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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 30 mai 2024, n° 23/04101

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Axa France Iard (SA)

Défendeur :

Actimeat (SAS), Aig Europe (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Meurant

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, Mme Chaumet

Avocats :

Me Dontot, Me Rhilane, Me Ricard, Me Schulz, Me Honig, Me Duzer, Me Adrien

T. com. Nanterre, du 17 mars 2017, n° 20…

17 mars 2017

EXPOSÉ DES FAITS

La société espagnole Preparados Alimenticios, ci-après dénommée la société Preparados, devenue TGBF, dont l'activité est notamment la préparation et la vente de plats cuisinés, a souscrit à une police d'assurances auprès de la succursale espagnole de la société de droit anglais AIG Europe Limited, ci-après dénommée la société Aig, à effet au 1er janvier 2013. Cette dernière assure également en vertu de cette police, plusieurs filiales de la société Preparados, notamment la société de droit italien Star Stabilimento Alimentare SpA, ci-après dénommée la société Star.

La société française Gel Alpes, devenue Actimeat, a pour activité la transformation de matières premières animales pour produire des ingrédients carnés, qu'elle vend ensuite aux industriels du secteur de I'agro-alimentaire.

Elle est assurée au titre de la responsabilité civile auprès de la société Axa France lard, ci-après dénommée la société Axa, selon la police n°30472040518087 entrée en vigueur en 2011.

En 2012 et en janvier et février 2013, la société Gel Alpes a vendu des lots de viande à la société Star, qui les a incorporés à des plats cuisinés. A la suite de la révélation du scandale de la viande de cheval le 16 janvier 2013 par la presse anglaise, puis les 7 et 8 février 2013 par la presse française, la société Gel Alpes a établi, le 13 février 2013, une attestation qu'elle a adressée à la société Star, selon laquelle les produits qui lui étaient livrés étaient élaborés exclusivement à partir de viandes bovines.

La société Gel Alpes ayant découvert après analyses que les produits qu'elle avait livrés contenaient de la viande de cheval, notamment le lot fabriqué le 5 février 2013, a alerté la société Star par courrier du 19 février 2013.

Cette crise ayant eu des répercussions immédiates sur son état financier, la société Gel Alpes a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde par jugement du tribunal de commerce de Manosque du 19 mars 2013.

La société Star subissait des préjudices consécutifs à la livraison de ses produits suite à la décision du 6 mars 2013 des autorités italiennes d'interdire la commercialisation de tous produits élaborés à partir des lots Gel Alpes, puis d'ordonner le rappel des produits, en raison du risque de présence de phénylbutazone, analgésique couramment administré aux chevaux, pouvant entraîner un risque pour la santé.

La socièté Star a déclaré le sinistre à son assureur, la société Aig, lequel a missionné un expert, le cabinet Crawford, qui a rendu son rapport le 11 octobre 2013. Sur la base de ce rapport, la société Aig a versé une indemnité d'un montant de

4.250.000 € à la société Preparados, selon quittance du 28 octobre 2013.

Le 18 mars 2014, la société Aig a déclaré sa créance auprès du mandataire judiciaire de la société Gel Alpes et, le 19 mars 2014, elle a saisi le juge-commissaire d'une requête en relevé de forclusion, arguant de sa qualité de société étrangère et de l'impossibilité dans laquelle elle s'était trouvée de pouvoir déclarer sa créance dans les délais.

Par ordonnance du tribunal de commerce de Manosque du 1er juíllet 2014, la société Aig a été déboutée de sa demande.

Par ailleurs, la société Aig a demandé, par lettres des 31 mars et 7 avril 2014, à la société Gel Alpes et à son mandataire judiciaire de lui communiquer le nom de l'assureur de responsabilité civile ainsi que la police d'assurance concernée par cette affaire. Cette demande étant restée sans effet, la société Aig a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Manosque d'une demande de communication de pièces et a été déboutée de sa demande par ordonnance du 29 juillet 2014.

Sur l'appel interjeté par la société Aig, par arrêt du 29 janvier 2015, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a infirmé l'ordonnance et a ordonné la communication sous astreinte par la société Gel Alpes et son mandataire des informations relatives à la police d'assurance de Gel Alpes.

