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Décisions

CA Paris, 7 octobre 2009, n° 2007/09836

PARIS

Arrêt

Infirmation

T. com. Bobigny, du 11 sept. 2003.

11 septembre 2003

[…]

Vu le jugement rendu le 11 septembre 2003 par le tribunal de commerce de Bobigny qui a:

- dit n’y avoir lieu à extension de la mission de l’expert,

- homologué le rapport déposé le 15 octobre 2001, augmenté du rapport complémentaire au rapport final d’expertise déposé le 31 décembre 2001,

- reçu D[. ] en sa demande principale et, y faisant partiellement droit,

- condamné S[...] à payer à D[. ] la somme de 862.491 €, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 1999,

- condamné S[...] à rembourser à D[. ] les frais d’expertise,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- ordonné l’exécution provisoire,

- condamné S[. ] aux dépens et au paiement de la somme de 30.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile;

Vu l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 25 février 2005 qui, statuant sur l’appel principal de la société S[...] et l’appel incident de la société D[. ], a:

- infirmé le jugement,

- statuant à nouveau, déclaré la société D[. ] irrecevable en toutes ses demandes,

- condamné la société D[...] à payer la somme de 9.000 € à la société S[. ] par application de l’article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société D[. ] aux dépens de première instance et d’appel;

Vu le pourvoi formé par la société D[...] et l’arrêt rendu le 13 février 2007 par la Cour de Cassation qui a cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt de la cour d’appel de Paris du

25 février 2005, en renvoyant la cause et les parties devant la même cour autrement composée, aux motifs:

- que pour déclarer irrecevables toutes les demandes de la société D[...], à raison tant des clauses de limitation de la durée de la garantie que des stipulations d’exonération de responsabilité, l’arrêt a retenu que, par application de la Convention de Vienne, ces clauses contractuelles sont valables entre professionnels, ce que ne contredit pas utilement la société D[...] qui se borne à exciper des dispositions et de la jurisprudence en droit français,

- qu’en statuant ainsi, alors que la Convention de Vienne régit exclusivement la formation du contrat de vente et les droits et obligations qu’un tel contrat fait naître entre le vendeur et l’acheteur mais ne concerne pas la validité du contrat ni d’aucune de ses clauses, la cour d’appel a violé l’article 4 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises;

Vu la déclaration de saisine de la Cour d’appel de Paris du 23 mai 2007 à la requête de la société S[. ];

Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 29 mai 2009 par la société S[...] qui demande à la cour, au visa des articles 122 et 564 du code de procédure civile, de la Convention de Vienne du 11 avril 1980, des accords des parties, ainsi que des articles 4, 1315, 1615, 1149, 1150 et suivants du code civil, de réformer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de:

1)

à titre principal:

- constater l’application de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 aux relations contractuelles entre les parties,

- constater l’application de la clause de garantie contractuelle d’un an au litige,

- constater que la demande de D[. ] a été formulée après l’expiration du délai de garantie des cartes mères à l’origine du litige,

- dire que la demande de D[. ] est dès lors forclose,

- déclarer les demandes de D[. ] irrecevables,

2)

à titre subsidiaire:

- constater l’application de la clause exonératoire de responsabilité contenue dans les documents contractuels,

- dire que cette clause exonératoire est opposable à D[...] et que S[. ] n’engage pas sa responsabilité contractuelle en application de cette clause,

- déclarer D[...] irrecevable et en tout cas mal fondée et la débouter de toutes ses de- mandes,

3)

à titre plus subsidiaire:

- dire que S[...] n’a commis aucune faute à l’égard de D[...] tant au titre du défaut de conformité que du défaut de conseil allégué,

- constater que les cartes mères livrées par S[...] n’étaient pas affectées d’un défaut de conformité,

- constater que les limites de tolérance des cartes mères n’ont jamais été atteintes par les configurations mises en place par D[...] et qu’en conséquence un conseil sur cette question était inopérant et inutile,

- dire en tout état de cause que S[...] n’était tenu d’aucune obligation de conseil sur les tolérances de la carte mère à l’égard de D[...],

