Cass. 3e civ., 12 janvier 2017, n° 15-25.132
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Mme D
Défendeur :
MM.H
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M.CHAUVIN
Rapporteur :
MME.DAGNEAUX
Exposé du litige
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 18 juin 2015), que Mme [D], qui avait donné à bail à MM. [H] deux parcelles de terre, leur a délivré congé pour reprise au profit de son fils, M. [V] ; que MM. [H] ont sollicité la nullité du congé ;
Moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu que Mme [D] fait grief à l'arrêt d'annuler le congé ;
Motivation
Mais attendu que la cour d'appel, qui a souverainement retenu que le congé, qui prévoyait que M. [V] exploiterait les parcelles soit à titre individuel, soit au sein de l'EARL du Prieuré, dont il était le gérant, était de nature à induire les preneurs en erreur, en ce qu'il ne leur permettait pas de connaître précisément les conditions d'exploitation futures du bénéficiaire de la reprise, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Moyens
Sur le deuxième moyen, ci-après annexé :
Attendu que Mme [D] fait grief à l'arrêt d'annuler le congé ;
Motivation
Mais attendu que la cour d'appel qui, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant sur la pluriactivité de M. [V], a souverainement retenu que, si l'EARL du Prieuré était en possession de matériel et outillage, M. [V] ne disposait personnellement d'aucun matériel, s'il devait exploiter à titre individuel, et qu'il ne justifiait pas disposer de moyens financiers suffisants pour en acquérir personnellement, a légalement justifié sa décision ;
Moyens
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé :
Attendu que Mme [D] fait grief à l'arrêt d'annuler le congé ;
Motivation
Mais attendu que, Mme [V] n'ayant pas soutenu dans ses conclusions d'appel que la loi du 13 octobre 2014 n'était pas applicable, en ce qu'elle avait modifié les conditions dans lesquelles le bénéficiaire de la reprise peut relever du régime de la déclaration préalable, le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit, et partant irrecevable ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les autres griefs du moyen qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [D] aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme [D] et la condamne à payer à MM. [H] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier deux mille dix-sept.
Moyens annexés
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour Mme [D]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir, par confirmation du jugement entrepris, annulé le congé délivré le 8 mars 2012 par Mme [C] [D] à Messieurs [B] et [E] [H], et dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir à la suite de la demande d'autorisation d'exploiter formée par le bénéficiaire de la reprise,
AUX MOTIFS QUE « le congé qui prévoit que Monsieur [V] exploitera les parcelles « soit à titre individuel, soit au sein de l'EARL du Prieuré, dont il est le gérant » est de nature à induire les preneurs en erreur en ce qu'il ne leur permet pas de connaître précisément les conditions d'exploitation futures du bénéficiaire de la reprise,» (arrêt p.6 §2)
ALORS QUE le congé doit, à peine de nullité, mentionner expressément les motifs allégués par le bailleur, indiquer en cas de reprise les nom, prénom, âge, domicile et profession du bénéficiaire ainsi que l'habitation que ce dernier devra occuper après la reprise ; qu'en outre, lorsque le bien objet de la reprise est destiné à être exploité par mise à disposition d'une société, le congé doit mentionner cette circonstance ; qu'enfin la nullité du congé ne peut être prononcée si l'omission ou l' inexactitude constatée ne sont pas de nature à induire le preneur en erreur ; que dès lors, en se déterminant comme elle l'a fait, tout en constatant, d'une part, que le congé délivré le 8 mars 2012 précisait expressément que « le bénéficiaire de la reprise se consacrera à l'exploitation du bien repris pendant au moins 9 ans, soit à titre individuel, soit au sein de l'EARL du Prieuré, dont il est le gérant et ayant son siège [Adresse 1] » et, d'autre part, que M. [W] [V] était associé exploitant et gérant de l'EARL du Prieuré depuis sa création en 1998, ce qui excluait que les preneurs pussent être induits en erreur sur les conditions de mise en oeuvre de la reprise, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L 411-47, L 411-58 et L 411-59 du code rural et de la pêche maritime.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir, par confirmation du jugement entrepris, annulé le congé délivré le 8 mars 2012 par Mme [C] [D] à MM. [B] et [E] [H], et dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir à la suite de la demande d'autorisation d'exploiter formée par le bénéficiaire de la reprise,