Le 3 février 2015, la société Gel Alpes s'est partiellement exécutée en communiquant les conditions particulières de la police souscrite auprès de la société Axa et une attestation d'assurance pour l'année 2013.

C'est dans ces circonstances que, par actes d'huissier des 6 et 11 février 2015, la société Aig, subrogée dans les droits de la société Star, a fait assigner respectivement la société Axa et la société Gel Alpes devant le tribunal de commerce de Nanterre en demandant notamment de voir reconnaître la responsabilité de la société Gel Alpes et de condamner la société Axa à lui verser la somme de 4.250.000 €.

Par jugement du 17 mars 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a :

-Dit l'action de la société AIG Europe Limited recevable ;

- Condamné la société Axa France Iard à payer à la société AIG Europe Limited la somme de 2.200.000 €, avec intérêts au taux légal à compter du 6 février 2015, date de l'assignation, avec anatocisme ;

- Condamné la société Axa France lard à payer à la société AIG Europe Limited la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société Actimeat, anciennement Gel Alpes, à payer à la société AIG Europe Limited la somme de 3.000 € au titre de I'article 700 du code de procédure civile ;

- Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du jugement ;

- Condamné la société Axa France lard aux dépens.

Par arrêt du 19 février 2019, la cour d'appel de Versailles a :

- Confirmé le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre en toutes ses dispositions ;

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- Condamné la société Axa France lard aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct ;

- Condamné la société Axa France lard à verser à la société AIG Europe la somme de 6.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Par arrêt du 2 septembre 2020, la Cour de cassation, reprochant à la cour d'appel de ne pas avoir statué sur le moyen invoqué par la société Axa tiré de l'exonération de responsabilité de la société Actimeat au titre de l'article 79 de la convention de Vienne du 11 avril 1980, a cassé et annulé l'arrêt du 19 février 2019 en toutes ses dispositions et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Par arrêt du 21 octobre 2021, la cour d'appel de Versailles a :

- Confirmé le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;

- Condamné la société Axa France lard à payer à la société AIG Europe la somme de 6.000 € en application de I'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejeté toute autre demande ;

- Condamné la société Axa France lard aux dépens d'appeI qui pourront être directement recouvrés par Me Frank Lafon et Me Oriane Dontot, avocats inscrits au barreau de Versailles, pour ceux les concernant, selon les modalités de I'article 699 du code de procédure civile.

Par arrêt du 17 mai 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation, considérant que la convention de Vienne du 11 avril 1980 était exclusivement applicable à la question de la responsabilité du vendeur, a cassé et annulé l'arrêt du 21 octobre 2021 en toutes ses dispositions et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Par déclaration de saisine du 26 juin 2023, la société Axa France Iard a saisi la cour d'appel de Versailles.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 15 février 2024, la société Axa France Iard demande à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a :

- Dit l'action de la société AIG Europe Limited recevable ;

- Condamné la SA Axa France Iard à payer à la société AIG Europe Limited la somme de 2.200.000 €, avec intérêts au taux légal à compter du 6 février 2015, date de l'assignation, avec anatocisme ;

- Condamné la SA Axa France Iard à payer à la société AIG Europe Limited la somme de 5.000 €, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la SAS Actimeat, anciennement Gel Alpes, à payer à la société AIG Europe Limited la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du jugement ;

- Condamné la SA Axa France Iard aux dépens. Et statuant à nouveau,

Sur l'irrecevabilité de l'action,

- Dire et juger que la société AIG Europe Limited ne démontre pas être subrogée dans les droits de son assurée la société Star ;

- Déclarer l'action de la société AIG Europe Limited irrecevable pour défaut d'intérêt ou de qualité à agir ;

Sur le fond,

A titre principal,

- Dire et juger que la société AIG Europe Limited ne démontre pas la responsabilité de la société Gel Alpes/Actimeat pour les préjudices allégués ;

- Débouter la société AIG Europe Limited de son action directe à l'encontre de la société Axa France Iard ;

A titre subsidiaire,

- Dire et juger que la société Axa France Iard ne saurait être tenue au-delà de la limitation de garantie de 250.000 € applicable aux dommages immatériels non consécutifs par année d'assurance, au titre de la garantie de la responsabilité civile après livraison des produits ;

