CA Rennes, 3e ch. com., 17 octobre 2023, n° 21/05787
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Selak d.o.o (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine (rapporteur)
Conseillers :
Mme Clément, Mme Jeorger-Le Gac
Avocats :
Me Bommelaer, Me Jurasinovic, Me Bernier, Me Pennec
FAITS
La société ETABLISSEMENTS [W] [J] exerce une activité de commerce de gros de matériel agricole.
Dans le cadre de son activité, la société ETABLISSEMENTS [J] a acquis le 21 novembre 2018 un tracteur de marque LINDNER Geotrac 84 EP PRO moyennant un prix de 40 000 euros HT soit 48 000 euros TTC auprès de M. [C].
Elle a ensuite déposé une annonce aux fins de vendre le tracteur, moyennant un prix de 40 000 euros HT.
Le 27 novembre 2018, la société SELAK d.o.o a contacté par courriel la société ETABLISSEMENTS [J], se déclarant intéressée par l'acquisition du tracteur.
Le 28 novembre 2018, la société SELAK d.o.o a proposé d'acheter le tracteur à un prix de 37 800 euros TTC (TVA non applicable). Cette offre a été acceptée par la société ETABLISSEMENTS [W] [J].
Un bon de commande a été établi le 28 novembre 2018, prévoyant que la société SELAK d.o.o se chargerait de la récupération du véhicule au sein de la société ETABLISSEMENTS [W] [J].
La société SELAK a chargé un transporteur de procéder à la récupération du véhicule, qui a été effective le 5 décembre 2018.
Le 17 décembre 2018, la société SELAK d.o.o a indiqué à la société ETABLISSEMENTS [J] que le tracteur ne serait pas selon elle conforme aux spécifications contractuelles.
Elle demandait à la société ETABLISSEMENTS [W] [J] de reprendre le véhicule contre restitution du prix.
La société SELAK d.o.o a réitéré sa demande par courrier en date du 17 décembre 2018, arguant du fait que le véhicule n'aurait pas été fabriqué en 2018 mais en 2015.
La société ETABLISSEMENTS [W] [J] a répondu à la société SELAK d.o.o par l'intermédiaire de son conseil lui transmettant une copie de la carte grise du véhicule attestant de la mise en circulation de ce dernier au mois de septembre 2018.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 31 octobre 2019, la société SELAK d.o.o a, par l'intermédiaire de son conseil, notifié à la société ETABLISSEMENTS [W] [J] la résolution unilatérale du contrat et l'a mise en demeure de restituer le prix de vente d'un montant de 37 800 euros outre une somme de 2 200 euros à titre de dommages et intérêts.
La société ETABLISSEMENTS [W] [J] n'a pas accepté ces conditions.
Par exploit d'huissier en date du 10 avril 2020, la société SELAK d.o.o a assigné la société ETABLISSEMENTS [W] [J] devant le tribunal de commerce de Brest aux fins en résolution de la vente pour défaut de conformité et allocation de dommages et intérêts.
Par jugement du 23 avril 2021 le tribunal de commerce a :
- Rejeté les exceptions liées à l'irrecevabilité ;
- Dit que la vente est conforme ;
- Rejeté la demande reconventionnelle de dommages et intérêts formulée par la société ETABLISSEMENTS [W] [J] ;
- Condamné la société SELAK d.o.o à verser à la société ETABLISSEMENTS [W] [J] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamnée la société SELAK d.o.o aux entiers dépens ;
- Liquidé les frais de greffe à la somme de 73.22 euros TTC.
La société SELAK d.o.o a interjeté appel de cette décision par déclaration d'appel en date du 9 septembre 2021.
