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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 5 août 2025, n° 23/02158

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Salmeron

Conseillers :

Mme Moulayes, M. Norguet

Avocats :

Me Iglesis, Me Duverneuil

T. com. Foix, du 15 mai 2023, n° 2022J00…

15 mai 2023

Faits et procédure

La Sas [C] [Z] est une société ayant pour activité principale la plomberie-chauffagiste ainsi que l'isolation des combles par soufflage de ouate de cellulose.

Le 21 novembre 2019, la Sas [C] [Z] a acheté à la Sa [Y] une machine à souffler de la laine isolante de type Turbisol 164/2 moyennant la somme de 9 540 euros ttc.

Le 20 janvier 2020, la Sas [C] [Z] a informé la Sa Kilouou du dysfonctionnement de la machine et a précisé avoir stipulé lors de l'achat qu'elle « utilisait exclusivement de la ouate cellulose de marque Ouateco ».

L'assureur de la Sas [C]-[Z] a mis en 'uvre une procédure d'expertise amiable contradictoire en présence de la Sa [Y] assistée du cabinet d'expertise Equad et de la société Euromair, fabricant de la machine et assisté du cabinet d'expertise Gm Consultant.

Le 30 avril 2021, le cabinet Saretec a remis son rapport d'expertise amiable contradictoire.

Une tentative de conciliation a été organisée entre les parties mais n'a pas abouti.

Le 9 août 2021, le cabinet Saretec a déposé le rapport d'expertise amiable contradictoire définitif concluant que la Sa [Y] avait vendu à la société [C]-[Z] une machine non-compatible avec la ouate Outaeco et que la responsabilité [Y] était totalement engagée.

Par acte d'huissier en date du 12 mai 2022, la Sas [C] [Z] a assigné la Sa [Y] devant le tribunal de commerce de Foix pour que soit constaté son manquement à son obligation de délivrance et qu'elle soit condamnée à la restitution du prix payé et au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de dommages-intérêts.

Par jugement du 15 mai 2023, le tribunal de commerce de Foix a :

- débouté la société [C] [Z] de sa demande de défaut de délivrance,

- rejeté la demande de dommages et intérêts de la société [C] [Z],

- dit qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société [C] [Z] aux entiers dépens,

- rejeté toute autre demande.

Par déclaration en date du 16 juin 2023, la société [C] [Z] a relevé appel du jugement. La portée de l'appel est la réformation de l'ensemble des chefs du jugement, que la déclaration d'appel critique tous expressément.

La clôture est intervenue le 14 avril 2025, et l'affaire a été appelée à l'audience du 21 mai 2025.

Prétentions et moyens

Vu les conclusions d'appelant devant la cour d'appel de Toulouse notifiées le 4 septembre 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sas [C] [Z] demandant, au visa des articles 1112-1 du code civil, 1604 et suivants du code civil, 1610 et 1611 du code civil, de :

- réformer le jugement dont appel,

Et statuant à nouveau,

- condamner la société [Y] à payer la somme de 9 540 euros ttc à la société [C] [Z], correspondant au prix d'achat de la machine déficiente,

- la condamner au paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- la condamner enfin au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700, ainsi qu'aux entiers dépens de la présente procédure.

Elle rappelle le principe de liberté de la preuve en matière commerciale, et estime démontrer suffisamment que la société [Y] avait connaissance des conditions dans lesquelles elle entendait utiliser la matériel acquis, et ce alors que les deux sociétés étaient en relation commerciale régulière notamment pour la location du même type de matériel.

Elle estime ainsi que [Y] a manqué à ses obligations de conseil et de délivrance, en sa qualité de vendeur professionnel.