- Débouter la société AIG Europe Limited de toute demande pour le surplus de la somme de 250.000 € ;

A titre très subsidiaire,

- Dire et juger qu'en tout état de cause, la société Axa France Iard ne saurait être tenue au-delà de la limitation de garantie de 2.200.000 € applicable tous dommages garantis confondus par année d'assurance, au titre de la garantie de la responsabilité civile après livraison des produits ;

- Débouter la société AIG Europe Limited de toute demande pour le surplus de la somme de 2.200.000 € ;

En tout état de cause

- Condamner la société AIG Europe Limited à payer à la société Axa France Iard une indemnité de 40.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

- Condamner la société AIG Europe Limited aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par dernières conclusions notifiées le 8 mars 2024, la société Actimeat, anciennement dénomée Gel Alpes, demande à la cour de :

- Infirmer le jugement rendu le 17 mars 2017 par le tribunal de commerce de Nanterre ; Statuant à nouveau,

- Dire et juger qu'aucune responsabilité ne peut être imputée à la société Actimeat, anciennement dénommée Gel Alpes ; En conséquence,

- Dire et juger la société AIG Europe Limited irrecevable et mal fondée ;

- La débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- Condamner la société AIG Europe Limited au paiement de la somme de 40.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- La condamner aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Oriane Dontot, JRF & Associes, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 13 mars 2024, la société Aig Europe demande à la cour de :

- Recevoir l'intégralité des moyens et prétentions exposés dans les présentes conclusions et les déclarer bien fondés ;

- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, au besoin par substitution de motifs notamment en ce qu'il a condamné la société Axa France Iard à payer à la société AIG Europe la somme de 2.200.000 €, avec intérêts au taux légal à compter du 6 février 2015, date de l'assignation, avec anatocisme ;

Y ajoutant,

- Juger que la société AIG Europe Ltd est légalement subrogée dans les droits de la société Star Stabilimento Alimentare S.p.A, à concurrence de la somme de 4.250.000 € ;

- Juger que la part du préjudice de la société Aig résultant de la responsabilité de la société Gel Alpes, aujourd'hui Actimeat, est de 4.250.000 € ;

- Débouter la société Axa France Iard de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- Débouter la société Actimeat, anciennement dénommée Gel Alpes, de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Y ajoutant,

- Condamner les sociétés Axa France Iard et Actimeat au versement de la somme de 100.935 € au profit de la société AIG Europe SA, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Lafon en application de l'article 699 du même code.

L'ordonnance de clôture a été rendue 14 mars 2024.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Aig

La société Axa conteste la recevabilité à agir de la société Aig estimant que celle-ci n'est pas valablement subrogée dans les droits de l'assurée, la société Star. Elle fait valoir que la société Aig ne justifie pas de l'acceptation par la société Star du versement de l'indemnité à sa maison mère, la société Preparados. Elle considère que ni la quittance produite ni la déclaration conjointe du 28 avril 2016 des représentants de la société Aig et de la société Preparados, désormais dénommée TGBF, ne démontrent que la société Star aurait accepté de ne pas bénéficier du règlement.

La société Aig répond qu'elle est valablement subrogée, en application du droit espagnol, dans les droits de son assurée, la société Star, qui a accepté que l'indemnité due au titre du sinistre soit versée à sa maison mère, la société Preparados, qui a souscrit la police d'assurance. Elle précise que la reconnaissance de la perception de l'indemnité est faite au nom du groupe TGBF et que l'assureur est subrogé par l'effet du paiement, dans les droits des sociétés TGBF et Star.

La société Actimeat ne conclut pas sur la fin de non-recevoir.

*****

Les parties reconnaissent que la loi espagnole est applicable au contrat d'assurance souscrit entre la société Preparados auprès de la succursale espagnole de la société Aig, à effet au 1er janvier 2013.

Il ressort du contrat d'assurance que l'assuré est indiqué comme étant le preneur et ses filiales, dont la société Star en Italie.

Selon l'affidavit établi par Me José Maria Alvares-Cienfuegos, avocat à Madrid, non critiqué par les parties, la subrogation en droit espagnol de l'assureur dans les droits de l'assuré est soumise à deux conditions :

- l'assureur doit avoir réglé l'indemnité due en application de la police,

- l'assuré doit avoir le droit de réclamer à un tiers, l'indemnité obtenue en application de la police.

