CA Douai, 2e ch. sect. 1, 13 octobre 2022
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Engie Energie Services (SA)
Défendeur :
Foronex SPRL (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
M. Gilles, Mme Mimiague
Avocats :
Me Le Roy, Me Ricard, Me Tresca, Me Muselet
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant contrat du 1er juin 2015 à effet au 1er octobre 2015, la société Engie Energie Confort (ci-après la société Engie), exploitant une chaufferie biomasse desservant un réseau de chaleur urbain sur la commune de [Localité 4], a confié à la société Foronex l'ensemble des approvisionnements en combustibles biomasse nécessaires au fonctionnement de la chaufferie. Dans ce cadre, la société Foronex était chargée de la collecte, du transport, de la fourniture et du déchargement en combustible biomasse sur le site de la chaufferie de [Localité 4].
Suite à des dysfonctionnements de la chaufferie, la société Engie, imputant ceux-ci à des livraisons de combustibles non conformes aux caractéristiques prévues au contrat, a réclamé à la société Foronex le paiement des frais engagés du fait de ces dysfonctionnements selon quatre factures (pour un montant total TTC de 60 484,40 euros), dont une partie avait été réglée par l'assureur de la société Foronex à hauteur de 21 686,47 euros le 10 janvier 2018.
Par acte du 11 janvier 2019 la société Engie a assigné la société Foronex devant le tribunal de commerce de Lille métropole aux fins de la voir condamner au paiement de pénalités contractuelles du fait de livraisons non-conformes et au paiement des frais non pris en charge par l'assureur.
Par jugement contradictoire du 1er octobre 2020 le tribunal :
- a constaté la forclusion de l'action d'Engie Energie Services,
- l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- l'a condamnée à payer à la société Foronex la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- a débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires,
- a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement,
- a condamné Engie Energie Services aux entiers frais et dépens, taxés et liquidé à la somme de 73,24 euros en ce qui concerne les frais de greffe.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 30 octobre 2020 la société Engie Energie Services a relevé appel du jugement en ce qu'il a constaté la forclusion de son action, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et du chef des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 11 octobre 2021 la société Engie demande à la cour de :
- la recevoir en ses écritures et les dire bien fondées,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille en toutes ses dispositions,
- débouter la société Foronex de sa demande tendant à voir constater la forclusion de l'action,
- dire et juger que la société Foronex n'a pas respecté ses obligations contractuelles,
- la condamner à lui payer la somme de 4 483,49 euros à titre de pénalité contractuelle,
- la condamner à lui payer la somme de 38 797,93 euros avec intérêt au taux légal à compter du 18 octobre 2017 à titre de dommages-intérêts,
- la condamner au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- et aux entiers dépens de l'instance.
Au soutien de ses demandes, la société Engie fait valoir que la société Foronex lui oppose une prescription inexistante puisque le contrat est soumis à la loi française et exclue donc l'application de la Convention de Vienne, que la prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce s'applique donc, et, en tout état de cause, que l'article 39 de la convention pose un délai de dénonciation des non-conformités, qui a été respecté en l'espèce, et non un délai de prescription. Sur le fond, elle expose que certaines livraisons de combustibles biomasse ne présentaient pas la qualité prévue contractuellement et ont entraîné des dysfonctionnements de la vis de transfert au sein de la chaufferie, qui s'est rompue en 2015, que la société Foronex a reconnu sa mauvaise exécution et s'est engagée à prendre la différence des frais résultant des dysfonctionnements non pris en charge par son assureur. Elle sollicite en outre les pénalités prévues à l'article 14.2 du contrat qui sanctionne la mauvaise qualité des livraisons mais ne la décharge pas de sa responsabilité quant aux conséquences de celle-ci, précisant que la procédure de refus de livraison ne trouvait pas à s'appliquer.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 20 avril 2021 la société Foronex demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- débouter la société Engie de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- y ajoutant, condamner la société Engie au versement d'une somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner en tous les frais et dépens de la procédure.
