CA Lyon, 25 juin 2015, n° 12/06591
LYON
Arrêt
Infirmation
Exposé du Litige
La société italienne G[…] a assigné la société française R[…] en paiement de factures de vente
de chaussures.
Celle-ci a objecté que des livraisons antérieures présentaient des vices et non-conformités et
fait en outre valoir que sa cocontractante avait manqué au respect de l’exclusivité qu’elle lui
avait consentie et avait été déloyale à son égard.
Le jugement entrepris statue au visa des articles 1603 et suivants, 1134, 1315, 1142, 1149,
1382 et 1383 du code civil et des articles 9 et 101 et suivants du code de procédure civile, en
ces termes:
- constate que la créance de la société G[…] est exigible sur la société R[…] et non réglée,
- constate que la société G[…] a respecté ses obligations,
- condamne la société R[…] à payer à la société G[…] les factures impayées pour un montant
de 254 676 euros TTC outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure en
date du 4 avril 2011,
- constate que la société G[…] se rend coupable d’attitude déloyale à l’égard de la société
R[…],
- ordonne à la société G[…] de cesser ses agissements déloyaux,
- ordonne à la société G[…] de respecter l’exclusivité consentie à la société R[…], et ce pour
une durée d’un an et sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée,
- déboute la société R[…] de l’ensemble de ses autres demandes,
- condamne la société R[…] à payer à la société G[…] la somme de 3 000 euros au titre de
l’article 700 du code de procédure civile,
- ordonne l’exécution provisoire du présent jugement,
condamne la société R[…] aux dépens de l’instance y compris ceux découlant des articles
10 à 12 du décret du 12 décembre 1996 en cas d’exécution forcée.
La société R[…] a relevé appel.
Les parties citant incidemment les dispositions de la Convention des Nations unies, dite Convention de Vienne du 11 avril 1980 (CVIM), un arrêt rendu avant dire droit les a invitées à
présenter leurs observations sur l’applicabilité et l’incidence éventuelle de la CVIM sur les réclamations relatives à l’indemnisation de dommages causés, selon la société R[…] par les nonconformités et vices cachés des marchandises qu’elle vise.
Dans ses dernières conclusions, prises après cet arrêt, la société R[…] expose que ses réclamations nées des défauts affectant les marchandises en provenance d’Italie et à destination de
la France relèvent bien du champ d’application de la CVIM.
Elle fait valoir que ces défauts (puces-tailles volontairement grattées, clou retrouvé à l’intérieur d’une chaussure), comme les vices cachés (décollement des semelles à l’usage) engagent
la responsabilité de la société G[…] dans les termes de cette convention, qu’ils lui ont été dénoncés et qu’elle les a même reconnus.
Elle en déduit que le sursis au règlement des dernières factures ressortit à la mise en œuvre
d’une exception liée à l’inexécution globale par cette dernière de ses obligations contractuelles, selon le mécanisme de l’article 71-1 CVIM et qu’elle est en droit d’obtenir réparation
de ses préjudices.
La société R[…] soutient par ailleurs qu’il existait un contrat d’exclusivité, régi par la loi française et tout à la fois clair, précis et inconditionné, dont la société G[…] n’a pas respecté les
termes - y compris en poursuivant ses activités en violation de l’interdiction prononcée en
première instance - ce qui justifiait que les factures ne soient pas réglées.