Il y est ajouté qu'en règle générale, la subrogation pourra être mise en oeuvre valablement si le paiement est fait à l'entité titulaire du droit à indemnisation selon le contrat d'assurance, la partie assurée se trouvant être habituellement celle qui a subi le dommage indemnisable. Toutefois, "conformément au code civil espagnol, l'assuré a la possibilité d'autoriser une autre entité à recevoir l'indemnité en son nom . Dans ce cas, le paiement fait à une autre entité que l'assuré est valable pour les besoins de la subrogation ... si l'assuré accepte que l'indemnité due en application du contrat d'assurance soit versée à un tiers ". Il en résulte que l'assureur est subrogé dans les droits de l'assuré, dès lors que l'indemnité est payée en application de la police d'assurance même si le règlement n'a pas été fait directement à l'assuré, à la condition que ce dernier l'accepte.

Pour en justifier, la société Aig communique en pièce n°22 une déclaration conjointe dont la traduction libre n'est pas contestée, qui a été signée le 28 avril 2016 par M. [Z] [P] [G], en tant que représentant de l'assureur, et M. [E] [F] [S], en qualité de fondé de pouvoir de la société TGBF, par laquelle cette dernière et sa filiale, la société Star, se reconnaissant toutes deux bénéficiaires de la police d'assurance et victimes du dommage, déclarent avoir reçu de la société Aig la somme de 4.250.000 € à titre d'indemnisation du préjudice et subrogent l'assureur dans leurs droits.

Or, il ressort des pièces produites par la société Aig et de leur traduction libre que M. [E] [F] [S], qui a signé le courrier du 28 avril 2016, est à la fois le président du conseil d'administration de la société Star et le représentant de la société TGBF.

Il se déduit de la déclaration conjointe que M. [F] [S] est intervenu, certes en qualité de fondé de pouvoir de la société TGBF, mais également en tant que représentant de la société Star. En effet, le document prend soin de présenter M. [F]

[S] en qualité de représentant de la société TGBF, 'preneur de la police et société mère des sociétés bénéficiaires de la police, parmi lesquelles Star Stabilimento Alimentare (ci-après 'Star')'. Par cette précision, il apparaît que les parties ont souhaité que M. [F] [S] signe l'acte tant pour la société mère que pour la filiale.

S'il est exact que la quittance du 28 octobre 2013 a été établie au nom de la société Preparados, nouvellement dénommée TGBF, comme indiqué précédemment, il est constant que cette dernière est la société mère de la filiale Star, alors qu'aux termes du contrat d'assurance, l'assuré désigne tant la société Preparados, nouvellement dénommée TGBF, que la société Star s'agissant du "preneur et de ses filiales".

Dès lors que la société Star et la société TGBF sont tout autant l'une que l'autre bénéficiaires du contrat d'assurance, que

M. [F] [S] est à la fois le président du conseil d'administration de la filiale Star et le représentant de la maison mère TGBF, qu'il est intervenu à l'acte du 28 avril 2013 en qualité de représentant tant de la société TGBF que de la société Star et qu'il est indiqué dans l'acte litigieux que " les dommages consécutifs au sinistre ont été subis du fait de la commercialisation des produits fabriqués par Star lesquels ont à leur tour affecté la société mère TGBF qui détient 100 % de participation dans le capital social de Star...", il apparaît que ces éléments sont suffisants pour retenir que la société Star a accepté que l'indemnité soit réglée à la société TGBF.

En conséquence, la société Aig Europe qui est régulièrement subrogée dans les droits de son assurée, la société Star, est recevable à agir.

Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Axa.

