CA Nîmes, 4e ch. com., 22 mars 2023, n° 21/01048
NÎMES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Nogal Fruits Extremadura (Sté)
Défendeur :
Dimitrex (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Codol
Conseillers :
Mme Ougier, Mme Vareilles
Avocats :
Me Vajou, Me De Montbel, Me Lecat, Me Pomies Richaud
Exposé du litige
EXPOSÉ
Vu l'appel interjeté le 15 mars 2021 par la société Nogal Fruits Extremadura à l'encontre du jugement prononcé le 14 février 2020 par le tribunal de commerce d'Avignon dans l'instance n°2017012925,
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 31 octobre 2022 par l'appelante et le bordereau de pièces qui y est annexé,
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 10 février 2023 par la S.A.S Distrimex, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé,
Vu l'ordonnance du 2 novembre 2022 de clôture de la procédure à effet différé au 16 février 2023.
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La société espagnole Nogal Fruits Extremadura SL commercialise des fruits et légumes.
En 2015, pour les besoins de son activité d'import-export en gros de fruits et légumes frais, la société Distrimex a passé diverses commandes à la société Nogal Fruits et notamment quatre commandes de prunes pour des livraisons à destination de Dubaï (Emirats Arabes Unis) et de Sao Paulo (Brésil).
La société Distrimex est devenue débitrice de 4 factures résultant de commandes passées en juin 2015 :
n° 015/78 d'un montant de 23 940 euros ;
n° 15/220 d'un montant de 24 978,24 euros ;
n° 015/299 d'un montant de 19 102,32 euros ;
n° 015/298 d'un montant de 16 957 euros.
Soit un total de 84 978,06 euros.
Le 9 septembre 2015, la société Distrimex a payé à la société Nogal Fruits la somme de 38 067,90 euros correspondant, selon la première, au montant des ventes ayant pu être effectuées en sauvetage.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 10 février 2017, la société Nogal Fruits a, par l'intermédiaire de son mandataire Euler Hermès, mis en demeure la société Distrimex d'avoir à lui régler le solde des factures impayées, soit 46 910,16 euros.
La société Distrimex s'est toutefois refusée à payer ce solde, ne s'estimant pas redevable au regard de la qualité non conforme de la marchandise qui aurait été constatée lors du déchargement et des pertes pécuniaires qui s'en sont suivies.
Par exploit du 6 décembre 2017, la société Nogal Fruits a fait assigner la société Distrimex devant le tribunal de commerce d'Avignon en paiement de la somme de 46 910,16 euros.
Par jugement du 14 février 2020, le tribunal de commerce d'Avignon a :
-Dit éteinte la créance de la société Nogal Fruits Extremadura sur la société Distrimex par effet du paiement de la somme de 38 067,90 euros le 9 septembre 2015 ;
-Débouté la société Nogal Fruits Extremadura de ses demandes de dommages et intérêts ;
-Condamné la société Nogal Fruits Extremadura à payer à la société Distrimex une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de 2 500 euros ;
-Laissé les dépens à la charge de la société Extremadura, dont frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 77,08 euros.
La société Nogal Fruits Extremadura a relevé appel de ce jugement aux fins de le voir réformer en toutes ses dispositions.
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Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l'appelante demande à la cour de :
-Déclarer l'appel formé par la société Nogal Fruits Extremadura SL recevable ;
Y faisant droit,
-Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Avignon le 14 février 2020 en toutes ses dispositions, des chefs ayant :
Dit éteinte la créance de la société Nogal Fruits Extremadura sur la société Distrimex par effet du paiement de la somme de 38 067,90 euros le 9 septembre 2015 ;
Débouté la société Nogal Fruits Extremadura de ses demandes de dommages et intérêts ;
Condamné la société Nogal Fruits Extremadura payer la société Distrimex une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de 2 500 euros, ainsi qu'aux dépens.
