CA Dijon, 2 e ch. civ., 21 août 2025, n° 22/00483
DIJON
Arrêt
Autre
[L] [K]
S.A.S. SIBERI GROUP
C/
[D] [G] [T]
S.A.S. BIOGAZ INGÉNIERIE
expédition et copie exécutoire
délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
2 e chambre civile
ARRÊT DU 21 AOUT 2025
N° RG 22/00483 - N° Portalis DBVF-V-B7G-F5ZK
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : au fond du 17 mars 2022,
rendue par le tribunal de commerce de Dijon - RG : 2019006540
APPELANTS :
Monsieur [L] [K]
né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 8]
domicilié :
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représenté par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126
S.A.S. SIBERI GROUP représentée par son président en exercice
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126
assistée de Me Jérôme DELIRY, de JOUFFROY & FILEAS AVOCATS, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉS :
Monsieur [D] [N]
né le [Date naissance 3] 1984 à [Localité 9] (28)
domicilié :
[Adresse 4]
[Localité 7]
S.A.S. BIOGAZ INGÉNIERIE, prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège en cette qualité
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentés par Me François-xavier MIGNOT de la SARL CANNET - MIGNOT, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 81
assisté de Me Guillaume DOLIDON et Me Céline GRIS, de la SELAS DOLIDON PARTNERS, avocat au barreau PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 octobre 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et Leslie CHARBONNIER, Conseiller. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller,
Bénédicte KUENTZ, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 30 Janvier 2025 pour être prorogée au 10 Avril 2025, au 05 Juin 2025 puis au 21 Août 2025,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
La SAS Biogaz Ingenierie a été constituée le 10 mars 2014. Son capital social a été fixé à 10.000 euros et divisé en 1000 actions réparties entre ses associés comme suit :
- [D] [N] : 890 actions soit 89% du capital social,
- [L] [K] : 50 actions, soit 5 % du capital social,
- la société Siberi-Group : 50 actions, soit 5% du capital social,
- [S] [M] : 10 actions, soit 1 % du capital social.
M. [N] en a été désigné président.
La société Siberi Group est une holding dont M.[K] est le président.
M.[N] et la société Siberi Group sont par ailleurs associés d'une société CH4 qui a été placée en liquidation judiciaire en mars 2018.
Un différent entre MM. [N] et [K] à ce sujet, a conduit le premier à envisager l'exclusion du second et de sa société Siberi Group du capital de la société Biogaz Ingenierie.
Par lettre recommandée du 11 juillet 2018, les associés de la société Biogaz Ingenierie ont été convoqués à une assemblée générale extraordinaire qui, le 20 juillet 2018, a adopté une modification des statuts, M. [K] et la société Siberi Group exprimant un vote défavorable.
Le 21 décembre 2018, l'assemblée générale a adopté une résolution sur l'affectation du résultat bénéficiaire de l'exercice clos au 30 juin 2018 et la répartition des dividendes de manière non proportionnelle conformément à la nouvelle rédaction de l'article 16 des statuts en favorisant les associés exerçant une activité opérationnelle.
Par lettre recommandée du 14 mars 2019, M. [K] et la société Siberi Group ont mis en demeure M. [N] de convoquer une nouvelle assemblée générale pour revenir à la rédaction initiale des statuts et annuler cette distribution.
Cette demande a été rejetée.
Par acte d'huissier du 29 octobre 2019, M.[K] et la société Siberi Group ont fait assigner la société Biogaz Ingenierie et M.[N] devant la juridiction commerciale en nullité de l'article 16 des statuts et des décisions de répartition des dividendes prises lors des assemblées générales en application de ces statuts modifiés.
Par jugement du 17 mars 2022, le tribunal de commerce de Dijon a :
- déclaré irrecevable la mise en cause de la responsabilité délictuelle de M. [D] [G] au titre de la règle de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle,
- débouté M. [L] [K] et la société Siberi Group de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- condamné solidairement M. [L] [K] et la société Siberi Group à verser à la société Biogaz Ingenierie la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné solidairement M. [L] [K] et la société Siberi Group aux entiers dépens,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,
- dit toutes autres demandes, fins et conclusions des parties injustifiées et en tous cas mal fondées, et les en déboute.
Suivant déclaration au greffe du 14 avril 2024, M. [K] et la société Siberi Group ont relevé appel de cette décision.
