CA Rouen, ch. civ. et com., 21 août 2025, n° 24/03071
ROUEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
EMTC (SARL)
Défendeur :
Marketing Diffusion Developpement MDD (SAS), Starlease (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vannier
Conseiller :
M. Urbano
Conseiller :
Mme Menard-Gogibu
Avocats :
Me Roussel, Me Scolan, Me Richard
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La société E.M.T.C. exerce une activité d'installation de structures métalliques, chaudronnées et de tuyauterie.
La société Marketing Diffusion et Développement (MDD) est quant à elle spécialisée dans la vente de machines et de consommables pour la découpe au jet d'eau et au plasma.
Dans le cadre de son activité, la société E.M.T.C. a conclu un contrat de crédit-bail mobilier avec la société Starlease, spécialisée dans les opérations de crédit-bail, pour l'acquisition d'une plieuse et d'une cisaille neuves pour un montant total de 82 800 euros hors taxes auprès de la société Marketing Diffusion et Développement.
Les machines ont été livrées le 19 mars 2019.
La plieuse et la cisaille ont présenté quelques dysfonctionnements.
La société E.M.T.C. a fait réaliser des vérifications techniques sur les machines par la société Dekra, celle-ci intervenant notamment dans le domaine de contrôle de conformité de machines industrielles. La société Dekra a relevé des problèmes techniques et des problèmes d'affichage à la fois sur la cisaille et sur la plieuse.
Le 30 juin 2020, la société E.M.T.C. a mis en demeure la société Marketing Diffusion et Développement de fournir une déclaration de conformité et le marquage CE des machines.
Par assignation datée du 28 octobre 2020, la société E.M.T.C. a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Rouen aux fins de voir désigner un expert judiciaire.
Par ordonnance datée du 2 décembre 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Rouen a fait droit à la mesure d'instruction et désigné Monsieur [Y] [D] en qualité d'expert judiciaire.
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 12 novembre 2022.
Par courrier daté du 4 avril 2023, la société E.M.T.C. a notifié la résolution des contrats de vente et de crédit-bail conclus pour l'acquisition de la plieuse et de la cisaille à la société Marketing Diffusion et Développement et l'a mis en demeure de lui payer des sommes au titre du préjudice qu'elle aurait subis.
Par courrier officiel daté du 11 avril 2023, la société Marketing Diffusion et Développement, par l'intermédiaire de son conseil, a contesté l'ensemble des griefs à son encontre sur la base du rapport d'expertise.
Faute d'accord entre les parties, par actes de commissaires de justice datés du 16 octobre 2023, la société E.M.T.C. a fait assigner la société Marketing Diffusion et Développement et la société Starlease devant le tribunal de commerce de Rouen aux fins de voir condamner la société Marketing Diffusion et Développement au paiement de diverses sommes.
Par jugement en date du 8 juillet 2024, le tribunal de commerce de Rouen a :
- jugé que la société E.M.T.C. est fondée à agir en justice contre la société Marketing Diffusion et Développement au titre de l'action directe contractuellement prévue par les parties ;
- débouté la société E.M.T.C. de l'ensemble de ses demandes et prétentions ;
- jugé irrecevable la demande de nullité de contrat de vente entre la société Marketing Diffusion et Développement et la société Starlease formulée par la société E.M.T.C.;
- débouté la société Marketing Diffusion et Développement dans sa demande de condamnation de la société E.M.T.C. à lui payer en application de l'article 1229 du code civil, la somme de 41 400 euros au titre de l'utilisation des machines ;
- jugé irrecevable la demande de la société E.M.T.C. tendant à soulever la nullité du contrat de vente conclu entre le fournisseur et la société Starlease ;
- débouté la société Starlease dans sa demande de condamnation de la société Marketing Diffusion et Développement à lui restituer le prix de vente perçu au titre de l'acte de vente de matériel grevé au contrat de crédit-bail, soit la somme de 99 360 euros TTC ;
- condamné la société E.M.T.C. à payer 2 000 euros à la société Marketing Diffusion et Développement au titre l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société E.M.T.C. à payer 1 000 euros à la société Starlease au titre l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société E.M.T.C. aux dépens, dont les frais de greffe liquidés à la somme de 90,98 euros.