Vu les conclusions d'intimée notifiées le 1er décembre 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sa [Y] demandant, au visa des articles 1112-1 du code civil, 9 du code de procédure civile, 1618 du code civil et la loi Hamon (L111-1 et L111-2 du code de la consommation), de:

- débouter la société [C] [Z] de son appel lequel est infondé,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Foix le 15 mai 2023 en toutes ses dispositions,

En conséquence,

- rejeter les demandes fins et prétentions de la société [C] [Z] dirigées contre la société [Y],

- prononcer la mise hors de cause de la société [Y] dont la responsabilité contractuelle n'est pas engagée à défaut de preuve d'un manquement à une obligation de délivrance d'une machine aux spécifications techniques spécifiques ni d'un défaut de conseil,

Y ajouter :

- condamner la société [C]-[Z] au paiement de la somme de 3.000 euros à la société [Y] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel et de première instance.

Elle conteste le caractère probant des éléments soumis par la société appelante pour affirmer que la société [Y] avait connaissance des modalités d'utilisation du matériel acquis ; elle affirme notamment que le rapport d'expertise amiable, qui n'a pas été soumis à sa relecture, et la reproduction de sms sont insuffisants à rapporter la preuve d'un quelconque manquement contractuel.

Elle rappelle par ailleurs que la société appelante était un acheteur professionnel, qui d'après ses propres développements, utilisait régulièrement ce type de matériel.

MOTIFS

Sur la demande en résolution de la vente

La société [C] [Z] a acquis de la société [Y], le 27 novembre 2019, une machine à souffler de la laine isolante.

La société appelante, qui affirme que cette machine n'était pas compatible avec la ouate utilisée, demande à la Cour de constater que la société a manqué à son devoir de conseil et à son obligation de délivrance, et de prononcer la résolution de la vente ainsi que les restitutions subséquentes.

Elle affirme qu'elle était en relation d'affaires avec la société [Y] avant cette vente, qu'elle lui avait loué un matériel similaire, et que le vendeur était informé qu'elle entendait utiliser le matériel acquis avec un type de ouate précis.

La société [Y] conteste non seulement l'existence d'une relation d'affaires antérieure, mais également avoir eu connaissance des conditions dans lesquelles l'acquéreur souhaitait utiliser la machine ; elle affirme que le fabricant n'a émis aucune contre-indication à l'utilisation de ce matériel avec la ouate utilisée par l'appelant.

Il ressort des dispositions de l'article 1112-1 du code civil, que celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.

Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.

Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.

La société [C] [Z] rappelle les dispositions de l'article L110-3 du code de commerce, selon lesquelles, à l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi.

Il est ainsi de principe qu'en matière commerciale la preuve est libre et tous les modes de preuve sont admissibles.

Ces dispositions ne dispensent toutefois pas les parties de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions, conformément à l'article 9 du code de procédure civile.

En l'espèce la société [C] [Z] affirme que [Y] avait connaissance des modalités d'utilisation du matériel qu'elle entendait acquérir, du fait d'une part des relations commerciales entretenues antérieurement entre elles, et d'autre part des déclarations attribuées au représentant de [Y], notées par l'expert amiable dans son rapport.

Si le rapport d'expertise produit, a été réalisé au contradictoire de [Y], et du fabricant du matériel Euromair, il ne peut qu'être rappelé qu'il s'agit d'un rapport amiable, réalisé à la demande de l'assureur d'[C] [Z], qui n'a pas la valeur probante d'une expertise judiciaire.

La jurisprudence constante de la Cour de cassation précise que hormis les cas où la loi en dispose autrement, le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties, peu important qu'elle l'ait été en présence de celles-ci.

En l'espèce, la loi n'en dispose pas autrement, les dispositions des articles 1547 et suivants du code de procédure civile, visées par l'appelant, n'étant applicables qu'aux procédures participatives dans lesquelles les parties sont d'accord pour recourir à un technicien et financer son intervention ensemble ; en l'espèce, une telle procédure n'a pas été utilisée entre les parties.

Ainsi, la mention portée en page 5 de ce rapport, selon laquelle « M. [Z] affirme que, lors de son achat, il avait bien précisé à la société [Y] qu'il utiliserait de la ouate de marque Ouatéco. Le gérant de [Y] ne conteste pas cet état de fait », n'a de valeur probante que corroborée par d'autres éléments de la procédure, dans la mesure où [Y] conteste avoir tenu ces propos.