L'ordonnance de clôture est en date du 1er juin 2023.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Dans ses écritures notifiées le 4 mai 2022 la société SELAK d.o.o demande à la cour de :
- Déclarer l'appel recevable ;
- Confirmer le jugement entrepris du chef du rejet des fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité et d'intérêt à agir de la société SELAK ;
- Confirmer le jugement entrepris du chef du rejet de la demande indemnitaire pour procédure abusive formulée par la société ETABLISSEMENTS [W] [J] ;
- Débouter la société ETABLISSEMENTS [W] [J] de son appel incident ;
- Réformant pour le surplus ;
- Vu l'article 4 1 a du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement Européen et du Conseil en date du 17 juin 2008 ;
- Dire que le litige opposant la société SELAK d.o.o. à la société ETABLISSEMENTS [W] [J] doit être tranché en application de la loi française ;
- Vu les articles 35, 36 et 39 de la Convention de Vienne des Nations Unies en date du 11 avril 1980 ;
- Constater que le tracteur vendu à la société SELAK d.o.o. par la société ETABLISSEMENTS [W] [J] n'est pas conforme aux prévisions contractuelles ;
- Dire que la société SELAK d.o.o. est recevable à invoquer lesdits défauts de conformité ;
- Vu les articles 25, 49 et 51 2 de la Convention de Vienne des Nations Unies en date du 11 avril 1980 ;
- Vu la lettre de résolution du contrat de vente en date du 31 octobre 2019. 120. Constater la résolution de la vente passée le 28 novembre 2018 en raison du défaut de conformité de la marchandise livrée à la marchandise visée au contrat de vente ;
- Vu les articles 81 et 84 de la Convention Vienne des Nations Unies en date du 11 avril 1980.
- Condamner la société ETABLISSEMENTS [W] [J] à payer la somme de 37.800 euros HT au titre de la restitution du prix de vente versé par la société SELAK d.o.o. ;
- Condamner la société ETABLISSEMENTS [W] [J] à supporter et faire l'avance des frais de transport afférents à la restitution du tracteur, objet de la vente résolue.
- Vu l'article 45 de la Convention Vienne des Nations Unies en date du 11 avril 1980 ;
- Condamner la société ETABLISSEMENTS [W] [J] à payer à la société SELAK d.o.o. la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts en raison du préjudice subi du défait du défaut de conformité de la marchandise livrée ;
- Condamner la société ETABLISSEMENTS [W] [J] à verser à la société SELAK d.o.o. une somme de 8.300 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
- Condamner la société ETABLISSEMENTS [W] [J] aux entiers dépens, comprenant les frais de traduction jurée, recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Dans ses écritures notifiées le 24 mai 2023 la société ETABLISSEMENTS [W] [J] demande à la cour au visa des articles 4 1
a) du règlement ROME I n°593/2008 en date du 17 juin 2008, de la Convention de VIENNE en date du 11 avril 1980, des articles R. 322-1 I et R. 322-2 I du code de la route, 122 et suivants du code de procédure civile, L. 131-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, 9 du code de procédure civile, 1353 du code civil, 1240 du code civil, de :
- Juger que la loi française est applicable au présent litige ;
- Juger que la Convention de VIENNE en date du 11 avril 1980 est applicable au présent litige ; A titre principal,
- Infirmer le jugement rendu le 23 avril 2021 par le tribunal de commerce de Brest en ce qu'il a :
- rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la société ETABLISSEMENTS [W] [J]
- rejeté la demande de la société ETABLISSEMENTS [W] [J] tendant à voir condamner la société SELAK d.o.o au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
En conséquence, statuant à nouveau :
- Déclarer irrecevables pour défaut de qualité à agir les demandes formées par la société SELAK d.o.o à l'encontre de la société ETABLISSEMENTS [W] [J] ;
- Déclarer irrecevables pour défaut d'intérêt à agir les demandes formées par la société SELAK d.o.o à l'encontre de la société ETABLISSEMENTS [W] [J] ;
- Condamner la société SELAK d.o.o au paiement à la société ETABLISSEMENTS [W] [J] au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Subsidiairement,
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Brest le 23 avril 2021 en ce qu'il a dit que la vente était conforme ;
En conséquence,
- Débouter la société SELAK d.o.o de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ; A titre infiniment subsidiaire, en cas de résolution de la vente,