Elle détaille les éléments de son préjudice et, au visa des articles 101 et suivants du code de
procédure civile, des articles 1142, 1149, 1184, 1644 et 1645 du code civil, ainsi que des articles 35, 36, 45, 71 et 74 de la Convention des Nations Unies du 11 avril 1980, demande de:
- réformer le jugement en toutes ses dispositions,
- constater que la société G[…] a procédé à des livraisons de produits non-conformes ou
atteints de vice caché,
- constater que la société G[…] a manifestement violé son engagement contractuel d’exclusivité vis-à-vis de la société R[…],
- constater que la société G[…] s’est en outre rendue coupable d’agissements déloyaux à
son encontre,
- en conséquence,
dire et juger la société R[…] bien fondée à solliciter la réparation du préjudice en résultant,
- condamner la société G[…] à verser à la société R[…] la somme de:
- 37 697 euros au titre du remboursement des avoirs établis aux clients pour toutes les
marchandises non conformes ou atteintes de vice caché, et du coût de remplacement
des dites marchandises, ainsi que des coûts logistiques induits,
- 81 945 euros au titre de la perte de chiffre d’affaires subie par la société R[…] ensuite
des différents agissements fautifs de la société G[…] que ce soit la livraison de produits
non conformes ou atteints de vice(s) cachés, ou la violation de son engagement d’exclusivité,
- 100 000 euros de dommages et intérêts au titre de le perte d’image et trouble commercial subi du fait des agissements déloyaux de la société G[…],
- en tout état de cause, prendre acte que la société R[…] a déjà versé l’intégralité de la condamnation de première instance à la société G[…] au titre de l’exécution provisoire,
- dire et juger qu’il convient d’opérer une compensation entre les sommes dues à la société
R[…] en vertu des motifs ci-dessus exposés et l’éventuel solde des sommes allouées à la
société G[…],
- condamner la société G[…] à verser à la société R[…] une somme de 20 000 euros au titre
de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’en tous les dépens de première instance et d’appel, ces derniers distraits au profit de la SCP A[…]-N[…],
- condamner la société G[…] à verser à la société R[…], en cas d’exécution forcée de la décision à intervenir, au paiement d’une indemnité équivalente au droit proportionnel mis à
la charge du créancier par l’huissier instrumentaire au titre de l’article 10 du décret 2001-
212 du,8 mars 2001.
La société G[…] objecte que ce n’est qu’après avoir été assignée que la société G[…] a élevé
ses contestations sur la conformité des produits, de sorte qu’elle ne les a pas formulées dans
un délai raisonnable, que les ventes ont porté sur des quantités très importantes, que les malfaçons ne concernent, comme l’a relevé le tribunal, qu’un nombre limité de paires et que la
société G[…] a d’ailleurs continué ses commandes; elle souligne que les factures fondant sa
demande ont trait à des chaussures vendues avant celles présentant un problème d’indication
de taille et soutient que les autres problèmes ont été résolus et compensés.
Elle fait par ailleurs valoir qu’elle n’a consenti aucune exclusivité à la société R[…], ent tout cas
qu’elle ne l’a pas fait pour les modèles concernés, et qu’elle ne s’est donc pas livrée une concurrence déloyale, d’autan que les parties ne sont pas en situation de concurrence, puisque la
société R[…] ne lui commande plus de chaussures depuis le mois de janvier 2011.
La société G[…] ajoute que la société R[…] ne démontre aucun préjudice, et conclut:
Vu la Convention de Vienne et notamment les articles 35, 38, 39 et 53;
Vu les articles 1603 et suivants, 1134 et 13 15 du code civil;
Vu les articles 9 et 526 du code de procédure civile;
Vu les pièces versées au débat;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a:
- constaté que la créance de la société G[…] est exigible sur la société R[…] et non réglée,
- constaté que la société G[…] a respecté ses obligations,
- condamné la société R[…] à payer la société G[…] les factures impayées pour un montant de 254 676 euros TTC outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure en date du 4 avril 2011,
- débouté la société R[…] de l’ensemble de ses autres demandes,
- condamné la société R[…] à payer la société G[…] la somme de 3 000 euros au titre de
l’article 700 du code de procédure civile,
- y ajoutant,
- constater que deux factures complémentaires sont arrivées à échéances et n’ont pas été
réglées par la société R[…] pour un montant complémentaire de 72 847,00 euros TTC,
- par conséquent,
- condamner la société R[…] au paiement de ces factures impayées pour un montant complémentaire de 72 84 7 euros TTC à la société G[…], outre intérêts au taux légal à compter
de la mise en demeure en date du 4 avril 2011,
- pour le surplus,
- réformer le jugement entrepris en ce qu’il a notamment imposé à la société G[…] le respect d’un engagement d’exclusivité sur un période de 12 mois et condamné la société G[…]
à payer 10 173,10 euros à la société R[…] au titre de la perte d’image,
- constater que la société R[…] ne justifie pas de la défectuosité des produits objets des
factures impayées, ni des fautes reprochées à la société G[…],
- constater que la société R[…] ne justifie pas d’avoir dénoncé à la société G[…], dans un
délai raisonnable, une non-conformité des produits objets de la commande impayée,
constater que la société R[…] ne justifie pas de l’existence d’un accord d’exclusivité entre
les parties,
- constater que la société R[…] ne justifie pas d’une faute de la société G[…] ou d’un quelconque comportement déloyal,
- constater que la société R[…] ne justifie pas du moindre préjudice qu’elle aurait éventuellement subi du fait d’une faute avérée de la société G[…],
- constater que la société R[…] ne commande plus de chaussures à la société G[…] depuis
janvier 2011,
- par conséquent,
- débouter la société R[…] de l’intégralité de ses demandes,
- condamner la société R[…] à payer à la société G[…] la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société R[…] aux entiers dépens et y compris ceux découlant des articles 10
à 12 du décret du 12 décembre 1996 en cas d’exécution forcée, ceux d’appel distraits au
profit de Maître Laffly, avocat.
