CA Grenoble, 26 avril 1995, n° 93/1613
GRENOBLE
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Société E. Ambrosio
Défendeur :
Entreprise Alain Veyron
Attendu que le 21 novembre 1989 a été conclu entre la société AMBROSIO, établie en Italie,
et M. Alain VEYRON, domicilié en France, un contrat de collaboration commerciale faisant de
ce dernier le représentant et l'importateur exclusif pour la France des confiseries de
marque AMBROSIO;
Que le contrat prévoit, d'une part, la vente par M. VEYRON des produits AMBROSIO, d'autre
part, la représentation de ces produits moyennant une commission de 3% sur les ventes
payées et une garantie de paiement de 50% de la valeur des marchandises acquises;
Que la société AMBROSIO a rompu le 21 novembre 1990 l'accord de collaboration
commerciale avec effet rétroactif au 1er octobre 1990;
Attendu qu'il résulte des pièces produites et des constatations faites par le jugement déféré
que l'activité de négoce a généré pour M. VEYRQN une marge commerciale de 170.819 F, sur
l'exercice s'étendant du 1er décembre 1989 au 30 novembre 1990, et que l'activité de
représentation lui a rapporté 59.073 F, à titre de commission pour la même période;
Attendu que M. VEYRON conclut ainsi qu'il suit:
- faire droit à l'appel de Monsieur VEYRON et réformer le jugement,
- débouter la société AMBROSIO,
- accueillir la demande reconventionnelle de M. VEYRON,
- constater que la société AMBROSIO a violé ses obligations contractuelles relatives à
l'exclusivité territoriale dont bénéficiait M. VEYRON, victime par ailleurs de pratiques
discriminatoires,
- fixer à 400.000 F le préjudice subi de ce fait par M. VEYRON,
- constater encore que la société AMBROSIO a rompu ses relations commerciales avec
M. VEYRON sans respecter le préavis d'usage et fixer à 500.000 F le préjudice subi de ce
fait par M. VEYRON,
condamner, par voie de conséquence, la société AMBROSIO à payer à M. VEYRON, la
somme de 900.000 F,
- la condamner encore à payer 10.000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de
procédure civile et en tous les dépens de première instance et d'appel et autoriser la
SCP d'Avoués GRIMAUD à les recouvrer directement contre elle;
Qu'il fait valoir, en substance, dans des conclusions en réponse du 27 janvier 1994, que la
société AMBROSIO entretient encore des relations commerciales importantes avec
groupement de grossistes alors qu'il a été le seul à faire connaître son produit;
Attendu que la société AMBROSIO conclut ainsi qu'il suit
- condamner M. VEYRON au paiement de la facture de 670.384,29 F avec intérêts de droit
à compter du 23 mai 1991,
- condamner en outre M. VEYRON à verser la somme de 500.000 F à titre de préjudices
annexes et de dommages-intérêts au bénéfice de la société AMBROSIO,
- condamner M. VEYRON en tous les dépens et sur le fondement de l'article 700 du Nouveau
Code de Procédure Civile à verser la somme de 7.000 F.
Qu'elle fait valoir qu'il n'y a pas eu de sa part brusque rupture mais rupture légitime pour
défaut manifeste de paiement;
Sur ce:
Attendu sur le droit applicable, que le contrat de collaboration commerciale conclut entre les
parties comprend une partie vente et une partie représentation;
Que la partie vente est régie par la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de
vente initiale de marchandises pour avoir été conclue entre un vendeur et un acheteur établis
respectivement en Italie et en France, Etats parties à la Convention (article premier, 1, a);
Que la partie représentation est, en application de la Convention de la Haye 14 mars 1978 sur
la loi applicable aux contrats d'intermédiaire et à la représentation, régie par loi française pour
être «la loi interne de l'Etat dans lequel, au moment de la formation du rapport de
représentation, l'intermédiaire à son établissement professionnel ou, à défaut, sa résidence
habituelle» (article 6);
Attendu que, par lettre du 28 mars 1995, les parties ont été informées de l'applicabilité de la
Convention de Vienne à la partie de leurs rapports relevant du droit de la vente et de la loi
française pour la partie de leurs rapports relevant du droit de la représentation; qu'elle ont
été invitées à faire connaître avant le 13 avril 1995 si elles entendaient conclure sur ces points;
Qu'il leur a été précisé que leur silence serait interprété comme une renonciation à conclure;
Attendu que la société AMBROSIO a fait connaître, par lettre du 10 avril 1995 que les
Conventions de Vienne et de La Haye pouvaient recevoir application;
Qu'à la date du 19 avril 1995, M. VEYRON n'a pas connaître sa réponse;
Que la Cour déduit de son silence une renonciation à conclure;
Attendu, sur une éventuelle responsabilité de la Société AMBROSIO dans l'exercice de la
rupture notifiée le 21 novembre 1990, au regard de la partie vente du contrat de collaboration
commerciale, que l'article 8 du contrat de collaboration commerciale stipule ceci:
«Le présent accord-contrat est susceptible de révocation de la part de la
Société AMBROSIO sans possibilité d'opposition de votre part.
