Paris , en considérant que le dispositif de reprise consécutif à une procédure de taxation d'office dont l'assiette réside dans la provision d'un compte bancaire détenu à l'étranger méconnaissait le principe général du droit afférent à l'impératif de sécurité juridique.

Il convient toutefois de préciser que cet arrêt concernait l'application du code général des impôts de Polynésie française lequel prévoyait un dispositif analogue à celui applicable sur le territoire métropolitain en évinçant toutefois toute référence à un quelconque délai d'action accordée à l'administration des impôts. Il sera également relevé qu'en vertu de l'article 140 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, les actes de l'assemblée délibérante de ce territoire d'outre-mer, au rang desquels figure le code général des impôts local, est soumis au contrôle contentieux du conseil d'État à l'instar d'un acte réglementaire.

Cependant, les exemples jurisprudentiels précités ne permettent pas d'appliquer un traitement analogue à l'article L. 23 C LPF. En effet, à la lettre du texte, il est expressément prévu que l'action de l'administration est enfermée dans un délai de 10 ans, le terme étant fixé à la date à laquelle la procédure de taxation est mise en 'uvre. Il s'ensuit que la rétroactivité de la taxation ne peut excéder une période de 10 ans mettant ainsi le contribuable à l'abri de tout redressement portant sur des valeurs détenues avant le point de départ rétroactivement fixé de ce délai. Les textes précités (article L. 23 C LPF et L. 181-O A du même code) prévoient, de manière expresse et uniforme, que l'initiative de l'administration fiscale, s'agissant de la taxation et du recouvrement de l'impôt éludé pour des biens, corporels ou incorporels situés à l'étranger, ne peut excéder une période de 10 ans avant qu'elle ait réagi en apprenant l'existence de ces bien dissimulés. En l'occurrence, la procédure a été mise en 'uvre suivant avis adressé au contribuable en date du 5 juillet 2017. Il s'ensuit que les services fiscaux ne pouvaient remonter au-delà du 5 juillet 2007 pour recomposer la base taxable de l'impôt éludé.

Dès lors, et contrairement à ce que soutient l'appelant, les règles de procédure fiscale applicables en la matière ne privaient aucunement le contribuable du droit d'invoquer la prescription.

Toutefois, sous les apparences de la régularité et de la conformité au principe de sécurité juridique, le dispositif légal et réglementaire peut s'avérer d'une application difficultueuse et en toute hypothèse défavorable aux intérêts de la partie contrôlée si bien que la prescription, même prévue par les textes, peut s'avérer d'un usage contraint qui en assimile les effets à un régime d'imprescriptibilité. Autrement dit, sous les atours bienveillants d'un droit à invoquer la cristallisation de situations acquises, le dispositif peut, en pratique, comporter des rouages qui constituent autant de freins à l'invocation de la prescription. Dans cette mesure, cette prescription illusoire devrait être assimilée à un régime d'imprescriptibilité.

Cependant, M. [T] ne présente aucune analyse pour conclure à l'existence d'un vice rédhibitoire dans le système français d'établissement et de recouvrement de l'impôt fondé sur des biens détenus à l'étranger. Il n'est nullement spécifié en quoi l'administration pourrait aisément faire obstacle aux moyens de défense présentés par le contribuable et relatifs à l'ancienneté du fait générateur de l'impôt. Ainsi, il n'est ni démontré, ni même allégué, que l'administration disposerait de prérogatives purement potestatives lui permettant de fixer à sa guise le point de départ du délai décennal de prescription. Il appartient, dans ces conditions, comme en toute autre matière, à celui à qui on impute une obligation d'administrer la preuve que sa mobilisation par voie d'action est éteinte par prescription. Il n'existe donc pas, au cas présent, d'effet d'imprescriptibilité qui mettrait à mal le système français d'imposition de biens situés à l'étranger.

Il y a lieu de rajouter, que saisie par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil Constitutionnel a validé la constitutionnalité de l'article L. 23 C précité (Conseil Constitutionnel 15 octobre 2021 n° 2021- 939 QPC). Il y a lieu de souligner que parmi les nombreux griefs d'inconstitutionnalité soumis à l'examen du juge constitutionnel, aucun n'avait trait au régime de prescription ou tout au contraire d'absence de régime de prescription propre au dispositif légal. Ce droit à la prescription aurait cependant pu être invoqué sous l'angle de l'article 4 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, partie intégrante du préambule de la Charte Constitutionnelle, relatif aux droits de propriété ou encore l'article 16 de la même déclaration afférente à la liberté de contracter, et enfin au droit d'accès au juge dont il a pu être admis qu'il constituait le creuset d'un principe de sécurité juridique.