- déclarer les demandes de D[...] à hauteur de 2.926.530 € et notamment la demande au

titre du préjudice d’image irrecevables comme nouvelles en cause d’appel,

- constater que D[...] ne démontre pas avoir subi un préjudice réel, certain et direct, que sa demande d’indemnisation est forfaitaire et qu’elle n’est fondée que sur des pertes, soit non démontrées, soit seulement estimées et jamais réalisées à ce jour,

- en conséquence, dire que S[...] n’engage pas sa responsabilité et débouter D[...] de toutes ses demandes,

4)

à titre infiniment subsidiaire: ordonner la désignation d’un expert afin de déterminer la cause des brûlures constatées sur les connecteurs d’alimentation des 21 ou 144 cartes mères S[...] à l’origine du présent litige,

5)

en tout état de cause:

- condamner D[...] à payer à S[...] la somme de 150.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

- condamner D[...] aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris ceux de l’arrêt cassé;

Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 5 juin 2009 par la société D[...] et   

M° B[. ], ès qualités de commissaire à l’exécution du plan de continuation de cette société,

qui demandent à la cour, au visa des articles 4, 7, 8, 18, 25, 29, 35, 40, 45 et 74 de la Convention de Vienne, des dispositions du code civil, ainsi que du rapport d’expertise judiciaire du 15 octobre 2001 et du rapport complémentaire du 31 décembre 2001, de:

- constater qu’en livrant entre mai 1996 et décembre 1997 des cartes mères Super P6DNF et P6DNE munies d’un seul connecteur d’alimentation qui se sont révélées défectueuses, S[...] a manqué à ses obligations de délivrance conforme, d’information et de conseil à l’égard de D[...],

- dire que S[...] connaissait le défaut de conformité à l’origine du litige et qu’elle n’est pas fondée à invoquer quelque déchéance que ce soit à l’encontre de D[...] qui demeure rece- vable à se prévaloir dudit défaut en application de l’article 40 de la Convention de Vienne, dans les conditions dans lesquelles elle l’a fait,

- dire que la garantie «pièces et main d’oeuvre» d’un an accordée par S[...] à ses clients, dont D[...], ne constitue pas une garantie de nature à priver l’acheteur du délai de deux ans institué par l’article 39 paragraphe 2 de la Convention de Vienne et pas davantage du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité résultant d’un vice grave de conception,

- en tout état de cause, dire que le délai d’une année n’était pas expiré relativement à 380 des 445 cartes mères défectueuses livrées,

- dire que la prétendue clause exonératoire de responsabilité figurant dans le manuel d’exploitation livré avec chaque carte mère n’a ni la portée, ni l’effet allégué par S[...] et, en tout état de cause, n’est pas opposable comme n’ayant jamais été acceptée par D[...],

- dire, pour le cas où cette clause d’exonération aurait la portée alléguée par S[...], qu’elle est invalide par application du droit national applicable,

- confirmer le jugement en ce qu’il a estimé que S[...] avait engagé sa responsabilité à l’égard de D[...],

- rejeter l’ensemble des demandes de S[...],

- infirmer le jugement pour le surplus,

- statuant à nouveau sur le préjudice, condamner S[...] à payer à D[...] la somme globale de 8.772.400 €, à titre de dommages-intérêts, pour le préjudice commercial, financier et d’image subi du fait des manquements à ses obligations de délivrance conforme, de con- seil et d’information, outre les intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 1999, date de la mise en oeuvre de la procédure tendant à réparation et jusqu’à parfait paiement,

- ordonner la capitalisation des intérêts par application de l’article 1154 du code civil,

- condamner S[...] à payer à D[...] la somme de 100.000 € pour résistance abusive et dilatoire à l’exécution du jugement du 11 septembre 2003,

- condamner S[...] au paiement de la somme de 150.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles exposés en première instance, au cours des expertises et en appel,

- condamner S[...] aux dépens de première instance et d’appel, y compris les frais d’expertise;

