CA Colmar, 30 mars 2022, n° 18/00061
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Claudio San Martin (Sté)
Défendeur :
Würth France (SAS), Chubb Insurance Company of Europe SE (Sté)
Faits, Procédure et Prétentions des Parties:
La société Würth France, dont l’activité est la distribution de matériel et de fourniture industrielle, se fournit auprès de la société de droit espagnol Claudio San Martin, également dé- nommée ci-après «CSM» en rondelles dites «rondelles de contact» destinées aux raccorde- ments électriques, qu’elle vend notamment à la société Coméca Systèmes, ci-après également «Coméca», et à la société ICC tableaux.
Au cours de l’année 2008, ces deux sociétés ont constaté une fissuration des rondelles entraînant parfois leur rupture, suite à quoi la société ICC tableaux a saisi, par acte du 28 janvier 2009, le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Nantes d’une demande d’expertise de ces rondelles, expertise qui a été réalisée au contradictoire des sociétés Würth France et CSM. Le rapport d’expertise subséquent, établi le 30 juin 2010, a indiqué que les rondelles étaient défectueuses et impropres à leur destination.
La société Würth France et son assureur, la société Chubb Insurance Company of Europe SE, aux droits de laquelle vient la société Chubb European PLC, ci-après également dénommée «Chubb», ont, compte tenu des conclusions de l’expert, indemnisé la société Coméca Systèmes à hauteur de 110 233,70 euros.
Puis, par assignation délivrée le 16 mai 2011, elles ont fait citer la société Claudio San Martin devant la chambre commerciale du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg pour voir re- connaître sa responsabilité en application de l’article 1641 du Code civil et obtenir, sur le fondement de la subrogation par application de l’article 1251-3 du Code civil, le remboursement de la somme réglée à la société Coméca Systèmes.
La société Claudio San Martin n’a, dans un premier temps, pas constitué avocat et par jugement avant dire droit du 24 octobre 2011, le Tribunal a ordonné la réouverture des débats et invité les demanderesses à se prononcer sur l’application au litige des dispositions de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises et sur le respect des délais prévus à l’article 39 de la Convention, et à préciser le cas échéant le fondement juridique de la demande.
Les demanderesses ont conclu à l’inapplicabilité de la Convention de Vienne dans la mesure où leur action a été fondée sur la subrogation dans les droits de la société Coméca Systèmes.
La société Claudio San Martin a ensuite constitué avocat et a soulevé une exception d’incompétence territoriale, qui a été rejetée par ordonnance du juge de la mise en état en date du 2 mai 2013, confirmée par arrêt de cette cour du 22 janvier 2014.
En mars 2014, la société Claudio San Martin a appelé en intervention forcée l’un de ses sous-traitants pour le traitement de surface des rondelles litigieuses la société Galvanotecnia y Derivados, ci-après également dénommée «Galvanotecnia».
Par jugement rendu le 24 novembre 2017, le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg a:
- dit que la société de droit espagnol Claudio San Martin avait commis un manquement à ses obligations contractuelles à l’égard de Würth France en lui fournissant des rondelles non conformes à leur destination;
- dit que ce manquement contractuel était directement à l’origine des dommages subis par la société Coméca Systèmes;
- dit en conséquence que la société de droit espagnol Claudio San Martin était responsable, sur le fondement délictuel, des dommages subis par la société Coméca Systèmes résultant des fissurations affectant les rondelles issues de sa fabrication;
- constaté que les sociétés Chubb Insurance Company of Europe (prise en ses succursales françaises et allemandes) et Würth France étaient légalement subrogées dans les droits et actions de la société Coméca Systèmes à l’encontre de la société de droit espagnol Claudio San Martin;
- les a déclaré recevables en leur recours subrogatoire à l’encontre de la société de droit es- pagnol Claudio San Martin;
- condamné la société de droit espagnol Claudio San Martin à payer:
- à la société Würth France la somme de 28 110,20 euros,
- à la société Chubb Insurance Company of Europe la somme de 82 123,57 euros, répartie entre Chubb France à hauteur de 23 765,05 euros et Chubb Allemagne à hauteur de 58 358,52 euros, soit la somme totale de 110 233,77 euros avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement;
- ordonné l’exécution provisoire de la condamnation qui précède;
- condamné la société de droit espagnol Claudio San Martin au paiement des dépens expo- sés par les sociétés Chubb Insurance Company of Europe et Würth France;
- condamné la société de droit espagnol Claudio San Martin à payer aux sociétés Chubb Insurance Company of Europe et Würth France indivisément la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile;
- débouté la société de droit espagnol Claudio San Martin de son appel en garantie dirigé contre la société de droit espagnol Galvanotecnia y Derivados;
- débouté la société de droit espagnol Claudio San Martin de sa demande d’organisation d’une expertise judiciaire;
- condamné la société de droit espagnol Claudio San Martin au paiement des dépens exposés par la société de droit espagnol Galvanotecnia y Derivados;
- condamné la société de droit espagnol Claudio San Martin à payer à la société de droit espagnol Galvanotecnia y Derivados la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
La SA Claudio San Martin a interjeté appel de cette décision par déclaration déposée le 4 janvier 2018.