Sur la responsabilité de la société Actimeat

La société Aig invoque les dispositions des articles 35 et 36 de la convention de Vienne sur les ventes internationales de marchandises et soutient que la vente de la viande de cheval aux lieu et place de la viande bovine, alors qu'elle est interdite dans la chaîne alimentaire humaine en raison du risque de présence de phénylbutazone, caractérise une non- conformité engageant la responsabilité de la société Actimeat, venant aux droits de la société Gel Alpes, sur le fondement des textes précités. L'assureur explique que les lots commercialisés par la société Gel Alpes suspectés de contenir de la viande de cheval ont été interdits par les autorités sanitaires italiennes au motif que ces produits présentaient un risque pour la santé humaine et ont en conséquence été rappelés par la société Star dans les conditions décrites par le rapport Crawford. Il estime que les produits ainsi commercialisés par la société Gel Alpes n'offraient pas la sécurité nécessaire, se trouvaient affectés d'un défaut et demande en conséquence la confirmation de la décision de première instance qui a retenu la responsabilité de la société Gel Alpes. La société Aig conteste le manquement à l'obligation de dénonciation du défaut au vendeur prévue à l'article 39 de la convention, dès lors que la société Gel Alpes a elle-même informé ses clients du défaut par lettre du 19 février 2013, reconnaissant la non-conformité de sa marchandise. L'assureur soutient que la société Actimeat ne peut se prévaloir de la clause exonératoire prévue à l'article 79 de la convention de Vienne, dès lors qu'en sa qualité de fournisseur de matière première, elle est responsable de son produit. La société Aig estime qu'il n'est pas démontré que l'inexécution par la société Actimeat est indépendante de sa volonté, quand bien même la non-conformité est imputable à ses fournisseurs. Elle souligne que le fournisseur de la société Actimeat relève de la sphère juridique de cette dernière.

La société Axa et la société Actimeat répondent que seule la convention de Vienne est applicable. Elles relèvent que la société Star n'a jamais procédé à l'examen de la marchandise vendue, que la présence de viande de cheval dans les lots vendus et utilisés par cette dernière n'est pas démontrée et que la société Star n'a pas dénoncé de façon circonstanciée le défaut de conformité dans un délai raisonnable, en méconnaissance des dispositions des articles 38.1 et 39.1 de la convention. Elles estiment que le courrier que la société Gel Alpes a adressé à la société Star le 19 février 2013 ne dispensait pas cette dernière du respect des textes précités. Elles invoquent les dispositions de l'article 79 de la convention, expliquant que la société Gel Alpes a été victime d'une escroquerie de la part de ses fournisseurs. Elles précisent qu'il n'était pas d'usage de procéder à des tests ADN coûteux pour vérifier l'origine de la viande, de sorte que la société Gel Alpes ne pouvait prévenir la non-conformité reprochée. Elles soulignent que la société Star n'a pas davantage procédé à de telles analyses. Elles expliquent que l'attestation dressée le 19 février 2013 l'a été sur la base des étiquetages et des engagements pris par les fournisseurs. Elles soulignent qu'en tout état de cause, le lot identifié comme contenant de la viande de cheval a été intégralement repris par la société Gel Alpes, de sorte qu'il ne peut être à l'origine d'aucun dommage indemnisable. Pour les autres lots, elles contestent toute reconnaissance de non-conformité, soutenant que la reconnaissance d'un fait matériel ne peut être assimilée à une reconnaissance de responsabilité. La société Axa ajoute qu'aucune reconnaissance de responsabilité par la société Gel Alpes ne lui est opposable, en application des dispositions de l'article L.124-2 du code des assurances. La société Actimeat et son assureur dénient également toute dangerosité du produit, qui n'est selon elles pas démontrée. Elles précisent que la seule présence de viande de cheval ne suffit pas à l'établir et qu'aucune trace de phénylbutazone n'a été détectée. Elles considèrent en conséquence que les autorités sanitaires italiennes ont réagi trop rapidement sans s'assurer que les lots contenaient de la viande de cheval et portaient des traces de phénylbutazone.

*****

Les ventes conclues entre la société Gel Alpes, aux droits de laquelle vient la société Actimeat, et la société Star sont soumises à la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, signée à Vienne le 11 avril 1980, instituant un droit uniforme sur les ventes internationales de marchandises. En effet, cette Convention s'applique aux contrats de vente de marchandises entre des parties ayant leur établissement dans des Etats différents lorsque ceux-ci sont des Etats contractants. Dès lors que les parties n'ont pas entendu exclure l'application de la Convention, les questions expressément tranchées par celle-ci sont réglées exclusivement par ses stipulations. La Convention étant entrée en vigueur en France et en Italie, et les sociétés Gel Alpes et Star n'ayant pas entendu l'écarter, elle s'impose et exclut l'application du droit interne, ce point n'étant au demeurant plus contesté par les parties.