Motifs de la Décision
La société R[…] poursuit l’entière réformation du jugement.
Pour autant, le dispositif de ses conclusions d’appel ne demande pas de débouter la société
G[…] de son action en paiement; il n’y est question que d’une compensation entre sa propre
créance et l’éventuel solde des sommes allouées à la société G[…].
La société R[…] ne conteste pas plus la demande complémentaire formée par la société R[…]
à hauteur de 72 847 euros TTC.
Et elle ne critique pas le point de départ des intérêts moratoires, y compris pour ce qui est de
cette demande complémentaire.
Elle estime, par ailleurs, qu’elle était en droit de différer l’exécution de ses obligations, conformément à l’article 71 de la CVIM et agit en paiement de dommages et intérêts, au visa de
son article 74.
Elle ne se fonde donc pas sur les textes de cette convention relatifs à la résolution de la vente.
Par ailleurs, sa demande porte sur le paiement de marchandises qui ne sont pas celles dont
elle objecte la non-conformité.
Il se déduit de ces éléments que l’appel principal ne tend pas à la décharge de l’obligation de
paiement liée à des ventes dont la société R[…], ne conteste aucun aspect (réalité, prix, conformité), mais à la condamnation à des dommages et intérêts compensant sa propre dette, à
raison de critiques concernant d’autres livraisons.
La société R[…] ne formule, en toute hypothèse, aucun moyen d’infirmation de la condamnation prononcée à ce propos en première instance, puisqu’elle n’objecte qu’un droit à différé
d’exécution qui, en soi, n’éteint pas son obligation.
Le quantum des réclamations, y compris celui du complément, ne fait pas débat.
Enfin, la société G[…] indique dans ses conclusions que la demande d’arrêt de l’exécution provisoire ayant été rejetée, la société R[…] «s’est exécutée en juin 2013»; elle ne s’oppose pas à
ce qu’il soit pris acte de ce paiement.
Il convient en conséquence, sur la demande de la société G[…], de confirmer le jugement sur
ce point et de faire droit à sa réclamation complémentaire, tout en prenant acte, acte du règlement des causes du jugement.
L’examen du bien fondé de l’exercice par la société R[…] de son droit au différé d’exécution
dans les conditions prévues à l’article 71 CVIM est sans objet.
D’une part, en effet, la condamnation au paiement des factures est désormais acquise et la
société R[…] n’objecte rien à la demande en paiement du solde, entre-temps venu à échéance.
D’autre part, ce texte ne fonde aucune prétention de la part de la société R[…].
Et il en va de même de la société G[…], qui ne se réclame pas de l’article 74 CVIM en faisant
valoir qu’elle aurait subi un préjudice lié à ce différé et ne conclut qu’à l’application des intérêts moratoires au taux légal, lesquels résultent du seul retard de paiement, hors tout préjudice indépendant, conformément à son l’article 78 de cette convention.
Il n’est donc pas de litige à trancher à ce propos.
Sur les demandes indemnitaires:
Action en dommages et intérêts pour non-conformité:
Les produits en cause sont des chaussures destinées à un usage professionnel, notamment en
protégeant la sécurité de l’utilisateur.
La société G[…] indique, sans être contredite, qu’elle en a vendu environ 30 000 paires à la
société R[…], et considère que les défauts prétendus portent sur une quantité minime, qu’ils
ne sont pas prouvés et qu’ils ont été tardivement dénoncés.
Quant à cette dernière critique, les articles 38 et 39 CVIM imposent à l’acheteur d’examiner
les marchandises ou de les faire examiner dans un délai aussi bref que possible eu égard aux
circonstances et il est déchu du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité s’il ne dénonce pas le défaut au vendeur, en précisant sa nature, dans un délai raisonnable à partir du moment
où il l’a constaté ou aurait dû le constater.