Prétentions de M. [K] et de la société Siberi Group :
Au terme de leurs dernières écritures notifiées par voie électronique le 11 septembre 2024, les appelants demandent à la cour, au visa des articles 1240, 1134, 1844-1, 1832, 1833 du code civil et L.228-11 et suivants, L.225-147 du code de commerce, de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
à titre principal :
- dire et juger que M. [D] [N] a commis un abus de majorité, ou à tout le moins une faute délictuelle constituant une fraude au droit des associés minoritaires,
- dire et juger nuls et sans effets l'article 16 des nouveaux statuts et la «troisième résolution» de l'assemblée générale mixte du 21 décembre 2018,
en conséquence,
- dire et juger nulles et sans effet toutes les décisions d'assemblées générales d'affectation du résultat intervenues postérieurement à l'assemblée générale du 20 juillet 2018,
- condamner M. [N] à rapporter à la société l'intégralité des dividendes indûment perçus depuis le 20 juillet 2018 ;
- enjoindre à M. [N], en sa qualité de président de la société Biogaz Ingenierie de convoquer une assemblée générale à compter du jugement à intervenir sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard, ayant pour ordre du jour :
prendre acte de l'annulation de la «troisième résolution» de l'assemblée générale mixte du 20 juillet 2018 ayant pour objet la refonte des statuts et revenir à la rédaction initiale des statuts de la société Biogaz Ingenierie (statuts constitutifs régularisé le 10 mars 2014), et justifier auprès de la société Siberi-Group et de M. [K] des formalités réalisées auprès du greffe du tribunal de commerce ;
prendre acte de l'annulation de l'intégralité des résolutions postérieures au 20
juillet 2018 et statuant sur l'affectation des résultats de la société ;
voter à nouveau l'affectation des résultats des exercices clos le 30 juin 2018 et suivants ;
à titre subsidiaire :
- dire et juger que la modification des droits attachés aux actions de la société imposait le respect de la procédure attachées aux avantages particuliers, et en particulier l'intervention du commissaire chargé d'établir un rapport spécial ;
- dire et juger nulles et sans effets toutes les décisions d'assemblées générales d'affectation du résultat intervenues postérieurement à l'assemblée générale du 20 juillet 2018,
- condamner M. [N] à rapporter à la société l'intégralité des dividendes indument perçus depuis le 20 juillet 2018,
- enjoindre à M. [N], ès qualité de Président, de la société Biogaz Ingenierie de convoquer une assemblée générale à compter du jugement à intervenir sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard, ayant pour ordre du jour :
prendre acte de l'annulation de la «troisième résolution» de l'assemblée générale mixte du 20 juillet 2018 ayant pour objet la refonte des statuts et revenir à la rédaction initiale des statuts de la société Biogaz Ingenierie (statuts constitutifs régularisé le 10 mars 2014) , et justifier auprès de la société Siberi-Group et de M. [K] des formalités réalisées auprès du greffe du tribunal de commerce ;
prendre acte de l'annulation de l'intégralité des résolutions postérieures au 20 juillet 2018 et statuant sur l'affectation des résultats de la société,
voter à nouveau l'affectation des résultats des exercices clos le 30 juin 2018 et suivants,
à titre infiniment subsidiaire :
- déclarer non écrite car léonine la clause suivante « l'assemblée générale des associés statuant aux conditions de majorité prévues pour les assemblées générales ordinaires peut prévoir une répartition des bénéfices qui ne serait pas proportionnel à la quote-part du capital que l'action représente, sous réserve que cette répartition ne conduise pas à priver un associé de toute part dans les bénéfices ou l'exonère à l'inverse de toute contribution aux pertes » insérée dans l'article des statuts de la société Biogaz Ingenierie ;
- déclarer non écrites car léonines toutes les décisions d'assemblées générales d'affectation du résultat intervenues postérieurement à l'assemblée générale du 20 juillet 2018,
- condamner M. [N] à rapporter à la société l'intégralité des dividendes indument perçus depuis le 20 juillet 2018.
- enjoindre à M.[N], en sa qualité de président de la société Biogaz Ingenierie de convoquer une assemblée générale à compter du jugement à intervenir sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard, ayant pour ordre du jour :
prendre acte de l'annulation de la «troisième résolution» de l'assemblée générale mixte du 20 juillet 2018 ayant pour objet la refonte des statuts et revenir à la rédaction initiale des statuts de la société Biogaz Ingenierie (statuts constitutifs régularisé le 10 mars 2014), et justifier auprès de la société Siberi-Group et de M. [K] des formalités réalisées auprès du greffe du tribunal de commerce ;
prendre acte de l'annulation de l'intégralité des résolutions postérieures au 20 juillet 2018 et statuant sur l'affectation des résultats de la société,
voter à nouveau l'affectation des résultats des exercices clos le 30 juin 2018 et suivants,
en tout état de cause :
- dire et juger que la décision à intervenir sera opposable à la société Biogaz Ingenierie,
- condamner M. [D] [N] au paiement de la somme de 10.000 euros au profit de la société Siberi-Group et à la somme de 10.000 euros au profit de M. [K] pour le préjudice subi,
- condamner M. [D] [N] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit chacun de la société Siberi-Group et de M. [K],
- condamner M. [D] [N] aux dépens de première instance et d'appel.
