Cass. com., 1 octobre 1996, n° 94-13.860
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Huglo
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Peignot et Garreau, SCP Urtin-Petit et Rousseau-Van Troeyen
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1°/ M. Jean-Claude Y...,
2°/ Mme Michelle A..., épouse Y...,
demeurant ensemble ..., en cassation d'un arrêt rendu le 9 février 1994 par la cour d'appel de Reims (Chambre civile, section 1), au profit :
1°/ de M. Michel X...,
2°/ de Mme Christiane B..., épouse X...,
demeurant ensemble ... Reims, défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 4 juin 1996, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Huglo, conseiller référendaire rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Lafortune, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Huglo, les observations de la SCP Peignot et Garreau, avocat des époux Y..., de la SCP Urtin-Petit et Rousseau-Van Troeyen, avocat des époux X..., les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Reims, 9 février 1994) que, par acte du 21 juin 1990, Mme Y..., agissant pour elle-même et se portant fort pour son époux, M. Y..., s'est engagée à vendre aux époux X..., qui ont accepté, un fonds de commerce pour le prix de 950 000 francs; qu'il était stipulé que ce prix serait payé le jour de la signature de l'acte de cession, les acquéreurs ayant la charge de verser un acompte de 95 000 francs; que M. Y... ayant, par la suite, refusé de signer l'acte définitif, les époux X... l'ont assigné ainsi que Mme Y... en réparation du préjudice qu'ils prétendaient avoir subi du fait de la non-réalisation de la vente; que la cour d'appel, après avoir rejeté cette demande en ce qu'elle était dirigée contre M. Y..., l'a accueillie en ce qu'elle était dirigée contre son épouse;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, après avoir écarté le moyen tiré de l'inexécution par les acquéreurs de leur obligation de verser l'acompte, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, dans leurs conclusions, les époux Y... avaient fait valoir que les époux X... ne versaient, pour tout justificatif de cet acompte, qu'un chèque tiré sur la Banque Populaire de Champagne d'un montant de 95 000 francs libellé à l'ordre du Cabinet Marthou; qu'il appartenait dès lors à la cour d'appel de vérifier s'ils n'apportaient ainsi la preuve contraire aux mentions de l'acte et si la remise d'un chèque établi au nom de l'agence libérait les acquéreurs de leurs obligations; que l'arrêt est, par suite, entaché de défaut de base légale au regard des articles 1184 et 1120 du Code civil; alors, d'autre part, que la cour d'appel n'a pas, sur ce point, répondu aux conclusions des époux Y... et a ainsi violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; et alors, enfin, que les époux ne peuvent l'un sans l'autre aliéner les fonds de commerce dépendant de la communauté et qu'un tel acte, accompli par l'un des époux hors les limites de ses pouvoirs, est atteint de nullité et se trouve privé d'effet; qu'il appartenait, dès lors, à la cour d'appel de s'assurer que le fonds sur lequel avait porté la promesse de porte fort ne dépendait pas de la communauté des époux Y..., Z... Y... ne pouvant valablement engager seule un bien dépendant de la communauté; que l'arrêt est par suite privé de base légale au regard de l'article 1424 du Code civil;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté qu'un chèque de 95 000 francs avait été remis à titre d'acompte par les époux X... à Mme Y... lors de la signature de la promesse de vente, l'arrêt a pu décider que les acquéreurs s'étaient, du seul fait de cette remise, acquittés de leurs obligations, dès lors que quittance de cette somme leur avait expressément été donnée par la venderesse; que la cour d'appel, qui a ainsi répondu aux conclusions prétendument délaissées, a légalement justifié sa décision;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel ne s'est pas fondée sur ce que Mme Y... pouvait disposer du fonds litigieux sans le consentement de son époux, mais sur ce que la vente n'ayant pu être réalisée faute du consentement de ce dernier, la responsabilité de Mme Y... était engagée à l'égard des époux X... pour avoir failli à sa promesse de porte fort;
D'où il suit que le moyen, qui est inopérant en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus;
Sur le second moyen :
Attendu que Mme Y... fait encore grief à l'arrêt d'avoir fixé à 150 000 francs le montant des dommages-intérêts alloués aux époux X..., alors, selon le pourvoi, que la cour d'appel ne pouvait accorder à ces derniers plus que la perte éprouvée et le gain manqué; qu'en tenant compte dès lors des revenus dont ils "auraient" disposé sans même indiquer le montant de ce que les emplois qu'ils avaient occupés leur avaient apporté, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure de vérifier le caractère certain et pas seulement essentiel du préjudice qu'elle a retenu ;
que l'arrêt est, par suite, dépourvu de base légale au regard des articles 1120 et 1149 du Code civil;
Mais attendu que la cour d'appel a souverainement apprécié l'étendue du préjudice par l'évaluation qu'elle en a faite; que le moyen n'est pas fondé;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les époux Y..., envers les époux X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande des époux X...;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du premier octobre mil neuf cent quatre-vingt-seize.