La société E.M.T.C. a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 26 août 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 20 novembre 2024, la société E.M.T.C. demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu le 8 juillet 2024 par le tribunal de commerce de Rouen en qu'il a jugé :
* débouté la société E.M.T.C. de l'ensemble de ses demandes et prétentions ;
* jugé irrecevable la demande de nullité de contrat de vente entre la société Marketing Diffusion et Développement et la société Starlease formulé par la société E.M.T.C. ;
* jugé irrecevable la demande de la société E.M.T.C. tendant à soulever la nullité du contrat de vente conclu entre le fournisseur et la société Starlease ;
* condamné la société E.M.T.C. à payer 2 000 euros à la société Marketing Diffusion et Développement au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné la société E.M.T.C. à payer 1 000 euros à la société Starlease au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné la société E.M.T.C. aux dépens, dont les frais de greffe liquidés à la somme de 90,98 euros.
Statuant à nouveau,
- débouter la SARL Marketing Diffusion et Développement de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- juger que la SARL E.M.T.C. est fondée à agir en justice contre la SARL Marketing Diffusion et Développement au titre de l'action directe contractuellement prévue par les parties ;
- juger que le contrat de vente conclu entre la SARL Marketing Diffusion et Développement et la SA Starlease est résolu ;
- juger que le contrat de crédit-bail conclu entre la SARL E.M.T.C. et la SA Starlease pour un montant de 82 800,00 euros HT est caduc ;
- juger par conséquent que les parties devront revenir au statu quo ante ;
- dire pour cela que la SARL Marketing Diffusion et Développement restituera à la SARL E.M.T.C. la somme de 106 828,07 euros TTC, correspondant aux frais, intérêts et aux loyers payés par la SARL E.M.T.C. ;
- dire pour cela que la SARL E.M.T.C. restituera à la SA Starlease la somme de
3 672,27 euros (à parfaire au jour du jugement à intervenir), correspondant au solde du crédit restant dû, outre 1 138 euros au titre des frais de remboursement anticipé du crédit-bail ;
- condamner pour cela la SARL Marketing Diffusion et Développement à venir enlever les deux machines litigieuses objet du contrat de crédit-bail sur le site de la SARL E.M.T.C., aux charges et frais de la SARL Marketing Diffusion et Développement, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à venir ;
- condamner la SARL Marketing Diffusion et Développement à payer à la SARL E.M.T.C. la somme de 20 000 euros au titre du manquement à son obligation d'information ;
- condamner la SARL Marketing Diffusion et Développement à payer à la SARL E.M.T.C. la somme de 259 055,70 euros HT, outre la TVA, au titre des préjudices subis ;
- condamner la SARL Marketing Diffusion et Développement à payer à la SARL E.M.T.C. la somme de 15 267 euros au titre l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, en ce compris 14 651,29 euros pour les frais d'expertise ;
- juger qu'il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire de droit.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 14 février 2025, la société Marketing Diffusion et Développement demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 8 juillet 2024 par le tribunal de commerce de Rouen en ce qu'il a :
* débouté la société E.M.T.C. de l'ensemble de ses demandes et prétentions ;
* jugé irrecevable la demande de nullité de contrat de vente entre la société Marketing Diffusion et Développement et la société Starlease formulée par la société E.M.T.C. ;
* jugé irrecevable la demande de la société E.M.T.C. tendant à soulever la nullité du contrat de vente conclu entre le fournisseur et la société Starlease ;
* débouté la société Starlease de sa demande de condamnation de la société Marketing Diffusion et Développement à lui restituer le prix de vente perçu au titre de m'acte de vente de matériel grevé au contrat de crédit-bail, soit la somme de
99 360 euros TTC ;
* condamné la société E.M.T.C. à payer 2 000 euros à la société Marketing Diffusion et Développement au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné la société E.M.T.C. à payer 1 000 euros à la société Starlease au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné la société E.M.T.C. aux dépens, dont les frais de greffe liquidés à la somme de 90,98 euros.