Dans ses dernières conclusions en date du 4 avril 2018, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, elle demande à la Cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau:
- vu l’article 1648 du Code civil, dire et juger l’action introduite par les demandeurs prescrite et par conséquent irrecevable;
- subsidiairement, vu l’article 39 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980, dire et juger la société Würth France et son assureur déchus du droit à se prévaloir de la non-conformité des produits litigieux, et juger en conséquence l’action irrecevable;
- très subsidiairement, débouter la société Würth France et son assureur de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de la concluante;
- plus subsidiairement encore, condamner la société Galvanotecnia y Derivados S.A. à relever et garantir la concluante de toutes condamnations qui seraient prononcées contre elle au profit des sociétés Würth et de son assureur, si mieux n’aime la Cour, vu notamment l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, désigner tel expert que bon lui semblera avec mission:
1. de dire si la fabrication des rondelles litigieuses, dont il n’est pas contesté qu’elles étaient impropres à l’usage auquel Würth a décidé de les destiner, est néanmoins con- forme à la norme applicable à leur fabrication, en l’occurrence la norme NF E 25 511;
2. de vérifier par tous moyens, notamment par la comparaison visuelle de rondelles traitées par Galvanotecnia avec les rondelles litigieuses, ou par des analyses de laboratoire, si le zingage des pièces litigieuses a été effectué par Galvanotecnia y Derivados S.A.;
- condamner Galvanotecnia à payer en outre à la concluante la somme de 2 975 euros au titre des frais de traduction;
- condamner la société Würth France et son assureur, subsidiairement la société Galvanotecnia y Derivados, à lui payer la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles, conformément aux dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Elle entend, notamment, invoquer:
- la prescription de l’action des demandeurs, désormais intimés, au titre de l’action résultant des vices rédhibitoires,
- subsidiairement, la déchéance du droit de la société Würth France de se prévaloir d’un défaut de conformité, par application de l’article 39 de la Convention de Vienne, applicable dans les relations entre le vendeur et l’acheteur principal,
- plus subsidiairement, l’absence de preuve d’un défaut, en l’absence d’expertise portant sur les rondelles revendues à la société Coméca, et en tout état de cause leur conformité à la norme, en l’absence, de surcroît, d’obligation d’information envers un acheteur professionnel,
- encore plus subsidiairement, la responsabilité de Galvanotecnia, dont la concluante apporterait la preuve qu’elle aurait procédé au traitement des rondelles litigieuses, sous ré- serve de confirmation par un nouvel expert, la précédente expertise étant inaboutie sur ce point, une éventuelle difficulté d’identification ne pouvant, en tout état de cause, être imputable qu’à la société Würth France.
La SAS Würth France et la société Chubb European Group Limited, venant aux droits de la société Chubb Insurance Company of Europe SE, se sont constituées intimées le 4 avril 2018.