Sur ce la Cour

Considérant que la société de droit français D[...], qui a lancé en 1993 une activité d’assemblage et de vente directe d’ordinateurs, de stations de travail et de serveurs sous la marque Carri systems, a acheté à la société de droit américain S[. ] 435 cartes mères de mai 1996 à avril 1997, ainsi que 10 autre cartes en décembre 1997; que ces cartes de type P6 DNE /DNF, de type Rev 1, dotées d’un connecteur unique, étaient destinées par l’acquéreur à être instal- lées sur les stations de travail et serveurs qu’elle fabriquait;

Considérant que le 12 janvier 1999, la société D[...], se plaignant de brûlures du connecteur d’alimentation des cartes mères a fait assigner la société S[...] en référé expertise; que M. D[. ], désigné en qualité d’expert par ordonnance du 16 février 1999, a déposé son rapport le 15 octobre 2001; qu’à la demande du juge chargé du contrôle de l’expertise, il a déposé un rapport complémentaire le 31 décembre 2001;

Considérant que sur l’assignation au fond ensuite délivrée par la société D[...], le tribunal de commerce de Bobigny, par jugement du 11 septembre 2003, a rejeté la demande de la société S[...] tendant à l’extension de la mission de l’expert et a condamné la société S[. ] au paiement de la somme de 862.491 €, à titre de dommages-intérêts;

1)

Considérant que la société S[...], appelante, soulève en premier lieu l’irrecevabilité des de- mandes de la société D[. ] comme formulées après expiration du délai de garantie; qu’elle fait

valoir que les documents contractuels et notamment toutes les factures remises lors de la livraison des cartes mères prévoient un délai de garantie réduit à un an, pièces et main d’oeuvre seulement; qu’elle ajoute que cette clause restrictive de garantie était connue et acceptée par la société D[...] lors des commandes et des livraisons; qu’elle expose que les cartes mères ont été vendues entre le 21 mai 1996 et le 22 avril 1997, à l’exception des 10 vendues le 1er décembre 1997 qui ne figurent pas parmi celles dont les connecteurs auraient brûlés et que les réclamations sont intervenues d’octobre 1998 à mai 1999 alors que les matériels n’étaient plus sous garantie;

Que la société S[...] expose que l’article 39-2 de la Convention de Vienne permet aux parties  

d’aménager et de réduire la durée de la garantie contractuelle fixée à 2 ans par l’article 40 de la Convention; qu’elle soutient que la Convention de Vienne ne crée pas un système de garan- tie légale «stricto sensu», mais organise une garantie conventionnelle supplétive de l’accord des parties, garantie qui ne s’applique qu’à défaut d’accord de dispositions contractuelles autres convenues entre les parties; qu’elle conteste avoir eu connaissance d’un défaut de con- formité affectant les cartes mères et préexistant à leur vente, déniant ainsi à la société D[. ] la possibilité de se prévaloir de l’article 40 de la Convention de Vienne;

Considérant que la société D[...] réplique:

- que la société S[. ] était informée du défaut de conformité des cartes mères dès mars

1996 et de la solution requise pour y porter remède, qu’en tout état de cause, en sa qualité de fabricant des cartes mères, elle ne pouvait ignorer le défaut de conformité, qu’elle a continué à vendre les cartes mères malgré la connaissance de leur défaut de conformité et que, par application de l’article 40 de la Convention de Vienne, elle ne peut opposer à la société D[. ] la déchéance du droit de se prévaloir du défaut de conformité des cartes mères livrées entre mai 1996 et décembre 1997,

- qu’une garantie «pièces et main d’oeuvre» n’a pas pour objet ni pour vocation d’exclure la responsabilité du fabricant pour vices cachés, en particulier vices de conception, que cette garantie joue automatiquement sauf pour le vendeur à démontrer une cause étran- gère exonératoire, que cette garantie et la garantie légale sont complémentaires et que le simple fait d’insérer une garantie expresse dans le contrat n’exclut pas les obligations énoncées à l’article 36-2 de la Convention de Vienne,

- que la société D[. ] a fait connaître le problème découlant de la non conformité par «retour autorisé» le 5 septembre 1997 et que, à cette date, 380 des 445 cartes mères avaient été facturées depuis moins d’un an,