Et statuant à nouveau,
-Dire, juger et constater que la responsabilité de la société Nogal Fruits Extremadura SL n'est pas engagée ;
-Condamner en conséquence la société Distrimex à payer à la société Nogal Fruits Extremadura SL la somme de 46 910,16 euros assortie des intérêts légaux à compter de l'échéance de chacune des factures ;
-Ordonner la capitalisation des intérêts ;
-Déclarer la société Distrimex mal fondée en ses fins, moyens et conclusions ; l'en débouter ;
-La condamner à payer à la société Nogal Fruits Extremadura SL la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir que l'acquéreur de la marchandise ' qui se prévaut des dispositions de la convention des Nations-Unies du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale ' doit rapporter la preuve du vice propre de la marchandise, résidant dans la propension de celle-ci à se détériorer au cours d'un transport maritime effectué dans des conditions normales, en raison d'un défaut qui lui est inhérent. Or, les désordres allégués par la société Distrimex sur la foi de ses clients finaux ont été établis unilatéralement et non au terme d'une expertise contradictoire. En l'absence d'expertise contradictoire, voire même d'un constat d'huissier, la preuve du vice propre de la marchandise n'est pas établie.
En outre, et surtout, les marchandises ont reçu un certificat phytosanitaire délivré par un inspecteur de la Juta de Extremadura, responsable de l'Etat espagnol, et donc tiers par rapport à la société Nogal Fruits. Ces certificats phytosanitaires attestent de la qualité des produits, de leur aptitude à l'export et de leur bon état lors du chargement des conteneurs. Au demeurant, un employé de la société Distrimex était présent sur les lieux de chargement de la marchandise et a donné son accord pour sa livraison.
Par conséquent la société Nogal Fruits Extremadura soutient que le sinistre trouve son origine dans le transport maritime ce dont il découle une présomption de responsabilité du transporteur maritime. Etant rappelé que la vente conclue par les parties était régie par les règles relatives aux Incoterm EX Works, c'est-à-dire une vente au départ d'usine, le transfert des risques se réalise au départ de la marchandise, de sorte que celle-ci relève de l'entière responsabilité de la société Distrimex dès sa mise à disposition.
En ce qui concerne la non-conformité des prunes, alléguée par l'acquéreur, le vendeur indique qu'il ne donne jamais une quantité exacte de calibre du fruit, celui-ci étant un produit périssable. Il est donc vendu alors que le fruit est encore sur l'arbre et ce n'est que deux jours avant le chargement du conteneur que le fruit est manipulé. Aussi, le vendeur ne donne qu'une estimation du calibre la plus proche possible et une contenance approximative de la quantité de marchandise par conteneur.
En conséquence, la société Distrimex avait donc la possibilité de refuser et annuler la commande deux jours avant le chargement du conteneur, ce qu'elle n'a pas fait.
Se référant aux articles L.441-6 et D.441-5 du code de commerce, la société Nogal Fruits Extremadura demande, outre le paiement du solde de ses factures, les intérêts légaux à compter de leur date d'échéance.
Enfin, pour le cas où sa responsabilité serait retenue, l'appelante fait valoir que la société Distrimex ne justifie pas de la réalité de son préjudice qu'elle a chiffré arbitrairement au montant impayé des factures litigieuses.
