CA Paris, Pôle 1 ch. 5, 8 août 2025, n° 25/11843
PARIS
Ordonnance
Autre
PARTIES
Demandeur :
Comisa SPA (Sté)
Défendeur :
Comptoir Italien (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Ala
Avocats :
Me Guyonnet, SCP AFG, Me Piazzesi, SELARL Cabinet Piazzesi Avocats, Me Ribaut, Me Manin, SELARL Sophia Legal Société d'Avocats, Me Benmansour
Exposé du litige
Par acte du 6 octobre 2022, la société Comptoir italien a fait assigner la société de droit italien Comisa devant le tribunal de commerce d'Antibes afin de la voir condamnée à lui verser des sommes au titre de la résiliation du contrat sans préavis ainsi qu'au paiement d'une indemnité de fin de contrat.
Par jugement rendu le 16 mai 2025, le tribunal de commerce d'Antibes a :
- débouté la société Comisa de sa demande de se déclarer incompétent au profit du tribunal de Brascia en Italie,
- condamné la société Comisa à verser à la société Comptoir italien les sommes de :
- 11 407,08 euros en compensation de la rupture sans préavis du contrat avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- 136 997,36 euros au titre de l'indemnité de fin de contrat,
- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté les autres demandes,
- condamné la société Comisa aux dépens.
La société Comisa a interjeté appel de la décision le 4 juin 2025.
Par acte de commissaire de justice du 15 juillet 2025, la société Comisa a fait assigner la société Comptoir italien en référés devant le premier président de la cour d'appel de Paris afin de :
- dire qu'il existe des moyens sérieux de réformation du jugement,
- juger que l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives,
- arrêter l'exécution provisoire.
A titre subsidiaire, subordonner le maintien de l'exécution provisoire à la constitution par la société comptoir italien d'une garantie réelle ou personnelle suffisante pour répondre à toutes les restitutions ou réparations.
A titre infiniment subsidiaire, ordonner la consignation des sommes objet des condamnations.
Statuer sur les dépens.
Par écritures déposées le 5 août 2025, la société Comptoir italien demande :
- de se déclarer incompétent au profit du premier président de la cour d'appel d'Aix en Provence,
à titre subsidiaire de :
- débouter la société Comisa de toutes ses demandes,
- condamner la société Comisa à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter la charge des dépens qui pourront être recouvrés directement par Me Jean-Paul Manin, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Motifs
A titre liminaire, les parties s'accordent à reconnaître, qu'alors qu'elles ne se prévalaient pas des dispositions des articles L.442-1 II du code de commerce se rapportant à la rupture brutale d'une relation commerciale établie, le tribunal de commerce d'Antibes en a fait application.
- Sur la compétence de la présente juridiction pour connaître du présent litige
In limine litis, la société Comptoir italien soulève l'incompétence de la présente juridiction au profit du premier président de la cour d'appel d'Aix en Provence en soutenant, d'une part que le tribunal de commerce d'Antibes n'étant pas une juridiction spécialement désignée, l'appel contre le jugement ne relevait pas de la compétence de la cour d'appel de Paris, d'autre part, que même dans l'hypothèse où la décision aurait été rendue par une juridiction spécialisée, l'appel aurait dû être interjeté devant la cour d'appel d'Aix en Provence devant laquelle un appel est actuellement pendant.
La société Comisa réplique que la compétence du premier président dans le cadre de l'article 514-3 du code de procédure civile est uniquement liée à l'existence d'un appel pendant devant ladite cour - ce qui est le cas- et que la question soulevée par la partie adverse conduit à apprécier la recevabilité de l'appel qui ne relève pas du pouvoir juridictionnel de la présente juridiction.
Selon l'article 514-3 du code de procédure civile, en cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
Au cas présent, il a été précédemment rappelé qu'un appel était actuellement pendant devant la présente cour.
Au sens du texte précité, la possibilité de connaître d'une demande d'arrêt de l'exécution provisoire dépend de la seule existence d'un appel.
Les moyens développés au soutien de l'exception d'incompétence soulevée par la société Comptoir italien conduisent à apprécier la compétence de la compétence de la cour d'appel de Paris pour connaître du présent litige.
Or, il n'entre pas dans les pouvoirs de la présente juridiction de trancher cette question.
Il sera ajouté qu'en raison d'un appel pendant devant la présente cour, et nonobstant un appel pendant devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, au demeurant interjeté postérieurement, la présente juridiction ne peut pas se dessaisir au profit de celle d'Aix-en-Provence.
En conséquence, il convient de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société Comptoir italien.
- Sur la recevabilité de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire
La société Comptoir italien conclut au rejet de la demande en soutenant que les circonstances manifestement excessives invoquées par son adversaire tenant à sa situation financière sont antérieures au jugement dans la mesure où elle a publié ses comptes au mois de décembre 2024.
La société Comisa réplique qu'elle a eu connaissance de ces éléments postérieurement à la décision de première instance.
