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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 11, 15 août 2025, n° 25/04455

PARIS

Ordonnance

Autre

CA Paris n° 25/04455

15 août 2025

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 11

L. 743-22 du Code de l'entrée et du séjour

des étrangers et du droit d'asile

ORDONNANCE DU 15 AOUT 2025

(1 pages)

Numéro d'inscription au numéro général et de décision : B N° RG 25/04455 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CLZFU

Décision déférée : ordonnance rendue le 13 août 2025, à 15h04, par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Paris

Nous, Christine Simon-Rossenthal, présidente à la cour d'appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Ophanie Kerloc'h, greffière aux débats et au prononcé de l'ordonnance,

APPELANTS

1°) LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE PRÈS DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS

MINISTÈRE PUBLIC, en la personne de Mme Florence Lifchitz, avocat général,

2°) LE PRÉFET DE POLICE

représenté par Me Caterina Barberi, du cabinet Centaure, avocat au barreau de Paris

INTIMÉ

M. [X] [M]

né le 01 janvier 1986 à [Localité 3], de nationalité gambienne, en réalité M. [X] [A]

RETENU au centre de rétention de [Localité 2]

assisté de Me David Silva Machado, avocat au barreau de Paris

et de Mme [O] [C] [Z] (interprète en langue anglaise) en vertu d'un pouvoir spécial tout au long de la procédure devant la cour et lors de la notification de la présente ordonnance, serment préalablement prêté,

ORDONNANCE :

- contradictoire,

- prononcée en audience publique,

- Vu le décret n° 2024-799 du 2 juillet 2024 pris pour l'application du titre VII de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, relatif à la simplification des règles du contentieux ;

Constatant qu'aucune salle d'audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n'est disponible pour l'audience de ce jour ;

- Vu l'ordonnance du 13 août 2025, à 15h04 du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Paris, du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Paris déclarant recevable la requête en contestation de la légalité du placement en rétention, ordonnant la jonction des deux procédures, constatant l'irrégularité de la décision de placement en rétention de l'intéressé, ordonnant en conséquence la mise en liberté de l'intéressé et rappelant à l'intéressé qu'il a l'obligation de quitter le territoire national ;

- Vu l'appel de ladite ordonnance interjeté le 13 août 2025 à 17h04 par le procureur de la République près du tribunal judiciaire de Paris, avec demande d'effet suspensif ;

- Vu l'appel de ladite ordonnance, interjeté le 14 août 2025, à 08h59, par le préfet de police ;

- Vu l'ordonnance du 14 août 2025 conférant un caractère suspensif au recours du procureur de la République ;

- Vu la décision de jonction, par mention au dossier, des deux appels ;

- Vu l'appel incident reçu le 14 août 2025 à 11h51, par M. [X] [M] ;

- Vu les conclusions reçues le 14 août 2025 à 21h20 par le conseil de M. [X] [M] ;

- Vu les observations :

- de l'avocat général tendant à l'infirmation de l'ordonnance ;

- du conseil de la préfecture lequel, s'associant à l'argumentation développée par le ministère public, nous demande d'infirmer l'ordonnance et de prolonger la rétention pour une durée de 26 jours ;

- de M. [X] [M], assisté de son conseil qui demande la confirmation de l'ordonnance ;

SUR QUOI,

Il est précisé qu'il ressort du passeport de l'intéressé que l'identité de M. [X] [M] est en réalité [X] [A]

Sur le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'appel pour défaut de notification de l'appel suspensif Au retenu et à son avocat

L'article L. 743-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose :

" L'appel n'est pas suspensif.

Toutefois, le ministère public peut demander au premier président de la cour d'appel ou à son délégué de déclarer son recours suspensif lorsqu'il lui apparaît que l'intéressé ne dispose pas de garanties de représentation effectives ou en cas de menace grave pour l'ordre public. Dans ce cas, l'appel est accompagné de la demande qui se réfère à l'absence de garanties de représentation effectives ou à la menace grave pour l'ordre public, et transmis au premier président de la cour d'appel ou à son délégué. Celui-ci décide, sans délai, s'il y a lieu de donner à cet appel un effet suspensif, en fonction des garanties de représentation dont dispose l'étranger ou de la menace grave pour l'ordre public, par une ordonnance motivée rendue contradictoirement et qui n'est pas susceptible de recours.

L'intéressé est maintenu à la disposition de la justice jusqu'à ce que cette ordonnance soit rendue et, si elle donne un effet suspensif à l'appel du ministère public, jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond. ".

