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Décisions

CA Basse-Terre, 2e ch., 14 août 2025, n° 24/00302

BASSE-TERRE

Arrêt

Autre

CA Basse-Terre n° 24/00302

14 août 2025

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

2ème CHAMBRE CIVILE

ARRÊT N° [Immatriculation 2] AOUT 2025

N° RG 24/00302 -

N° Portalis DBV7-V-B7I-DVLE

Décision déférée à la cour : jugement du tribunal de proximité de SAINT-MARTIN ET SAINT-BARTHÉLÉMY en date du 30 janvier 2024, dans une instance enregistrée sous le n° 22/00072

APPELANTE :

S.A.R.L. OCEANCULTURE

C/o [R] [A]

[Adresse 6]

[Adresse 11]

[Localité 5]

Représentée par Me Sabrina Mélissa MALAVAL, de la SELASU CABINET SMMA, avocate au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

Assistée de Me Guy NOVO, avocat au barreau de BORDEAUX (avocat plaidant)

INTIMES :

Monsieur [M] [B]

[Adresse 8]

[Adresse 9]

[Localité 5]

Représenté par Me Isabelle BOUTRY, avocate au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

Madame [C] [B]

[Adresse 1]

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représentée par Me Isabelle BOUTRY, avocate au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 mars 2025, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Frank Robail, président de chambre,

Mme Annabelle Cledat, conseillère,

Mme Aurélia Bryl,conseillère.

qui en ont délibéré.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait rendu par sa mise à disposition au greffe de la cour le 10 juillet 2025. Elles ont ensuite été informées de la prorogation de ce délibéré à ce jour en raison des observations demandées aux parties en cours de délibéré sur un moyen relevé d'office.

GREFFIER,

Lors des débats :Madame Solange LOCO, greffière placée.

Lors du prononcé :Mme Prescillia ARAMINTHE, greffière.

ARRÊT :

- contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

- signé par M. Frank Robail, président de chambre et par Mme Prescillia ARAMINTHE, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Par acte notarié du 4 avril 2013, expressément qualifié de 'bail professionnel', Mme [P] [Z] veuve [I], bailleresse, a donné en location à la S.A.R.L. OCEANCULTURE, preneur, un local (bureau avec climatisation et mobilier dont 2 bureaux, 2 fauteuils, une bibliothèque) portant le numéro UN d'un ensemble immobilier sis à [Localité 12], cadastré au lieudit [Localité 10] sous le n° [Cadastre 4] de la section AW, pour servir 'à l'usage exclusif de bureau, réception clientèle professionnelle et formation', et ce pour une durée de SIX ans à compter du 5 avril 2013, et moyennant un loyer annuel de 12 000 euros payable mensuellement à raison de 1 000 euros le 1er de chaque mois ; ce bail contient une clause pénale et une clause résolutoire en cas de manquement du preneur à l'une quelconque de ses obligations ;

Un avenant à ce contrat a été conclu entre les mêmes parties le 11 juillet 2016 pour adjoindre à la location de ce local n° 1 un bureau portant le n° 2, d'environ 40 m2 avec climatisation, d'une part, et, d'autre part et subséquemment, porter le loyer de ces deux bureaux à 2 350 euros par mois;

Mme [P] [Z] en son vivant veuve [I], est décédée et lui ont succédé, en qualité de bailleurs, ses héritiers en les personnes de Mme [C] [B] et M. [M] [B] ;

Le 1er mars 2018, ces derniers, ès qualités de bailleurs, ont fait signifier à la société OCEANCULTURE un commandement de payer des loyers pour un montant prétendument impayé de 12 100 euros ; le 20 avril suivant, ils ont fait procéder à une saisie conservatoire sur le compte bancaire ouvert par la sus-nommée dans les livres de la banque BRED ;

Le 14 juin 2018, les mêmes bailleurs ont fait assigner la société OCEANCULTURE devant le juge des référés du tribunal de grande instance de BASSE-TERRE à l'effet principalement de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail visée au susdit commandement et la résiliation de ce bail avec toutes conséquences de droit ;

Par ordonnance contradictoire du 6 juillet 2018, le juge des référés a dit ces demandeurs irrecevables en leurs demandes au constat de l'existence d'une 'contestation sérieuse' de la part du preneur ;

Par acte d'huissier de justice du 20 décembre 2021, Mme [C] [B] et M. [M] [B] ont fait signifier à nouveau à la société OCEANCULTURE un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée dans le contrat de bail, afin d'obtenir le règlement de la somme de 79 900 euros au titre des loyers échus au 6 octobre 2021 et prétendument impayés, outre les frais d'acte ;