Prétentions de M.[G] et de la société Biogaz Ingenierie :
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 septembre 2022, les intimés entendent voir, au visa des articles 1240 et 1844-1 du code civil, L.225-138 du code de commerce :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
en conséquence :
- débouter M. [L] [K] et la société Siberi Group de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
- condamner solidairement M. [L] [K] et la société Siberi Group à verser à la société Biogaz ainsi qu'à M. [D] [N] chacun la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement M. [L] [K] et la société Siberi Group aux entiers dépens.
- ordonner l'exécution provisoire.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions susvisées pour un exposé complet des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 2 octobre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
1°) sur l'abus de majorité :
Les appelants soutiennent que la modification de la clause statutaire de répartition des bénéfices qui prévoit une distribution non proportionnelle à la quote part du capital et les décisions d'affectation des résultats qui ont suivi, ont permis à M.[N] de s'approprier la quasi-intégralité des dividendes en fraude des droits des associés minoritaires.
M. [K] et la société Siberi Group font valoir que ces décisions sont constitutives d'un abus de majorité en ce qu'elles ne satisfont que le seul intérêt personnel de l'associé majoritaire et sont contraires à l'intérêt social qui poursuit la création de richesses et le partage de bénéfices dès lors qu'intervenues postérieurement à la souscription des associés minoritaires au contrat social, elles créent une situation d'insécurité juridique et économique et constituent une violation du pacte social.
M.[N] et la société Biogaz Ingenierie considèrent que les conditions cumulatives de l'abus de majorité ne sont pas réunies, aucune des décisions intervenues n'étant contraires à l'intérêt social.
Ils rappelent que la loi permet une répartition des bénéfices inégalitaire et non proportionnée à la détention des capitaux, l'article 1844-1 n'exprimant qu'une règle supplétive.
Ils soutiennent que la rédaction modifiée des statuts se contente de permettre une répartition non proportionnelle des dividendes qui peut jouer en faveur des associés majoritaires comme des associés minoritaires ; que la distinction entre associés actifs et passifs n'est pas contraire à l'intérêt social, ne causant aucun préjudice à la société, ne défavorisant pas son activité et ne faisant que tirer les conséquences du rôle de chacun dans son fonctionnement, sans avantager les majoritaires par rapport aux minoritaires.
Les intimés font également valoir que la décision d'attribution des bénéfices a été prise à la majorité en l'absence des appelants, ni présents, ni représentés, ni même votants par correspondance.
Dans leur rédaction d'origine, les statuts de la société Biogaz Ingenierie prévoyaient dans leur article 12 une répartition égalitaire des bénéfices à proportion de la part de chaque associé dans le capital social.
La nouvelle rédaction de l'article 16 de ces statuts adoptée par décision de l'assemblée générale extraordinaire du 20 juillet 2018 prévoit que :
« Chaque action donne droit, dans les bénéfices, réserves et l'actif social, à une part proportionnelle à la quotité de capital qu'elle représente et donne droit au vote [']
Par dérogation à ce qui précède, l'assemblée générale des associés statuant aux conditions de majorité prévues pour les assemblées générales ordinaires peut prévoir une répartition des bénéfices qui ne serait pas proportionnelle à la quote-part du capital que l'action représente, sous réserve que cette répartition ne conduise à priver un associé de toute part dans les bénéfices ou l'exonère à l'inverse de toute contribution aux pertes ».
Il doit être observé d'une part que cette rédaction n'institue pas une règle générale et absolue de répartition inégalitaire des bénéfices, mais ouvre une simple faculté dont elle ne détermine pas les modalités ; d'autre part qu'elle écarte la possibilité d'exclure totalement un associé du profit procuré par la société reprenant ainsi l'interdiction édictée par l'article 1844-1 du code civil.
Au regard des dispositions supplétives de cet article, cette clause n'emporte pas en elle-même un avantage au profit exclusif de l'associé majoritaire, qu'elle ne désigne d'ailleurs pas.
Pour autant, il y a lieu de considérer que par la généralité de ses termes, la mise en 'uvre de cette clause statutaire est intégralement dévolue à l'assemblée générale des associés, au sein de laquelle, M. [N], qui détient 89 % des actions, dispose de la majorité absolue et peut en conséquence déterminer seul, tant les bénéficiaires de la répartition inégalitaire que les quote-parts attribuées.
Or, il est établi que par courrier du 21 avril 2018, M.[N] a notifié à la société Siberi Group et M.[K] son intention de les exclure de la société Biogaz Ingenierie sur le fondement de l'article 23 des statuts, ce que les intéressés ont contesté en faisant valoir que les motifs invoqués n'entraient pas dans les prévisions de cette clause.
C'est dans ce contexte de conflit entre associé majoritaire et minoritaires, qu'a été convoquée l'assemblée générale extraordinaire du 20 juillet 2018 avec pour ordre du jour la refonte des statuts, sans que le rapport du président joint à cette convocation n'en fasse une présentation autre qu'un simple souci de simplification et de clarification, alors que le projet de nouveaux statuts comportait des modifications substantielles de l'article 23 et celles, critiquées, de l'article 16 permettant d'écarter la règle initiale de répartition égalitaire des dividendes.
