CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 24 mai 2022, n° 19/01661
CHAMBÉRY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Leman Instruments (SAS)
Défendeur :
Baltec CNC Technologies (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ficagna
Conseillers :
Mme Fouchard, Mme Real Del Sarte
Avocats :
Mermet & Associés, Me Pereira, Me Michalauskas
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Baltec CNC Technologies, de droit lituanien, exerce une activité de fabrication de composants mécaniques de précision pour l'industrie, notamment la fabrication de machines ou d'équipements médicaux.
La société Léman Instruments, établie à Archamps (Haute-Savoie), fabrique des équipements à gaz, à savoir des générateurs de gaz, des calibreurs de gaz et des analyseurs de gaz.
A partir de l'année 2016 la société Léman Instruments s'est fournie auprès de la société Baltec pour des pièces de haute précision. Les pièces sont fabriquées par la société Baltec selon les dessins établis par le client.
Un contrat de fourniture a été signé par ces deux sociétés le 18 juillet 2017. Entre août et décembre 2017, diverses commandes ont été passées et livrées. La société Baltec a émis 12 factures pour un montant total de 30.881,85 €.
Seules trois de ces factures ont été payées pour 4.731,60 €, le surplus étant resté impayé malgré une mise en demeure adressée par courriel le 26 mars 2018, puis par lettre recommandée avec accusé de réception le 6 avril 2018.
En l'absence de réponse, par acte délivré le 23 mai 2018, la société Baltec a fait assigner la société Léman Instruments devant le tribunal de commerce de Thonon-Les-Bains pour obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 26.150,25 € au titre des factures impayées, outre intérêts capitalisés et pénalités de retard, ainsi qu'une somme de 2.500 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et une indemnité procédurale.
La société Léman Instruments s'est opposée aux demandes en invoquant des manquements de la société Baltec à ses obligations, notamment des pièces non conformes et des livraisons tardives ou incomplètes.
Par jugement contradictoire rendu le 7 août 2019, le tribunal de commerce de Thonon-Les-Bains a :
Vu la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises,
Vu l'article 1240 du code civil,
dit la société Baltec recevable et bien fondée,
condamné la société Léman Instruments à payer à la société Baltec la somme de 26.150,25 € au titre des factures impayées,
condamné la société Léman Instruments à payer à la société Baltec les pénalités de 0,05 % par jour de retard en application de l'article 5 du contrat de fourniture à compter de la mise en demeure du 26 mars 2018 et jusqu'au complet paiement,
ordonné l'anatocisme,
condamné la société Léman Instruments à payer à la société Baltec la somme de 2.500 € pour résistance abusive,
ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garanties,
rejeté toutes les demandes de la société Léman Instruments à l'encontre de la société Baltec,
condamné la société Léman Instruments à payer à la société Baltec la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la société Léman Instruments aux entiers dépens.
Par déclaration du 6 septembre 2019, la société Léman Instruments a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance rendue le27 août 2020, le conseiller de la mise en état, saisi par la société Baltec d'une demande de radiation de l'affaire sur le fondement de l'article 526 du code de procédure civile, a rejeté cette demande.
L'affaire a été clôturée à la date du 21 février 2022 et renvoyée à l'audience du 22 mars 2022, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 24 mai 2022.
Par conclusions notifiées le 2 décembre 2020, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Léman Instruments demande en dernier lieu à la cour de :
Vu les articles 1219 et 1231 du code civil,
réformer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
dire et juger que la société Baltec a manqué à ses obligations,
débouter la société Baltec de l'ensemble de ses demandes,
condamner la société Baltec à payer à la société Léman Instruments une indemnité de 30.000 € à titre de dommages et intérêts,
condamner la société Baltec à payer à la société Léman Instruments une indemnité de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la société Baltec aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions notifiées le 1er février 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Baltec demande en dernier lieu à la cour de :
Vu la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises,
Vu l'article 1240 du code civil,
confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
rejeter toutes les demandes de la société Léman Instruments à l'encontre de la société Baltec,
condamner la société Léman Instruments à payer à la société Baltec la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la société Léman Instruments aux entiers dépens.