Dans leurs dernières écritures en date du 2 juillet 2018, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, elles sollicitent la confirmation de la décision entreprise en ce qu’elle a notamment:
- dit que Claudio San Martin a commis un manquement à ses obligations contractuelles à l’égard de Würth France en lui fournissant des rondelles non conformes à leur destination;
- dit que ce manquement contractuel est directement à l’origine des dommages subis par la société Coméca Systemes;
- dit en conséquence que Claudio San Martin est responsable, sur le fondement délictuel, des dommages subis par Coméca Systemes résultant des fissurations affectant les rondelles issues de sa fabrication;
- constaté que Chubb (prise en ses succursales françaises et allemandes) et Würth France sont légalement subrogées dans les droits et actions de Coméca Systemes à l’encontre de Claudio San Martin;
- déclaré les sociétés Chubb et Würth France recevables en leur recours subrogatoire à l’encontre de Claudio San Martin;
- condamné Claudio San Martin à payer:
- 28 110,20 euros à Würth France;
- 82 123,57 euros à Chubb soit un total de 110 233,77 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement;
- ordonné l’exécution provisoire de cette condamnation;
- condamné Claudio San Martin au paiement des dépens exposés par Chubb et Würth;
- condamné Claudio San Martin à verser à Chubb et Würth la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile;
- débouté la Claudio San Martin de sa demande d’organisation d’une expertise judiciaire et plus largement de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Subsidiairement, dans l’hypothèse où la Cour infirmerait en tout ou partie les dispositions du jugement ayant retenu que la responsabilité délictuelle de Claudio San Martin est engagée:
- dire et juger que Chubb European Group PLC (prise en ses succursales française et allemande) et Würth France sont légalement subrogées dans les droits et actions de Coméca Systeme à l’encontre de la Claudio San Martin;
En conséquence,
- les dire et juger recevables en leur recours subrogatoire à l’encontre de Claudio San Martin,
- dire et juger que les rondelles fabriquées par Claudio San Martin issues du lot 270849 sont affectées d’un défaut de sécurité;
- dire et juger en conséquence que Chubb European Group PLC et Würth France sont recevables et bien fondées à agir à l’encontre de Claudio San Martin aux fins d’obtenir le remboursement des indemnités qu’elles ont préalablement versées à la société Coméca Systèmes;
Plus subsidiairement encore:
- dire et juger que Chubb European Group PLC (prise en ses succursales française et allemande) et Würth France sont légalement subrogées dans les droits et actions de Coméca Système à l’encontre de Claudio San Martin et en conséquence, les juger recevables en leur recours subrogatoire à l’encontre de la société Claudio San Martin;
- dire et juger que les rondelles fabriquées par la société Claudio San Martin issues du lot 270849 sont affectées d’un vice caché les rendant impropres à leur destination;
- dire et juger en conséquence que Chubb European Group PLC et Würth France sont recevables et bien fondées à agir en garantie à l’encontre de la société Claudio San Martin aux fins d’obtenir le remboursement des indemnités qu’elles ont préalablement versées à la société Coméca Systèmes;
En conséquence et en tout état de cause:
- condamner Claudio San Martin à payer à Würth France la somme de 28 110,20 euros et à Chubb European Group PLC la somme de 82 123,57 euros (répartie entre Chubb France à hauteur de 23 765,05 euros et Chubb Allemagne à hauteur de 58 358,52 euros), soit la somme totale de 110 33,77 euros avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement dont appel,
En tout cas,
- condamner la société Claudio San Martin, ou toute partie succombante, à payer à Würth France et Chubb European Group PLC la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile;
- condamner la société Claudio San Martin, ou toute partie succombante à payer à Würth France et Chubb aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel.