La société Foronex conclut à la prescription de l'action de la société Engie en application de l'article 39 de la Convention de Vienne qui prévoit un délai de deux ans pour dénoncer un défaut de conformité. Elle s'oppose à la demande relative aux pénalités contractuelles faisant valoir que les conditions d'application prévues au contrat ne sont pas réunies et que la société Engie ne s'est pas prévalue de l'article 14.3 du contrat permettant de refuser un déchargement de marchandises. Elle fait valoir par ailleurs que les dysfonctionnements allégués peuvent être liés à la vétusté de l'installation, mise en service en 1985, qu'elle n'a jamais bénéficié d'un constat contradictoire des anomalies constatées, qu'un accord sur une prise en charge avait été donné uniquement dans le cadre d'un accord global qui n'a jamais été accepté par la société Engie et reposant sur l'assurance que le bris de matériel avait été causé par une mauvaise qualité de la marchandise livrée qui n'a finalement jamais été établie, que ce n'est qu'à titre commercial qu'elle avait accepté l'intervention de son assureur, mais qu'il n'est pas démontré qu'elle serait à l'origine des dommages ; elle relève en outre que l'analyse des factures montre que la société Engie vient réclamer plusieurs fois réparation du même dommage et qu'elle ne peut venir lui réclamer la TVA puisqu'elle est une société étrangère.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé du surplus de leurs moyens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 mai 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 8 juin suivant.
Motivation
MOTIFS
Sur la prescription de l'action de la société Engie
L'article 39 de la convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 dispose en son deuxième point que :
Dans tous les cas l'acheteur est déchu de son droit de se prévaloir d'un défaut de conformité, s'il ne le dénonce pas au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises, à moins que ce délai ne soit incompatible avec la durée d'une garantie contractuelle.
La société Engie conteste l'application de la convention de Vienne au motif que les contractants, dont il est acquis qu'ils ont des établissements dans des Etats contractants, ont fait le choix de soumettre leur contrat à la loi française.
L'article 22 du contrat stipule que 'ce contrat est régi dans toutes ses dispositions par la loi française'.
L'article 6 de la convention de Vienne dispose que les parties peuvent exclure l'application de la Convention ou, sous réserve des dispositions de l'article 12, déroger à l'une quelconque de ses dispositions ou en modifier les effets.
Dans la mesure où la convention constitue le droit substantiel français de la vente internationale de marchandises, en faisant le choix de la loi française, sans autre précision, les parties n'ont pas eu l'intention d'exclure la convention de Vienne qui trouve dès lors à s'appliquer en l'espèce.
Le délai prévu par l'article 39 de la Convention de Vienne est un délai de dénonciation du défaut de conformité et non un délai pour agir.
En l'espèce, il se déduit des dates des courriers électroniques adressés par la société Engie au vendeur le 7 décembre 2015, le 14 octobre 2016 et le 26 janvier 2017 ainsi que du 'procès-verbal d'évaluation des dommages' établi le 16 octobre 2017 entre la société Engie et l'assureur de la société Foronex, des courriers électroniques de la société Foronex du mois de novembre 2017 indiquant qu'elle acceptait de prendre en charge certaines factures et des mises en demeure adressées par la société Engie à compter du 5 octobre 2017, que les défauts de conformité des livraisons litigieuses, intervenues entre le 19 novembre et 18 avril 2017, ont été dénoncés avant l'expiration du délai de deux ans prévu à l'article 39, 2°, de la Convention de Vienne.
C'est donc à tort que le premier juge a considéré, au motif que les livraisons litigieuses, qui étaient nécessairement antérieures au 15 janvier 2017, avaient été dénoncées tardivement par assignation du 11 avril 2019, que l'action était forclose. Le jugement sera donc infirmé et les demandes de la société Engie seront déclarées recevables.
Sur le fond
- Sur les indemnités contractuelles
L'article 14.2 du contrat de fourniture prévoit que 'lorsque le combustible biomasse livré ne correspond pas aux caractéristiques définies aux articles 10.2', la société Engie appliquera des indemnisations dépendant de la nature de la non-conformité :
- pour la granulométrie : '15 % pour une non-conformité, sur la valeur de la livraison à comparer avec une analyse certifiée d'un laboratoire choisi par les parties',
- pour le taux de cendre : '10 % pour une non-conformité, sur la valeur de la livraison, (cf bilan annuel)',
- pour un corps étranger : '10 % pour une non-conformité sur la valeur de la livraison'.