En outre, par délibérations des 12 décembre 2018, 16 décembre 2019 et 26 février 2021 l'assemblée générale des associés de la société Biogaz Ingéniérie a systématiquement décidé d'une répartition inégalitaire des dividendes entre « associés exerçant une activité opérationnelle » et «associés passifs », selon les quote-parts suivantes :
- en 2018 : 67,41 euros par action pour les premiers et 1 euro par action pour les seconds,
- en 2019 : 105 et 5 euros par action,
- en 2021 : 44,70 et 2 euros par action.
Si la décision de favoriser, dans la répartition des dividendes, les associés contribuant activement au fonctionnement de la société n'est pas en elle-même abusive, il apparaît que M. [N], seul associé appartenant à cette catégorie, a été l'unique bénéficiaire de la modification des statuts alors que dans le même temps, la quote-part réservée aux associés minoritaires par les délibérations successives de l'assemblée générale prises à compter de cette modification, a été fixée à un montant dérisoire, équivalant à leur exclusion de la répartition des bénéfices.
De telles décisions réitérées depuis la modification des statuts consacrent une rupture d'égalité entre les associés et une atteinte importante à l'affectio sociétatis contraire à l'intérêt social tel que défini à l'article 1833 du code civil en ce qu'analysées à l'aune du contexte conflictuel dans lequel elles ont été prises, elles sont de nature à compromettre la pérennité du pacte social.
La ré-écriture de l'article 16 des statuts a ainsi été adoptée dans l'unique dessein de porter atteinte aux intérêts des associés minoritaires au profit de l'associé majoritaire et constitue un abus de majorité sanctionné par la nullité.
Le jugement de première instance sera en conséquence infirmé et la cour prononcera la nullité de l'article 16 des statuts de la société Biogaz Ingéniérie dans leur rédaction résultant de la délibération de l'assemblée générale du 20 juillet 2018, ainsi que celle des résolutions d'affectation des résultats de l'assemblée générale du 21 décembre 2018 et des suivantes.
M.[N] sera condamné à restituer à la société Biogaz Ingéniérie les dividendes qu'il a perçu depuis le 20 juillet 2018 et il lui sera enjoint, en sa qualité de président de la société Biogaz Ingéniérie, de procéder à la convocation d'une assemblée générale aux fins de justifier des formalités réalisées auprès du greffe du tribunal de commerce en suite des nullités et de décider de l'affectation des résultats des exercices clos depuis le 30 juin 2018.
Il y aura lieu d'assortir cette dernière injonction d'une astreinte dans les conditions fixées au dispositif de la décision.
La cour relève qu'à défaut pour les appelants d'avoir poursuivi la nullité de la délibération prise le 20 juillet 2018 pour adopter les nouveaux statuts de la société Biogaz Group, la nullité de leur article 16 n'emporte pas « retour » à leur rédaction initiale ainsi que le prétendent les appelants.
2°) sur les dommages-intérêts :
L'intention de M.[N] de porter atteinte aux droits des associés minoritaires est caractérisée et l'abus de majorité qu'il a commis conduira la cour à octroyer aux deux associés minoritaires, la société Siberi Group et M. [K], une somme de 1500 euros chacun que M.[N] sera condamné à leur verser.
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Dijon en date du 17 mars 2022,
statuant à nouveau,
Prononce la nullité de l'article 16 des statuts de la SAS Biogaz Ingéniérie dans leur rédaction issue de la délibération de l'assemblée générale du 20 juillet 2018,
Prononce la nullité des délibérations de l'assemblée générale de la SAS Biogaz Ingéniérie du 21 décembre 2018 et des suivantes, portant sur l'affectation des résultats ;
Condamne M. [D] [N] à restituer à la SAS Biogaz Ingéniérie les dividendes qu'il a perçus depuis le 20 juillet 2018 en exécution de ces résolutions ;
Enjoint à M. [D] [N], en sa qualité de président de la SAS Biogaz Ingéniérie, de convoquer une assemblée générale des associés avec pour ordre du jour :
- la justification des formalités réalisées auprès du greffe du tribunal de commerce en suite des nullités prononcées,
- l'affectation des résultats de la SAS Biogaz Ingéniérie pour les exercices clos depuis le 30 juin 2018 ;
Assortit cette injonction d'une astreinte fixée provisoirement à la somme de 50 euros par jour de retard passé le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision et pendant un délai de trois mois, avant qu'il ne soit statué autrement en cas d'inexécution ;
Condamne M. [D] [N] à verser à la SAS Siberi Group et à M. [L] [K] la somme de 1500 euros chacun à titre de dommages-intérêts ;