À l’appui de leurs prétentions, elles invoquent, notamment:
- leur subrogation dans les droits et actions de la société Coméca,
- l’opposabilité à la société CSM de l’expertise technique réalisée, au contradictoire de cette société, dans le litige tranché par le Tribunal de commerce de Nantes, dont les conclusions seraient transposables au présent litige et se seraient prononcées sur la traçabilité,
- l’inapplicabilité de la Convention de Vienne aux concluantes, subrogées dans les droits et actions de la société Coméca, cette convention étant, certes applicable dans les relations entre CSM et Würth, mais pas dans le cadre de la subrogation, visant des relations entre le vendeur initial et un sous-acquéreur,
- la responsabilité délictuelle établie de CSM envers le sous-acquéreur, en l’absence de prescription de l’action à ce titre, soumise au délai décennal devenu quinquennal, la date d’envoi et non de réception de l’assignation devant être prise en compte, et sur le fond, le défaut des rondelles étant établi, du fait du seul non-respect de la norme, et dès lors que le produit était impropre à son usage, du fait d’une fragilité anormale des rondelles due à un manquement lors de leur fabrication et constituant une défectuosité, en l’absence de réserves signalées par CSM, débitrice d’une obligation d’information et de conseil, quant à cet usage,
- la responsabilité contractuelle de CSM à l’égard de la société Würth, sur le fondement des articles 35 et 45 de la Convention de Vienne, du fait de la livraison des rondelles non con- formes et impropres à leur destination en raison de la présence de fissurations importantes,
- un dommage subi par la société Coméca du fait du manquement contractuel de CSM, sans que la causalité ne soit rompue par la traçabilité du vendeur Würth, indemnisé par les concluantes sur une base non contestée par CSM et qui lui serait donc opposable,
- en cas d’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a retenu la responsabilité délictuelle de CSM, un engagement de celle-ci du fait des produits défectueux ou au titre de l’action en garantie des vices cachés, qui serait recevable, la découverte du vice, point de départ du délai de prescription, se situant au jour du dépôt du rapport d’expertise, permettant seul de révéler la nature exacte du vice, les conditions de recevabilité devant, en outre, s’apprécier du point de vue de la société Coméca, subrogeant, voire le cas échéant, en tenant compte de l’interruption liée à l’assignation de CSM en référé devant le Tribunal de commerce de Nantes par acte du 10 mars 2009 aux fins de la rendre partie aux opérations d’expertise menées par l’expert C[...] sur le lot de rondelles défectueuses et le vice résultant de l’impropriété des pièces à leur usage.
La SA Galvanotecnia y Derivados s’est constituée intimée le 9 janvier 2018.
Dans ses dernières écritures déposées le 3 juillet 2018, auxquelles était joint un bordereau de
communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, elle conclut à la confirmation de la décision entreprise, en ce qu’il a en outre débouté la société Claudio San Martin de son appel en garantie dirigé contre la concluante, et de sa demande d’organisation d’une expertise judiciaire, et par conséquent, à titre liminaire de débouter la société Claudio San Mar- tin de sa demande de condamnation de la concluante à lui payer la somme de 2 795 euros au titre des frais de traduction; à titre principal de dire et juger que la société Claudio San Martin ne rapporte pas la preuve que les pièces litigieuses ont été traitées par la concluante, et par conséquent, de débouter société Claudio San Martin de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre.
Reconventionnellement, elle entend voir condamner société Claudio San Martin à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Elle invoque, pour sa part, notamment:
- l’absence de justification de la mise à sa charge des frais de traduction de pièces de la société CSM, à laquelle cette dernière n’aurait pas eu d’autre choix que de procéder,
- à titre principal, son absence d’implication dans les désordres, qu’elle aurait contestée dès les opérations d’expertise, compte tenu des conclusions de l’expert quant à la traçabilité des pièces litigieuses, dont au moins une partie aurait été confiée à une autre société que la concluante, le Tribunal de commerce de Nantes ayant jugé que la traçabilité était imputable à la société CSM, et en l’absence d’incidence du refus de l’expert d’analyser les échantillons remis directement par CSM.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.
La clôture de la procédure a été prononcée le 11 décembre 2019 et l’affaire renvoyée à l’audience de plaidoirie du 13 janvier 2020, puis, en raison d’un mouvement de grève des avocats, à celle du 3 juin 2020, et enfin, en raison de la situation sanitaire, à celle du 23 juin 2021.
Motifs:
Sur l’action en responsabilité des sociétés Würth et Chubb à l’encontre de la société Claudio San Martin au titre de leur subrogation dans les droits de la société Coméca:
Sur les fins de non-recevoir:
Sur la prescription:
La Cour observe que l’appelante n’invoque pas l’acquisition de la prescription au titre de cette action, pas davantage que la société Galvanotecnia y Derivados.
La solution retenue par le premier juge sur ce point n’est donc pas critiquée, nonobstant les observations faites à cet égard par les sociétés Würth et Chubb, qui font valoir que leur re- cours ne repose pas sur la garantie des vices cachés, ce qui est néanmoins le cas à titre subsidiaire pour la société Würth, et entendent discuter la date prise en compte par le premier juge pour déterminer l’expiration du délai, ce qui est cependant sans incidence sur l’appréciation faite par le Tribunal quant à l’absence de prescription de ce chef, ce qui implique la confirmation du jugement sur ce point.