Il est en outre stipulé à cet article : 'En cas d'incident de fonctionnement de la chaufferie biomasse, s'il est clairement établi par les parties que la qualité du combustible biomasse livré est en cause, la responsabilité de Foronex sera engagée'.
Il ressort des pièces communiquées que la société Foronex n'a jamais contesté les non-conformités qui lui ont été dénoncées et, en acceptant de prendre en charge les frais correspondant au solde de trois factures d'intervention, comme il en résulte des courriers électroniques adressés à la société Engie au mois de novembre 2017, sans que cette proposition ne paraisse intervenir dans le cadre de négociations d'une transaction, elle a reconnu la non-conformité des livraisons ayant entraîné des dysfonctionnements, et ce, même en l'absence éventuelle de comparaison avec une analyse certifiée d'un laboratoire ou de l'application de la clause 'refus de déchargement' applicable dans le cas où il est détecté visuellement une présence anormale de corps étrangers ou un écart flagrant de granulométrie ou de qualité préalablement à l'opération de déchargement du combustible.
Il convient en conséquence de faire application des pénalités prévues à l'article 14.2 et d'allouer à la société Engie la somme réclamée à ce titre.
- Sur la demande de dommages-intérêts
La société Engie réclame le paiement des frais d'intervention sur la chaufferie suite à des problèmes liés à la qualité du bois livré pour lesquels elle a émis quatre factures contre la société Foronex :
- facture 201702N0S0147 du 28 février 2017 : 36 704,62 HT (sinistre 2015)
- facture 201702N0S0148 du 28 février 2017 : 3 359,95 euros HT (intervention du 15 février 2017)
- facture 201702N0S0149 du 28 février 2017 : 9 344 euros HT (interventions de 2016)
- facture 201703N0S0057 du 13 mars 2017 : 995,10 euros HT (intervention du 9 janvier 2017).
La société Foronex a reconnu les livraisons non conformes et les dommages facturés selon les trois factures du 28 février 2017, mais non les dommages concernés par la facture du 13 mars 2017 ; cette facture correspond à une intervention n° 201701146 du 9 janvier 2017 que l'on ne retrouve pas sur les fiches d'intervention versées aux débats par la société Engie et les autres pièces communiquées ne permettent de déterminer précisément la prestation en question et son lien avec une livraison de la société Foronex.
S'agissant de la TVA, la cour relève qu'il s'agit d'évaluer le préjudice réellement subi par la société Engie et non de statuer sur des factures impayées par la société Foronex pour une prestation de service ou la vente d'un bien ; les factures émises correspondent à l'intervention de techniciens, dont l'on ignore s'ils s'agit de prestataires extérieurs à la société Engie, de frais de réparation ou de production de chaleur par un autre moyen pendant le temps de l'immobilisation de la chaufferie, et la société Engie ne justifie pas qu'elle aurait dû supporter de manière définitive de la TVA qu'il y aurait lieu d'inclure dans l'évaluation de son préjudice.
Le préjudice sera donc évalué de la façon suivante :
- intervention des techniciens (factures 201702N0S0148 et 201702N0S0149) : 12 703,95 euros (9 344 + 3 359,95),
- sinistre 2015 (réparation et utilisation d'autres moyens pour assurer la production de la chaleur), après déduction des sommes prises en charge par l'assureur de la société Foronex : 15 018,15 euros (36 704,62 ' 21 686,47 euros),
il sera en conséquence alloué à la société Engie en réparation de son préjudice la somme totale de 27 722,10 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision, en application de l'article 1153-1, devenu 1231-7, du code civil.
Sur les demandes accessoires
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, la société Foronex succombant, il convient de mettre à sa charge les dépens de première instance et d'appel et d'allouer à la société Engie la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l'appel,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare recevable l'action de la société Engie Energie Services au regard des dispositions de l'article 39 de la Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises ;
Condamne la société Foronex à payer à la société Engie Energie Services la somme de 4 483,49 euros au titre des pénalités contractuelles ;
Condamne la société Foronex à payer à la société Engie Energie Services la somme de 27 722,10 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision ;
Déboute la société Engie du surplus de sa demande de dommages-intérêts ;
Condamne la société Foronex aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne la société Foronex à payer à la société Engie Energie Services la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Marlène Tocco