- Ordonner que la restitution du prix de vente sera effectuée par consignation de la somme sur le compte séquestre ouvert par le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats au barreau de Brest auprès de la CARPA et que la libération de ce prix entre les mains de la société SELAK d.o.o ne pourra intervenir qu'une fois que le véhicule aura été restitué à la société ETABLISSEMENTS [W] [J] ;
- Débouter la société SELAK d.o.o de sa demande tendant à ce qu'en cas de résolution de la vente les frais de transport soient avancés par la société ETABLISSEMENTS [W] [J] ;
- Condamner la société SELAK d.o.o à restituer le véhicule litigieux à la société ETABLISSEMENTS [W] [J] sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la restitution du prix de vente par consignation de la somme sur le compte séquestre ouvert par le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats au barreau de BREST auprès de la CARPA ;
En toutes hypothèses,
- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Brest le 23 avril 2021 en ce qu'il a condamné la société SELAK d.o.o au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance, ainsi qu'aux dépens de première instance ;
- Condamner la société SELAK d.o.o au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
- Condamner la société SELAK d.o.o aux entiers dépens d'appel, dont distraction au bénéfice de la SELARL MAGELLAN conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, en ce compris en ce compris les frais relatifs aux traductions en langue slovène.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION
Le droit applicable
Les parties s'accordent sur l'application au litige de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, dite Convention de Vienne en date du 11 avril 1980 étant précisé que tout ce qui n'est pas envisagé par la Convention doit être examiné selon les principes généraux dont elle s'inspire et à défaut selon la loi applicable, en vertu des règles de droit international privé soit en l'espèce le droit français conformément au Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008.
Les exceptions d'irrecevabilité
La société ETABLISSEMENTS [W] [J] soulève le défaut de qualité et d'intérêt à agir de la société SELAK d.o.o.
. La qualité à agir
La société ETABLISSEMENTS [W] [J] considère que la société SELAK d.o.o. ne démontre pas qu'elle est toujours propriétaire du véhicule et donc qu'elle possède encore un intérêt à agir en résolution de la vente.
La société SELAK d.o.o. verse une attestation traduite délivrée le 30 mars 2022 par l'autorité administrative compétente en Slovénie, la Préfecture de Novo Mestro, qui établit qu'elle est propriétaire du véhicule GEOTRAC 84 EP PRO.
La société ETABLISSEMENTS [W] [J] pour sa part ne produit aucun autre document qui établirait le contraire.
. Le défaut d'intérêt à agir
Au visa des articles 82 1) et 86 1) de la Convention de Vienne la société ETABLISSEMENTS [W] [J] fait valoir que la société SELAK d.o.o. ne démontre pas que le véhicule est resté en bon état.
L'article 82 1) de la Convention de Vienne précise :
L'acheteur perd le droit de déclarer le contrat résolu ou d'exiger du vendeur la livraison de marchandises de
remplacement s'il lui est impossible de restituer les marchandises dans un état sensiblement identique à celui dans lequel il les a reçues.
L'article 86 1) ajoute :
Si l'acheteur a reçu les marchandises et entend exercer tout droit de les refuser en vertu du contrat ou de la présente Convention, il doit prendre les mesures raisonnables, eu égard aux circonstances, pour en assurer la
conservation. Il est fondé à les retenir jusqu'à ce qu'il ait obtenu du vendeur le remboursement de ses dépenses raisonnables.
L'attestation délivrée le 30 mars 2022 par l'autorité administrative compétente en Slovénie, la Préfecture de Novo Mestro montre qu'un contrôle technique a été organisé le 10 février 2022 qui indique que le tracteur était dans un état irréprochable.
Là encore la société ETABLISSEMENTS [W] [J] ne produit aucun autre document qui établirait le contraire. En tout état de cause elle aurait toujours le moyen de se réserver des dommages et intérêts en cas de dégradation si le véhicule devait être restitué en mauvais état.
Elle ne manque pas de le faire en réclamant dans cette hypothèse qu'il soit ordonné que la restitution du prix de vente sera effectuée par consignation de la somme sur le compte séquestre ouvert par le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats au barreau de Brest auprès de la CARPA et que la libération de ce prix entre les mains de la société SELAK d.o.o ne pourra intervenir qu'une fois que le véhicule aura été restitué à la société ETABLISSEMENTS [W] [J] .