Condamne M. [D] [N] à verser à la SAS Siberi Group et à M. [L] [K] la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [D] [N] aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier, Le Président,
S.A.S. SIBERI GROUP
C/
[D] [G] [T]
S.A.S. BIOGAZ INGÉNIERIE
expédition et copie exécutoire
délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
2 e chambre civile
ARRÊT DU 21 AOUT 2025
N° RG 22/00483 - N° Portalis DBVF-V-B7G-F5ZK
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : au fond du 17 mars 2022,
rendue par le tribunal de commerce de Dijon - RG : 2019006540
APPELANTS :
Monsieur [L] [K]
né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 8]
domicilié :
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représenté par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126
S.A.S. SIBERI GROUP représentée par son président en exercice
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126
assistée de Me Jérôme DELIRY, de JOUFFROY & FILEAS AVOCATS, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉS :
Monsieur [D] [N]
né le [Date naissance 3] 1984 à [Localité 9] (28)
domicilié :
[Adresse 4]
[Localité 7]
S.A.S. BIOGAZ INGÉNIERIE, prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège en cette qualité
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentés par Me François-xavier MIGNOT de la SARL CANNET - MIGNOT, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 81
assisté de Me Guillaume DOLIDON et Me Céline GRIS, de la SELAS DOLIDON PARTNERS, avocat au barreau PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 octobre 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et Leslie CHARBONNIER, Conseiller. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller,
Bénédicte KUENTZ, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 30 Janvier 2025 pour être prorogée au 10 Avril 2025, au 05 Juin 2025 puis au 21 Août 2025,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
La SAS Biogaz Ingenierie a été constituée le 10 mars 2014. Son capital social a été fixé à 10.000 euros et divisé en 1000 actions réparties entre ses associés comme suit :
- [D] [N] : 890 actions soit 89% du capital social,
- [L] [K] : 50 actions, soit 5 % du capital social,
- la société Siberi-Group : 50 actions, soit 5% du capital social,
- [S] [M] : 10 actions, soit 1 % du capital social.
M. [N] en a été désigné président.
La société Siberi Group est une holding dont M.[K] est le président.
M.[N] et la société Siberi Group sont par ailleurs associés d'une société CH4 qui a été placée en liquidation judiciaire en mars 2018.
Un différent entre MM. [N] et [K] à ce sujet, a conduit le premier à envisager l'exclusion du second et de sa société Siberi Group du capital de la société Biogaz Ingenierie.
Par lettre recommandée du 11 juillet 2018, les associés de la société Biogaz Ingenierie ont été convoqués à une assemblée générale extraordinaire qui, le 20 juillet 2018, a adopté une modification des statuts, M. [K] et la société Siberi Group exprimant un vote défavorable.
Le 21 décembre 2018, l'assemblée générale a adopté une résolution sur l'affectation du résultat bénéficiaire de l'exercice clos au 30 juin 2018 et la répartition des dividendes de manière non proportionnelle conformément à la nouvelle rédaction de l'article 16 des statuts en favorisant les associés exerçant une activité opérationnelle.
Par lettre recommandée du 14 mars 2019, M. [K] et la société Siberi Group ont mis en demeure M. [N] de convoquer une nouvelle assemblée générale pour revenir à la rédaction initiale des statuts et annuler cette distribution.
Cette demande a été rejetée.
Par acte d'huissier du 29 octobre 2019, M.[K] et la société Siberi Group ont fait assigner la société Biogaz Ingenierie et M.[N] devant la juridiction commerciale en nullité de l'article 16 des statuts et des décisions de répartition des dividendes prises lors des assemblées générales en application de ces statuts modifiés.
Par jugement du 17 mars 2022, le tribunal de commerce de Dijon a :
- déclaré irrecevable la mise en cause de la responsabilité délictuelle de M. [D] [G] au titre de la règle de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle,
- débouté M. [L] [K] et la société Siberi Group de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- condamné solidairement M. [L] [K] et la société Siberi Group à verser à la société Biogaz Ingenierie la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné solidairement M. [L] [K] et la société Siberi Group aux entiers dépens,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,
- dit toutes autres demandes, fins et conclusions des parties injustifiées et en tous cas mal fondées, et les en déboute.
Suivant déclaration au greffe du 14 avril 2024, M. [K] et la société Siberi Group ont relevé appel de cette décision.