Cependant, par acte d'huissier de justice du 10 février 2022, la S.A.R.L. OCEANCULTURE a fait assigner M. [M] [B] et Mme [C] [B], bailleurs, devant le tribunal de proximité de SAINT-MARTIN et SAINT-BARTHELEMY à l'effet, en substance, de voir requalifier le bail professionnel litigieux en bail commercial ; selon les mentions du jugement déféré, ladite société, en ses dernières conclusions devant ce tribunal, souhaitait voir seulement déclarer les consorts [B] irrecevables en leur 'exception d'irrecevabilité' soulevée pour prescription et, subsidiairement, les y voir déclarer mal fondés ;

En réponse, les consorts [B] concluaient à la prescription de l'action en requalification du bail et au rejet de toutes les demandes du preneur;

Par jugement contradictoire du 30 janvier 2024, le tribunal :

- a dit que l'action en requalification du bail consenti le 4 avril 2013 par feue Mme [I] à la société '[B]', était prescrite,

- a déclaré par suite irrecevable l'action engagée par la société OCEANCULTURE à l'encontre de M. [M] [B] et Mme [C] [B],

- a condamné ladite société aux dépens et à payer à M. [B] et Mme [B] la somme globale de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

La S.A.R.L. OCEANCULTURE a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique (RPVA) le 20 mars 2024, y intimant M. [M] [B] et Mme [C] [B] et visant expressément, au chapitre de l'objet de cet appel, chacune de ses dispositions ;

La procédure a fait l'objet d'une orientation à la mise en état et les consorts [B], intimés, ont constitué avocat par acte remis au greffe et notifié au conseil de l'appelante, par RPVA, le 21 mai 2024 ;

La société OCEANCULTURE, appelante, a conclu à 5 reprises, par actes remis au greffe et notifiés au conseil des deux intimés, par RPVA, respectivement les 14 juin 2024, 2 août 2024, 4 octobre 2024, 14 février 2025 et 24 février 2025 ;

M. [M] [B] et Mme [C] [B], intimés, ont conclu quant à eux à 3 reprises, par actes remis au greffe et notifiés à l'avocat adverse, par même voie, respectivement les 14 août 2024, 29 novembre 2024 et 18 février 2025 ;

L'ordonnance de clôture était cependant intervenue le 20 janvier 2025 et l'affaire fixée à l'audience du 10 mars 2025, à l'issue de laquelle la décision a été mise en délibéré au 10 juillet 2025. Les parties ont ensuite été avisées de la prorogation de ce délibéré à ce jour à raison de la demande d'observations qui leur a été adressée le 9 juillet 2025 ;

En effet, par un avis notifié par le greffe à chacun des avocats de la cause, ceux-ci ont été invités à présenter le cas échéant des observations sur le moyen, que la cour entendait relever d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions remises au greffe postérieurement à la clôture du 20 janvier 2025, savoir :

les conclusions de la société OCEANCULTURE, appelante, remises au greffe les 14 février et 24 février 2025,

les conclusions des consorts [B], intimés, remises au greffe le 18 février 2025 ;

Aucune des parties n'a formulé d'observations sur cette irrecevabilité soulevée d'office ;

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

1°/ Par ses dernières conclusions remises au greffe avant la clôture du 20 janvier 2025, soit le 4 octobre 2024 (conclusions n°3), la S.A.R.L. OCEANCULTURE, appelante, souhaite voir :

- la déclarer recevable et fondée en son appel,

- infirmer le jugement querellé en ce qu'il a :

** dit que l'action en requalification du bail consenti le 4 avril 2013 par Mme [Z] à la société OCEANCULTURE ( 'et non [B]'), était prescrite,

** déclaré irrecevable l'action engagée par la société OCEANCULTURE à l'encontre de M. [M] [B] et Mme [C] [B],

** condamné ladite société aux dépens et à payer à M. [B] et Mme [B] la somme globale de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- déclarer les consorts [B] irrecevables 'en leur exception d'irrecevabilité, soulevée pour prescription ',

- les déclarer subsidiairement non fondés 'en ladite exception ',

- requalifier le bail dit professionnel du 4 avril 2013 avec son avenant en bail commercial,

- débouter Mme [C] [B] et M. [M] [B] en tous les chefs de leurs demandes,

- condamner solidairement ces derniers à payer à la société OCEANCULTURE la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;