Sur la déchéance du droit de la société Würth France de se prévaloir d’un défaut de conformité:
L’article 39 de la Convention des Nations-Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises dite «Convention de Vienne» du 11 avril 1980, ci-après également «la Conven- tion» ou «la CVIM», prévoit que:
«1) L’acheteur est déchu du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité s’il ne le dénonce pas au vendeur, en précisant la nature de ce défaut dans un délai raison- nable à partir du moment où il l’a constaté ou aurait dû le constater.
2) Dans tous les cas, l’acheteur est déchu du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité s’il ne le dénonce pas au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises, à moins que ce délai ne soit incompatible avec la durée d’une garantie contractuelle.»
À ce titre, les parties s’accordent sur l’applicabilité de la Convention précitée aux contrats franco-espagnols tel que celui conclu entre les sociétés Würth et CSM, s’agissant d’un contrat conclu entre deux sociétés ayant leur siège respectif dans deux États contractants différents, ainsi que le prévoit l’article 1.1 de la Convention.
Pour autant, les sociétés Würth et Chubb indiquent agir au titre de l’action du sous-acquéreur contre le vendeur, en subrogation des droits de la société Coméca, après paiement de cette dernière, et aux fins de mise en cause de la responsabilité délictuelle de CSM. Elles affirment, en conséquence, que la Convention n’est pas applicable à cette action, ce que conteste la société CSM, qui, tout en admettant que la Convention n’est pas applicable dans les relations entre le vendeur initial et le sous-acquéreur, elle le serait, quel que soit le fondement juridique, fût-il subrogatoire, dans les relations entre le vendeur et l’acheteur principal, interrogeant la nature délictuelle de cette action.
Cela étant, il apparaît que les sociétés Würth et Chubb sont bien subrogées dans les droits de la société Coméca pour avoir, selon quittance en date du 30 juillet 2009, indemnisé à hauteur de 110 233,77 euros le sinistre subi par cette dernière, et dont elles imputent la responsabilité à la société CSM.
Dès lors, tant la société Würth que la société Chubb, qui n’est par ailleurs pas elle-même co-contractante de la société CSM agissent en leur qualité de créancier subrogé de la société Coméca, et partant en vertu des droits qu’ils tiennent de celles-ci et non d’un droit propre tel qu’il pourrait résulter du lien d’obligation contractuel entre les sociétés Würth et CSM.
Or, la Cour rappelle que l’article 4 de la CVIM dispose que la Convention régit exclusivement la formation du contrat de vente et les droits et obligations qu’un tel contrat fait naître entre le vendeur et l’acheteur, l’article 7 de la même convention prévoyant que les questions con- cernant les matières régies par la Convention et qui ne sont pas expressément tranchées par elle sont réglées selon les principes généraux dont elle s’inspire ou, à défaut de ces principes, conformément à la loi applicable en vertu des règles du droit international privé, ce dont il résulte qu’en l’absence de contrat de vente conclu entre les sociétés CSM et Coméca, la Convention précitée n’est pas applicable dans les rapports existant entre la société CSM et les sociétés Würth et Chubb, subrogées dans les droits de la société Coméca.
C’est donc à bon droit que le premier juge a écarté cette fin de non-recevoir.
Sur le fond:
Les sociétés Würth et Chubb, subrogés dans les droits de la société Coméca entendent, à titre principal, mettre en cause la responsabilité délictuelle de la société CSM envers la société Co- méca en ce qu’elle aurait commis un manquement à ses obligations contractuelles à l’égard de la société Würth France en lui fournissant des rondelles non conformes à leur destination, lequel serait directement à l’origine des dommages subis par la société Coméca Systèmes.
À ce titre, s’il n’apparaît pas contesté que la Convention de Vienne précitée s’applique dans les relations contractuelles entre les sociétés CSM et Würth, il n’en demeure pas moins que, pour sa part, la société Coméca, et partant les sociétés subrogées dans ses droits, apparaissent fondées à invoquer l’application du droit français de la responsabilité délictuelle envers la société CSM, en tenant compte du dommage que la société Coméca aurait directement subi, et ce fût-ce au titre de manquements contractuels reprochés à la société CSM dans ses relations avec la société Würth, et ce en l’absence de lien de droit, dans l’ordre international, entre les sociétés CSM et Coméca.