- que la limitation à une année d’une garantie «pièces et main d’oeuvre» qui s’étendrait aux vices cachés et défauts de conception ne serait pas valable, s’agissant de relations entre professionnels de spécialité différente, comme portant atteinte à l’obligation essentielle du contrat et privant celui-ci de tout intérêt pour le cocontractant, dès lors que le défaut de conception se révélerait postérieurement à l’expiration du délai d’un an; Considérant qu’il ressort des pièces versées aux débats:

- que les cartes mères ont été livrées entre mai 1996 et décembre 1997; que dès le 9 septembre 1997, usant du formulaire RMA «Return merchandise authorization form», la société D[...] a fait retour à la société S[. ] de quatre cartes mères dont le connecteur avait brûlé; que de la même façon, elle lui retourné cinq autres cartes en janvier 1998; que par courriel du 14 octobre 1998, les connecteurs de plusieurs autres cartes- mères ayant brû- lés, la société D[...] a alerté à nouveau la société S[. ] et lui a demandé de trouver une solution;

- que par courriel du 15 octobre 1996, la société S[...] a répondu à la société D[. ], notamment, que les connecteurs du bloc d’alimentation et le connecteur d’alimentation J20 de la carte mère étaient des standards de l’industrie qui ne peuvent supporter que 15 am- pères en continu sans surchauffer et générer les problèmes qu’elle rencontrait, que le problème venait du fait que le système de connexion du standard AT n’utilise qu’une seule face de contact, ce qui limite la surface de contact et en retour limite les propriétés de conductivité, que c’est pour cela que S[. ] avait ajouté J208 et J21sur la carte mère, «J208

étant un connecteur d’alimentation + 5 volts additionnel , lequel utilisé en conjonction avec P8-P9 augmente la puissance d’alimentation 5 volts de 75%»; que dans ce courriel, la société S[...] préconisait la mise en place d’un connecteur de 5 volts additionnel et préci- sait: «l’information que nous vous avons donnée est celle que nous avons découverte dans des cas similaires aux vôtres»;

Considérant que l’article 39-2 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de  

vente internationale de marchandises dispose: «Dans tous les cas, l’acheteur est déchu du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité s’il ne le dénonce pas au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises, à moins que ce délai ne soit incompatible avec la durée d’une garantie contrac- tuelle»; que l’article 40 prévoit que le vendeur ne peut se prévaloir des dispositions de l’ar- ticle 39 lorsque le défaut de conformité porte sur des faits qu’il connaissait ou ne pouvait ignorer et qu’il n’a pas révélé à l’acheteur;

Considérant que le délai de deux ans de l’article 39-2 de la Convention de Vienne n’est pas incompatible avec la durée annuelle de la garantie contractuelle «pièces et main d’oeuvre»; qu’en effet cette garantie contractuelle, qui n’exige pas pour sa mise en oeuvre une non con- formité et qui n’exclut pas tout recours de l’acquéreur pour non conformité à son expiration, ne peut avoir pour effet de priver l’acquéreur de son droit de dénoncer la non conformité dans le délai de deux ans prévu par la Convention de Vienne; que de plus, la société S[...], qui connaissait le défaut de conformité invoqué par la société D[...] dés avant octobre 1998, ainsi qu’il résulte de son courriel du 15 octobre 1998, ne peut lui opposer l’expiration du délai de deux ans;

Considérant, en conséquence que la société D[...] n’est pas forclose en ses demandes;

2)

Considérant que la société S[. ] invoque, en deuxième lieu, une clause exonératoire de res-

ponsabilité figurant en première page du manuel d’utilisation remis lors de la livraison des cartes mères; qu’elle produit une traduction libre de cette clause comme suit: «En aucun cas, P6 DNF/ P6 SNF ( le vendeur) ne sera responsable des dommages directs, indirects, spéciaux, incidents ou immatériels résultant d’un usage ou d’un défaut de conformité du produit ou de la documentation, même s’il était informé de la possibilité d’un tel dommage»;

Que l’appelante prétend:

- qu’en tant que professionnel et en faisant usage des cartes mères sans jamais contester la clause exonératoire de responsabilité explicitement mentionnée dans le guide d’utilisa- tion et en poursuivant ses commandes en toute connaissance de cause, la société D[. ] a fait preuve d’une mauvaise foi qui doit la priver du bénéfice de l’inopposabilité de cette clause,

- que la clause de limitation de responsabilité est conforme aux standards de la profession, qu’elle ne souffre aucune ambiguïté, que la traduction fournie n’en dénature pas l’esprit et que l’exclusion de responsabilité dont il est question concerne l’impossibilité pour l’uti- lisateur de pouvoir user de la chose par suite d’un vice ou d’une non-conformité;

Mais considérant que la société D[...] verse aux débats la traduction de cette clause faite par un traducteur, expert près la cour d’appel de Paris; que cette clause est libellée comme suit:

«En aucun cas, Super 6DNF/6SNF ne pourra être tenu responsable pour tous dommages di- rects, indirects, accessoires ou consécutifs découlant de l’utilisation ou de l’incapacité d’utili- sation de ce produit ou de cette documentation, même s’il est avisé de la possibilité de tels dommages»; qu’elle fait justement valoir que cette clause a pour effet d’exclure de la garantie du vendeur les conséquences dommageables de l’utilisation ou de la mauvaise utilisation de ses produits par l’acheteur; qu’elle n’exclut pas la garantie de la société S[...] pour non con- formité des cartes mères; qu’en toute hypothèse cette clause n’a pas été acceptée, confor- mément à l’article 18 de la Convention de Vienne, soit par une déclaration de la société D[...] ou par un autre comportement exprimant de façon certaine sa volonté de l’accepter;

Considérant que la société S[...] est donc mal fondée à opposer une clause exonératoire de responsabilité;

3)

Considérant que la société S[...], en troisième lieu, soutient qu’aucune faute ne lui est impu- table; qu’elle expose que l’expert judiciaire, en se contredisant d’un rapport à l’autre, a fina- lement écarté la théorie de la limite de tolérance des cartes mères pour conclure à un pro- blème probable d’équirépartition des broches des connecteurs sans pour autant rechercher parmi toutes les causes possibles, celle ayant déterminé ce défaut d’équirépartition;

Qu’elle fait grief au tribunal:

de s’être contenté de conclusions hypothétiques et contradictoires pour la condamner et allègue que la question principale sur la cause des brûlures n’est à ce jour toujours pas tranchée, faute pour l’expert d’y avoir répondu;

- de ne pas avoir repris les conclusions du dernier rapport de l’expert, mais de l’avoir homo-

logué, entachant son jugement d’une contradiction et d’un vice manifeste,

- de ne pas avoir répondu à ses arguments;

Qu’elle prétend:

- qu’il appartient à la société D[. ], par application de l’article 1315 du code civil, de rappor-

ter la preuve de la faute qu’elle lui reproche,

- qu’à aucun moment, la société D[. ] n’est en mesure de prouver la non conformité des

cartes mères, ni un défaut d’information de sa part,

- que la société D[...] a connu à elle seule un taux de retour supérieur de 20 fois au taux moyen sur une période de six mois, puis que sans aucune explication ces brûlures ont to- talement cessé,

- que la société D[. ] s’est refusée à fournir les 21 cartes litigieuses, à ce que les tests qui

reproduiraient les configurations installées soient réalisés, à fournir les références de ses connecteurs femelles et qu’une telle attitude confirme l’absence de faute de la société S[...],

- qu’il n’est pas dans les standards de la profession de fournir une information spontanée sur la tolérance des cartes mères mais, qui plus est, que le niveau de puissance des confi- gurations assemblées par la société D[...] , très en dessous des maxima acceptés par les cartes mères, ne justifiait pas une telle information et que c’était à la société D[...] , en tant qu’assembleur, qu’il incombait de s’assurer que les produits qu’elle achetait correspon- dent à ses besoins et à ceux de ses clients;