Dans ces conditions il convient de rejeter les exceptions d'irrecevabilité soulevées par la société ETABLISSEMENTS [W] [J].
Le jugement est confirmé de ce chef.
La résolution de la vente
La société SELAK d.o.o. fait valoir que le véhicule livré ne correspond pas aux prévisions contractuelles que le vendeur savait essentielles et déterminantes de son consentement.
La société ETABLISSEMENTS [W] [J] réfute cette affirmation en rappelant que le véhicule correspond aux besoins pour lesquels il a été acheté, présente l'ensemble des caractéristiques énoncées et qu'il n'y a aucun défaut de conformité quelle que soit l'année de fabrication.
Les dispositions de la Convention de Vienne précisent :
Article 35 :
1) Le vendeur doit livrer des marchandises dont la quantité, la qualité et le type répondent à ceux qui sont prévus au contrat, et dont l'emballage ou le conditionnement correspond à celui qui est prévu au contrat.
2) À moins que les parties n'en soient convenues autrement, les marchandises ne sont conformes au contrat que si:
a) Elles sont propres aux usages auxquels serviraient habituellement des marchandises du même type;
b) Elles sont propres à tout usage spécial qui a été porté expressément ou tacitement à la connaissance du vendeur au moment de la conclusion du contrat, sauf s'il résulte des circonstances que l'acheteur ne s'en est pas remis à la compétence ou à l'appréciation du vendeur ou qu'il n'était pas raisonnable de sa part de le faire;
c) Elles possèdent les qualités d'une marchandise que le vendeur a présentée à l'acheteur comme échantillon ou modèle;
d) Elles sont emballées ou conditionnées selon le mode habituel pour les marchandises du même type ou, à défaut du mode habituel, d'une manière propre à les conserver et à les protéger.
3) Le vendeur n'est pas responsable, au regard des alinéas a à d du paragraphe précédent, d'un défaut de conformité que l'acheteur connaissait ou ne pouvait ignorer au moment de la conclusion du contrat.
Article 36
1) Le vendeur est responsable, conformément au contrat et à la présente Convention, de tout défaut de conformité qui existe au moment du transfert des risques à l'acheteur, même si ce défaut n'apparaît qu'ultérieurement.
2) Le vendeur est également responsable de tout défaut de conformité qui survient après le moment indiqué au paragraphe précédent et qui est 12 Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises imputable à l'inexécution de l'une quelconque de ses obligations, y compris à un manquement à une garantie que, pendant une certaine période, les marchandises resteront propres à leur usage normal ou à un usage spécial ou conserveront des qualités ou caractéristiques spécifiées.
Article 49
1) L'acheteur peut déclarer le contrat résolu:
a) Si l'inexécution par le vendeur de l'une quelconque des obligations résultant pour lui du contrat ou de la présente Convention constitue une contravention essentielle au contrat.
Article 25
Une contravention au contrat commise par l'une des parties est essentielle lorsqu'elle cause à l'autre partie un préjudice tel qu'elle la prive substantiellement de ce que celle-ci était en droit d'attendre du contrat, à moins que la partie en défaut n'ait pas prévu u tel résultat et qu'une personne raisonnable de même qualité placée dans la même situation ne l'aurait pas prévu non plus.
Conformément aux dispositions de la Convention, la société SELAK d.o.o. a bien dénoncé le défaut de conformité dont elle s'estime victime dans un délai raisonnable.
En effet le transporteur est venu récupérer le tracteur le 5 décembre 2018 et la société SELAK d.o.o. s'est plainte auprès de la venderesse le 17 décembre 2018, soit 12 jours après l'enlèvement du tracteur en France délai de route compris jusqu'à la Slovénie.
La société SELAK d.o.o. a expliqué à cette occasion que la date de fabrication du véhicule ne correspondait pas aux prévisions contractuelles (2018) mais avait été construit en 2015 ce dont elle s'est aperçu en inspectant les pneus.