Prétentions de M. [K] et de la société Siberi Group :
Au terme de leurs dernières écritures notifiées par voie électronique le 11 septembre 2024, les appelants demandent à la cour, au visa des articles 1240, 1134, 1844-1, 1832, 1833 du code civil et L.228-11 et suivants, L.225-147 du code de commerce, de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
à titre principal :
- dire et juger que M. [D] [N] a commis un abus de majorité, ou à tout le moins une faute délictuelle constituant une fraude au droit des associés minoritaires,
- dire et juger nuls et sans effets l'article 16 des nouveaux statuts et la «troisième résolution» de l'assemblée générale mixte du 21 décembre 2018,
en conséquence,
- dire et juger nulles et sans effet toutes les décisions d'assemblées générales d'affectation du résultat intervenues postérieurement à l'assemblée générale du 20 juillet 2018,
- condamner M. [N] à rapporter à la société l'intégralité des dividendes indûment perçus depuis le 20 juillet 2018 ;
- enjoindre à M. [N], en sa qualité de président de la société Biogaz Ingenierie de convoquer une assemblée générale à compter du jugement à intervenir sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard, ayant pour ordre du jour :
prendre acte de l'annulation de la «troisième résolution» de l'assemblée générale mixte du 20 juillet 2018 ayant pour objet la refonte des statuts et revenir à la rédaction initiale des statuts de la société Biogaz Ingenierie (statuts constitutifs régularisé le 10 mars 2014), et justifier auprès de la société Siberi-Group et de M. [K] des formalités réalisées auprès du greffe du tribunal de commerce ;
prendre acte de l'annulation de l'intégralité des résolutions postérieures au 20
juillet 2018 et statuant sur l'affectation des résultats de la société ;
voter à nouveau l'affectation des résultats des exercices clos le 30 juin 2018 et suivants ;
à titre subsidiaire :
- dire et juger que la modification des droits attachés aux actions de la société imposait le respect de la procédure attachées aux avantages particuliers, et en particulier l'intervention du commissaire chargé d'établir un rapport spécial ;
- dire et juger nulles et sans effets toutes les décisions d'assemblées générales d'affectation du résultat intervenues postérieurement à l'assemblée générale du 20 juillet 2018,
- condamner M. [N] à rapporter à la société l'intégralité des dividendes indument perçus depuis le 20 juillet 2018,
- enjoindre à M. [N], ès qualité de Président, de la société Biogaz Ingenierie de convoquer une assemblée générale à compter du jugement à intervenir sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard, ayant pour ordre du jour :
prendre acte de l'annulation de la «troisième résolution» de l'assemblée générale mixte du 20 juillet 2018 ayant pour objet la refonte des statuts et revenir à la rédaction initiale des statuts de la société Biogaz Ingenierie (statuts constitutifs régularisé le 10 mars 2014) , et justifier auprès de la société Siberi-Group et de M. [K] des formalités réalisées auprès du greffe du tribunal de commerce ;
prendre acte de l'annulation de l'intégralité des résolutions postérieures au 20 juillet 2018 et statuant sur l'affectation des résultats de la société,
voter à nouveau l'affectation des résultats des exercices clos le 30 juin 2018 et suivants,
à titre infiniment subsidiaire :
- déclarer non écrite car léonine la clause suivante « l'assemblée générale des associés statuant aux conditions de majorité prévues pour les assemblées générales ordinaires peut prévoir une répartition des bénéfices qui ne serait pas proportionnel à la quote-part du capital que l'action représente, sous réserve que cette répartition ne conduise pas à priver un associé de toute part dans les bénéfices ou l'exonère à l'inverse de toute contribution aux pertes » insérée dans l'article des statuts de la société Biogaz Ingenierie ;
- déclarer non écrites car léonines toutes les décisions d'assemblées générales d'affectation du résultat intervenues postérieurement à l'assemblée générale du 20 juillet 2018,
- condamner M. [N] à rapporter à la société l'intégralité des dividendes indument perçus depuis le 20 juillet 2018.
- enjoindre à M.[N], en sa qualité de président de la société Biogaz Ingenierie de convoquer une assemblée générale à compter du jugement à intervenir sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard, ayant pour ordre du jour :
prendre acte de l'annulation de la «troisième résolution» de l'assemblée générale mixte du 20 juillet 2018 ayant pour objet la refonte des statuts et revenir à la rédaction initiale des statuts de la société Biogaz Ingenierie (statuts constitutifs régularisé le 10 mars 2014), et justifier auprès de la société Siberi-Group et de M. [K] des formalités réalisées auprès du greffe du tribunal de commerce ;
prendre acte de l'annulation de l'intégralité des résolutions postérieures au 20 juillet 2018 et statuant sur l'affectation des résultats de la société,
voter à nouveau l'affectation des résultats des exercices clos le 30 juin 2018 et suivants,
en tout état de cause :
- dire et juger que la décision à intervenir sera opposable à la société Biogaz Ingenierie,
- condamner M. [D] [N] au paiement de la somme de 10.000 euros au profit de la société Siberi-Group et à la somme de 10.000 euros au profit de M. [K] pour le préjudice subi,
- condamner M. [D] [N] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit chacun de la société Siberi-Group et de M. [K],
- condamner M. [D] [N] aux dépens de première instance et d'appel.