Les conclusions de la société G[…] exposent que le problème, tenant à ce que la mention de
leur taille sur la semelle de certaines chaussure a été «grattée», est apparue en février 2011.
Elle produit un échange de courriers électroniques sur cette question, dont le premier lui a
été adressé par la société R[…] le 3 février 2011: elle a répondu le même jour: «je vous prépare
l’avoir tout de suite».
Le décollement des semelles est, selon elle, survenu, à la marge, en décembre 2009 et en 2010
et, dès les mois de février 2010, elle a reconnu la difficulté, émis des avoirs et proposé des prix
moindres pour l’achat des produits futurs.
Rien ne montre, au contraire, que la découverte d’un clou dans une chaussure a été dénoncé
au vendeur, car il ne peut se déduire de la seule pièce produite à ce propos (n°33) qu’il était
destinataire du courrier ainsi produit; cette circonstance est négligeable, cependant, quant à
ses effets sur les réclamations présentées.
La société G[…] souligne enfin que la société R[…] n’a pas fait valoir de défauts de conformité
sur les marchandises donnant lieu à sa réclamation, avant d’être assignée en justice.
Mais cet argument est sans portée: la condamnation au paiement de ces factures est prononcée et le débat porte, indépendamment même de l’existence de l’ensemble contractuel
unique dont se prévaut la société R[…], sur la preuve et les conséquences des défauts des
marchandises antérieurement livrées.
Or, il découle de la chronologie rappelée que, s’agissant de ces dernières, elle a déclaré, dans
un délai raisonnable et dans les formes habituelles du commerce, tant le problème d’indication des tailles, dès réception, que le décollement des semelles, aussitôt qu’elle a été avisée
de ce défaut, qui n’est apparu qu’après qu’elle a reçu les marchandises et qu’elles ont été
ensuite revendues par les distributeurs au consommateur final, qui l’a signalé.
La société R[…] Elle n’encourt pas la déchéance objectée par la société G[…].
Cette dernière objecte encore que la société R[…] a continué à passer des commandes, au prix
renégocié et plus favorable qui lui avait été consenti, en sachant que certaines chaussures
pouvaient présenter un défaut et donc en toute connaissance de cause, de sorte que le vendeur n’est pas responsable de défaut de conformité que l’acheteur connaissait ou devait connaître lors de la conclusion du contrat.
Mais aucun élément ne permet de retenir que le prix a été négocié en vue de poursuivre l’activité, à charge de cet aléa, et non à titre de geste commercial au regard des problèmes passés.
Au contraire, la société G[…] écrivait à la société R[…], le 4 mars 2010:
«en Roumanie, ils ont résolu les problèmes de qualité avec le changement des modules; il n’y aura plus de problème de l’étanchéité; la seule chose que nous pouvons vous proposer, c’est d’avoir un peu de patience jusqu’à quand vous recevrez les prochaines commandes; quand vous aurez les chaussures de notre dernière production,
vous nous communiquerez combien de paires vous voulez faire contrôler dans votre
stock et nous retirerons ces chaussures».
Puis, le 7 avril 2010: «je peux vous dire qu’avec le changement des modules, le problème ne
se reproduira plus et vous avez bien remarqué que à partir des livraisons du mois de mars la
qualité est bien respectée»; c’est ce courrier qui propose un prix de 10 euros la paire «pour
les prochaines commandes».
Ainsi le prix renégocié n’impliquait nullement que ces défauts de qualité allaient récidiver et
il n’est pas établi que c’est en considération de cet aléa futur et connu de l’acheteur, qu’il a
été fixé.
Le moyen pris de l’article 35, 3) CVIM n’est pas fondé.
L’acheteur est donc en droit d’agir en réparation des dommages causés par les défauts de
conformité, qui ont été déclarés dans les conditions légales.
Quant à la preuve de la réalité des défauts et des quantités de chaussures atteintes, la société
R[…] produit, s’agissant de la suppression des puces-tailles:
- un courrier du 3 février 2011, qui concerne 10 paires,
- un constat d’huissier du 13 avril 2001, qui ferait état de 120 paires,
- un courrier du 22 avril 2011, qui mentionne «un certain nombre de paires», en précisant
«n’avoir pas encore fait le point sur le nombre précis de paires concernées».