Pour l'exposé des moyens proposés par l'appelante au soutien de toutes ces fins, il est expressément référé aux susdites conclusions ;

2°/ Par leurs propres dernières écritures remises au greffe avant la clôture du 20 janvier 2025, soit le 29 novembre 2024 (conclusions n°2), M. [M] [B] et Mme [C] [B], intimés, concluent quant à eux aux fins de voir :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- condamner la S.A.R.L. OCEANCULTURE à payer à M. [M] [B] et Mme [C] [B] les sommes suivantes :

** 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

** 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Pour l'exposé des moyens proposés par ces mêmes intimés au soutien de ces fins, il est expressément référé aux susdites conclusions ;

MOTIFS DE L'ARRET

I- Sur les conclusions postérieures à l'ordonnance de clôture

Attendu qu'en application des dispositions des articles 907 ancien et 802 ancien du code de procédure civile, en leur version applicable aux appels engagés, comme en l'espèce, avant le 1er septembre 2024 :

- après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office,

- sont cependant recevables les demandes en intervention volontaire, les conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et autres accessoires échus et aux débours faits jusqu'à l'ouverture des débats, si leur décompte ne peut faire l'objet d'aucune contestation sérieuse, ainsi que les demandes de révocation de l'ordonnance de clôture,

- sont également recevables les conclusions qui tendent à la reprise de l'instance en l'état où celle-ci se trouvait au moment de son interruption ;

Attendu qu'en l'espèce, l'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par le conseiller de la mise en état le 20 janvier 2025 ;

Or, attendu qu'il résulte de l'interface électronique de la cour (RPVA pour les parties), que, nonobstant cette clôture régulièrement notifiée par RPVA aux conseils des colitigants le 20 janvier 2025, l'appelante a conclu à nouveau et déposé d'autres pièces à deux reprises, par actes remis au greffe respectivement les 14 février 2025 ('conclusions n°4") et 24 février 2025 ('conclusions n°5") et les intimés, par acte remis au greffe le 10 février 2025 ('conclusions n°3") ; que ces conclusions et pièces sont donc tardives comme postérieures à ladite clôture et, partant, irrecevables en application des textes sus-rappelés ; qu'il y a donc lieu, après que les parties ont été mises en capacité de présenter des observations sur ce point en respect du principe du contradictoire, de relever d'office l'irrecevabilité des susdites conclusions et des pièces produites par chacune d'elles après le 20 janvier 2025 ;

Attendu qu'il en résulte que les dernières conclusions et pièces recevables de l'appelante sont celles qui ont été remises au greffe le 4 octobre 2024 ('conclusions n°3" et pièces 1 à 20, à l'exclusion des pièces 21 et 22 remises au greffe suivant bordereau du 14 février 2024) et que les dernières conclusions et pièces recevables des intimés sont celles qui ont été remises au greffe le 29 novembre 2024 ('conclusions n°2" et pièces 1 à 16, à l'exclusion des pièces 17 à 19 remises au greffe suivant bordereau du 18 février 2025) ;

II- Sur la recevabilité de l'appel

Attendu qu'en application des articles 538 et 528 du code de procédure civile, le délai de recours par une voie ordinaire est d'un mois en matière contentieuse et ce délai court à compter de la signification du jugement querellé, sous réserve des délais de distance de l'article 644 du même code;

Attendu qu'en l'espèce, le jugement déféré, rendu le 30 janvier 2024, relève de la matière contentieuse, et la société OCEANCULTURE, qui a son siège à [Localité 12] et disposait ainsi d'un délai de deux mois pour relever appel, a formalisé son recours par déclaration remise au greffe le 20 mars 2024, soit avant l'expiration dudit délai ; qu'il y a donc lieu de déclarer cet appel recevable au plan du délai pour agir ;

III- Sur la demande de la société OCEANCULTURE au titre de la requalification du bail professionnel du 4 avril 2013

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article L142-2 du code de commerce, les dispositions relatives au statut des baux commerciaux s'appliquent aux baux des locaux ou immeubles abritant des établissements d'enseignement ; que ce statut est d'ordre public, si bien qu'un bail qui est expressément exclu par les parties dudit statut doit être requalifié en bail commercial si l'une ou l'autre le requiert et fait la preuve de la réunion des conditions légales d'une telle qualification ;