Prétentions de M.[G] et de la société Biogaz Ingenierie :
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 septembre 2022, les intimés entendent voir, au visa des articles 1240 et 1844-1 du code civil, L.225-138 du code de commerce :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
en conséquence :
- débouter M. [L] [K] et la société Siberi Group de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
- condamner solidairement M. [L] [K] et la société Siberi Group à verser à la société Biogaz ainsi qu'à M. [D] [N] chacun la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement M. [L] [K] et la société Siberi Group aux entiers dépens.
- ordonner l'exécution provisoire.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions susvisées pour un exposé complet des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 2 octobre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
1°) sur l'abus de majorité :
Les appelants soutiennent que la modification de la clause statutaire de répartition des bénéfices qui prévoit une distribution non proportionnelle à la quote part du capital et les décisions d'affectation des résultats qui ont suivi, ont permis à M.[N] de s'approprier la quasi-intégralité des dividendes en fraude des droits des associés minoritaires.
M. [K] et la société Siberi Group font valoir que ces décisions sont constitutives d'un abus de majorité en ce qu'elles ne satisfont que le seul intérêt personnel de l'associé majoritaire et sont contraires à l'intérêt social qui poursuit la création de richesses et le partage de bénéfices dès lors qu'intervenues postérieurement à la souscription des associés minoritaires au contrat social, elles créent une situation d'insécurité juridique et économique et constituent une violation du pacte social.
M.[N] et la société Biogaz Ingenierie considèrent que les conditions cumulatives de l'abus de majorité ne sont pas réunies, aucune des décisions intervenues n'étant contraires à l'intérêt social.
Ils rappelent que la loi permet une répartition des bénéfices inégalitaire et non proportionnée à la détention des capitaux, l'article 1844-1 n'exprimant qu'une règle supplétive.
Ils soutiennent que la rédaction modifiée des statuts se contente de permettre une répartition non proportionnelle des dividendes qui peut jouer en faveur des associés majoritaires comme des associés minoritaires ; que la distinction entre associés actifs et passifs n'est pas contraire à l'intérêt social, ne causant aucun préjudice à la société, ne défavorisant pas son activité et ne faisant que tirer les conséquences du rôle de chacun dans son fonctionnement, sans avantager les majoritaires par rapport aux minoritaires.
Les intimés font également valoir que la décision d'attribution des bénéfices a été prise à la majorité en l'absence des appelants, ni présents, ni représentés, ni même votants par correspondance.
Dans leur rédaction d'origine, les statuts de la société Biogaz Ingenierie prévoyaient dans leur article 12 une répartition égalitaire des bénéfices à proportion de la part de chaque associé dans le capital social.
La nouvelle rédaction de l'article 16 de ces statuts adoptée par décision de l'assemblée générale extraordinaire du 20 juillet 2018 prévoit que :
« Chaque action donne droit, dans les bénéfices, réserves et l'actif social, à une part proportionnelle à la quotité de capital qu'elle représente et donne droit au vote [']
Par dérogation à ce qui précède, l'assemblée générale des associés statuant aux conditions de majorité prévues pour les assemblées générales ordinaires peut prévoir une répartition des bénéfices qui ne serait pas proportionnelle à la quote-part du capital que l'action représente, sous réserve que cette répartition ne conduise à priver un associé de toute part dans les bénéfices ou l'exonère à l'inverse de toute contribution aux pertes ».
Il doit être observé d'une part que cette rédaction n'institue pas une règle générale et absolue de répartition inégalitaire des bénéfices, mais ouvre une simple faculté dont elle ne détermine pas les modalités ; d'autre part qu'elle écarte la possibilité d'exclure totalement un associé du profit procuré par la société reprenant ainsi l'interdiction édictée par l'article 1844-1 du code civil.
Au regard des dispositions supplétives de cet article, cette clause n'emporte pas en elle-même un avantage au profit exclusif de l'associé majoritaire, qu'elle ne désigne d'ailleurs pas.
Pour autant, il y a lieu de considérer que par la généralité de ses termes, la mise en 'uvre de cette clause statutaire est intégralement dévolue à l'assemblée générale des associés, au sein de laquelle, M. [N], qui détient 89 % des actions, dispose de la majorité absolue et peut en conséquence déterminer seul, tant les bénéficiaires de la répartition inégalitaire que les quote-parts attribuées.
Or, il est établi que par courrier du 21 avril 2018, M.[N] a notifié à la société Siberi Group et M.[K] son intention de les exclure de la société Biogaz Ingenierie sur le fondement de l'article 23 des statuts, ce que les intéressés ont contesté en faisant valoir que les motifs invoqués n'entraient pas dans les prévisions de cette clause.
C'est dans ce contexte de conflit entre associé majoritaire et minoritaires, qu'a été convoquée l'assemblée générale extraordinaire du 20 juillet 2018 avec pour ordre du jour la refonte des statuts, sans que le rapport du président joint à cette convocation n'en fasse une présentation autre qu'un simple souci de simplification et de clarification, alors que le projet de nouveaux statuts comportait des modifications substantielles de l'article 23 et celles, critiquées, de l'article 16 permettant d'écarter la règle initiale de répartition égalitaire des dividendes.
