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Décisions

CA Paris, 3e ch. civ., 5 janvier 2011, n° 09/12098

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SWISSLIFE ASSURANCE ET PATRIMOINE (S.A.)

Défendeur :

TARANIS (S.A.R.L)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

BARTHOLIN

Conseillers :

IMBAUD-CONTENT, DEGRELLE-CROISSANT

Avocats :

ORY-KRASNIQI, LACROIX

Avoué :

BURET

CA Paris n° 09/12098

4 janvier 2011

Exposé des faits

Faits, procédure et prétentions des parties :

Par acte sous seing privé du 28 avril 1965, la société SUISSE D'ASSURANCES GÉNÉRALES SUR LA VIE HUMAINE, aux droits de laquelle se trouve la S. A. SWISSLIFE ASSURANCE PATRIMOINE, a donné à bail commercial à Mlle B., aux droits de laquelle se trouve , depuis 1993, la SARL TARANIS exerçant sous l'enseigne PARSAC, des locaux commerciaux situés en fond de cour dans un immeuble 31 rue Marbeuf à Paris 8°.

La destination contractuelle initiale était celle de :

- « dépôt vente de maroquinerie et tous articles s'y rattachant » et depuis l'arrivée de la SARL TARANIS celle de :

- « commerce de réparation d'articles de maroquinerie, achat et vente de maroquinerie et de tous articles s'y rattachant ».

Le fond de commerce était signalé en façade par l'apposition d'une plaque à gauche du porche d'entrée.

Le bail a fait l'objet d'un avenant de renouvellement à compter du 1er avril 1992 puis, à la suite d'une procédure devant le juge des loyers, a été renouvelé à compter du 1er avril 2001 moyennant un loyer de 4550 € par an en principal.

La S. A. SWISSLIFE ASSURANCE PATRIMOINE, propriétaire de la totalité de l'immeuble, a fait procéder, courant 2007 et début 2008, à son ravalement et, par courrier daté du 17 janvier 2008, a fait savoir à tous les locataires commerçants professionnels de l'immeuble, qu'elle n'entendait pas procéder à la repose ni au remplacement des plaques signalétiques, la signalisation installée sous le porche de l'immeuble lui semblant suffisante.

Par courrier du 29 janvier 2008, la SARL TARANIS a mis en demeure son propriétaire de procéder à la repose de la plaque extérieure et, devant son refus, a fait délivrer, le 16 septembre 2008, une assignation devant le tribunal de grande instance de Paris afin de le voir condamner à la remise en place de la plaque sous astreinte et obtenir l' indemnisation de son préjudice commercial et moral.

La dépose de l'ensemble des enseignes extérieures a été effectuée le 14 avril 2008, le bailleur ayant indiqué que la pose d'enseigne n'était qu'une tolérance non créatrice de droit à laquelle il pouvait être mis fin à tout moment.

Par jugement du 7 mai 2009, le Tribunal de Grande Instance de Paris a statué en ces termes :

Condamne la S. A. SUISSE D ASSURANCES GÉNÉRALES SUR LA VIE HUMAINE à procéder à la repose d'une plaque signalétique à l'enseigne PARSAC, d'une dimension identique à la précédente, l'aspect extérieur de cette plaque pouvant être modifié de façon à respecter les choix du bailleur en matière esthétique,

Dit que la S. A. SUISSE D ASSURANCES GÉNÉRALES SUR LA VIE HUMAINE devra procéder à cette repose dans le mois de la signification du présent jugement, sous astreinte de 200 € par jour de retard, pendant un délai de trois mois passé lequel il devra être de nouveau fait droit,

Dit que le tribunal conservait la compétence de l éventuelle liquidation de cette astreinte,

Déboute la SARL TARANIS de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral,

Condamne la S. A. SUISSE D ASSURANCES SUR LA VIE HUMAINE à payer à la SARL TARANIS la somme forfaitaire de 2000 € à titre de dommages intérêts en réparation du trouble commercial,