AUX MOTIFS QU' « il lui [M. [W] [V]] est justement opposé son activité de dirigeant de sociétés ; qu'il est en effet président de la SASU BF INVESTISSEMENTS, société holding dont le siège est à [Localité 1] et de la société LES COMPTOIRS DES GRANDS VINS DE BORDEAUX ; que s'il n'a perçu aucune rémunération à ce titre selon l'attestation de son expert-comptable en 2013, cela ne vaut que pour l'exercice en cause, et n'a aucune incidence sur son investissement professionnel dans un autre secteur d'activité à plusieurs centaines de kilomètres de la parcelle litigieuse ; qu'il n'apporte pas le moindre élément sur la consistance de son activité de dirigeant, qui permettrait à la cour de déterminer la disponibilité dont il disposera pour participer effectivement et personnellement aux travaux d'exploitation de la parcelle ; que s'agissant des moyens nécessaires à la reprise, si l'EARL du PRIEURE est en effet en possession de matériel et outillage évalués à 77.371 euros selon l'attestation de son expert-comptable, il apparaît que Monsieur [V] ne disposerait personnellement d'aucun matériel s'il devait exploiter à titre individuel ; qu'il ne justifie pas disposer de moyens financiers suffisants pour l'acquérir personnellement ; qu'il sera donc observé que la condition relative au matériel nécessaire (
) n'est pas remplie ; que ces carences ainsi que sa pluriactivité s'exerçant en des lieux éloignés des parcelles objet de la reprise sont révélatrices de ce que Monsieur [V] n'a pas l'intention d'exploiter réellement et personnellement celles-ci, » (arrêt p.6, §5 à 7),
1) ALORS QUE si le bénéficiaire de la reprise doit, à partir de celle-ci, se consacrer à l'exploitation du bien repris pendant au moins neuf ans à titre individuel ou au sein d'une société dotée de la personnalité morale et doit participer sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation, il ne lui est cependant pas interdit d'exercer un mandat social, dans une association ou une société, qui ne comporte aucune activité professionnelle rémunérée, et qui, partant, n'est pas incompatible avec la mise en valeur personnelle des biens repris d'une manière effective et permanente, eu égard à l'importance de l'exploitation et à la nature céréalière des cultures ; que, dès lors, en se déterminant comme elle l'a fait, tout en constatant que les mandats exercés par M. [V] au sein des sociétés SASU BF Investissements et Les Comptoirs des grands vins de Bordeaux ne donnaient lieu à aucune rémunération et ne comportaient aucune activité professionnelle de direction d'une entreprise, tandis que la reprise ne portait que sur une parcelle de seulement 3 ha 23 a 20 ca, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L 411-58 et L 411-59 du code rural et de la pêche maritime,
2) ALORS QU'en se déterminant encore comme elle l'a fait, tout en constatant que M. [W] [V] résidait effectivement avec sa famille à Mont Saint Eloi et y exploitait des parcelles et encore qu'il était associé exploitant et gérant de l'EARL du Prieuré depuis sa création en 1998, laquelle exploite plus d'une centaine d'hectares depuis 2008 (55 ha en 2005), que plusieurs procès-verbaux de constat dressés depuis 2012 justifiaient de ce qu'il était occupé à la mise en culture sur ces parcelles de sorte que la condition de capacité était donc remplie, la cour d'appel n'a pas davantage légalement justifié sa décision au regard des articles L 411-58 et L 411-59 du code rural et de la pêche maritime,
3) ALORS QUE si le bénéficiaire de la reprise doit posséder le cheptel et le matériel nécessaire ou à défaut les moyens de les acquérir, il ne lui est cependant pas interdit d'utiliser ceux mis à sa disposition par la société dans le cadre de laquelle s'exercera l'opération ; que dès lors, en statuant encore comme elle l'a fait et en retenant que M. [V] ne disposerait personnellement d'aucun matériel s'il devait exploiter à titre individuel, ni même des moyens financiers suffisants pour l'acquérir personnellement, tout en constatant que la reprise pouvait se faire dans le cadre de l'EARL du Prieuré, qui était en possession de matériel et d'outillage évalués à 77.371 euros, la cour d'appel n'a pas tiré de ses constatations les conséquences qui s'en évinçaient au regard de l'article L 411-59 du code rural et de la pêche maritime.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir, par confirmation du jugement entrepris, annulé le congé délivré le 8 mars 2012 par Mme [C] [D] à MM. [B] et [E] [H], et dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir à la suite de la demande d'autorisation d'exploiter formée par le bénéficiaire de la reprise,