En outre, par délibérations des 12 décembre 2018, 16 décembre 2019 et 26 février 2021 l'assemblée générale des associés de la société Biogaz Ingéniérie a systématiquement décidé d'une répartition inégalitaire des dividendes entre « associés exerçant une activité opérationnelle » et «associés passifs », selon les quote-parts suivantes :
- en 2018 : 67,41 euros par action pour les premiers et 1 euro par action pour les seconds,
- en 2019 : 105 et 5 euros par action,
- en 2021 : 44,70 et 2 euros par action.
Si la décision de favoriser, dans la répartition des dividendes, les associés contribuant activement au fonctionnement de la société n'est pas en elle-même abusive, il apparaît que M. [N], seul associé appartenant à cette catégorie, a été l'unique bénéficiaire de la modification des statuts alors que dans le même temps, la quote-part réservée aux associés minoritaires par les délibérations successives de l'assemblée générale prises à compter de cette modification, a été fixée à un montant dérisoire, équivalant à leur exclusion de la répartition des bénéfices.
De telles décisions réitérées depuis la modification des statuts consacrent une rupture d'égalité entre les associés et une atteinte importante à l'affectio sociétatis contraire à l'intérêt social tel que défini à l'article 1833 du code civil en ce qu'analysées à l'aune du contexte conflictuel dans lequel elles ont été prises, elles sont de nature à compromettre la pérennité du pacte social.
La ré-écriture de l'article 16 des statuts a ainsi été adoptée dans l'unique dessein de porter atteinte aux intérêts des associés minoritaires au profit de l'associé majoritaire et constitue un abus de majorité sanctionné par la nullité.
Le jugement de première instance sera en conséquence infirmé et la cour prononcera la nullité de l'article 16 des statuts de la société Biogaz Ingéniérie dans leur rédaction résultant de la délibération de l'assemblée générale du 20 juillet 2018, ainsi que celle des résolutions d'affectation des résultats de l'assemblée générale du 21 décembre 2018 et des suivantes.
M.[N] sera condamné à restituer à la société Biogaz Ingéniérie les dividendes qu'il a perçu depuis le 20 juillet 2018 et il lui sera enjoint, en sa qualité de président de la société Biogaz Ingéniérie, de procéder à la convocation d'une assemblée générale aux fins de justifier des formalités réalisées auprès du greffe du tribunal de commerce en suite des nullités et de décider de l'affectation des résultats des exercices clos depuis le 30 juin 2018.
Il y aura lieu d'assortir cette dernière injonction d'une astreinte dans les conditions fixées au dispositif de la décision.
La cour relève qu'à défaut pour les appelants d'avoir poursuivi la nullité de la délibération prise le 20 juillet 2018 pour adopter les nouveaux statuts de la société Biogaz Group, la nullité de leur article 16 n'emporte pas « retour » à leur rédaction initiale ainsi que le prétendent les appelants.
2°) sur les dommages-intérêts :
L'intention de M.[N] de porter atteinte aux droits des associés minoritaires est caractérisée et l'abus de majorité qu'il a commis conduira la cour à octroyer aux deux associés minoritaires, la société Siberi Group et M. [K], une somme de 1500 euros chacun que M.[N] sera condamné à leur verser.
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Dijon en date du 17 mars 2022,
statuant à nouveau,
Prononce la nullité de l'article 16 des statuts de la SAS Biogaz Ingéniérie dans leur rédaction issue de la délibération de l'assemblée générale du 20 juillet 2018,
Prononce la nullité des délibérations de l'assemblée générale de la SAS Biogaz Ingéniérie du 21 décembre 2018 et des suivantes, portant sur l'affectation des résultats ;
Condamne M. [D] [N] à restituer à la SAS Biogaz Ingéniérie les dividendes qu'il a perçus depuis le 20 juillet 2018 en exécution de ces résolutions ;
Enjoint à M. [D] [N], en sa qualité de président de la SAS Biogaz Ingéniérie, de convoquer une assemblée générale des associés avec pour ordre du jour :
- la justification des formalités réalisées auprès du greffe du tribunal de commerce en suite des nullités prononcées,
- l'affectation des résultats de la SAS Biogaz Ingéniérie pour les exercices clos depuis le 30 juin 2018 ;
Assortit cette injonction d'une astreinte fixée provisoirement à la somme de 50 euros par jour de retard passé le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision et pendant un délai de trois mois, avant qu'il ne soit statué autrement en cas d'inexécution ;
Condamne M. [D] [N] à verser à la SAS Siberi Group et à M. [L] [K] la somme de 1500 euros chacun à titre de dommages-intérêts ;
Condamne M. [D] [N] à verser à la SAS Siberi Group et à M. [L] [K] la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [D] [N] aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier, Le Président,