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Décisions

CA Paris, ch 5, 26 juin 2014, n° n° 12/15277

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

JEAN MARC PHILIPPE (SA)

Défendeur :

MARCO POLO MODA (SRL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

C. PERRIN

CA Paris n° n° 12/15277

25 juin 2014

FAITS ET PROCÉDURE

La société Jean Marc P., qui exerce une activité de confection est entrée en relation avec la société Marco Polo Moda ( la société Marco Polo) par l'intermédiaire de son agent à Paris, Mme A..

La société Marco Polo considérant avoir reçu une commande ferme de tissus de la société Jean Marc P. et soutenant les avoir fabriqués, a réclamé leur paiement à la société Jean Marc P. qui a opposé ne pas avoir passé de commande et a refusé de payer les factures.

Par acte du 5 septembre 2011, la société Marco Polo à fait assigner la société Jean Marc P. en paiement devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement rendu le 5 juin 2012, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la société Jean Marc P. à payer à la société Marco Polo la somme de 38 151 € en contrepartie de la mise à disposition des marchandises litigieuses augmentées des intérêts de retard au taux de la BCE + 10 points à compter de la date d'échéance des factures jusqu'au complet paiement ;

- condamné la société Jean Marc P. à payer à la société Marco Polo la somme de 3 000 € au titre de l' article > 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire, à charge pour la société Marco Polo de fournir une caution bancaire couvrant en cas d'exigibilité de leur remboursements éventuel toutes les sommes versées en exécution du présent jugement outre les intérêts éventuellement courus sur ces sommes ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires.

Vu l'appel interjeté le 9 août 2012 par la société Jean Marc P. contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées le 13 mars 2013 par la société Jean Marc P. et par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Jean Marc P. du jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 5 juin 2012 ;

- En conséquence, mettre à néant ledit jugement, et statuant à nouveau:

- constater que faute d'approbation des tirelles (tissus) de la concluante, aucun contrat de vente n'a pu être régularisé par les parties puisque aucun accord sur la marchandise n'est intervenu ;

- dire qu'aucune faute ne saurait être reprochée à la concluante';

- débouter en conséquence de toutes ses demandes, fins et conclusions, la société Marco Polo

Subsidiairement:

- si par impossible, la cour confirmait le caractère parfait de la vente, il lui serait alors demandé de prononcer la résolution de celle ci aux torts exclusifs de la société Marco Polo et de la condamner à payer à la concluante une somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts ;

A titre infiniment subsidiaire:

- suspendre le paiement de cette condamnation à la réception de la marchandise qui devait être envoyée en Tunisie';

En tout état de cause:

- condamner la société Marco Polo à payer à la concluante une somme de 10 000 € au titre de dommages intérêts pour procédure abusive;

- condamner la société Marco Polo à lui payer la somme de 8 000 € au titre de l' article > 700 du code de procédure civile.

La société Jean Marc P. soutient que si c'est à juste titre que le tribunal a fait application des dispositions de la convention > de Vienne > , il a toutefois à tort considéré qu'une vente était intervenue entre la société Marco Polo et elle, faute d'approbation des tirelles, ce qui était une condition essentielle, indispensable à la formation du contrat de vente.

Elle demande à la Cour, si elle retenait l'existence d'un contrat de vente, d'en prononcer la résolution aux torts de la société Marco Polo, ainsi que sa condamnation à lui verser 10 000 euros de dommages intérêts.

Elle fait enfin valoir que l'intention de nuire de l'intimée est établie et sollicite sa condamnation pour procédure abusive.

Vu les dernières conclusions signifiées le 14 > janvier 2013 par la société Marco Polo et par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- déclarer la vente parfaite et confirmer le jugement du 5 juin 2012 ;

- condamner la société Jean Marc P. à payer à la société Marco Polo la somme de 10 000 € au titre de l' article > 700 du code de procédure civile.

La société Marco Polo soutient qu'un contrat de vente a bien été conclu entre les parties, ainsi que le montre l'échange de courriers électroniques qu'elle produit aux débats et qui témoignent d'un accord sur la commande et les modalités de paiement. Elle oppose que la société Jean Marc P. ne saurait opposer la mauvaise qualité des échantillons, ce qu'elle n'a nullement prétendu lorsqu'elle les a reçus. Elle ajoute que M. Y. qui a confirmé son accord pour la commande, s'était présenté comme directeur de production, avait le pouvoir d'engager la société Jean Marc P. et qu'à tout le moins il bénéficiait d'un mandat apparent.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l' article > 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur le droit applicable

Les parties conviennent qu'en application de l' article > 4- a) du règlement CE 593/2008 du 17 juin 2008, la loi applicable est la loi italienne puisque la société vendeuse avait son siège social en Italie au moment où elle a reçu la commande.

Elles s'accordent aussi sur l'application en l'espèce des dispositions de la Convention > de Vienne > sur la vente internationale de marchandises du 11 avril 1980.

Sur la conclusion d'une vente entre les parties

En application de l' article > 14 > de la Convention > de Vienne > du 11 avril 1980, une proposition de conclure un contrat adressée à une ou plusieurs personnes déterminées constitue une offre si elle est suffisamment précise et si elle indique la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation. En outre, en application de la même disposition, une proposition est suffisamment précise lorsqu'elle désigne les marchandises et expressément ou implicitement, fixe la quantité et le prix, ou donne des indications permettant de les déterminer. Enfin, l' article > 18-1 énonce qu'une déclaration ou autre comportement du destinataire indiquant qu'il acquiesce à une offre constitue une acceptation.