Elle se fonde en outre sur divers éléments qui montrent des protestations et même des retours clients, notamment les pièces n°8, 18, 32, 33, 38, 39 (semelle coupée, lanière défectueuse, plus de mention de la taille sur la chaussure, dessus de la chaussure décollé, clou etc.),
ainsi qu’un déréférencement (société Es[…]) et une annulation de commande.
Chacun des ces deux défauts est prouvé, et a d’ailleurs été reconnu pour ce qui est des produits en cause.
S’agissant de chaussures, et plus précisément de chaussures de sécurité professionnelles destinées à être utilisée de manière intensive et durable au travail, ces marchandises ne sont pas
propres aux usages auxquels serviraient habituellement des marchandises du même type;
elles ne sont pas conformes au contrat.
Il en résulte que la demande de dommages et intérêts de la société R[…], pour contravention
au contrat, est fondée en son principe au regard des articles 45 et 74 CVIM.
Pour apprécier la perte subie et le gain manqué, tels que la société G[…] les avait prévus ou
aurait dû les prévoir au moment de la conclusion du contrat, comme étant des conséquences possibles de la contravention, le nombre des paires de chaussures concernées est un critère
d’examen.
De ce point de vue, les éléments produits par la société G[…] sont imprécis.
Notamment, il ne ressort pas du constat qu’elle cite que 120 paires sont atteintes de défauts;
l’huissier dit seulement qu’une palette est filmée et entreposée dans l’entrepôt, que chacun
des douze cartons contient dix boîtes de chaussures P[…], qu’il s’agit de chaussures de cuisine
coquées, qu’une boîte est ouverte, que «sous la semelle, la puce-taille est grattée, la taille
n’apparaît donc pas sur la semelle» et que «en mettant les chaussures l’une à côté de l’autre,
on s’aperçoit que la chaussure noire provenant de la boîte de taille 49 est identique à la chaussure blanche sur laquelle la puce-taille indique 47»; il constate encore le retour de trois paires
(taille grattée, semelle extrêmement usagée et trouée).
La société G[…] souligne donc à juste raison le petit nombre des produits concernés par rapport à l’ensemble des livraisons et la seule affirmation de la société R[…], selon laquelle il y en
avait évidemment d’autres, ne fait pas la preuve qui lui incombe quant à un nombre plus important.
Mais ce nombre ne constitue pas le seul critère d’appréciation du dommage car, en pratique,
un défaut portant sur un nombre restreint de chaussures produit des conséquences dommageables plus larges que celles qui s’attachent strictement à ce nombre:
- pour le revendeur, des chaussures de sécurité professionnelle dont la pointure n’est pas
précisée sont très difficiles à vendre; en effet, elles ont notamment vocation à être achetées par des employeurs ou par des centrales d’achat, et donc sur catalogue et par pointures, sans que le destinataire final soit amenée à les essayer, de sorte que l’indication de
cette pointure est un élément déterminant,
- pour l’utilisateur final, des chaussures qui se dégradent de manière anormalement rapide
ne répondent pas aux attentes, et n’ont pas «leur qualité habituelle» (courrier de la société Er[…]).
Que le déréférencement soit officiellement notifié ou non, ce qui dépend des conventions
entre les parties, il est donc certain que de tels défauts portent un coup sérieux à la confiance
des acheteurs dans les produits de la société R[…] et a un impact direct sur leur décision d’en
acheter ou non.
Il faut encore tenir compte de la persistance des difficultés, puisque la société R[…] continuait
à faire état, notamment, des décollements de semelles après le mois de mars 2010, de sorte
que si même la question était réglée à cette date, les conséquences de la défaillance antérieure ont longtemps perduré.
La société R[…] fait enfin état d’importants retards de livraison, qui ne faisaient qu’ajouter au
discrédit qu’elle subissait; la société G[…] ne réplique rien à ce propos.
Elle objecte, par ailleurs, que la société R[…] ne l’a jamais informée des problèmes avec les
clients, touts les mails produits étant internes à cette entreprise.
Mais cela ne fait pas disparaître la réalité des défauts, d’une part, celle des litiges, d’autre part,
qui sont suffisamment prouvés par les pièces produites.
La société R[…] est fondée à obtenir l’indemnisation de ses préjudices, à la mesure du dommage prouvé, direct ou induit.