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Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l'intimée demande à la cour, au visa de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises faite à [Localité 5] le 11 avril 1980, des pièces du dossier, de :
-Confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 14 février 2020 (RG 2017012925) en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
-Condamner la société Nogal Fruits Extremadura SL au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
-La condamner aux entiers dépens dont distraction aux profits de Maître Georges Pomies-Richaud, avocat à la cour d'appel de Nîmes, par application de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, l'intimée fait valoir que le contrat conclu entre les parties était un contrat de vente au départ, régi par l'Incoterm Ex-Works comportant une clause d'agréage à l'arrivée. La société Nogal Fruits Extremadura n'a pas satisfait à ses obligations de vendeur Ex-Works, principalement en ne livrant pas une marchandise saine et loyale, accessoirement en livrant certains fruits non conformes à la commande. La société Distrimex expose que ses achats ont été effectués auprès de la société Nogal Fruits Extremadura selon une procédure de cross-trading par laquelle ses clients ont été directement livrés par sa cocontractante. L'Incoterm Ex-Works définit une obligation minimale pour le vendeur de chargement, à savoir une marchandise saine et loyale devant correspondre aux stipulations de la commande, ce qui n'a pas été le cas. En effet, la société Nogal Fruits Extremadura n'a pas produit, pour chaque conteneur, la fiche de contrôle qualité au départ des marchandises, comme cela était stipulé dans les commandes. L'examen de la marchandise réalisé à l'arrivée des conteneurs a révélé de multiples défauts de qualités tels qu'un défaut de maturité, un défaut de coloration ainsi que des défauts constatés sur l'épiderme concernant 3 conteneurs sur 4. Ces défauts sont attestés par les rapports d'expertise officielle, photographies et courriels échangés entre les parties.
Accessoirement, la société Nogal Fruits Extremadura n'a pas rempli son obligation de livraison conforme puisqu'elle a livré des prunes Black Diamond d'un calibre 50/55 au lieu du calibre 65/70 qui avait été commandé. Elle a néanmoins facturé ces prunes au prix du calibre 65/70. La société Distrimex réfute l'argumentation de la société Nogal Fruits Extremadura qui ne peut donner par SMS des calibres approximatifs plus de 15 jours avant le chargement et dans le même temps soutenir que cette information ne peut être donnée qu'au moment de la récolte, soit 2 jours avant le chargement. Cette thèse fantaisiste se heurte à l'existence de prix distincts pour chaque type de calibre de fruits.
C'est la société Nogal Fruits Extremadura qui a demandé une inspection de la marchandise dans le box du client et elle ne peut donc invoquer le caractère non contradictoire des expertises réalisées conformément aux dispositions de l'article 38 de la Convention de Vienne et aux pratiques commerciales. D'ailleurs, la société Nogal Fruits n'a ni contesté les rapports établis ni souhaité que soient conduites des contre-expertises.
La société Distrimex élimine l'hypothèse de difficultés liées au transport car, dans les trois conteneurs litigieux, les enregistreurs de température ont laissé apparaître un réglage conforme aux indications de chargement ainsi qu'un maintien constant de cette température tout au long de la traversée de chaque navire. Ces relevés de température ont été communiqués à la société Nogal Fruits Extremadura qui ne les a pas contestés.
Elle maintient que les défauts ne peuvent provenir que d'un vice propre de la marchandise ou de problèmes à l'empotage, préalables à l'embarquement et qu'il y a lieu de faire application de l'article 36 de la Convention de Vienne.
Elle ajoute que Monsieur [T] n'a pu inspecter les marchandises de la société Nogal Fruits Extremadura car il a effectué sa visite dans les locaux plusieurs jours avant la commande litigieuse. Et les contrôles phytosanitaires n'ont pour objet que de garantir la sécurité sanitaire en vérifiant l'absence d'organismes nuisibles sur des marchandises vouées à l'exportation selon les exigences des pays vers lesquels elles sont exportées mais n'établissent pas la qualité de la marchandise.
-les marchandises impropres à la vente en l'état ont dû être triées et réemballées avant d'être distribuées et compte tenu des défauts importants de qualité, la société Distrimex a dû consentir des avoirs à ses clients. C'est ainsi qu'elle a subi :
-pour le conteneur TTNU8113948 à destination de Dubaï, une perte de 21 346,50 euros a été générée ;
-pour le conteneur SUDU8052252 à destination du Brésil, une perte de 16 299,36 euros a été générée ;
-pour le conteneur MNBU0004870 à destination de Dubaï, une perte de 7 381,50 euros a été générée ;
-pour le conteneur SUDU8107571 à destination du Brésil, une perte de 1 882,80 euros a été générée.