Pour autant, le manquement contractuel au titre duquel la société Coméca invoque un préjudice doit être analysé au regard du droit régissant les relations contractuelles entre les parties concernées, soit en l’espèce les sociétés Würth et CSM, régies par la Convention de Vienne, et plus précisément les articles 35 et 45 de ce texte.
Ainsi l’article 35 de la CVIM dispose-t-il que:
«Article 35
1) Le vendeur doit livrer des marchandises dont la quantité, la qualité et le type ré- pondent à ceux qui sont prévus au contrat, et dont l’emballage ou le conditionne- ment correspond à celui qui est prévu au contrat.
2) À moins que les parties n’en soient convenues autrement, les marchandises ne sont conformes au contrat que si:
a) Elles sont propres aux usages auxquels serviraient habituellement des marchandises du même type;
b) Elles sont propres à tout usage spécial qui a été porté expressément ou tacite- ment à la connaissance du vendeur au moment de la conclusion du contrat, sauf s’il résulte des circonstances que l’acheteur ne s’en est pas remis à la compétence ou à l’appréciation du vendeur ou qu’il n’était pas raisonnable de sa part de le faire;
c) Elles possèdent les qualités d’une marchandise que le vendeur a présentée à l’acheteur comme échantillon ou modèle;
d) Elles sont emballées ou conditionnées selon le mode habituel pour les marchandises du même type ou, à défaut du mode habituel, d’une manière propre à les conserver et à les protéger.
3) Le vendeur n’est pas responsable, au regard des alinéas a à d du paragraphe précédent, d’un défaut de conformité que l’acheteur connaissait ou ne pouvait ignorer au moment de la conclusion du contrat.»
L’article 45 du même texte confère, pour sa part, à l’acheteur le droit de solliciter des dommages-intérêts si le vendeur n’a s’exécuté l’une quelconque des obligations résultant pour lui du contrat de vente ou de la Convention.
En l’espèce, les sociétés Würth et Chubb, subrogées dans les droits de la société Coméca Systèmes, invoquent un dommage résultant de la livraison de rondelles non conformes et impropres à leur destination en raison de la présence de fissurations importantes, ce qui serait constitutif d’un manquement contractuel de CSM, qui aurait également, à leur sens, manqué à l’obligation d’information qui lui incombe en sa qualité de vendeur des produits.
Pour sa part, la société CSM réfute toute preuve de défaut, dès lors que l’expertise versée aux débats ne porte pas sur les rondelles revendues à la société Coméca. En tout état de cause, elle invoque la conformité du produit à la norme applicable, en l’absence, de surcroît, d’obligation d’information envers un acheteur professionnel.
Sur ce, la Cour relève, à l’instar du premier juge, que la société Coméca a reçu livraison de la société Würth, de 5 400 rondelles au total au titre de quatre commandes passées, honorées et facturées durant les mois d’avril et mai 2008, et portant sur des rondelles de contact moyennes M 10, référencées 0413 000 12 tant par la société CSM que par la société Würth, rondelles dont la société Würth a reçu livraison de la société CSM à hauteur de 145 000 pièces au total, les 1er et 28 février et le 4 avril 2008.
À la suite de réclamations reçues tant de la société ICC Tableaux que de la société Coméca Systèmes, la société Würth a indiqué, par courriel en date du 27 mai 2008, que les deux sociétés clientes avait toutes deux reçues des rondelles provenant d’un lot n° 270849, dont des essais de serrage ayant conduit à la fissuration de certaines pièces permettaient de déduire la non-conformité de ce lot, la société CSM ayant reconnu, en réponse, par un courrier du 7 juillet 2008, des dysfonctionnements du lot, imputés à des problèmes dans le processus de traitement technique confié exceptionnellement à un autre sous-traitant que le sous-traitant habituel, saturé en fin d’année 2007 et début 2008. Par la suite, la société CSM a reconnu, par le biais d’un dire de son conseil en date du 4 mars 2010 dans le cadre de l’expertise menée dans le litige concernant la société ICC Tableaux, qu’au vu de l’analyse, notamment chronologique, des ordres de fabrication successifs, être le fournisseur exclusif des rondelles litigieuses, dont il pouvait être déduit qu’elles provenaient de l’ordre de fabrication n° 270849 finalisé le 3 dé- cembre 2007.