Action en dommages et intérêts pour violation d’une obligation d’exclusivité:
Pour dire que la société R[…] a contracté cette obligation, la société G[…] se fonde sur:
- le courrier précité du 7 avril 2010 qui, sur ce point, est en ces termes: «nous n’étions pas
au courant que des produits similaires aux P[…] et A[…] entraient en France par d’autres
pays; maintenant que nous le savons, nous ferons le possible pour que ça ne se reproduise
pas; pour ce qui concerne la distribution des produits de sécurité en France, je vous ferai
savoir très vite comment nous allons pouvoir procéder; G[…] garantit à la société R[…]
l’exclusivité sur tout le territoire français et tous les coûts pour la recherche et le développement seront à la charge de G[…]»,
- un courrier du 26 avril 2010: «je voudrais vous informer que mes réponses ont un objectif
de collaboration et veulent résoudre chaque problème pour continuer à travailler ensemble en confiance, ..., G[…] ne vend pas aux clients de Robur, ..., notre agent pour la
France a des obligations que G[…] lui donne et nous lui avons déjà dit de ne pas proposer
des chaussures aux clients de R[…], ..., les factures qui ont eu échéance doivent être réglées au plus vite car vous mettez sérieusement en difficulté notre équilibre financier»,
- sur un courrier du 4 mai 2010: «proposition commerciale: nous allons clairement interdire
à M. C[…] de vendre en France les chaussures agro-alimentaires blanches et noires produites par G[…] tant que vous travaillerez avec nous; proposition financière: 1) ou
20 000 paires de chaussures à 10,00 euros 2) ou une remise de 3% à la fin de l’année; ce
que nous vous demandons est de régler les factures qui ont eu échéance dans le plus bref
délai».
La société R[…] considère donc que c’est en violation de cet engagement que la société G[…]
distribuait les produits P[…] et A[…] en France, à ses clients par surcroît, en rebaptisant l’un
des modèles Ari[…] et l’autre, N[…],
Mais, d’une part:
- le courrier du 7 avril 2010 ne prend que l’engagement de faire son possible pour lutter
contre les importations parallèles, qui ne peuvent d’ailleurs être interdites par principe sur le territoire de l’Espace économique européen; il ne précise pas pour quels produits précis
G[…] garantit une exclusivité,
- le courrier du 26 avril 2010 traite de treize questions différentes et se termine ainsi: «je
vous prie de me faire savoir ce que vous prétendez de votre part, à fin de trouver un accord, à moins que vous ne voulez plus travailler avec G[…]; nous restons dans l’attente de
votre décision»,
- de même, le courrier du 4 mai 2010 formule des «propositions», et mentionne la nécessité
de régler les factures en souffrance.
Par ailleurs, la société G[…] produit aux débats des photographies des quatre modèles concernés, qui montrent que le modèle P[…] diffère de l’Ari[…] et le modèle A[…], du N[…].
La forme n’est pas identique et surtout, les modèles P[…] et A[…] ont une semelle très particulière, nettement différente de celle des deux autres.
La société R[…] n’établit donc pas que la société G[…] lui avait consenti une exclusivité qui ne
se déduit pas de chaque courrier, ni de leur combinaison, d’autant qu’elle ne les a pas acceptés
en mêmes termes et qu’elle a tardé à régler les factures, alors que cette question était cruciale
pour cette dernière, comme il ressort de la répétition de sa mention, peu important que le
refus de régler les suivantes, qui a débouché sur le présent litige, soit postérieur à ces courriers.
Et il n’est pas établi que la société G[…] a rebaptisé les modèles en cause: ce ne sont pas les
mêmes.
Il est, certes, exact qu’elle a écrit le 4 mai 2010 au revendeur concerné, M. C[…] («qui a les
obligations que G lui donne»): «nous avons eu des nouvelles de R[…] et, suite à leurs demandes, Cr[…] a pris des décisions; nous t’interdisons donc de ne plus livrer en France à partir
de ce jour les chaussures blanches et noires, aucune; ni n[…], ni ari[…], ni k[…]; j’espère que tu
comprendras, R[…] est notre meilleur client français».
Ce courrier ne dit pas qu’un accord est intervenu, mais qu’une décision a été prise par le dirigeant de la société G[…] parce que la société R[…] est son meilleur client et qu’elle en a fait la
demande.
Il n’implique pas que la société G[…] a fait autre chose que de trouver une solution pour garder
ce client.