Mais attendu qu'en application de l'article L145-60 du même code, les actions exercées en vertu des dispositions des articles L145-1 et suivants, se prescrivent par deux ans ; et que, dès lors que le premier de ces articles dispose que la prescription biennale s'applique 'à toutes les actions exercées' en vertu du statut des baux commerciaux, cette prescription s'applique également en matière de requalification d'un bail professionnel en bail commercial ;

Attendu que par principe, ce délai de prescription court à compter de la date de conclusion du contrat de bail dont la requalification est sollicitée, puisque c'est dès cette date que le preneur a nécessairement connaissance des faits avancés au soutien de cette requalification ;

Attendu qu'en l'espèce, la société OCEANCULTURE demande expressément, dans le dernier état de ses conclusions d'appelante recevables, la requalification en bail commercial du 'bail professionnel du 4 avril 2013 avec son avenant', lequel avenant date du 11 juillet 2016 ; qu'il en résulte que le délai de prescription a couru à compter de ce dernier bail et a donc expiré le 11 juillet 2018, alors même que l'action en requalification a été engagée par le preneur, aux termes des mentions du jugement querellé, par acte d'huissier de justice en date du 10 février 2022 ;

Attendu que la prescription était donc formellement acquise et l'action irrecevable, cependant que la société OCEANCULTURE estime que cette prescription ne lui est pas opposable dès lors que le fait pour le bailleur de lui avoir imposé la souscription d'un bail professionnel alors qu'il savait que le locataire allait exercer une activité commerciale dans les locaux loués, procédait d'une fraude ;

Attendu qu'en droit, il est constant que la fraude du bailleur aux droits du preneur dans le cadre du statut protecteur des baux commerciaux lui interdit de se prévaloir de la prescription biennale sus-rappelée ;

Attendu que l'appelante prétend à cet égard que la fraude est caractérisée par les éléments suivants :

- la participation directe de M. [B] aux travaux d'aménagement et de transformation en SPA du bureau objet de la location,

- l'objet social du preneur, qui était, dès son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, de nature commerciale (savoir 'Les prestations de soins esthétiques et thérapeutiques, plus généralement, toutes opérations commerciales, financières, mobilières ou immobilières, se rapportant directement ou indirectement à l'objet social ou susceptibles d'en faciliter l'extension ou le développement ') ;

- le développement par ses soins, dès la prise de possession des locaux, d'une activité exclusivement commerciale, conforme à son objet social ;

Mais attendu que si l'ensemble de ces faits est en effet susceptible de caractériser la vraie nature du bail professionnel conclu entre les parties et pourrait fonder la requalification demandée, il ne suffit pas à caractériser la fraude imputée au bailleur, laquelle ne se présume pas, doit être démontrée par celui qui l'invoque aux dépens de son co-contractant et ne peut être inférée de la seule circonstance que la vraie nature du bail est commerciale, à défaut de quoi les dispositions de l'article L145-60 sur la prescription seraient à cet égard vidées de toute substance ;

Attendu qu'en effet, la fraude à la loi et aux droits du cocontractant qui est ainsi invoquée comme faisant échec à l'opposabilité au preneur de la prescription biennale encourue par son action en requalification du bail litigieux, suppose l'intention de violer la loi et de nuire audit cocontractant en le privant sciemment des droits d'ordre public qui étaient les siens ; or, attendu qu'aucun des éléments invoqués par la société OCEANCULTURE à l'encontre du bailleur ne démontre une quelconque intentionnalité frauduleuse de la part de son dernier à son égard lors de la conclusions des contrats de 2013 et 2016 ; qu'en particulier, la seule circonstance que ledit bailleur, lequel était, dans les deux cas, Mme [I], et non M. [B], jusqu'à sa mort intervenue après la conclusion de l'avenant de 2016, ait su le cas échéant, au cours de l'exécution des baux en cause, et non pas lors de leur conclusion, que le preneur exerçait au sein des locaux loués une activité commerciale, à l'encontre des mentions expresses de ces baux quant à l'activité exercée, n'est pas de nature à établir qu'il ait signé le bail de 2013 puis celui de 2016 en toute connaissance de cause et dans l'intention frauduleuse de violer le statut des baux commerciaux et nuire aux intérêts de son co-contractant, ce d'autant que si fraude à cet égard il y avait eu, elle aurait étémanifestement partagée par les deux cocontractants, la société OCEANCULTURE ayant elle-même expressément déclaré, aux termes des stipulations du bail de 2013 intégralement reprises, par référence expresse, à l'avenant de 2016, qu'elle s'interdisait l'exercice, dans les bureaux loués, d'une quelconque activité commerciale, industrielle ou artisanale ; qu'il importe peut à cet égard que son objet social comportât une activité expressément commerciale, une société commerciale exerçant une activité commerciale pouvant, dans l'esprit des deux parties, louer de simples bureaux dans le cadre d'un bail professionnel pour y exécuter des tâches administratives ou comptables, et exercer le coeur commercial de son objet social dans un local distinct ;