AUX MOTIFS QU' « il appartient à Monsieur [V] de démontrer qu'il est en conformité avec le contrôle des structures ; que s'il devait exploiter à titre individuel la parcelle, il doit être observé qu'à ce jour il ne dispose pas d'une autorisation administrative, mais en a fait la demande le 3 février 2015 ; qu'en effet le régime déclaratif des biens dit de famille ne lui est manifestement pas applicable eu égard à la modification de l'article L 331-2 II du code rural intervenu par la loi du 13 octobre 2014 ; qu'eu égard à la tardiveté de cette demande ainsi qu'à l'existence d'autres motifs d'annulation du congé, le sursis à statuer dans l'attente de cette décision n'est pas opportun ; que l'EARL DU PRIEURE ne dispose pas plus d'une telle autorisation, si Monsieur [V] devait exploiter dans ce cadre sociétal ; qu'il est constant que l'EARL ne peut se prévaloir du bénéfice du régime déclaratif, la personne morale n'ayant aucun lien de parenté avec la bailleresse ; (
) qu'il sera observé que la condition relative à (
) la réglementation du contrôle des structures n'est pas remplie » (arrêt p.6),
1) ALORS QU'en vertu de l'article 93-IX de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 29014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, « Les schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles mentionnés à l'article L 312-1 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction résultant de la présente loi sont arrêtés dans un délai de un an à compter de sa publication. Jusqu'à l'entrée en vigueur du schéma directeur régional des exploitations agricoles, le contrôle des structures s'applique selon les modalités, les seuils, et les critères définis par le schéma directeur des structures agricoles de chaque département » ; que dès lors, en retenant, pour annuler le congé, que « le régime déclaratif des biens dits de famille n'était manifestement pas applicable à Monsieur [V], eu égard à la modification de l'article L 331-2 II du code rural intervenu par la loi du 13 octobre 2014 », cependant qu'à la date à laquelle elle avait statué, cette modification n'était pas entrée en application, en l'absence de schéma directeur régional des structures, la cour d'appel a procédé d'une violation des articles L 411-58, et L 331-2 II ancien du code rural et de la pêche maritime, et 93-IX de la loi précitée du 13 octobre 2014,
2) ALORS QUE si les terres sont destinées à être exploitées dès leur reprise dans le cadre d'une société et si l'opération est soumise à autorisation, celle-ci doit être obtenue par la société ; que c'est à la date d'effet du congé qu'il convient de se placer pour apprécier si la condition relative à la réglementation du contrôle des structures est remplie ; qu'au surplus, lorsque l'autorisation d'exploiter est nécessaire, le tribunal paritaire peut, à la demande d'une des parties ou d'office, surseoir à statuer dans l'attente de l'obtention d'une autorisation définitive ; que dès lors en retenant, pour statuer comme elle l'a fait, que l'EARL du Prieuré ne disposait pas d'une autorisation d'exploiter dans la mesure où M. [V] devait exploiter dans ce cadre sociétal, et en refusant de surseoir à statuer dans l'attente de la décision définitive à intervenir à la suite de la demande d'autorisation formée le 3 février 2015, cependant que le congé devait prendre effet le 30 septembre 2015, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 378 du code de procédure civile, L 331-2-I et L 411-11-58 du code rural et de la pêche maritime,
3) ALORS QU'en toute hypothèse, lorsqu'une autorisation d'exploiter est nécessaire, la reprise doit être accordée au bénéficiaire du congé, si à la date d'effet du congé, ce dernier remplit les conditions prévues par l'article L 411-59 du code rural et de la pêche maritime et justifie de cette autorisation ; qu'en l'espèce, par arrêté du 27 mai 2015, antérieur à la date d'effet du congé, la préfète du Pas de Calais a autorisé l'EARL du Prieuré (Monsieur [W] [V]) à exploiter la parcelle reprise ; que dans ces conditions, l'arrêt attaqué se trouve dépourvu de base légale au regard des articles L 331-2 I, L 411-58 et L 411-59 du code rural et de la pêche maritime.