Dans un tel cas, l'entreprise AMBROSIO n'est tenue de verser aucune somme, à
quelque titre que ce soit et les relations sont automatiquement dénoncées.»
Qu'une telle stipulation n'est pas prohibée par la Convention de Vienne et que les parties
peuvent librement convenir dans des rapports suivis de vente que le vendeur pourra refuser
de poursuivre la relation dès lors qu'il ne remet pas en cause l'exécution d'un contrat de vente
précédemment conclu; qu'il n'est pas allégué que la décision de rupture des relations
annoncée par la société AMBROSIO le 21 novembre 1990 avec effet au 1er octobre 1990 se
soit traduite par un refus d'exécution ou une exécution incomplète d'une commande
précédemment passée;
Qu'aucune faute n'est donc imputable à la Société AMBROSIO dans la rupture de la partie
vente du contrat collaboration commerciale.
Attendu sur une éventuelle responsabilité de la société AMBROSIO dans la rupture de la partie
représentation du contrat de collaboration commerciale, que la rupture est intervenue alors
que la profession d'argent était régie par le décret du 23 décembre 1958;
Que l'article 3 de ce texte prévoit une indemnité pour l'argent, nonobstant toute clause
contraire, en cas de résiliation par le mandant, «si elle n'est pas justifiée par une faute du
mandataire»;
Mais que dans les relations entre la société AMROSIO et M. VEYRON, la partie représentation
n'est pas l'activité principale;
Que M. VEYON a, en effet, retiré un revenu trois fois supérieurs de son activité de négoce
comme acheteur et revendeur;
Que les relations se sont nouées et défaites entre les parties alors que la Directive
communautaire du 18 décembre 1986 sur les agents commerciaux qui a été à l'origine de la
loi française du 25 juin 1991 étaient déjà publiée au journal Officiel des Communautés
Européennes;
Que l'arrêt C 91/92 du 14 juillet 1994 de la Cour de Justice prescrit aux Juges des Etats
membres «en appliquant le droit national, qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou
postérieures à la directive ... (de) ..., l'interpréter ... dans toute la mesure du possible à la
lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se
conformer ainsi à l'article 189, troisième alinéa du Traité»;
Qu'il s'ensuit, que dans le cas d'espèce, la clause de rupture sans indemnité, convenue entre
les parties pour une activité principale de vente où elle est valable, produit également effet
pour les rapports de représentation conformément aux dispositions de l'article 2 de la
Directive du 18 décembre 1986 reprises dans l'article 15 de la Loi du 25 juin 1991;
Attendu, au surplus que le non paiement par M. VEYRON à la société AMBROSIO des sommes
qu'il recevait des clients, jusqu'à atteindre 670.384,29 F, est constitutif d'une faute de nature
justifier la résiliation du contrat d'agent commercial par le mandant;
Attendu, en conséquence, que le jugement doit être réformé en ce qu'il a condamné la
société AMBROSIO à payer à M. VEYRON une indemnité de préavis et une indemnité de
clientèle contrairement à la loi des parties; que M. VEYRON doit également être débouté de
sa demande de 500.000 F à titre de dommages-intérêts fondée sur une rupture sans préavis;
Attendu, sur la somme de 400.000 F demandée par M. VEYRON à titre de dommages-intérêts
pour méconnaissance de la clause d'exclusivité et pratiques discriminatoires, qu'il fait valoir
que la société AMBROSIO avait
- d'une part, approvisionné la société DJ FRANCE, qui le 20 novembre 1990, jour de la
rupture, avait déjà diffusé un catalogue des tarifs avec la mention «l'offre est valable à
compter du 20 novembre 1990»,
- d'autre part, pris directement des commandes auprès de clients établis en France;
Que l'article 8 du contrat de collaboration commerciale qui autorise la rupture a l'initiative de
la société AMBROSIO ne stipule pas une possible rétroactivité;
Que la société AMBROSIO méconnaît donc l'exclusivité de l'accord de collaboration
commerciale en concluant avec des tiers des contrats de même nature que ceux visés par