L'article 35 de la convention dispose que : ' Le vendeur doit livrer des marchandises dont la quantité, la qualité et le type répondent à ceux qui sont prévus au contrat, et dont l'emballage ou le conditionnement correspond à celui qui est prévu au contrat '.

L'article 36 ajoute que : ' Le vendeur est responsable, conformément au contrat et à la présente Convention, de tout défaut de conformité qui existe au moment du transfert des risques à l'acheteur, même si ce défaut n'apparaît qu'ultérieurement '.

Il est constant que les contrats de vente conclus entre la société Gel Alpes et la société Star portaient sur la fourniture de viande bovine, destinée à être incorporée dans des plats cuisinés.

Les sociétés Actimeat et Axa contestent le défaut de conformité.

Pourtant, il résulte du courrier que la sociéte Gel Alpes a adressé à la société Star le 19 février 2013 que la présence de viande de cheval a été détectée dans la composition d'une partie des produits livrés à cette dernière. S'il est exact que la société Gel Alpes indique dans ce courrier que les analyses ont permis de déceler la présence de viande de cheval dans le seul lot fabriqué le 5 février 2013, il n'en demeure pas moins que le fournisseur explique dans cette lettre qu'en application du principe de précaution, il a décidé de mettre en quarantaine tous les approvisionnements d'origine roumaine, ainsi que tous les produits élaborés à partir de ces matières premières et qu'il a adressé à chacun de ses fournisseurs des demandes d'attestations garantissant l'authenticité des matières premières livrées depuis 2012. Par cette indication, la société Gel Alpes a créé un doute quant à la nature et la qualité des produits vendus à la société Star. Alors que la commercialisation de vente de cheval n'est pas autorisée dans la chaîne alimentaire humaine en raison de la possible présence de phénylbutazone, le risque sanitaire présenté par la viande vendue, destinée à la composition de plats cuisinés, caractérise une non-conformité contractuelle. La cour relève que la société Actimeat ne peut sans se contredire, considérer que les lots vendus, autres que celui fabriqué le 5 février 2013, ne présentaient aucune non- conformité, alors que la société Gel Alpes a elle-même décidé de mettre en quarantaine tous les approvisionnements d'origine roumaine et tous les produits élaborés à partir de ces matières premières 'en application du principe de précaution', celui-là même qui a présidé à la décision des autorités italiennes de procéder à la 'saisie sanitaire', puis à la destruction de l'ensemble des lots susceptibles de contenir de la viande de cheval fournis par la société Gel Alpes.

La responsabilité de la société Actimeat, venant aux droits de la société Gel Alpes, est par conséquent engagée en application des articles 35 et 36 de la Convention de Vienne.

L'article 38.1 de la Convention dispose que : « l'acheteur doit examiner les marchandises ou les faire examiner dans un délai aussi bref que possible eu égard aux circonstances ».

Par ailleurs, l'article 39.1 énonce que : « l'acheteur est déchu du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité s'il ne le dénonce pas au vendeur, en précisant la nature de ce défaut, dans un délai raisonnable à partir du moment où il l'a constaté ou aurait dû le constater ».

La société Actimeat et son assureur ne sauraient se prévaloir d'un défaut de vérification de la marchandise et de dénonciation du défaut dans un délai raisonnable, alors qu'il s'évince du courrier précité du 19 février 2013 que la société Gel Alpes était parfaitement informée de la non-conformité, puisqu'elle indique qu'à la suite de la révélation du scandale et de la réalisation d'analyses, elle a mis en quarantaine tous les approvisionnements d'origine roumaine et tous les produits élaborés à partir des matières premières susceptibles de contenir de la viande de cheval et qu'elle a demandé à ses fournisseurs des attestations garantissant l'authenticité des matières premières livrées depuis 2012.

Dans ces conditions, les premiers juges ont à raison considéré qu'au regard de la visée informative des formalités prescrites par les articles 38.1 et 39.1 susvisés, le courrier de la société Gel Alpes du 19 février 2013 dispensait la société Star de toute dénonciation.