Condamne la S. A. SUISSE D ASSURANCES SUR LA VIE HUMAINE à payer à la SARL TARANIS la somme de 3000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la S. A. SUISSE D ASSURANCES GÉNÉRALES SUR LA VIE HUMAINE aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me CHANCEREL, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Ordonne l exécution provisoire du présent jugement,

La société SWISSLIFE ASSURANCE PATRIMOINE venant aux droits de la société SUISSE D'ASSURANCES GÉNÉRALES SUR LA VIE HUMAINE a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 28 septembre 2009 auxquelles il est expressément fait référence, la S. A. SWISSLIFE ASSURANCE PATRIMOINE demande à la Cour de :

Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

Débouter la SARL TARANIS de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Condamner la SARL TARANIS au paiement de la somme de 4500 € au titre de l article 700 du code de procédure civile,

Condamner la SARL TARANIS en tous les dépens, de première instance et d appel, dont le montant, pour ceux la concernant, sera recouvré par la S. C. P. AUTIER, avoué à la Cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 23 décembre 2009 auxquelles il est expressément fait référence, la SARL TARANIS, exerçant sous l'enseigne PARSAC, demande à la Cour de :

Débouter la S. A. SWISSLIFE ASSURANCE

PATRIMOINE de ses demandes en cause d'appel,

Vu les règles qui régissent le fonds de commerce, les articles 1723 et 1719 du Code civil applicable aux baux commerciaux

Dire que la société appelante a gravement manqué à son obligation de jouissance paisible envers le preneur, et à son obligation de délivrance portant sur les accessoires de la chose louée indispensable à une utilisation normale de celle-ci, ainsi qu'à son obligation de ne pas changer la forme de la chose louée au titre du bail initial et renouvelé,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu il a condamné la société SUISSE D ASSURANCES GÉNÉRALES SUR LA VIE, devenue société SWISSLIFE ASSURANCE PATRIMOINE en cause d'appel, à procéder à la repose d'une plaque signalétique à l'enseigne PARSAC, d'une dimension identique à la précédente, l'aspect extérieur de cette plaque pouvant être modifié de façon à respecter les choix du bailleur en matière esthétique,

Y ajoutant et dans ce cas,

Dire que les mentions apposées devront être identiques aux mentions existantes ; que la taille des lettres utilisées permettra, comme celles existantes, une bonne visibilité,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu il a reconnu l existence d un trouble commercial indemnisable subi par le preneur, du fait des atteintes dont il était victime,

L infirmant sur le montant de ce préjudice commercial indemnisable, dire y avoir lieu à fixer à 6000 € au regard de la privation de ce droit pendant 14 mois et de condamner la société SWISSLIFE ASSURANCE PATRIMOINE au paiement,

L infirmer en ce qu il ne lui a pas reconnu de préjudice moral né de ce manquement grave aux obligations contractuelles du bailleur, et fixer celui-ci à la somme de 2000 € et condamner la société SWISSLIFE ASSURANCE PATRIMOINE au paiement,

Confirmer la condamnation au paiement de 3000 € au titre de l article 700 du code de procédure civile et y ajoutant en cause d'appel, condamner la société appelante au paiement de 4500 € sur le même fondement en cause d'appel,

Confirmer la condamnation de la société SWISSLIFE ASSURANCE PATRIMOINE aux dépens de première instance et la condamner aux dépens d'appel dont distraction au profit de Me Frédéric BURET, avoué à la Cour, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Motifs

MOTIFS

Sur l'enseigne :

La bailleresse soutient que l'enseigne en façade, non expressément prévue au bail, constitue une tolérance non constitutive de droit à laquelle il peut être mis fin à tout moment dans l'intérêt de la copropriété, que la dépose des plaques extérieures a concerné toutes les autres sociétés locataires de l'immeuble et non uniquement la société PARSAC et que concomitamment un panneau signalétique de belle facture, mentionnant toutes les sociétés commerciales et les professions libérales, a été installé dans le porche de l'immeuble, le tout constituant une harmonie certaine.