l'accord, s'ils produisent effet avant sa révocation;
Que M. VEYRON produit une facture d'un montant de 34.910 F, adressée le 14 novembre
1990, aux Etablissements BENASSAR de Chasse sur Rhone précisant que le transport des
marchandises a commencé, à Naples, le 14 novembre 1990 à 15 H 45;
Qu'il est donc certain que les marchandises sont parvenues à leur destinataire en France avant
le 30 novembre;
Que M. VEYRON produit également un document présentant les produits AMBROSIO diffusé
sur le territoire français par DJ FRANCE SA, au moins, dès le 20 novembre 1990 puisque les
pris indiqués courent de cette date;
Que M. VEYRON a ainsi établi que la Société AMBROSIO avait, à deux reprises, avec deux
personnes différentes, méconnu l'obligation d'exclusivité qu'elle avait souscrite; que la
concentration des fautes contractuelles dans le mois précédent la rupture conduit la Cour à
fixer à 50.000 F les dommages-intérêts dûs a M. VEYRON;
Attendu, sur la réfaction du pris de facturation par la société AMBROSIO;
Que M. VEYRON se fonde dans ses cotes de plaidoirie, sur l'article 55 de la Convention de
Vienne pour faire valoir qu'en cas de prix indéterminé, les parties sont réputées, sauf
indications contraires, s'être tacitement référées au prix habituellement pratiqués au moment
de la conclusion du contrat dans la branche commerciale considérée pour les mêmes
marchandises vendues dans des circonstances comparables; qu'il indique que son successeur,
la société DJ FRANCE, a bénéficié de prix inférieurs de 8%, en moyenne; qu'il demande à la
Cour de réduire la demande de la société AMBROSIO de 317.354,16 F;
Mais que la référence faite par l'article 55 de la Convention de Vienne au prix du marché pour
autant que cet article soit applicable en la cause-cède devant un accord contraire des parties
comme l'ensemble des dispositions de la Convention de Vienne à l'exception de l'article 12
(article 6);
Et que les protestations émises par M. VEYRON lors d'une augmentation de tarifs intervenue
le 1
er octobre 1990 au lieu du 1er janvier 1991, ne remettaient pas en cause le contrat de vente
lui-même, qu'elles exprimaient des doléances générales sur les relations d'affaires des parties
et sur les difficultés face à la concurrence;
Qu'au vu de la prise de livraison des marchandises commandées par M. VEYRON, sans qu'il
remette en cause de façon précise leur prix de vente, la société AMBROSIO a pu,
conformément à l'article 8, paragraphes 2 et 3 de la Convention de Vienne, interpréter le
comportement de M. VEYRON comme une indication d'acceptation du tarif, que le moyen, au
surplus non soutenu dans les conclusions, doit donc être rejeté;
Que M. VEYRON doit donc être condamné a payer à la société AMBROSIO la somme de
670.384,29 F correspondant à des comptes non critiquées dès lors que la demande de
réfaction du prix par diminution de 8 % a été rejetée;
Attendu, sur la somme de 500.000 F demandée par la société AMBROSIO à titre de
dommages-intérêts, qu'elle n'indique pas le fondement juridique de sa demande et n'en
justifie pas le montant; Que la demande doit donc être rejetée;
Attendu, sur les sommes réclamées par les parties au titre de l'article 700 du nouveau code
de procédure civile, que M. VEYRON succombe en son appel; qu'il doit donc être condamné a
payer à la société AMBROSIO la somme de 7.000 F,
Par ces Motifs
La Cour:
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, après délibéré conformément à la loi,
REFORME le jugement déféré;
CONDAMNE M. VEYRON à payer à la société AMBROSIO la somme de 670.384,29 F;
CONDAMNE la société AMBROSIO à payer à M. VEYRON la somme de 50.000 F à titre de
dommages-intérêts pour méconnaissance de la clause d'exclusivité;
COMPENSE les deux sommes;
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes au fond;
CONDAMNE M. VEYRON à payer a la société AMBROSIO la somme de 7.000 F au titre de
l'article 700 du Nouveau code de procédure civile;
LE CONDAMNE aux dépens dont distraction au profit de la SCP d'Avoués PERRET &
POUGNAND conformément à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.