La cour relève que la société Actimeat et son assureur ne sauraient non plus sans se contredire reprocher à la société Star un défaut de vérification de la marchandise alors qu'à la suite de la révélation du scandale, la société Gel Alpes a, le 13 février 2013, adressé à la société Star un courrier attestant de la fourniture exclusive de viande bovine, sans manifestement procéder à la moindre vérification de la qualité de la viande, puisqu'une semaine plus tard, le 19 février 2013, elle était contrainte de reconnaître que la marchandise vendue, notamment le lot fabriqué le 5 février 2013, contenait pour partie de la viande de cheval.

Aucun manquement aux dispositions des articles 38.1 et 39.1 précité n'apparaît en conséquence caractérisé.

Enfin, l'article 79 de la Convention dispose que : « Une partie n'est pas responsable de l'inexécution de l'une quelconque de ses obligations si elle prouve que cette inexécution est due à un empêchement indépendant de sa volonté et que l'on ne pouvait raisonnablement attendre d'elle qu'elle le prenne en considération au moment de la conclusion du contrat, qu'elle le prévienne ou le surmonte ou qu'elle en prévienne ou surmonte les conséquences ».

La société Actimeat et son assureur soutiennent que la non-conformité provient de la fraude des fournisseurs de la société Gel Alpes et se prévalent d'un fait imprévisible. Cependant, un défaut de qualité de la viande commandée à des fournisseurs ne relève nullement d'un fait auquel la société Gel Alpes ne pouvait raisonnablement s'attendre, quand bien même elle serait la conséquence d'une fraude, alors que le contrôle de la nature et de la qualité de la marchandise en cause, destinée à être incorporée à des plats cuisinés, relevait de sa responsabilité dans le cadre de la sécurité alimentaire devant être garantie aux consommateurs. Le caractère coûteux des tests nécessaires au contrôle de la viande ne saurait exonérer la société Gel Alpes de cette responsabilité.

Au surplus, la société Aig rappelle pertinemment que dans le cadre d'une procédure analogue, la cour d'appel d'Amiens, dans son arrêt du 9 mai 2019, a relevé qu'aux termes d'un 'rapport d'audit réalisé par la société Prost Audit Consulting le 13 novembre 2012 (...) la société Gel Alpes était une société qui présentait un niveau satisfaisant en matière de contrôle qualité et de traçabilité mais dont l'un des deux points faibles était la 'maitrise et la connaissance [de ses] fournisseurs'. L'auditeur recommandait ainsi de recueillir auprès des fournisseurs de plus amples informations sur les conditions d'hygiène, le respect de la réglementation, la maîtrise des corps étrangers, le plan de contrôle des contaminants, de renforcer les contrôles à réception, de maintenir un contrôle visuel notamment lors de l'utilisation des blocs de viande pour assurer l'absence de corps étrangers' (souligné par la cour).

Dès lors que la société Gel Alpes s'est montrée négligente dans le contrôle de la traçabilité des marchandises destinées à la constitution de plats cuisinés, la société Actimeat et son assureur ne sauraient se prévaloir du cas d'exonération de responsabilité prévu à l'article 79 de la Convention.

Sur l'indemnisation du préjudice

La société Axa conteste l'évaluation du préjudice soulignant que la société Aig se prévaut d'un rapport d'expertise privé établi de manière non contradictoire. Elle considère que le lien de causalité entre la non-conformité alléguée et les préjudices n'est pas démontré. L'assureur et la société Actimeat expliquent que la société Star est responsable de son préjudice, dès lors qu'elle a incorporé la viande sans la contrôler.

Subsidiairement, l'assureur oppose ses limites de garantie. Il estime que le sinistre relève de la limitation de garantie relative aux dommages immatériels non consécutifs et demande en conséquence que sa garantie soit limitée à 250.000 € aux termes des conditions particulières. Il fait valoir que si la société Aig lui oppose le fait qu'il s'agit de dommages matériels et de dommages immatériels consécutifs, sa garantie sera limitée en tout état de cause à 2.200.000 € qui est la limite de garantie pour tous les dommages garantis confondus au titre de la responsabilité civile après livraison des produits.

La société Aig répond que le rapport d'expertise a été soumis au débat contradictoire des parties et qu'il est étayé par d'autres éléments de preuve, notamment les pièces produites en annexes du rapport. Elle conclut à la confirmation du jugement qui, en application des limites de garanties de la société Axa, a cantonné la condamnation au paiement de l'assureur à la somme de 2.200.000 €.