Au vu de ces éléments, de la similitude des défauts constatés, de l’absence d’antécédent, c’est à juste titre que le premier juge a pu retenir que les rondelles livrées tant à la société ICC Tableaux qu’à la société Coméca Systèmes, et ce aux mêmes périodes, provenaient du même lot, ce qui, comme également rappelé par le premier juge, n’a fait l’objet d’aucune contestation de la société CSM avant l’introduction de la présente instance. Ainsi, comme il a été indiqué ci-dessus, les échanges entre les parties portaient bien sur le lot n° 270849 et ce à la suite d’un signalement concernant tant la société Coméca Systèmes que la société ICC Tableaux.
Or, c’est bien sur ce lot qu’a porté l’analyse de l’expert judiciaire M. C[...] dans le cadre de la procédure opposant les sociétés Würth, CSM et ICC Tableaux devant le Tribunal de commerce de Nantes, la société CSM ayant reconnu, dans ce contexte, comme il vient d’être rappelé, être à l’origine exclusive de la provenance de ce type de rondelles, et qu’il pouvait être déduit que le lot litigieux était en cause.
Dans ces conditions, et s’agissant d’un rapport d’expertise réalisé au contradictoire de la société CSM, c’est à bon droit que le jugement entrepris a retenu qu’il constituait un élément de preuve qu’il appartenait à la défenderesse, désormais appelante, de combattre.
À cet égard, il y a lieu de relever que l’expert, après avoir rappelé le rôle de ces pièces, qualifiées d’élément de sécurité de première importance définis par la norme NF E 25-512, notamment en ce qu’elles permettent de limiter le risque de desserrage des écrous ou vis et de maintenir un contact permanent entre les pièces assemblées, à savoir des composants de circuits électriques de puissance, a pu constater visuellement la fissuration des rondelles qu’un effort de la main permettait d’achever de rompre, et a mis en évidence, notamment par le recours à un examen pratiqué par l’Ecole centrale de Lille, une fragilisation de l’acier constituant les rondelles par l’hydrogène, lui faisant perdre pratiquement toutes ses caractéristiques de résistance mécanique, ce dont il résultait que les rondelles étaient cassantes sous charge et donc impropres à l’usage auquel elles sont destinées.
Sur ce, la société CSM entend indiquer avoir agi conformément à la norme NF E 25-511, la dureté étant proche du maximum autorisé, ce qui rendait aussi la rondelle plus sensible à l’hydrogène, le traitement choisi à moindre coût par le client, et compte tenu d’un dégazage complet techniquement impossible à réaliser, induisant une fragilité accrue des rondelles, de sorte que seraient en cause les conditions dans lesquelles ce dégazage a été effectué et qui ne lui seraient pas imputables, tout en ajoutant qu’il doit aussi être tenu compte de l’usage auquel sont destinées les rondelles.
Cela étant, au vu des éléments dont elle dispose, la Cour n’aperçoit pas de raison de remettre en cause l’appréciation faite sur ce point, par le premier juge, par des motifs pertinents que la Cour adopte, étant encore ajouté que, si la société CSM invoque le respect de la norme NF E 25-511, elle a elle-même indiqué, dans son courrier précité du 28 mai 2008, qu’elle n’avait pas, afin de respecter ses délais de livraison, procédé aux essais de fragilité préconisés par cette norme, outre que l’usage de ces rondelles tant par la société Coméca Systèmes que par la société ICC Tableaux, ainsi qu’il a été décrit ci-dessus, relevait bien d’une application de serrage telle qu’elle relève de cette norme, dont il résulte, notamment, que les rondelles con- cernées permettent de rattraper des tassements dans les matériaux d’un assemblage, ce qui correspond aux exigences prises en compte par l’expert.
Dans ces conditions, il convient, en confirmation du jugement entrepris, et indépendamment même de tout manquement de la société CSM à son devoir d’information, tel qu’invoqué par les sociétés Würth et Chubb, de retenir la responsabilité de la société Claudio San Martin tirée d’un manquement à son obligation contractuelle de délivrance conforme, par application de l’article 35 précité de la Convention de Vienne.