Attendu que la fraude de la part du bailleur n'est donc pas démontrée, si bien que le délai de la prescription biennale est bel et bien opposable à l'appelante;

Attendu qu'il peut être ajouté à titre superfétatoire qu'en toute hypothèse :

- l'attestation de M. [T] [G] du 18 juin 2018 (pièce 5 de l'appelante) ne peut faire la preuve de ce que le bailleur, qui en 2013 et 2016 n'était pas M. [B], aurait participé aux travaux d'aménagement d'un SPA au sein des locaux loués à titre de bureaux, dès lors :

** qu'il n'évoque que M. [B] et non point la seule signataire de ces bail et avenant, Mme [Z], avant sa mort,

** et, surtout, qu'il ne date pas les travaux auxquels il prétend que M. [B] aurait participé 'au sein du spa', hors ceux qui avaient trait à la 'récupération du toit' dont il dit qu'ils ont été terminés le 26 mai 2018, soit bien après la conclusion de la location litigieuse et de son avenant, excluant la caractérisation d'une quelconque fraude au moment de la signature de ces derniers,

- l'attestation de M. [N] [F] (pièce 6) n'est qu'une copie difficilement lisible et de toute façon non datée, non davantage efficiente sur le plan des preuves alléguées, puisque les travaux dont il est fait état de façon non circonstanciée, sont relatifs à la toiture d'un spa réalisé le 26 mai 2018, soit, à nouveau, bien après la conclusion des bail et avenant,

- l'attestation de M. [V] [E] en date du 27 juin 2021 (pièce 7), évoque seulement la présence de M. [B] sur le chantier d'aménagement du SPA OCEANCULTURE, sans aucune datation, et est donc également inopérante,

- l'attestation de M. [X], en date du 28 juin 2021 (pièce 8), ne date pas davantage la participation alléguée de M. [B] aux travaux d'aménagement du SPA,

- les photographies produites en pièce 9 ne sont certifiées ni en leur date ni en leurs représentations et sont de toute façon totalement inefficientes en termes de preuve,

- l'attestation de M. [D] en date du 5 avril 2023 (pièce 10) est tout spécialement insusceptible de faire la preuve de la fraude alléguée, puisque l'intéressé se borne à faire état de ce que le 8 juillet 2016 la société CARAIBES BTM 'est venue passer le jaccuzi de la société OCEANCULTURE par la fenêtre pour le rentrer à leur siège au centre d'affaires de Marigot à [Localité 12]', et ce faire état de l'implication du bailleur dans cette livraison,

- M. [O] [J], en son attestation produite en pièce 14, et M. [S], en sa propre attestation produite en pièce 15, se bornent à faire état des soins de massage qu'ils disent avoir reçus au centre d'affaires de Marigot courant 2014, mais ce, sans, à nouveau, aucun lien avec le bailleur et son implication au regard de la qualification du bail professionnel litigieux,

- Mme [U], en son attestation du 27 février 2024 (pièce 16), évoque un soin esthétique qu'elle a donné en 2014, au sein de l'établissement de la société appelante, à une dame [Y] [W], tout en y concluant énigmatiquement --nonobstant les explications de la société OCEANCULTURE en ses conclusions d'appelante--, que cette 'cliente était donc au courant qu'un espace bien être était dans ses locaux puisqu'elle a effectué un soin avec moi', si bien que ce témoignage,imprécis et non circonstancié, est dépourvu de portée probante quant à la fraude alléguée de la part du bailleur,