Il lui appartient de démontrer le défaut de conformité du tracteur vendu et livré et que ce défaut constitue une contravention essentielle au contrat.
Le défaut de conformité s'entend d'une différence entre la chose convenue et la chose livrée qui doit être identique en nature, qualité et quantité à ce qui a été prévu entre les parties.
Le défaut de conformité trahit l'inexécution par le vendeur de son obligation de délivrance.
Il importe peu pour déterminer si le vendeur a satisfait à son obligation de délivrance conforme que l'engin fonctionne parfaitement avec tous ses accessoires, cette question relevant seulement de l'appréciation de l'existence d'une contravention essentielle au contrat.
Au cours des tractations concernant la vente du tracteur la société SELAK d.o.o. a fait parvenir un courriel à la société ETABLISSEMENTS [W] [J] le 27 novembre 2018 :
Bonne journée
Nous sommes intéressés par l'achat d'un tracteur Lindner. Nous avons des questions très importantes.
Le tracteur produit-il vraiment l'année 2018 ' A-t-il vraiment seulement 548 heures '
Le climat est-il dans le tracteur '
Quelle est la force de la pompe hydraulique '
Le tracteur a-t-il des jantes d'origine et des premiers pneus '
Pouvez-vous nous envoyer des images supplémentaires du tracteur ' Quel est le dernier prix nets '
Le membre de phrase Le tracteur produit-il vraiment l'année 2018 ' est clair. Bien qu'exprimé dans une langue approximative , il s'agit pour l'acquéreur de s'assurer que le tracteur a été fabriqué en 2018 et donc de s'enquérir de son ancienneté.
Cette préoccupation est confirmée par la question : A-t-il vraiment seulement 548 heures ' Qui indique bien que la société SELAK d.o.o. est particulièrement attentive à l'état général du tracteur qu'elle lie à sa date de fabrication.
Il est du reste normal pour une société qui fournit aussi du matériel agricole de se soucier de l'ancienneté des véhicules qu'elle acquiert compte tenu de sa responsabilité vis à vis de ses propres clients quant aux caractéristiques du bien.
C'est bien ce sur quoi elle insiste en indiquant en phrase d'attaque de son mail :
Nous sommes intéressés par l'achat d'un tracteur Lindner. Nous avons des questions très importantes.
Ainsi il ressort très clairement des échanges ayant précédé la vente que l'année de production du véhicule et son millésime constituait pour la société SELAK d.o.o. une information essentielle.
Or la société ETABLISSEMENTS [W] [J] a répondu le même jour :
Concernant le tracteur LINDNER 84 EP PRO je vous transmets des photos supplémentaires une photocopie de la carte grise et une photo du compteur
Vous verrez sur la carte grise que l'année d'immatriculation est 2018 Nombre d'heures 548 h
Le tracteur a la climatisation
Les jantes et les pneus sont d'origine
Elle ne précise pas que le tracteur a été fabriqué en 2015 et ne répond pas à la question de sa partenaire.
Professionnelle de la vente de matériel agricole, elle disposait de toutes connaissances utiles pour vérifier, notamment par le numéro de série toujours apposé sur les engins, la date de fabrication du tracteur.
Elle avait donc la possibilité d'être exactement informée de la date de production du tracteur voire de se renseigner dès le mail de la société slovaque du 27 novembre, pour lui répondre clairement avant l'édition du bon de commande.
Au contraire elle a choisi d'éluder la question en répondant sur la date d'immatriculation, en faisant parvenir la carte de grise mentionnant cette date et un bon de commande du 28 novembre 2018 reprenant les caractéristiques du tracteur sans évoquer la date de production :
Tracteur de marque Lindner Géotrac 84 EP Pro N° Série « VBLA4T40014945099 » année 2018
Heures 548 4 Roues motrices avec Cabinet Super luxe Puissance 100 CV Boîte semi powershifft Climatisation ' Releve AV Cabine suspendue
Roues AV 480-65 x 24 (10%) Roue AR 600-65 x 34 (10%)
Avec son équipement
Matériel en très bon état. Vendu dans son état où il se trouve Sans garantie.