Motivation
MOTIFS ET DÉCISION
La société Léman Instruments sollicite la réformation du jugement déféré sans toutefois formuler aucune critique de celui-ci et invoque nombre d'incidents dont la date est antérieure au contrat en cause en date du 18 juillet 2017 et qui sont en conséquence sans intérêt pour la solution du litige (incidents qui seraient survenus en 2016 et début 2017, sans aucun rapport avec les commandes dont la facturation est restée impayée).
D'une manière générale, la société Léman Instruments ne développe aucun moyen de droit au soutien de ses contestations, seuls les faits étant développés, avec en soutien des pièces intégralement produites en anglais et qui ne sont pas traduites, sauf, pour certaines d'entre elles, par extraits, seulement dans ses conclusions. Les contestations émises sont donc d'une analyse particulièrement difficile. L'appelante invoque essentiellement l'exception d'inexécution par la société Baltec de ses propres obligations pour s'opposer au paiement des factures émises.
C'est à juste titre que le tribunal a retenu que le contrat de fourniture qui lie les parties est soumis à la Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises, et non au droit français.
L'article 49 de cette Convention dispose que :
1) L'acheteur peut déclarer le contrat résolu :
a) Si l'inexécution par le vendeur de l'une quelconque des obligations résultant pour lui du contrat ou de la présente Convention constitue une contravention essentielle au contrat; ou
b) En cas de défaut de livraison, si le vendeur ne livre pas les marchandises dans le délai supplémentaire imparti par l'acheteur conformément au paragraphe 1 de l'article 47 ou s'il déclare qu'il ne les livrera pas dans le délai ainsi imparti.
2) Cependant, lorsque le vendeur a livré les marchandises, l'acheteur est déchu du droit de déclarer le contrat résolu s'il ne l'a pas fait:
a) En cas de livraison tardive, dans un délai raisonnable à partir du moment où il a su que la livraison avait été effectuée;
b) En cas de contravention autre que la livraison tardive, dans un délai raisonnable:
i) À partir du moment où il a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de cette contravention;
ii) Après l'expiration de tout délai supplémentaire imparti par l'acheteur conformément au paragraphe 1 de l'article 47 ou après que le vendeur a déclaré qu'il n'exécuterait pas ses obligations dans ce délai supplémentaire; ou
iii) Après l'expiration de tout délai supplémentaire indiqué par le vendeur conformément au paragraphe 2 de l'article 48 ou après que l'acheteur a déclaré qu'il n'accepterait pas l'exécution.
L'article 50 de la même Convention prévoit que, en cas de défaut de conformité des marchandises au contrat, que le prix ait été ou non déjà payé, l'acheteur peut réduire le prix proportionnellement à la différence entre la valeur que les marchandises effectivement livrées avaient au moment de la livraison et la valeur que des marchandises conformes auraient eue à ce moment. Cependant, si le vendeur répare tout manquement à ses obligations conformément à l'article 37 ou à l'article 48 I. Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises ou si l'acheteur refuse d'accepter l'exécution par le vendeur conformément à ces articles, l'acheteur ne peut réduire le prix.
Le contrat liant les parties (pièce n° 1 de la société Baltec et traduction) prévoit dans son article 9 qu'en cas de litiges, les parties doivent rechercher une solution amiable et, en cas d'échec, ils doivent être portés devant un tribunal lituanien à Kaunas et résolus conformément au droit lituanien.
Toutefois, la société Baltec n'invoque pas le droit lituanien et se fonde sur la Convention de Vienne pour faire écarter les contestations de la société Léman Instruments, comme retenu par le tribunal.
Il appartient à la société Léman Instruments de rapporter la preuve des inexécutions qu'elle invoque et d'avoir respecté les conditions posées par la Convention de Vienne précitée.
La société Léman Instruments invoque des non-conformités de certaines des pièces livrées.
L'article 7 du contrat prévoit qu'en cas de non-conformité, le client informe le fournisseur par écrit en définissant clairement les non-conformités aux dessins et en fournissant des photos de non-conformité lors que cela est possible.
La société Léman Instruments ne démontre pas que les non-conformités qu'elle allègue auraient été dénoncées à la société Baltec dans les conditions prévues par le contrat, les pièces produites étant pour l'essentiel inexploitables puisque non traduites en français. Elles ne démontre pas non plus qu'elles seraient imputables au fournisseur, alors qu'il apparaît que les dessins adressés par la société Léman Instruments étaient inexacts ou de qualité insuffisante pour permettre la fabrication conforme.