Elle soutient que les autres locataires de l'immeuble n'ont émis aucune réclamation lors de cette suppression, la signalétique installée sous le porche étant parfaite et beaucoup plus conforme au standing de l'immeuble que l'anarchie qui régnait précédemment en façade.

Elle conteste l'analogie faite par les premiers juges avec le statut de la copropriété et, indique que l'article 9 de la loi sur la copropriété étant d'ordre public et ne prévoyant aucune possibilité pour le copropriétaire d'installer des plaques dans les parties communes, le parallèle audacieux avec le statut de copropriété se trouve dès lors inapproprié.

Elle affirme enfin que le jugement ne repose sur aucun fondement juridique puisqu'il n'a été procédé à aucune modification de la consistance de la chose louée mais que la décision étant assortie du bénéfice de l'exécution provisoire, elle a fait procéder, dans l'attente de la décision de la Cour, à la repose de la plaque sur façade.

Or,

La locataire se trouve dans les lieux depuis le 4 janvier 1993, le bail ayant été depuis lors renouvelé régulièrement et la dernière fois à compter du 1er avril 2001 pour finir le 31 mars 2010.

Le K bis de la SARL TARANIS qui exerce sous l'enseigne PARSAC mentionne une activité de commerce de réparation de maroquinerie, de vente de maroquinerie et de tous articles s'y rattachant.

En application des dispositions de l'article 1719 du code civil, applicable aux baux commerciaux, le bailleur est tenu vis à vis de son locataire à une obligation de délivrance et doit lui permettre l'exercice paisible de son activité.

L'enseigne commerciale est un attribut du fonds de commerce, au même titre que le droit au bail, la clientèle et l'achalandage d'une part, le mobilier commercial, le matériel et l'outillage servant à l'exploitation du fonds d'autre part,

Dès lors, la bailleresse a manqué à son obligation de délivrance en ayant fait interdiction à sa locataire d'apposer désormais son enseigne en façade de l'immeuble ou s'exerce son activité commerciale .

Au surplus, aucune clause d'un règlement de copropriété, au demeurant hors de propos en l'espèce puisque la S.A SWISS LIFE ASSURANCES est seule propriétaire de la totalité de l'immeuble, ne peut interdire la pose d'une plaque professionnelle ou une enseigne sur la façade de l'immeuble, destinée à signaler, à la clientèle, la présence des activités commerciales exercées dans l'immeuble, hormis les panneaux ayant un caractère publicitaire, le règlement de copropriété ne pouvant qu'en déterminer les modalités, eu égard aux caractéristiques de l'immeuble et notamment à son esthétique .

Avant les travaux de ravalement, la bailleresse n'avait d'ailleurs mis aucun obstacle à l'apposition d'une enseigne de façade .

Ainsi, l'argument développé par la S.A SWISSLIFE ASSURANCES selon lequel l'immeuble, de caractère bourgeois et à usage d'habitation, se trouverait défiguré par la présence de plaques signalétiques en façade n'est pas pertinent ;

Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement de première instance qui a condamné la société SWISSLIFE ASSURANCES à procéder à la repose d'une plaque signalétique à l'enseigne PARSAC, d'une dimension identique à la précédente tout en lui laissant la possibilité d'adapter son aspect extérieur de manière esthétique eu égard à la qualité de l'immeuble.

La société SWISSLIFE ASSURANCES ayant procédé à la repose de l'enseigne dès le mois de juin 2009 avant signification de la décision déférée, il n'y a pas lieu d'assortir cette condamnation d'une astreinte et de s'en réserver la liquidation .

La plaque initiale ayant été reposée , la demande de la SARL TARANIS concernant la taille des lettres permettant une bonne visibilité apparaît sans objet.

Sur le préjudice moral :

La SARL TARANIS ne démontre pas la réalité du préjudice moral qu'elle soutient avoir subi; le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le préjudice commercial :

Le bailleur soutient que la société PARSAC ne peut démontrer l'existence d'un trouble commercial dans la mesure où elle exercerait dans les locaux une activité de stockage et d'ateliers, travaillerait essentiellement pour des grandes marques et ne serait pas concernée par une clientèle privée pour laquelle une annonce en façade de l'immeuble est nécessaire.