Enfin, l'absence de prescription prévue par les textes spéciaux ne fait pas obstacle à l'application des règles de la prescription de droit commun. Ainsi, dans l'arrêt du Conseil d'État précité, la cour administrative d'appel a été confirmée en ce qu'elle a fait application du régime de droit commun en matière de créances fiscales prévu par l'article 450 - 4 du code général des impôts de la Polynésie française, lequel renvoyait aux dispositions de l'article 2262 du code civil qui, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, prévoyait un délai de prescription de 30 ans.

Au cas d'espèce, dans l'hypothèse où l'article L. 23 C LPF aurait été déclaré entaché d'irrégularités, et partant insusceptible de fonder les poursuites telles qu'elles ont été engagées par l'administration fiscale, puisqu'évincée de l'ordonnancement juridique, il revenait à la cour de fixer le délai de prescription pouvant être résiduellement applicable. Ce délai, en vertu de l'article L. 186 du LPF est de six ans depuis la loi 2007- 1223 du 21 août 2007.

Il suit des motifs qui précèdent que c'est à tort que l'appelant invoque la nullité de la rectification opérée par l'administration fiscale en raison d'un compte de dépôt à vue approvisionné ouvert dans les livres d'un établissement bancaire étranger.

* * *

L'appelant fonde, ensuite, sa demande de décharge des impositions dont il a été déclaré redevable sur le fait que la procédure engagée est entachée d'irrégularités en ce que le montant de la provision déposée en compte n'était pas connu de l'administration fiscale au moment du déclenchement de la procédure visée à l'article L. 23 C précité.

Cependant, ainsi que l'a parfaitement fait ressortir le premier juge, le moyen manque en fait. Ainsi, elle a reçu au plus tard le 26 octobre 2017 l'information des autorités fiscales allemandes du fait que M. [T] détenait un compte à l'étranger provisionné à hauteur d'une somme de 209'824 euros en 2009. Dès lors, le 26 décembre 2017, lorsque les services fiscaux ont sollicité des éclaircissements de la part du titulaire du compte sur les origines des fonds qui y étaient déposés, le montant de la provision déposée en 2009 était nécessairement connu.

De la sorte, et sans nécessité de rechercher si le fait d'exiger que l'administration connaisse au moment de l'engagement de la procédure le montant de la provision figurant au crédit du compte, constitue un ajout au texte légal qu'il ne comporte pas, il y a lieu de déclarer l'objection non fondée.

* * *

Enfin, M. [T] se recommande de son statut de co-titulaire du compte litigieux pour voir ramener son surcroît d'imposition à la moitié de la quotité rendue exigible par les rectifications qui lui ont été notifiées. Il ressort en effet des productions de l'intéressé que le compte a été ouvert en son nom mais également au nom de Mme [U] [Y].

Il convient de rappeler que la titularité d'un compte de dépôt à vue ne détermine pas à elle seule la qualité de propriétaire des fonds qui y sont déposés. Il ne peut en aller autrement que si cette ouverture conjointe émane des époux communs en biens puisque dans ce cas de figure la présomption de communauté joue en faveur de la partie poursuivie et il appartient au tiers revendiquant d'administrer la preuve du droit de propriété du débiteur sur tout ou partie des avoirs en compte. Mais il ne résulte pas des pièces de la procédure que le co-titulaire du compte soit uni par les liens du mariage lequel serait placé sous un régime de communauté réduite aux acquêts. Dès lors, sans connaître la nature des liens unissant les personnes intéressées, le régime présomptif n'est aucunement de mise. Ainsi, si ces derniers étaient en relation de concubinage sous-tendu par une convention régissant la gestion de leurs intérêts patrimoniaux, les fonds pourraient être qualifiés de biens indivis et, à défaut de toute présomption, il incombe à la partie qui invoque ce fait de le démontrer conformément au droit commun de la preuve. Si M. [T] et Mme [Y] sont simplement en relation d'affaires, le même régime probatoire est de mise. Il incombait dès lors à l'appelant de démontrer qu'il ne détenait pas la propriété de la moitié de la provision figurant au crédit. À défaut, c'est sans encourir les griefs du moyen, que l'administration fiscale a procédé au redressement et aux rectifications consécutives aux manquements imputés au contribuable.

Il suit l'ensemble des motifs qui précèdent que la contestation de M. [T] ne peut prospérer, si bien que le jugement critiqué qui l'a débouté de l'ensemble de ses moyens, fins et prétentions doit être confirmé en toutes ses dispositions.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'administration des impôts les frais exposés par elle dans le cadre de la présente instance et non compris dans les dépens à hauteur de la somme de 1500 euros. M. [V] [T] sera tenu d'en acquitter le paiement à son profit.

PAR CES MOTIFS

la cour statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi :

' Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré.

' Condamne M. [V] [T] à payer à l'administration des Finances Publiques la somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Le condamne aux dépens d'appel.

Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.

Le greffier, Le président,

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