*****

Pour justifier du préjudice subi par la société Star, la société Aig produit un rapport d'expertise établi par un cabinet privé, le cabinet Crawford, et déposé le 11 octobre 2013, qui a fixé le préjudice global à la somme de 7.008.271 € comprenant :

- le coût des marchandises immobilisées ou retirées du marché,

- les frais de retrait et de destruction des marchandises frappées d'interdiction,

- les coûts de réhabilitation,

- les pertes de bénéfice.

Cette pièce, régulièrement versée aux débats, a été soumise au débat contradictoire et s'avère corroborée par les pièces annexées au rapport s'agissant de documents comptables, commandes, factures et avoirs de la société Star sur lesquels l'expert Crawford a basé ses conclusions.

La cour dispose ainsi d'éléments suffisants pour apprécier le préjudice.

Pour les motifs précités, il ne peut être reproché à la société Star de ne pas avoir procédé au contrôle de la marchandise avant son incorporation aux plats cuisinés, alors qu'il a été démontré précédemment que la société Gel Alpes s'est montrée défaillante dans le contrôle de la traçabilité et de la qualité de la viande vendue.

La société Star établit avoir été contrainte de se plier à la décision des autorités italiennes de saisir, puis détruire, les produits susceptibles de contenir de la viande de cheval, en raison du risque sanitaire lié à la présence possible de phénylbutazone. Le lien de causalité du préjudice en résultant avec la faute de la société Gel Alpes est établi.

Il résulte du rapport Crawford, conforté par les pièces justificatives annexées, que le préjudice s'élève à la somme de 7.158.271 €, comprenant :

- les frais d'immobilisation des produits : 1.200.214 €

- les frais de retrait et de destruction des produits : 475.288 €

- les frais de réhabilitation (publicité pour relancer les ventes) : 1.921.669 €

- la perte de bénéfice brut : 3.561.271 €.

Sur la base des évaluations de ce rapport, la société Aig justifie avoir indemnisé la société Preparados à hauteur de

4.250.000 €, montant couvrant les dommages matériels causés aux produits, mais également des dommages consécutifs.

Les conditions générales de la police multirisque définissent le dommage matériel comme étant toute destruction ou détérioration d'une chose ou d'une substance.

Les mêmes conditions générales définissent les dommages immatériels comme " tout dommage autre que les dommages corporels ou matériels et notamment tout préjudice pécuniaire résultant de la privation d'un droit, de la perte d'un bénéfice, de l'interruption d'un service rendu par une personne ou par un bien ".

Le dommage immatériel non consécutif est " tout dommage immatériel qui n'est pas la conséquence d'un dommage corporel ou matériel, qui est la conséquence d'un dommage corporel ou matériel non garanti ".

La société Axa soutient qu'il s'agit de dommages immatériels non consécutifs au motif que l'incorporation d'un produit non conforme dans un autre n'entraîne pas à proprement parler une dégradation de ce produit final au sens d'une atteinte physique à une chose ou à une substance.

Il convient de rappeler que la qualité attendue des produits de la société Star a été dégradée du fait de l'incorporation de la viande fournie par la société Gel Alpes dans les produits mis sur le marché ce qui constitue un dommage matériel, l'incorporation de la viande suspecte ne pouvant être détachée du produit finalisé.

La société Star a également supporté les dommages immatériels consécutifs qui en résultent comme le soutient la société Aig.

La limitation de garantie prévue aux conditions particulières du contrat d'assurance est opposable à la victime et doit donc être appliquée.

C'est donc à bon droit que le tribunal a retenu les dommages matériels et immatériels consécutifs invoqués par la société Aig et a appliqué la limite de garantie à la somme de 2.200.000 €.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société Axa au paiement de la somme précitée, avec intérêts au taux légal à compter du 6 février 2015, date de l'assignation et capitalisation de ces intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Au regard de la solution du litige, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Les sociétés Axa et Actimeat, qui succombent, supporteront les dépens d'appel, comprenant ceux afférents aux décisions cassées, ainsi que ceux se rapportant à la présente décision, dont distraction au profit de Me Lafon.

Elles seront également condamnées à payer à la société Aig une somme de 8.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

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