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Décisions

TA Cergy-Pontoise, 6e ch., 9 novembre 2024, n° 2203639

CERGY-PONTOISE

PARTIES

Demandeur :

Marché d'Istanbul (SARL)

Défendeur :

commune de Gonesse

TA Cergy-Pontoise n° 2203639

8 novembre 2024

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 mars et 8 décembre 2022, la société anonyme à responsabilité limitée Marché d'Istambul, représentée par Me Youssif, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision n°401-2021 du 7 janvier 2022 par laquelle le maire de la commune de Gonesse a exercé son droit de préemption commercial sur la cession du fonds de commerce " Marché d'Istambul " ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Gonesse une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la déclaration de cession du 1er novembre 2021 était complète ;

- la demande de précision de la commune du 22 novembre 2021 était illégale ;

- le droit de préemption commercial a été exercé hors délai en méconnaissance de l'article L. 214-1 du code de l'urbanisme.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 juin 2022, la commune de Gonesse, représentée Me Martin, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société anonyme à responsabilité limitée Marché d'Istambul la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Ausseil,

- les conclusions de M. Gabarda, rapporteur public,

- et les observations de Me Rubinsohn, substituant Me Martin, représentant la commune de Gonesse.

Considérant ce qui suit :

1. La société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Marche d'Istambul exploitait un fonds de commerce d'alimentation générale au 2 avenue des Myosotis à Gonesse (Val d'Oise). Le 1er novembre 2021, une déclaration préalable de cession de ce fonds de commerce a été adressée à la commune de Gonesse. Par un courrier du 22 novembre 2021, le maire de cette commune a informé la gérante de la société du caractère incomplet de la déclaration et a sollicité la transmission d'informations complémentaires. Par une décision du 7 janvier 2022, dont la SARL Marché d'Istambul demande l'annulation, le maire de la commune de Gonesse a exercé le droit de préemption commercial sur la cession du fonds de commerce.

2. Aux termes de l'article L. 214-1 du code de l'urbanisme : " Le conseil municipal peut, par délibération motivée, délimiter un périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité, à l'intérieur duquel sont soumises au droit de préemption institué par le présent chapitre les aliénations à titre onéreux de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux. / () Chaque aliénation à titre onéreux est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le cédant à la commune. Cette déclaration précise le prix, l'activité de l'acquéreur pressenti, le nombre de salariés du cédant, la nature de leur contrat de travail et les conditions de la cession. Elle comporte également le bail commercial, le cas échéant, et précise le chiffre d'affaires lorsque la cession porte sur un bail commercial ou un fonds artisanal ou commercial. / Le droit de préemption est exercé selon les modalités prévues par les articles L. 213-4 à L. 213-7. Le silence du titulaire du droit de préemption pendant le délai de deux mois à compter de la réception de cette déclaration vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. Le cédant peut alors réaliser la vente aux prix et conditions figurant dans sa déclaration ". Aux termes de l'article R. 214-4 du même code : " La déclaration préalable prévue au troisième aliéna de l'article L. 214-1 est établie dans les formes prescrites par un arrêté conjoint des ministres chargés de l'urbanisme, de la justice, du commerce et de l'artisanat. / La déclaration en quatre exemplaires est adressée au maire de la commune où est situé le fonds, l'immeuble dont dépendent les locaux loués ou le terrain portant les commerces ou destiné à porter des commerces d'une surface de vente comprise entre 300 et 1 000 mètres carrés () ". Aux termes l'article R. 214-5 de ce code : " Dans un délai de deux mois à compter de la réception de la déclaration préalable, ou du premier des accusés de réception ou d'enregistrement délivré en application des articles L. 112-11 et L. 112-12 du code des relations entre le public et l'administration, le titulaire du droit de préemption notifie au cédant soit sa décision d'acquérir aux prix et conditions indiqués dans la déclaration préalable, soit son offre d'acquérir aux prix et conditions fixés par l'autorité judiciaire saisie dans les conditions prévues à l'article R. 214-6, soit sa décision de renoncer à l'exercice du droit de préemption. / Il notifie sa décision au cédant par pli recommandé avec demande d'avis de réception, par remise contre décharge au domicile ou au siège social du cédant, ou par voie électronique en un seul exemplaire dans les conditions prévues aux articles L. 112-11 et L. 112-12 du code des relations entre le public et l'administration. La notification par voie électronique n'est possible que si la déclaration prévue à l'article R. 214-4 a été faite de la même manière. Lorsque le cédant est lié par un contrat de bail, une copie de cette notification est adressée au bailleur. / Le silence gardé par le titulaire du droit de préemption au terme du délai fixé au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice de son droit. ". Et aux termes de l'article A. 214-1 du même code : " La déclaration préalable prévue par les articles L. 214-1 et R. 214-4 doit être établie conformément au formulaire enregistré par le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique sous le numéro CERFA 13644 01 et disponible sur le site internet du ministère de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables : http://www.developpement-durable.gouv.fr. ".