L'article R.743-12 du même code dispose : " Lorsque le ministère public entend solliciter du premier président de la cour d'appel qu'il déclare son recours suspensif, il interjette appel dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification qu'il a reçue de l'ordonnance. Il fait notifier la déclaration d'appel, immédiatement et par tous moyens, à l'autorité administrative, à l'étranger et, le cas échéant, à son avocat, qui en accusent réception.

La notification mentionne que des observations en réponse à la demande de déclaration d'appel suspensif peuvent être transmises par tout moyen au premier président ou à son délégué dans un délai de deux heures ".

Le conseil de l'intimé estime que l'appel est irrecevable en soutenant qu'il n'est pas justifié que la déclaration d'appel ait été régulièrement portée à la connaissance du retenu immédiatement et par tout moyen ni à son conseil, ce qui est de nature à porter atteinte aux droits de la défense.

Aussi, il demande à la Cour de déclarer irrégulière la procédure d'appel et en tout état de cause irrecevable la déclaration d'appel, et d'ordonner la cessation immédiate de la rétention judiciaire de son client.

Sur ce, la Cour constate qu'il est dument justifié en procédure que l'appel fait par le procureur de la République a été en bonne et due forme notifié au retenu le 13 août 2025 à 17 h 16 avec traduction effectuée par téléphone par Mme [D] [P], interprète en lanque anglaise.

Les éléments de la procédure démontrent également que l'acte d'appel a été notifié à Me [F] [R] par mail du 13 août 2025 à 17 h 04 de sorte que Me [S] [L] ne peut utilement se prévaloir d'une absence de notification dans la mesure où il ne s'est constitué dans les intérêts de M. [A] que le 14 août 2025 à 15 h 31.

Ce moyen d'irrecevabilité sera donc rejeté.

Sur le moyen tiré du défaut de notification de l'ordonnance portant effet suspensif

Il est rappelé qu'au terme de l'art L. 743-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, " en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, toute juridiction (') qui est saisie d'une demande d'annulation ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée de la mesure de placement en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger ". Aucune nullité ne peut être formelle, il doit donc être démontré en quoi celle-ci affecte effectivement les droits reconnus à l'étranger.

Il faut donc démontrer que l'irrégularité a causé à la personne une atteinte à ses intérêts " pas de nullité sans grief ".

De même en matière de contentieux administratif, l'ordre administratif, par arrêt d'assemblée du 23 décembre 2011, le Conseil d'État rendait l'arrêt [V] énonçant qu'un vice de procédure n'entraîne l'illégalité d'une décision administrative qu'en deux situations :

- soit s'il a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise,

- soit s'il a privé les intéressés d'une garantie.

Cette exigence du vice substantiel développé par l'arrêt du CE assemblée 23 décembre 2011 [V] : suppose que seuls les vices de procédure ayant eu une influence sur le contenu de la décision ou ayant privé l'administré d'une garantie entraîne une irrégularité de la décision.

Il faut donc une atteinte aux droits de la personne.

Etant précisé que les irrégularités portant ou non atteinte aux droits de la personne relèvent de l'appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1re civ., 15 oct. 2020, n° 20-15.691. - Cass. 1re civ., 10 févr. 2021, n° 19-25.224. Cass. 1re civ., 3 mars 2021, n° 19-23.581).

En l'occurrence, le délégué relève que M. [A] a refusé le 14 août 2025 de se présenter pour notification malgré plusieurs tentatives.

Bien que la procédure ne laisse pas apparaître une notification à l'avocat de l'ordonnance du 14 août 2025 statuant sur l'effet suspensif, il s'avère que cette irrégularité n'a pas eu pour effet de porter substantiellement atteinte aux droits de l'étranger qui a porté à l'audience de ce jour, toutes les contestations sur la régularité de la procédure avec l'assistance de son conseil.

De plus, il n'existe aucun recours pour contester ladite ordonnance à laquelle la loi accorde un effet exécutoire insusceptible de recours. Ce jour à l'audience M. [A] a pu discuter de l'ensemble des moyens. De plus, il ne fait pas la démonstration d'avoir été privé de ces droits.

Le moyen d'irrégularité sera donc rejeté.