La demande fondée sur une violation de l’exclusivité manque en droit, comme en fait.
Il en résulte que le jugement prononçant l’interdiction dont la société R[…] fait grief de violation par le biais de l’agence E[…]-E[…] doit être infirmé, de sorte que ce grief est dépourvu de
fondement.
Quant au quantum de ses demandes, la société R[…] réclame le remboursement des avoirs
établis aux clients pour toutes les marchandises non conformes, des coûts logistiques induits et de la perte de chiffre d’affaires subie ensuite des différents agissements fautifs de la société
G[…], que ce soit la livraison de produits non conformes ou atteints de vice caché ou la violation de son engagement d’exclusivité, ainsi que des dommages et intérêts au titre de la perte
d’image et du trouble commercial subi du fait des agissements déloyaux de la société G[…].
Ses conclusions précisent que cette perte d’image découle également des défectuosités, mais
la cour d’appel ne statue que sur le dispositif des conclusions, et la prétention qui y est émise
n’est en rapport qu’avec les agissements qualifiés de déloyaux.
Une grande partie de ces demandes repose donc sur des reproches de concurrence illicite ou
déloyale, qui ont été écartés.
Pour le surplus, la société R[…] rappelle que les défauts prouvés ne concernent que 0,26% des
chaussures commandées.
Pour autant, la société R[…] fait exactement valoir qu’elle a dû mobiliser du personnel pour
faire face aux plaintes et retours et qu’elle a dû émettre des avoirs et exposer des frais de
transport, d’enlèvement et de réexpédition de la marchandise.
La preuve de ces avoirs résulte suffisamment de la production des documents établissant leur
émission et le lien de causalité avec les faits en litige résulte en outre des motifs qui y sont
énoncés.
Compte tenu de l’évaluation de ces frais et du gain ainsi manqué, qui ne peut être entièrement
mis en rapport direct avec la perte de chiffre d’affaires, eu égard au petit nombre de produits
concernéset aux incidences des autres griefs de la société R[…], qui ont été écartés, les dommages et intérêts doivent être adéquatement fixé à:
- avoirs: 15 821,11 euros,
- frais de transport d’enlèvement et de réexpédition, compte tenu de l’évidence de leur
nécessité, mais de l’absence de désignation aux conclusions des pièces attestant de leur
montant, ils seront retenus pour: 3 000 euros,
- frais logistiques induit; eu égard au fait que les salaires sont payés, hors ce litige, il s’agit
d’une indemnisation du temps perdu: 3 000 euros,
- remplacement des boîtes: 133,50 euros,
- et en ce qui concerne la perte de chiffre d’affaires, pour la seule part attribuable aux défauts de conformité et retard, soit 30%, le surplus concernant le prétendu détournement,
et le tout sur la base des documents comptables établissant la marge brute: 27 315 euros.
La demande est fondée pour 49 269,61 euros.
Cependant, la société R[…] succombe essentiellement; les dépens sont à sa charge. Aucune circonstance ne conduit à écarter l’application de l’article 700 du code de procédure
civile.
Par ces Motifs:
La Cour,
- Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il constate que la créance de la société G[…]
est exigible sur la société R[…] et non réglée, condamne la société R, à payer à la société G[…] un montant de 254 676 euros TTC outre intérêts au taux légal à compter de la
mise en demeure en date du 4 avril 2011, et en ce qu’il statue sur les demande formées
au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que sur les dépens,
- Prend acte du règlement des causes du jugement,
- Condamne la société R[…] à payer à la société G[…] une somme de 72 847 euros TTC au
titre de factures venues à échéance, avec intérêts au taux légal à compter du 4 avril 2011,
- Déboute la société R[…] de ses demandes fondées sur la violation d’une obligation d’exclusivité et sur des agissements déloyaux,
- Condamne la société G[…] à payer à la société R[…] une somme de 49 269,61 euros en
indemnisation des préjudices causés par les défauts de conformité de la marchandise,
- Prononce compensation à due concurrence des créances réciproques,
- Condamne la société R[…] à payer à la société G[…] une somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’instance d’appel,
- Condamne la société R[…] aux entiers dépens d’appel, y compris ceux découlant des
articles 10 à 12 du décret du 12 décembre 1996 en cas d’exécution forcée, qui seront
recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, par
Maître Laffly, avocat.