Mais considérant que la cour dispose d’éléments d’information technique suffisants sans re-courir à une nouvelle expertise comme demandé à titre infiniment subsidiaire par la société S[...],

Considérant qu’il ressort clairement des constatations et avis de l’expert judiciaire exprimés dans ses deux rapports, après analyse des avis exprimés par le cabinet LCA et Exponent:

- qu’il s’est fait remettre deux cartes mères de type P6 DNF sur lesquels il a pu constater la réalité des désordres allégués,

- que le vrai problème n’est pas de déterminer si la brûlure du connecteur femelle de la société D[...] est intervenue ou non avant celle du connecteur mâle fourni sur les cartes mères de la société S[...], mais le problème de la puissance électrique très forte qui peut passer par un seul connecteur,

- que les cartes mères fournies par la société S[...], dans la mesure où elles sont équipées d’un seul connecteur, ne peuvent résister à des puissances électriques de plus de 73,22 watts et que le résultat en est la surchauffe des deux parties du connecteur, aussi bien mâle que femelle et la destruction du connecteur mâle de la carte S[...] par brûlure directe ou indirecte,

- qu’il n’existe pas d’autre solution pratique et concevable que de changer la carte mère, les cartes d’origine n’étant pas pourvues des dispositifs qui auraient permis d’empêcher la surchauffe constatée,

- que les cartes mères installées par la société D[...], non encore remplacées, sont suscep- tibles de «dysfonctionner» à tout moment,

- que la société S[...] a fourni des cartes mères dont le connecteur résiste mal aux puissances nécessaires pour les faire fonctionner dans les environnements techniques correspondant à ceux des clients français de la société D[...],

- que la société S[...] aurait dû informer la société D[...] des limites d’utilisation de ces cartes, notamment pour ce qui est de la puissance électrique de l’alimentation, et éviter une in- tensité électrique très forte de son connecteur, en dédoublant ledit connecteur,

- que la société S[...] a fabriqué depuis un nouveau modèle de cartes qui semble mieux ré- sister aux problèmes, mais a refusé la demande de la société D[...] de remplacer les an- ciennes cartes par des cartes du nouveau modèle;

Considérant qu’il est ainsi établi que la société S[...] a fourni à la société D[...] un produit non  conforme, sans l’avertir des limites de la puissance d’alimentation des cartes mères; que ce faisant, elle a commis une faute qui engage sa responsabilité;

4)

Considérant, en quatrième lieu, que la société S[...] conteste le préjudice invoqué par la so- ciété D[...] ainsi que le lien de causalité avec la faute reprochée;

Considérant que la société D[...], appelante incidente sur le montant des dommages-intérêts,

se référant à l’article 74 de la Convention de Vienne demande réparation intégrale de son

préjudice; qu’elle fait valoir qu’elle a subi:

- d’une part un préjudice commercial constitué d’abord par une perte subie: 182.939 € pour dépenses d’adaptation et d’interventions techniques liées au remplacement des cartes défectueuses et 1.089.462 € pour surcoûts liés à sa désorganisation interne, puis par un gain manqué de 6.500.000 € calculé sur une période de trois ans,

- d’autre part un préjudice d’image et une atteinte à sa réputation en réparation desquels

elle demande la somme de 1.000.000 €;

Considérant que du fait de leur non conformité de toutes les cartes mères, et pas seulement  

de vingt et une d’entre elles comme prétendu par la société S[...], défaut qui peut entraîner leur dysfonctionnement à tout moment, la société D[...] est bien fondée à obtenir, en répara- tion de son préjudice, le coût de leur remplacement pour un montant de 182.939 €; qu’elle a subi aussi, de ce fait, une désorganisation de ses services et des surcoûts de fonctionnement, notamment pour le suivi des opérations d’expertise, mais ne justifie pas que le préjudice en résultant s’élèverait à la somme de 1.089.462 €;