Sur l'absence de notification régulière des droits au centre et de la décision de placement en rétention en l'absence d'interprète et l'atteinte aux droits

Il ressort des éléments de la procédure et notamment de l'attestation scolaire de l'unité locale d'enseignement du centre pénitentiaire de la Santé que M. [A] a suivi des cours de français à raison de 4 modules par semaine à compter de mars 2025. L'attestation d'assiduité mentionne qu'il a acquis un niveau de compréhension orale et écrite adapté à la vie quotidienne et une expression écrite et orale en contexte simple. L'arrêté de placement en rétention et les droits afférents lui ont été notifiés dans une langue qu'il comprend par une lecture faite par le chef de poste du centre de rétention administrative, agent assermenté de la préfecture de police de [Localité 1].

Ainsi, aucun grief n'est démontré. Le moyen manque en fait et sera rejeté.

Sur l'erreur manifeste d'appréciation

La combinaison des articles L.741-1, L.731-1 et L.612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permet de retenir que l'étranger qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour, ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, présente un risque de se soustraire à la décision d'éloignement le concernant.

La Cour rappelle que la régularité de la décision administrative s'apprécie au jour de son édiction, au regard des éléments de fait connus de l'administration à cette date et l'obligation de motivation ne peut s'étendre au-delà de l'exposé des éléments qui sous-tendent la décision en cause.

En l'espèce, la décision de placement en rétention vise expressément cette situation pour M. [X] [A] en mentionnant qu'il ne présente pas de garantie de représentation effective car il n'a pas présenté de passeport en cours de validité et n'a pas été en mesure de justifier d'un domicile puisqu'il sortait de détention.

Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; () 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ;". Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code, " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : () 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ;(). 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Et aux termes de l'article L. 612-3, " 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour.

Certes le premier juge pour ordonner l'irrégularité de l'arrêté de placement en rétention a retenu que la procédure contenait la remise préalable d'un passeport et qu'il y avait une erreur sur le nom de la personne visé par l'arrêté,

Cependant le Conseiller délégué par le Premier Président de la Cour d'appel de Paris relève d'une part qu'à l'occasion de son audition du 7 février 2025 à 11h55, l'intéressé a indiqué devant les services de police de la BRF d'île de France se nommer ''[M] '', identité qui était déclarative et qui a permis de fonder l'arrêté pris. Il est noté que ce procès-verbal a été relu et signé par l'intéressé lui-même qui n'a pas estimé nécessaire de faire corriger son nom. Par ailleurs il ne s'agit que d'une erreur matérielle sur le nom, laquelle peut résulter d'une erreur de prononciation ou de retranscription à l'époque où M. [X] [A] était entendu sur les faits qui lui étaient reprochés et pour lesquels il a été condamnés et a purgé sa peine. Ce n'est que le 28 juillet 2025 que le passeport a été remis. Cette erreur sur l'orthographe du nom, ne fait donc pas grief dès lors qu'il n'y a pas d'erreur sur la personne.

Concernant l'erreur commise par le préfet quant à l'absence de document d'identité, il est relevé que si l'arrêté de placement en rétention indique qu'aucun document d'identité n'est remis est qu'il est par ailleurs suffisamment motivé en ce qu'il vise l'absence de garantie de représentation de l'intéressé et la menace à l'ordre public qui résulte de la présence de M. [X] [A] en France puisqu'il a été notamment été impliqué dans des réseaux de trafic de stupéfiants et condamné à une peine d'emprisonnement de 18 mois dont 6 mois avec sursis, malgré un casier judiciaire néant , la lutte contre les stupéfiants étant un défi majeur pour les pouvoirs publics.

L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a retenu une erreur manifeste d'appréciation alors que le préfet avait suffisamment son arrêté en droit et en fait.

Sur la demande d'assignation à résidence

Les éléments de la procédure démontrent que M. [A] n'a pas l'intention d'exécuter la mesure d'éloignement. De plus, la proposition d'hébergement produite est insuffisante à garantir sa représentation pour la suite de la procédure de sorte que la demande sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

RECEVONS les appels du procureur de la République et du préfet,

INFIRMONS l'ordonnance,

STATUANT À NOUVEAU,

REJETONS les moyens d'irrégularité et d'irrecevabilité,

REJETONS la demande d'assignation à résidence,

ORDONNONS la prolongation de la rétention de M. [X] [A] dans les locaux ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de vingt-six jours,

ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d'une expédition de la présente ordonnance.

Fait à [Localité 1] le 15 août 2025 à

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

REÇU NOTIFICATION DE L'ORDONNANCE ET DE L'EXERCICE DES VOIES DE RECOURS :

Pour information :

L'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou la rétention et au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.

Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Le préfet ou son représentant L'intéressé L'interprète

L'avocat de l'intéressé L'avocat général

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