La société Marco Polo Moda soutient que l'offre de conclure a été matérialisée par l'envoi par son agent, Mme A., d'un courrier électronique daté du 10 mai 2011 détaillant la commande et que cette offre a été acceptée par M. Y. le même jour, puis que M. P., dirigeant de la société Jean Marc P., a confirmé les modalités de paiement le même jour. Cette présentation des faits ne correspond toutefois pas à la réalité des échanges.

En effet, si M. Y. a bien adressé le 11 mai 2011 à Mme A. un courrier électronique indiquant «'Bon pour accord la commande ci jointe (sic) merci de me tenir au courant du départ. Je compte sur vous pour me livrer très rapidement'» ces termes ne peuvent avoir exprimé l'acceptation d'une offre de la société Marco Polo Moda, dans la mesure où aucune pièce du dossier ne permet de vérifier que l'offre à laquelle il est fait référence désignait les marchandises concernées, leur quantité et leur prix.

De plus, ce message n'a manifestement pas été compris comme un accord par la société Marco Polo Moda, puisque quelques minutes plus tard, Mme A. adressait à M. P. un message détaillant trois types de tissus, sous lesquels étaient inscrits, face à l'énoncé de quatre couleurs, les longueurs en mètre. Au dessus de cette liste figurait la mention «'Merci de m'envoyer votre confirmation'». Par ailleurs, ce message non plus ne comportait aucune précision de prix.

Il ressort des courriers électroniques échangés ensuite entre les parties qu'une négociation s'est déroulée entre elles. Ainsi par un message du 13 mai à 9H10, Mme A. a précisé que la société Marco Polo Moda était d'accord pour envoyer la marchandise en Tunisie, mais elle précisait dans la même phrase «'Mais nous désirons envoyer 1 MT [1 mètre] de chaque article > /coloris pour votre approbation à Paris avant expédition'». Elle indiquait aussi «'(') Pour le paiement, étant donné que c'est une première commande MPM vous demande 70 % avec 4 % escompte avant expédition et 30% à 60 jours. J'espère que vous serez d'accord avec tout cela. (') J'attends votre approbation avant de vous envoyer la confirmation (...)'». Une heure plus tard, à 10H27, M. P. lui répondait «'OK pour tout sauf je vous demande 40 pour cent avant expédition et 60 pour cent à 60 jours, afin de bien vérifier la conformité de la marchandise cela me paraît correct'» (sic). Après deux échanges,

qui seront invoqués ultérieurement, le 9 juin 2011, Mme A. écrivait à M. P. «'Vous devriez recevoir aujourd'hui les tirelles des trois qualités des coloris rouge et prune. Mardi/mercredi vous recevrez le gris et le noir (') Merci de m'envoyer votre approbation.'». Le 11 juin, elle lui demandait à nouveau son approbation des tirelles, et le 15 elle indiquait «'Je n'ai toujours pas de réponse en ce qui concerne l'approbation des tirelles, les dernières vous ont été envoyées hier'». Cet échange démontre clairement que tant Mme A., que M. P., représentant les sociétés parties au litige, considéraient tous deux que l'accord n'était pas conclu tant que M. P. n'avait pas approuvé les tirelles. Cet envoi d'exemplaires serait d'ailleurs totalement dépourvu de sens, si la vente avait été passée indépendamment de leur approbation.

Dans ces conditions, le message de M. Y. qui n'était pas décideur pour la société Jean Marc P., ce que savait manifestement Mme A., selon lequel il donnait un accord à la commande et demandait une livraison rapide, n'a pas pu constituer un accord scellant la vente. Il en est de même du message par lequel le 18 mai 2011, soit avant l'entrée en pourparlers, décrits ci dessus, il a transmis l'adresse de facturation et de livraison.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement qui a jugé de manière infondée que la vente était conclue entre les parties et qui a condamné la société Jean Marc P. à payer les factures de la société Marco Polo Moda.

Sur la demande de condamnation de la société Marco Polo Moda à payer des dommages intérêts pour procédure abusive

Le fait de se méprendre sur l'étendue de ses droits ne peut constituer un abus. Si dans un courrier électronique Mme A. a fait mention d'une «'hargne'» à obtenir le paiement des factures, la lecture de ce message permet de constater que ce terme a été utilisé dans le sens de l'entêtement ou de l'acharnement, plutôt que de l'expression d'une agressivité particulière. Son caractère excessif trouve son explication dans le paragraphe suivant, dans lequel Mme A. explique qu'elle risque de perdre son travail si le fabricant la société Marco Polo Moda ne peut se faire payer les marchandises.

Il n'est donc pas démontré que la société Marco Polo Moda aurait agi avec malignité ou avec une mauvaise foi excédant la défense de ses droits et la demande de dommages intérêts de la société Jean Marc P. sera rejetée.

Sur les frais irrépétibles

Compte tenu de l'ensemble des éléments de la cause, il est justifié de ne pas laisser à la charge de la société Jean Marc P. l'intégralité de la charge des frais exposés par elle pour faire valoir ses droits et non compris dans les dépens. La société Marco Polo Moda sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 6 000 euros en application de l' article > 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

DIT qu'aucune vente n'a été conclue entre la société Marco Polo Moda et la société Jean Marc P. ;

REJETTE la demande en paiement de la société Marco Polo Moda ;

REJETTE la demande de dommages intérêts de la société Jean Marc P. pour procédure abusive ;

CONDAMNE la société Marco Polo Moda à verser à la société Jean Marc P. la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l' article > 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toutes demandes autres, plus amples ou contraires des parties ;

CONDAMNE la société Marco Polo Moda aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions énoncées par l' article 699 du code de procédure civile.

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