L'appelante n'a jamais refusé de prendre livraison des pièces, ni retourné celles-ci au fournisseur.
Au demeurant, pour la seule non-conformité admise, la société Baltec a accepté de refaire les pièces, alors même qu'il apparaît que la société Léman Instruments a reconnu elle-même que le dessin était inexact, et cause de la non-conformité. Le manquement du fournisseur n'est donc pas établi.
L'appelante invoque également des retards de livraison.
Toutefois, il apparaît que le retard de livraison de la commande du 13 août 2017 est lié à l'erreur de dessin relatée ci-dessus, de sorte que le retard allégué n'est pas imputable au fournisseur.
Aucun autre retard n'est établi étant rappelé que le contrat prévoit que les livraisons avec une précision de -7 à +3 jours sont considérées comme à temps.
Enfin l'appelante invoque des livraisons incomplètes.
La société Baltec admet que certaines livraisons ont été faites avec un nombre de pièces différent de celui de la commande, mais précise, sans être valablement contredite par la société Léman Instruments qui procède par affirmations, que les pièces manquantes n'ont pas été facturées, ce qui est confirmé par l'examen des factures. Au demeurant aucune livraison n'a été refusée au motif que le nombre de pièces livrées était incorrect.
En tout état de cause, la société Léman Instruments ne justifie d'aucun préjudice qu'elle aurait subi de ce fait, puisqu'elle ne produit aucun document qui justifierait qu'elle aurait perdu un client du fait de ces livraisons incomplètes. L'attestation de son expert-comptable ne cite en effet aucune perte de marché et le document établi par l'appelante elle-même (pièce n° 13) n'a aucun caractère probant, ni sur la réalité de la perte du client, ni surtout sur la cause de celle-ci et le lien éventuel avec les pièces fournies par la société Baltec.
L'intimée souligne à juste titre qu'elle a cessé de fournir les pièces à compter du mois de décembre 2017, faute de paiement, et que la prétendue perte d'une commande faite à la société Léman Instruments par un client en août 2018 ne peut à l'évidence avoir aucun lien avec le présent litige.
Il résulte de ce qui précède que les inexécutions alléguées par la société Léman Instruments ne sont pas fondées et ne peuvent justifier le non paiement des factures émises, ni les dommages et intérêts réclamés qui ont été rejetés à juste titre par le premier juge.
La société Léman Instruments n'a pas payé les factures dûment émises par la société Baltec conformément aux livraisons qui ont été faites en exécution du contrat, étant souligné qu'elle a, à plusieurs reprises, annoncé un paiement qui n'est jamais intervenu.
Le contrat prévoit dans son article 5 que les commandes doivent être payées dans les 30 jours à compter de la date de facturation et qu'en cas de retard le fournisseur est en droit d'exiger une pénalité de 0,05 % du montant impayé pour chaque jour de retard.
En conséquence, c'est à juste titre que le tribunal a fait droit à la demande de la société Baltec et le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Léman Instruments à payer la somme de 26.150,25 € outre les intérêts de retard tels que fixés au contrat.
Le tribunal a alloué à la société Baltec des dommages et intérêts pour résistance abusive. Toutefois, force est de constater que si la résistance abusive de la société Léman Instruments au paiement des sommes dues est établie, pour autant la société Baltec ne justifie pas avoir subi un préjudice distinct du seul retard dans le paiement de sa créance et déjà réparé par les intérêts conventionnels de retard.
Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef et la société Baltec sera déboutée de cette demande.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Baltec la totalité des frais exposés, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Léman Instruments, qui succombe en son appel, supportera les entiers dépens.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Thonon-Les-Bains le 7 août 2019, sauf en ce qu'il a condamné la société Léman Instruments à payer à la société Baltec CNC Technologies la somme de 2.500 € pour résistance abusive,
Infirme le jugement déféré de ce seul chef, et statuant à nouveau,
Déboute la société Baltec CNC Technologies de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,
Y ajoutant,
Condamne la société Léman Instruments à payer à la société Baltec CNC Technologies la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en appel,
Condamne la société Léman Instruments aux entiers dépens.
Ainsi prononcé publiquement le 24 mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Michel FICAGNA, Président et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, Le Président,