Considérant, sur le gain manqué, que la société D[...] expose que son chiffre d’affaires con-  

naissait un essor considérable depuis 1995, que cette croissance a été fortement ralentie en 1996 puis s’est trouvée stoppée en 1999 avant de chuter sensiblement; qu’elle invoque en- core une perte de chance de profiter du développement du chiffre d’affaires de ses clients; qu’elle calcule sa perte de gains sur la base d’«une hypothèse moyenne» entre la somme de 8.383.923 € correspondant à une perte de chiffre d’affaires entre 1998 et 2000 et 4.770.030 € correspondant à cette perte ramenée à 43,37% s’il n’était tenu compte que des 49 cartes ré- pertoriées comme défectueuses en début de procédure et des 144 autres cartes qu’elle a fait placer sous scellés par huissier;

Mais considérant que le préjudice ne pourrait être constitué par une perte de chiffre d’af-  

faires, mais seulement par une perte de marge qui n’est pas évaluée; qu’il ressort seulement du rapport établi le 30 mars 2009 par M. W[...], expert comptable inscrit près la cour d’appel de Versailles, à la demande de la société D[...], que cette dernière a vu ses relations commer- ciales interrompues depuis 1999 avec ses clients U[...], C[...] S[...], M[...] P[...] banque, T[...]

CSF, Compagnie générale de g[...], M[...] c[...] systems, ultérieurement en 2000 avec P[...] frères et B[...] E[...], et que 87 clients ayant commandé des ordinateurs équipés de cartes mères S[...] P6 DNF et P6DNF n’ont pas poursuivi leurs relations commerciales avec la société D[...]; qu’il apparaît encore d’une lettre du Lycée technique de C[...] du 17 janvier 2000, que ce dernier s’est plaint auprès de la société D[...] de dysfonctionnements répétitifs après un an d’utilisation (carte mère brûlée au niveau du connecteur d’alimentation) et lui a demandé une remise en état rapide et définitive, précisant que compte tenu de l’augmentation du trafic sur son réseau et de la fiabilité de son serveur, elle ne pourrait avoir recours à nouveau à ses services; qu’il est ainsi seulement établi que, du fait de la non conformité des cartes mères, la société D[...] a perdu une chance de voir poursuivre ses relations commerciales avec ses clients;

Considérant, sur la demande au titre du préjudice moral et d’image, que contrairement à ce  que prétend la société S[...], cette demande est recevable en cause d’appel comme étant l’ac- cessoire ou le complément de celles formées en première instance; que cependant la société

D[...] se borne à invoquer la perte de ses clients, sans produire aucune autre pièce justificative autre que la lettre du 17 janvier 2000 analysée plus haut;

Considérant, au regard de l’ensemble de ces éléments, l’entier préjudice subi par la société  

D[...] résultant du coût de remplacement des cartes mères, de la désorganisation de ses ser- vices et des surcoûts de fonctionnement, de la perte de chance de voir se poursuivre les rela- tions commerciales avec ses clients auxquels elle avait fourni des matériels équipés des cartes mères litigieuses et de l’atteinte à son image, sera réparé par la somme de 500.000 € qui pro- duira intérêts au taux légal à compter du 17 avril 2002, date de l’assignation au fond devant le tribunal de commerce de Bobigny; que la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions prévues par l’article 1154 du code civil;

5)

Considérant, sur la demande de dommages-intérêts d’un montant de 100.000 €, que la so- ciété S[...] n’a pas fait dégénérer en abus son droit de résister aux demandes formées à son encontre; que la demande de la société D[...] à ce titre sera donc rejetée;

Considérant, vu les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, qu’il y a lieu d’al-

louer la somme de 60.000 € à la société D[...] et de rejeter la demande de ce chef de la société S[...];

Par ces Motifs

Infirme le jugement et, statuant à nouveau:

Condamne la société S[...] à payer à la société D[. ] la somme de 500.000 € en réparation de

son entier préjudice, avec intérêts au taux légal à compter du 17 avril 2002,

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l’article 1154 du code civil,

Condamne la société S[...] à payer la somme de 60.000 € à la société D[...] en vertu de l’article

700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne la société S[...] aux dépens de première instance, qui comprendront les frais de l’expertise, ainsi qu’aux dépens d’appel, en ce compris ceux de l’arrêt cassé, et dit que les dépens d’appel seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

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