Pour ce faire, il fait état du rapport amiable, déposé par M. R. le 6 mars 2003, qui indique que les locaux, situés au fond de la cour à gauche, constitués d'un local sans vitrine au rez-de-chaussée, d'un sous-sol relié et d'une chambre de service au sixième étage, ne bénéficient pas d'une façade sur la rue Marbeuf, la présence dans les lieux de la locataire n'étant signalée que par la présence d'une plaque à gauche du porche d'entrée, qu'aucun commerce de détail ne peut y prospérer raisonnablement et que les locaux sont plus adaptés à un usage d'ateliers ou d'entrepôt .

Or,

Observation faite qu'il ressort des photographies versées aux débats que les locaux, situés en fond de cour, à gauche, ne sont pas visibles de la rue même si le porche reste ouvert et que la nouvelle signalétique mise en place par la S.A SWISSLIFE ASSURANCES, placée dans un panneau au milieu du porche, n'était visible que si l'on entrait sous le porche.

Que la boutique, certes étroite en façade, est composée essentiellement d'une porte vitrée à côté de laquelle se situe une pancarte mentionnant « PARSAC maroquinerie réparation », ouvrant sur une boutique dans laquelle se trouvent des comptoirs et des vitrines offrant à la vente des ceintures, sacs et articles de maroquineries divers.

Que la société PARSAC verse aux débats une partie de sa comptabilité, bilans de 2006 à 2008, copies de chèques de juin à novembre 2009, copies de fiches clients pour la même période, démontrant que, loin de n'être qu'un sous-traitant de grandes marques, l'accueil du public, notamment pour une activité de réparation de maroquinerie, est réelle.

Que les photocopies de chèques, dont les montants s'échelonnent de 9 € à 705 € correspondent pour l'essentiel à des achats ou des réparations d'articles de maroquinerie pour des particuliers et que sont également versées les « fiches réparation » correspondantes.

C'est par une juste appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont retenu le principe d'une indemnisation du préjudice commercial du fait du retrait pendant 14 mois de l'enseigne en façade de l'immeuble, dont le montant sera porté en cause d'appel à une somme de 3000 € à titre de dommages-intérêts.

Sur les autres demandes :

La S. A. SWISSLIFE ASSURANCES qui succombe en ses prétentions sera déboutée de sa demande reconventionnelle et condamnée aux dépens d'appel, le jugement étant confirmé sur le sort des dépens de première instance.

Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la société SWISSLIFE ASSURANCES à payer à la SARL TARANIS la somme de 2000 € , en outre de la somme déjà allouée en première instance .

Dispositif

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a fixé et prévu la liquidation d'une astreinte qui est désormais sans objet et sauf en ce qui concerne les dommages -intérêts alloués au titre du préjudice commercial subi par la SARL TARANIS ,

Réformant sur ce dernier point et statuant à nouveau,

Condamne la SA SWISS LIFE ASSURANCES à payer à la SARL TARANIS la somme de 3000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice commercial.

Déboute la SA SWISSLIFE D'ASSURANCES ET PATRIMOINE venant aux droits de la S. A SUISSE D'ASSURANCES GÉNÉRALES SUR LA VIE HUMAINE de ses demandes,

Dit sans objet la demande de la SARL TARANIS exerçant sous l'enseigne PARSAC concernant la taille des lettres de la plaque,

Condamne la SA SWISSLIFE D'ASSURANCES ET PATRIMOINE venant aux droits de la S. A SUISSE D'ASSURANCES GÉNÉRALES SUR LA VIE HUMAINE à payer à la SARL TARANIS en cause d'appel la somme de 2000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SA SWISSLIFE D'ASSURANCES ET PATRIMOINE venant aux droits de la S. A SUISSE D'ASSURANCES GÉNÉRALES SUR LA VIE HUMAINE aux dépens d'appel et dit qu'ils pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

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