Elle ne peut se dédouaner en affirmant que la société SELAK d.o.o disposait de l'ensemble des informations lui étant nécessaires pour déterminer, si tel était bien son souhait, l'année de fabrication du véhicule alors justement que le souhait de cette dernière avant la vente était de connaître la date de fabrication qui ne peut se confondre avec la date d'immatriculation ce dont la société ETABLISSEMENTS [W] [J] était bien consciente.
La société SELAK a donc pu estimer que la date de fabrication correspondait à celle de l'immatriculation. Cette méprise, qui n'est pas de son fait, lui est apparue lors du contrôle des pneus qui a révélé les incohérences et le défaut de conformité du bien vendu à ses attentes soit un véhicule produit en 2018 et non 2015.
Sa méconnaissance du défaut de conformité du tracteur vendu aux prévisions contractuelles est donc établie.
. La contravention essentielle au contrat
La société SELAK d.o.o. a expressément sollicité la livraison d'un tracteur produit en 2018.
La société ETABLISSEMENTS [W] [J] a vendu un véhicule de 2015 ce qui la prive substantiellement du droit de posséder un tracteur moins ancien et il importe peu que la société SELAK d.o.o. ne dénonce pas un mauvais fonctionnement du véhicule et/ou que son prix de vente soit raisonnable.
En conséquence il convient de prononcer la résolution de la vente, de condamner la société ETABLISSEMENTS [W] [J] à lui rembourser la somme de 37 800 euros HT et d'ordonner la restitution du tracteur.
Au regard de l'extranéité du dossier il convient que :
- la société ETABLISSEMENTS [W] [J] consigne la somme sur un compte CARPA dans les deux mois de la signification de l'arrêt ;
- que la société SELAK d.o.o. expédie le tracteur à la société ETABLISSEMENTS [W] [J] dans les deux mois de la consignation de la somme sur le compte CARPA, à l'adresse du siège social de cette dernière, ou toute autre adresse en France métropolitaine, hors îles, que la société ETABLISSEMENTS [W] [J] lui aurait indiquée au plus tard au moment de la consignation de la somme ;
- la société SELAK d.o.o. pourra demander le déblocage à son profit de la somme consignée sur justificatif de la présentation du tracteur dont la restitution est ordonnée par un transporteur au siège social de la société ETABLISSEMENTS [W] [J] , ou à l'adresse que cette dernière aura indiquée suivant les modalités fixées supra, et ce même en cas de refus de la société ETABLISSEMENTS [W] [J] d'accepter de recevoir la livraison,
- la société ETABLISSEMENTS [W] [J] soit condamnée à rembourser à la société SELAK d.o.o les frais de transport du tracteur depuis les locaux de la société SELAK, sur factures correspondantes que cette dernière produira ;
- si la société ETABLISSEMENTS [W] [J] n'a pas consigné la somme sur un compte CARPA dans les deux mois suivant la signification de l'arrêt, dire qu' elle sera immédiatement tenue à son paiement et la société SELAK d.o.o pourra faire son affaire du tracteur.
Le jugement est infirmé
Les dommages et intérêts
Au visa de l'article 45 de la Convention de Vienne la société SELAK d.o.o sollicite la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts.
L'article 45 de la Convention de Vienne prévoit :
1) Si le vendeur n'a pas exécuté l'une quelconque des obligations résultant pour lui du contrat de vente ou de la présente Convention, l'acheteur est fondé à:
a) exercer les droits prévus aux articles 46 à 52;
b) demander les dommages-intérêts prévus aux articles 74 à 77.
2) L'acheteur ne perd pas le droit de demander des dommages-intérêts lorsqu'il exerce son droit de recourir à un autre moyen.
3) Aucun délai de grâce ne peut être accordé au vendeur par un juge
ou par un arbitre lorsque l'acheteur se prévaut d'un des moyens dont il dispose en cas de contravention au contrat.