3. Il résulte de ces dispositions que le titulaire du droit de préemption dispose, pour exercer ce droit, d'un délai de deux mois qui court à compter de la réception de la déclaration préalable. Ces dispositions visent notamment à ce que les propriétaires qui ont décidé de vendre un bien susceptible de faire l'objet d'une décision de préemption sachent de façon certaine et dans de brefs délais s'ils peuvent ou non poursuivre l'aliénation envisagée. Dans l'hypothèse d'une déclaration incomplète, le titulaire du droit de préemption peut adresser au propriétaire une demande de précisions complémentaires, qui proroge le délai de deux mois. En revanche, lorsqu'il a décidé de renoncer à exercer le droit de préemption, que ce soit par l'effet de l'expiration du délai de deux mois, le cas échéant prorogé, ou par une décision explicite prise avant l'expiration de ce délai, il se trouve dessaisi et ne peut, par la suite, retirer cette décision ni, par voie de conséquence, légalement exercer son droit de préemption.

4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la déclaration préalable du 1er novembre 2021 comprenait l'ensemble des informations prévues par l'article L. 214-1 du code de l'urbanisme, à savoir : le prix de la cession, l'activité de l'acquéreur pressenti, le nombre de salariés du cédant, la nature de leur contrat de travail et les conditions de la cession. Elle comportait également le bail commercial et précisait le chiffre d'affaires. Par ailleurs, si la commune fait valoir que la déclaration préalable serait entachée d'une erreur substantielle affectant la consistance du bien, son prix ou les conditions de son aliénation, il ressort des pièces du dossier que la déclaration préalable indiquait que la cession portait sur un fonds de commerce et comprenait, à ce titre, la cession d'un droit à bail, que l'identité du bailleur était également indiquée et que, dès lors que le déclarant joignait à la déclaration préalable un bail commercial au nom d'un précédant exploitant, l'affirmation du cédant quant à l'absence de bail écrit ne pouvait être mal interprétée. En outre, les erreurs de plume quant à l'indication de la partie 5 du formulaire, la signature de certaines des copies de la déclaration et la révélation ultérieure de l'omission du prix de cession des marchandises n'étaient pas de nature à induire les services de la commune en erreur sur la consistance de la cession envisagée. En outre, aucune disposition de ce même article L. 241-1 n'autorise l'autorité dotée de pouvoir de préemption à demander une rencontre avec l'acquéreur pressenti, un bail à son nom, non plus qu'aucune des informations complémentaires demandées par le courrier du 22 novembre. Il en résulte que la déclaration préalable du 1er novembre 2021 étant complète, la demande de précision du 22 novembre 2021 n'a pas eu pour effet de proroger le délai d'exercice du droit de préemption qui a expiré le 4 janvier 2022. Par suite, la SARL " Marché d'Istambul " est fondée à soutenir que la décision de préemption, en date du 15 décembre 2021, qui lui a été notifiée le 7 janvier 2022 postérieurement à l'expiration des délais prévus par l'article L. 214-1 du code de l'urbanisme est, pour ce motif, entachée d'illégalité.

5. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier ". Aucun autre moyen n'est susceptible de fonder, en l'état du dossier, l'annulation de la décision attaquée.

Sur les frais liés à l'instance :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société requérante, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune leur réclame sur ce fondement. Il y a, en revanche lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Gonesse la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SARL " Marché d'Istambul ", et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La décision du 15 décembre 2021 du maire de la commune de Gonesse portant exercice du droit de préemption sur le fonds de commerce appartenant à la société " Marché d'Istambul " est annulée.

Article 2 : La commune Gonesse versera à la société " Marché d'Istambul " une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Gonesse au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société " Marché d'Istambul " et à la commune de Gonesse.

Délibéré après l'audience du 20 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Buisson, président ;

Mme Mettetal-Maxant, première conseillère ;

M. Ausseil, conseiller ;

assistés de Mme Pradeau, greffière.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 octobre 2024.

Le rapporteur,

signé

M. Ausseil

Le président,

signé

L. Buisson

La greffière,

signé

A. Pradeau

La République mande et ordonne au préfet du Val-d'Oise en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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