Or en l'espèce, aucun élément de la procédure ne permet de démontrer la réalité de relations commerciales antérieures entre les deux sociétés, venant attester de la connaissance qu'avait [Y] de la nature de la ouate utilisée par [C] [Z].

La location préalable d'un même type de matériel compatible avec la ouate Ouatéco n'est pas démontrée ; aucune pièce n'est produite quant à un contrat antérieur.

Les échanges de sms produits par [C] [Z] ne sont pas probants en ce qu'ils ne permettent pas d'identifier l'interlocuteur ; en effet, aucun numéro de téléphone n'apparaît sur ces échanges, qui sont réalisés avec un individu dénommé « [L] [Y] » dans le téléphone d'un autre individu qui n'est pas non plus identifié ; le nom attribué de manière unilatérale à un contact dans le carnet d'adresse d'un téléphone n'est pas probant en soi, sans que puisse être identifié le numéro de téléphone correspondant.

En tout état de cause, ces échanges de sms sont datés du 4 mars 2020, soit 4 mois après l'acquisition du matériel ; ils ne sont pas de nature à démontrer une relation antérieure à la vente.

Par ailleurs, l'incompatibilité entre la machine acquise et le type de ouate utilisé, ne résulte que des conclusions de l'expert amiable, dont la valeur probante a été rappelée.

Pour se déterminer, l'expert a été contraint de procéder à plusieurs tests de projection de ouate avec la machine à souffler acquise.

Le devoir de conseil de la société [Y] ne va pas jusqu'à tester elle-même le matériel qu'elle propose à la vente, lorsqu'aucune contre-indication n'est émise par le fabricant lui-même.

Or, il est indiqué en page 5 de l'expertise amiable : « nous nous sommes fait confirmer que le fabriquant Euromair n'avait émis aucune contre-indication pour l'utilisation de la ouate Ouatéco sur cette machine. »

Cette mention du rapport d'expertise n'est pas contestée par les parties.

Ainsi, et même à considérer que [Y] connaissait le type de ouate utilisé par [C] [Z], ce qui n'est pas démontré autrement que par des propos rapportés dans une expertise non-judiciaire, aucun élément de la procédure ne permet de démontrer qu'elle avait connaissance d'une incompatibilité entre ce type de ouate et le matériel vendu, le fabricant lui-même n'ayant émis aucune contre-indication.

Aucun manquement de la société [Y] à son devoir de conseil et à son obligation de délivrance n'est donc démontré.

La société [C] [Z] ne peut qu'être déboutée de ses demandes en résolution de la vente et en restitutions subséquentes ; le jugement sera confirmé.

La société [C] [Z] demande en outre l'indemnisation de son préjudice résultant de l'impossibilité d'utiliser le matériel acquis, et de l'obligation d'en louer un autre, compatible avec la ouate Ouatéco ; elle affirme que son préjudice économique et moral s'élève à la somme de 20 000 euros.

La Cour constate toutefois qu'aucune faute de la société [Y] n'a été retenue ; en conséquence, la société [C] [Z] sera également déboutée de sa demande indemnitaire, et ce chef de jugement sera confirmé.

Sur les demandes accessoires

En l'état de la présente décision de confirmation, la Cour confirmera également les dispositions du jugement relatives à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La société [C] [Z], qui succombe, sera par ailleurs condamnée aux entiers dépens d'appel.

Pour ces mêmes motifs, et pour des raisons d'équité, elle sera condamnée à payer à la société [Y] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel.

La société [C] [Z] sera en revanche déboutée de sa demande sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant dans les limites de sa saisine, en dernier ressort, de manière contradictoire, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant,

Condamne la Sas [C] [Z] à payer à la Sa [Y] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Déboute la Sas [C] [Z] de sa demande formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Condamne Sas [C] [Z] aux entiers dépens d'appel ;

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