La société SELAK d.o.o évoque un préjudice en lien avec une immatriculation qu'elle n'a pu réaliser que le 30 septembre 2019.
La société SELAK d.o.o ne n'indique pas en quoi cette immatriculation tardive lui a causé un préjudice à hauteur de la somme de 30 000 euros alors qu'elle affirme qu'elle a remisé le tracteur et ne l'utilise pas dans l'attente de l'issue du procès.
Dans ces conditions il convient de lui accorder la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts somme à laquelle la société ETABLISSEMENTS [W] [J] .
La procédure abusive
L'article 32-1 du code de procédure civile, dans sa version en vigueur depuis le 11 mai 2017 et applicable en l'espèce, dispose :
Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Lorsqu'il est établi que la partie qui exerce l'action a fait preuve de légèreté blâmable, une telle faute est de nature à caractériser une action abusive.
Il n'est pas établi que la société SELAK d.o.o ne ait introduit la procédure dans un autre but que de faire valoir ses droits
La demande de la société ETABLISSEMENTS [W] [J] est donc rejetée.
Le jugement est confirmé de chef.
Les demandes annexes
Il n'est pas inéquitable de condamner la société ETABLISSEMENTS [W] [J] à régler à la société SELAK d.o.o la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société ETABLISSEMENTS [W] [J] est condamnée aux dépens de première instance et d'appel comprenant les frais de traduction recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour
- Rejette les exceptions d'irrecevabilité soulevées par la société ETABLISSEMENTS [W] [J] ;
- Infirme le jugement.
Statuant à nouveau :
- Prononce la résolution de la vente ;
- Ordonne la restitution du tracteur de marque LINDNER Geotrac 84 EP PRO n° de série VBLA4T400014945099 ;
- Condamne la société ETABLISSEMENTS [W] [J] à rembourser à la société SELAK d.o.o la somme de 37 800 euros HT ;
- Dit que :
- la société ETABLISSEMENTS [W] [J] doit consigner la somme due au titre de la restitution du tracteur sur un compte séquestre ouvert par le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats au barreau de Brest auprès de la CARPA dans les deux mois de la signification de l'arrêt ;
- que la société SELAK d.o.o. doit expédier le tracteur dont la restitution est ordonnée à la société ETABLISSEMENTS [W]
[J] dans les deux mois de la consignation de la somme sur le compte séquestre ouvert par le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats au barreau de Brest auprès de la CARPA , à l'adresse du siège social de cette dernière, ou toute autre adresse en France métropolitaine, hors îles, que la société ETABLISSEMENTS [W] [J] lui aura indiquée au plus tard au moment de la consignation de la somme ;
- la société SELAK d.o.o. pourra demander le déblocage à son profit de la somme consignée sur justificatif de la présentation par un transporteur du tracteur dont la restitution est demandée au siège social de la société ETABLISSEMENTS [W] [J] , ou à l'adresse que cette dernière aura indiquée suivant les modalités fixées supra, et ce même en cas de refus de la société ETABLISSEMENTS [W] [J] d'accepter de recevoir la livraison,
- la société ETABLISSEMENTS [W] [J] est condamnée à rembourser à la société SELAK d.o.o les frais de transport retour du tracteur, sur simple présentation des factures correspondantes que cette dernière produira ;
- si la société ETABLISSEMENTS [W] [J] n'a pas consigné la somme au paiement de laquelle elle est condamnée au titre de la restitution du prix sur un compte séquestre ouvert par le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats au barreau de Brest auprès de la CARPA dans les deux mois suivant la signification de l'arrêt, elle sera immédiatement tenue à son paiement directement entre les mains de la société SELAK d.o.o et que cette dernière pourra alors faire son affaire du tracteur ;
- Condamne la société ETABLISSEMENTS [W] [J] à régler à la société SELAK d.o.o la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- Condamne la société ETABLISSEMENTS [W] [J] à régler à la société SELAK d.o.o la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la société ETABLISSEMENTS [W] [J] aux dépens de première instance et d'appel comprenant les frais de traduction recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
- Rejette les autres demandes des parties