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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 14 mars 2023, n° 22/05174

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Jymident (SAS)

Défendeur :

Ileri Lojistik Hizmetleri (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barlow

Conseillers :

Mme Schaller, Mme Aldebert

Avocat :

Me Youness

CA Paris n° 22/05174

13 mars 2023

Exposé du litige

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La société JYMIDENT (ci-après désignée « Jymident ») est un laboratoire français de prothèses dentaires qui a pour clients des prothésistes, dentistes et chirurgiens-dentistes.

2. Elle expose sous-traiter une grande partie de ses commandes à l'étranger et notamment depuis de longues années en Turquie, auprès de la société ILERI LOJISTIK HIZMETLERI (ci-après « Ileri »).

3. Elle reproche à cette dernière d'avoir, à compter de 2019, négligé la qualité des produits livrés et estime que la défaillance de son fournisseur est à l'origine de la perte de sa clientèle et de la chute de son chiffre d'affaires sur la période 2019-2020.

4. C'est dans ce contexte qu'elle a, par acte d'huissier en date du 31 juillet 2020, fait assigner la société Ileri devant le tribunal de commerce de Bobigny en réparation de son préjudice financier, évalué à la somme de 216 201 euros et à celle de 100 000 euros au titre du préjudice d'image et de réputation, sollicitant en outre la somme de 4200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

5. Par un jugement contradictoire du 14 décembre 2021, le tribunal de commerce de Bobigny a débouté la société Jymident de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

6. Par déclaration en date du 9 mars 2022, la société Jymident a interjeté appel de la décision devant la cour d'appel de Paris.

7. La clôture a été prononcée le 15 novembre 2022 et l'affaire a été renvoyée devant la Cour pour être plaidée le 9 janvier 2023.

8. A cette date, la cour a demandé à la société appelante de produire l'extrait Kbis à jour de la société de droit turc Ileri.

9. Le 12 janvier 2023, le conseil de la société Jymident a produit par courrier un Kbis de la société Ileri dont le siège est à Izmir en Turquie et un extrait de sa fiche d'immatriculation

II/ PRETENTIONS

10. Aux termes de conclusions notifiées par voie électronique le 16 avril 2022, la société Jymident sollicite au visa des articles 1217 et 1231-1 du code civil :

- La réformation du jugement du tribunal de commerce de Bobigny ;

- La condamnation de la société Ileri au paiement des sommes suivantes :

o 216 201 € au titre du préjudice financier qui représente la moitié de la perte du chiffre d'affaires de référence imputable directement à Ileri;

o 100 000 € au titre du préjudice d'image et de réputation;

o 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

11. La société Ileri qui était comparante en première instance, est défaillante devant la cour. Elle n'a pas constitué avocat ni conclu.

III/ MOYENS ET MOTIFS DE LA DECISION

12. Au soutien de sa demande, la société Jymident fait valoir qu'elle n'a jamais eu à se plaindre de la société Iléri avec laquelle elle a travaillé pendant de longues années jusqu'à ce que celle-ci, par suite du confinement en Chine, soit débordée de commandes et n'assure plus la qualité des prothèses commandées.

13. Elle expose avoir subi des plaintes à répétition de ses clients à partir de septembre 2019 et que ce manquement est à l'origine de la chute vertigineuse de son chiffre d'affaires, qui a diminué de 80% du 1er octobre 2019 au 31 mai 2020 par comparaison avec la période de l'année 2018-2019.

14. Elle soutient avoir suffisamment rapporté la preuve de la non-conformité des produits livrés et de son préjudice par la production de ses pièces que les premiers juges n'ont pas justement appréciées.

15. Elle demande en conséquence une indemnisation de son préjudice financier évalué à 50% de la perte de son chiffre d'affaires ainsi qu'un préjudice d'image et de réputation.

Sur la défaillance de la société Iléri

16. Selon l'article 472, alinéa 2, du code de procédure civile, en appel, si l'intimé ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés.

17. La cour doit examiner, au vu des moyens d'appel, la pertinence des motifs par lesquels le tribunal de commerce s'est déterminé.

18. En l'espèe, le tribunal de commerce a retenu que la société Jymident n'a pas fait suffisamment la preuve de ses allégations.

Sur la loi applicable

19. Le litige porte sur l'exécution d'un contrat international de vente de marchandises, en l'occurrence de prothèses dentaires, entre deux cocontractants dont l'un est établi en France et l'autre en Turquie.

20. Selon les pièces produites, les parties n'ont pas prévu de clause sur le droit applicable.

21. Il ressort de la décision de première instance que la société Jymident a fait le choix de l'application du droit interne français depuis l'origine du litige, sans faire état des règles du droit international qui mèneraient à l'application du droit français.

22. Il n'est pas contesté que devant les premiers juges la société Iléri a conclu au débouté des demandes faute de preuve en application du droit national interne.

23. La cour retient de ces constatations que les parties, en connaissance du caractère international de la vente, ont volontairement placé la solution de leur litige sous le régime du droit interne français en invoquant et en discutant les dispositions du code civil à l'exclusion de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises conclue à Vienne le 11 avril 1980 de sorte que, conformément à la volonté explicite des parties, il sera fait application du droit national interne.

Sur le bien fondé de la demande

24. Selon l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut:

'' refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation;

'' poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation;

'' obtenir une réduction du prix;

'' provoquer la résolution du contrat;

'' demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.

Motivation

25. L'article 1231 du même code prévoit que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

26. En l'espèce, la société Jymident conteste la conformité des prothèses livrées par la société Iléri à compter de septembre 2019 en faisant valoir que les produits reçus ne répondaient pas à ceux qui étaient prévus et demande réparation pour inexécution fautive des contrats de vente.

27. A l'appui de sa demande, elle produit une expertise amiable du laboratoire Art-Dent à [Localité 3] qui indique « avoir effectué une vérification de travaux livrés dans le colis 1326157346 et 235140776422 et avoir constaté un gros défaut de qualité des travaux qui ne correspond pas aux demandes des praticiens estimant que les deux cartons ne peuvent être livrés aux praticiens »

28. La valeur probante de cette expertise, certes non contradictoire, est corroborée par des attestations et notamment celle de M. [G], commercial de la société Yeni Oral, M. [L] prothésiste et Mme [K], qui établissent l'existence de problèmes rencontrés.

29. Si ces éléments, pris dans leur ensemble, établissent bien une dégradation de la qualité des prothèses reçues, ils se contentent de décrire de manière générale ou bien à partir de deux colis seulement les défauts relevés, sans déterminer précisément l'ampleur de la défaillance de la société Iléri et l'effet produit sur son chiffre d'affaires.

30. Les documents comptables versés aux débats ne démontrent pas en effet le lien de causalité entre le défaut de conformité des produits et la baisse du chiffre d'affaires alléguée, étant observé que les faits litigieux se sont déroulés au cours de la période de la crise sanitaire.

31. En considération de ces motifs, la société Jymident échouant à faire la preuve de ses allégations, la décision sera entièrement confirmée.

Sur les autres demandes

32- La société Jymident qui succombe sera condamnées aux dépens et déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

IV/ DISPOSITIF

Dispositif

Par ces motifs, la Cour:

1- Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bobigny le 14 décembre 2021 en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

2- Condamne la société Jymident aux dépens ;

3- Déboute la société Jymident de sa demande en condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,

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