- l'attestation de Mme [L] '[H]' (dont la pièce d'identité jointe est quasiment illisible), en date du 20 septembre 2024 (pièce 19 qui au surplus n'est manifestement qu'une copie) est certes plus complète que les précédentes, mais tout aussi inefficiente sur le plan de la preuve recherchée, puisque, si elle y fait état du mandat de gestion qu'elle aurait reçu de Mme [I], bailleresse, le 18 juin 2013, au titre duquel elle dit avoir géré les encaissements des loyers dus par ses locataires, elle invoque, pour le local n°1, un bail du '4 avril 2016", alors même qu'il est constant que ce premier bail avait été signé en 2013, et que, si cette erreur peut être tenue pour purement matérielle, elle évoque ensuite la demande de M. [B] d'établir, pour un second bureau, un avenant à effet du 1er août 2016 sur la base d'un bail encore professionnel alors qu'elle l'aurait averti du caractère commercial de l'activité y exercée, cependant que, d'une part, cet avenant n'a été signé, tout comme le bail de 2013, que par Mme [I] qui, alors encore en vie, ne peut se confondre avec M. [B] dont il n'est ni prétendu ni justifié qu'il en aurait été le mandataire, et, d'autre part, l'intentionnalité de la fraude invoquée à cet égard ne peut être fondée sur cette seule attestation, ce d'autant qu'il n'est rien dit par Mme [H] de la propre intentionnalité d'un preneur qui a accepté de signer cet avenant;

Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'à la date de l'assignation des consorts [B], ès qualités d'héritiers du bailleur en la personne de feue Mme [I], devant les premiers juges, l'action de la société OCEANCULTURE en requalification du bail de 2013 et de son avenant de 2016 en bail commercial était prescrite ; que c'est donc à juste titre que le tribunal, en son jugement querellé, l'y a déclarée irrecevable après avoir relevé cette prescription ; qu'il y a donc lieu de confirmer ce jugement de ces chefs critiqués ;

IV- Sur la demande reconventionnelle des consorts [B] en dommages et intérêts pour procédure abusive

Attendu que le droit d'agir en justice est quasi absolu, en vertu de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la jurisprudence de la cour éponyme, si bien que son exercice ne peut donner lieu à indemnisation du préjudice qu'en aurait souffert le défendeur ou l'intimé que s'il est démontré qu'il n'a été généré que par l'intention de nuire ;

Attendu que l'action en requalification d'un bail professionnel en bail commercial ne peut être tenue pour abusive dès lors que seule la prescription finalement constatée fonde in fine son rejet, une telle irrecevabilité étant un moyen d'intérêt privé qui ne peut être invoqué que par le défendeur ou l'intimé dans le cadre de l'instance ainsi engagée ; que par ailleurs, le principe du double degré de juridiction interdit de voir dans le simple appel diligenté par le preneur qui s'est vu opposer en première instance la prescription de son action, sans démonstration à son encontre d'une quelconque intention de nuire aux intimés, un abus du droit d'exercer un tel recours ; qu'en outre, les consorts [B] ne font la preuve d'aucun préjudice qui soit distinct des frais de procédure ci-après envisagés, puisqu'ils se bornent à prétendre que la présente instance aurait repoussé le jugement à venir sur leur demande en paiement des loyers impayés, alors même que ces deux instances sont étrangère l'une à l'autre, la circonstance que le bail professionnel actuel ait le cas échéant été requalifié en bail commercial n'autorisant en rien le preneur à s'abstenir d'en régler les loyers convenus;

Attendu qu'il convient par suite de débouter les intimés de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

V- Sur les dépens et les frais irrépétibles

Attendu que, succombant tant en première instance qu'en appel, la société OCEANCULTURE devra en supporter tous les dépens ; que le jugement querellé sera donc confirmé du chef des dépens de première instance et ladite société condamnée aux dépens d'appel ; que la même appelante sera subséquemment déboutée de sa demande au titre de ses frais irrépétibles;

Attendu que des considérations tenant à l'équité justifient enfin de confirmer ledit jugement en ce que le tribunal y a condamné la société OCEANCULTURE à indemniser les consorts [B] de leurs frais irrépétibles de première instance à hauteur de 2 000 euros, et, y ajoutant, de la condamner à leur payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle les a contraints à engager en cause d'appel ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

- Dit irrecevables et rejette pas suite les conclusions et pièces remises au greffe :

** par l'appelante, les 14 février 2025 ('conclusions n°4" et pièces 21 et 22) et 24 février 2025 ('conclusions n°5"),

** par les intimés, le 10 février 2025 ('conclusions n° 3" et pièces 17 à 19),

- Dit recevable la S.A.R.L. OCEANCULTURE en son appel à l'encontre du jugement du tribunal de proximité de SAINT-MARTIN et SAINT-BARTHELEMY en date du 30 janvier 2024,

- Confirme ce jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- Déboute M. [M] [B] et Mme [C] [B] de leur demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,

- Déboute la société OCEANCULTURE de sa demande au titre des frais irrépétibles,

- La condamne à payer à M. [M] [B] et Mme [C] [B] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de l'instance d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de cette même instance.

Et ont signé,

La greffière, Le président

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