L'assureur-crédit de la société Nogal Fruits Extremadura a reconnu le bien-fondé de ses réclamations, l'a invité à régler le prix des ventes obtenues au sauvetage, soit la somme de 38 067,90 euros, ce qu'elle a fait.
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
Motivation
DISCUSSION
Les parties s'accordent sur la qualification de vente au départ et de recours à la norme Incoterm Ex-Works, nonobstant l'imprécision des documents contractuels.
Il est justifié par la production des bons de commande l'existence d'une clause d'agréage à la destination finale.
Le transfert des risques, en matière de vente au départ, s'effectue lors de la livraison des produits, c'est-à-dire au départ, par application de l'article.5424-2 du code des transports.
Le vendeur doit respecter les obligations prescrites par les articles 1602 et suivants du code civil, soit délivrer et garantir la chose qu'il vend.
L'article 36§ 1 de la convention de Vienne (qui n'a qu'un caractère supplétif), dont l'application à la présente espèce n'est pas contestée, précise que « le vendeur est responsable (') de tout défaut de conformité qui existe au moment du transfert des risques à l'acheteur, même si ce défaut apparaît ultérieurement ».
Il est produit un rapport d'inspection portant sur la variété de prunes Black Splendor se trouvant dans un conteneur SUDU 8052252 à destination de Sao Paulo, en vertu d'une commande 01733/15. La livraison devait porter sur 624 colis de prunes calibre 55/60 et 1560 colis de prunes calibre 60/65. La facture correspondante, d'un montant de 24 978,24 euros, porte sur 448 colis de calibre 50/55, 1008 colis de calibre 55/60 et 896 colis de calibre 60/65. Toutefois, cette non-conformité de la marchandise en terme de calibrage n'est pas revendiquée par l'acheteur, qui se réfère uniquement à une livraison de prunes Black Diamond, objet d'un autre chargement.
Cette inspection de la marchandise à l'arrivée (pièce 4 de l'intimée) fait état de non-conformités à l'examen de caisses de prunes contre les portes et constate un réglage de la température du conteneur conforme, mais que la température de la pulpe du produit près des portes est inadéquate. Il indique que la période de voyage/transit est acceptable et ne recommande pas de lettre de réclamation.
Ce rapport relativement succinct et confus puisqu'il fait état de non-conformités mais ne préconise pas de lettres de réclamation n'établit pas suffisamment un défaut de conformité de la marchandise existant au moment du transfert des risques.
Le rapport d'inspection n'est produit ni pour le conteneur TTNU 8113948 à destination de Dubaï, ni pour le conteneur MNBU 0004870 à destination de Dubaï et les anomalies relevées résultent des seules déclarations de l'acheteur ainsi que de photos de prunes.
Dès lors, la société Distrimex n'apporte pas la preuve, qui lui incombe d'une non-conformité des marchandises existant au moment du transfert des risques.
Le jugement déféré qui a déclaré la créance de l'appelante éteinte, sera par conséquent infirmé en toutes ses dispositions et la société Distrimex condamnée à payer le solde des factures d'un montant total de 46 910,16 euros.
En application de l'article L.441-6 du code de commerce, cette somme portera intérêt au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage, exigible le jour suivant la date de règlement figurant sur les factures litigieuses.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée, dans les conditions de l'ancien article 1154 du code civil.
La société Distrimex, qui succombe, devra supporter les dépens de première instance et d'appel. Elle paiera à la société Nogal Fruits Extremadura une somme équitablement arbitrée à 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
Dit que la société Distrimex ne rapporte pas la preuve de la responsabilité de la société Nogal Fruits Extremadura SL,
Condamne en conséquence la société Distrimex à payer à la société Nogal Fruits Extremadura SL la somme de 46 910,16 euros assortie des intérêts au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage, exigible le jour suivant la date de règlement figurant sur les factures litigieuses,
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil,
Condamner la société Distrimex à payer à la société Nogal Fruits Extremadura SL la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Distrimex aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,