Selon l'article 514-3 du code de procédure civile, en cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d'observations sur l'exécution provisoire n'est recevable que si, outre l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation, l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.
Au cas présent, il ne ressort pas du jugement que la société Comisa, comparante et constituée en première instance, ait formulé, devant le premier juge, des observations quant à l'exécution provisoire.
En effet, si les conclusions sont uniquement visées par le tribunal et que lesdites conclusions ne sont pas produites aux débats par les parties, il ne ressort pas de la motivation du tribunal qu'il a été saisi d'une demande à ce titre étant ajouté qu'il n'est pas justifié d'une requête en omission de statuer.
Dès lors, il convient de considérer que la société Comisa n'a formulé aucune observation sur l'exécution provisoire devant le juge de première instance.
Pour ce qui est de l'existence de conséquences manifestement excessives, la société Comisa invoque une difficulté pour, en cas de réformation, obtenir le remboursement des sommes versées en raison de la situation financière de la société Comptoir italien en raison :
- de la baisse constante de son chiffre d'affaire depuis 2022,
- d'un chiffre d'affaire annuel proche du montant de la condamnation,
- d'un résultat net négatif en 2024 de 11 330 euros.
Ces éléments sont antérieurs à la décision qui a été rendue le 16 mai 2025.
En effet, il résulte des pièces produites que les documents comptables de la société Comptoir italien pour l'année 2024 ont été déposés le 3 décembre 2024.
Il apparaît dès lors que les conséquences manifestement excessives dont la société Comisa se prévaut ne se sont pas révélées postérieurement à la décision de première instance.
En application des dispositions combinées des articles 12 et 514-3 du code de procédure civile, il convient d'en conclure que la demande d'arrêt de l'exécution provisoire n'est pas mal fondée mais irrecevable.
- Sur la demande de constitution de garantie
A titre subsidiaire, la société Comisa demande que la société Comptoir italien constitue une garantie. A quoi cette dernière s'oppose.
Il convient d'abord de rappeler que le jugement dont appel étant assorti de l'exécution provisoire de plein droit, sont applicables les articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile et non les articles 517 et suivants, ces derniers étant relatifs à l'exécution provisoire facultative.
Selon l'article 514-5, le rejet de la demande tendant à voir écarter ou arrêter l'exécution provisoire de droit et le rétablissement de l'exécution provisoire de droit peuvent être subordonnés, à la demande d'une partie ou d'office, à la constitution d'une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations.
Si cette possibilité d'aménagement n'est pas subordonnée à la condition que l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives, cette question est nécessairement sous-jacente.
Au cas présent, il a été retenu que les éléments invoqués par la société Comisa au soutien de sa demande étaient antérieurs à la décision de première instance, il sera ajouté qu'elle ne les a pas fait valoir devant le premier juge.
Il n'y a dès lors pas lieu de demander à la société Comptoir italien de constituer une garantie.
La Comisa est déboutée de sa demande de constitution de garantie.
- Sur la demande de consignation
A titre infiniment subsidiaire, la société Comisa sollicite, sur le fondement de l'article 521 du code de procédure civile, que soit ordonnée la consignation des sommes.
La société Comptoir italien s'oppose à cette demande.
Selon l'article 521 du code de procédure civile, la partie condamnée au paiement de sommes autres que des aliments, des rentes indemnitaires ou des provisions peut éviter que l'exécution provisoire soit poursuivie en consignant, sur autorisation du juge, les espèces ou les valeurs suffisantes pour garantir, en principal, intérêts et frais, le montant de la condamnation.
L'application de ce texte n'exige pas que soit démontrée l'existence de conséquences manifestement excessives à l'exécution de la décision. La demande de consignation correspond le plus souvent à des craintes quant au recouvrement des sommes dues en cas d'infirmation de la décision.
Au cas présent, il sera fait droit à la demande de la société Comisa qui est autorisée à consigner sommes auxquelles elle a été condamnée auprès de la Caisse des dépôts et consignations jusqu'au terme de la procédure poursuivie devant la cour d'appel de Paris.
- Sur les autres demandes
La société Comptoir italien est déboutée de sa condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.
Par ces motifs
- Rejetons l'exception d'incompétence soulevée par la société Compoir italien,
- Déclarons irrecevable la demande de la société Comisa d'arrêt d'exécution provisoire du jugement rendu par le tribunal de commerce d'Antibes le 16 mai 2025,
- Déboutons la société Comisa de sa demande de constitution de garantie,
- Autorisons la société Comisa à consigner les sommes auxquelles elle a été condamnée au terme du jugement rendu par le tribunal de commerce d'Antibes le 16 mai 2025 auprès de la Caisse des dépôts et consignations, jusqu'au terme jusqu'au terme de la procédure poursuivie devant la cour d'appel de Paris,
- Déboutons la société Comptoir italien de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Disons que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.
ORDONNANCE rendue par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.