Ce manquement met en cause la responsabilité délictuelle de la société CSM envers la société Coméca Systèmes, qui a subi un préjudice à ce titre au regard de la nature et des effets de la défectuosité identifiée, ainsi que de l’usage attendu des pièces litigieuses visant à assurer la sécurité d’installations électriques, telles que celles produites par la société Coméca Systèmes, dans les droits de laquelle les sociétés Würth et Chubb sont valablement subrogées selon quittance en date du 30 juillet 2009.
Ces sociétés ayant ainsi indemnisé la société Coméca Systèmes à hauteur d’un montant dont il est justifié de l’évaluation détaillée, qui n’a, pas davantage qu’en première instance, fait l’objet d’une contestation ou d’une discussion de la part de la société CSM, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné cette société à payer à la société Würth France la somme de 28 110,20 euros et à la société Chubb Insurance Company of Europe SE la somme de 82 123,57 euros (répartie entre Chubb France à hauteur de 23 765,05 euros et Chubb Allemagne à hauteur de 58 358,52 euros), soit la somme totale de 110 233,77 euros avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement.
Sur l’action en garantie de la société CSM contre la société Galvanotecnia:
Sur ce point, le rapport d’expertise précité avait conclu au caractère limité des preuves apportées pour mettre en cause la société Galvanotecnia, relevant, notamment, que dans la période de préparation des pièces litigieuses, étaient présentes au sein de la société CSM des parties du lot traitées par Galvanotecnia et d’autres par une société Guisasola, étant rappelé qu’au total, 468 kg de pièces ont été traitées par la société Galvanotecnia et 404 par la société Guisasola.
À cet égard, il a été relevé par l’expert, comme par le premier juge, l’absence d’un système fiable de traçabilité au sein de la société CSM, laquelle ne saurait s’exonérer de ses obligations à ce titre en mettant en cause un reconditionnement des rondelles par la société Würth France.
Pour le reste, si la société CSM entend démontrer que la société Galvanotecnia aurait procédé au traitement des rondelles litigieuses, en indiquant que 60 000 pièces destinées à satisfaire la commande de la société Würth France auraient été prélevées parmi les 136 900 pièces traitées par la société Galvanotecnia, il convient de rappeler que 145 000 pièces au total ont été livrées sur la période litigieuse à la société Würth, qui a elle-même honoré plusieurs livrai- sons au profit de la société Coméca, et ce alors que, comme il a été indiqué, une partie non négligeable du lot incriminé a été traitée par la société Guisasola. De surcroît, comme relevé par l’expert, sur la foi des pièces à nouveau produites et visées par la société CSM à hauteur de cour, en dépit d’une correspondance en quantité, entre les pièces prélevées et celles en- suite livrées à Würth, aucune information ne permet formellement de déceler une identité entre les pièces prélevées et les pièces livrées.
Quant à l’expertise sollicitée par la société CSM afin d’identifier la société ayant procédé au traitement de surface, la Cour considère, à l’instar du premier juge, qu’eu égard au passage du temps et à l’absence, ou à tout le moins à l’insuffisance, de traçabilité interne des pièces susceptibles d’être soumises à analyse, une nouvelle mesure d’expertise n’apparaît pas justifiée.
Au regard de l’ensemble de ce qui précède, il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société CSM tant de son appel en garantie que de sa demande d’expertise, emportant également le débouté de la société CSM de sa demande de remboursement de frais de traduction déjà formulée en première instance.
Sur les dépens et les frais irrépétibles:
La société Claudio San Martin succombant pour l’essentiel sera tenue des dépens de l’appel, par application de l’article 696 du Code de procédure civile, outre confirmation du jugement déféré sur cette question.
L’équité commande en outre de mettre à la charge de la société CSM une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 5 000 euros au profit des sociétés Chubb et Würth, et du même montant au profit de la société Galvanotecnia, tout en disant n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de la société CSM, et en confirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.
Par ces Motifs
La Cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 24 novembre 2017 par le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg, chambre commerciale,
Y ajoutant,
Condamne la société de droit espagnol Claudio San Martin aux dépens de l’appel,
Condamne la société de droit espagnol Claudio San Martin à payer aux sociétés Würth France et Chubb European Group Limited, venant aux droits de la société Chubb Insurance Company of Europe SE, la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la société de droit espagnol Claudio San Martin à payer à la société de droit espagnol Galvanotecnia y Derivados la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de la société de droit espagnol Claudio San Martin.