A titre subsidiaire si par extraordinaire la cour d'appel de Rouen venait à prononcer la résolution des contrats,
- infirmer le jugement rendu le 8 juillet 2024 par le tribunal de commerce de Rouen en ce qu'il a :
* débouté la société Marketing Diffusion et Développement dans sa demande de condamnation de la société E.M.T.C. à lui payer en application de l'article 1229 du code civil, la somme de 41 400 euros au titre de l'utilisation des machines.
Et statuant à nouveau :
- condamner la société E.M.T.C. à payer à la SARL Marketing Diffusion et Développement, en application de l'article 1229 du code civil, la somme de 41 400 euros au titre de l'utilisation des machines.
En toute hypothèse :
- condamner la société E.M.T.C. à payer à la société Marketing Diffusion et Développement la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société E.M.T.C. aux dépens de première instance et d'appel que la SELARL Gray Scolan, avocats associés, sera autorisée à recouvrer pour ceux la concernant, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Starlease n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 mars 2025.
Pour un exposé détaillé des demandes et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE
Sur l'action directe de la SARL EMTC contre la SARL MDD
La SARL EMTC demande à la Cour de juger qu'elle peut valablement agir contre la société MDD pour défaut de conformité des machines au titre de l'action directe contractuellement prévue par les parties.
L'intimée ne répond pas sur ce point.
Le tribunal a reconnu l'existence de cette action directe qui a été contractuellement prévue par les parties, ainsi que l'établit le procès- verbal de réception il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point.
Sur le manquement à l'obligation de délivrance conforme et les demandes d'indemnisation
La SARL EMTC fait valoir qu'en application des articles 1603 et 1604 du code civil, le vendeur a l'obligation de délivrer le chose et de la garantir, que la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur, que la non-conformité est caractérisée dès lors que la chose reçue est différente de celle que l'acquéreur a commandée. Il ajoute que lorsque le bien livré n'est pas conforme aux normes administratives et techniques, il y a lieu selon la jurisprudence de considérer que le vendeur n'a pas satisfait à son obligation de délivrance conforme, que s'agissant de machines l'absence de marquage CE sur ces machines caractérise la non-conformité, que l'article 7 de la directive européenne du 17 mai 2006 relative aux machines pose une présomption de conformité sur les machines munies du marquage CE accompagnée de la déclaration CE de conformité et que l'article prévoit que la conformité d'une machine peut être évaluée grâce à des procédures d'examen CE.
Elle expose que la cisaille et la plieuse livrées par la SARL MDD ont rapidement montré des signes de défectuosité, que les conclusions du rapport d'expertise sont claires, que l'expert a souligné la présence de problèmes mécaniques et d'étanchéité du circuit hydraulique ainsi que des non-conformités de nature à mettre en défaut la sécurité des opérateurs de l'atelier, et la présence d'un problème d'affichage qui consiste en des inscriptions d'informations qui ne sont pas en langue française, qu'il a été relevé que les deux machines ne disposaient pas d'un dossier documentaire complet relatif au marquage CE, que la SARL EMTC aurait dû mettre en conformité totale les deux machines avec les normes de sécurité européenne, que l'expert a relevé que les défauts relatifs aux organes de sécurité préexistaient à la vente des deux machines, que les machines ne sont pas en conformité avec les normes de sécurité européennes et sont dangereuses. Elle ajoute qu'en application de l'article 5 de la Directive 2006/42/CE le fabricant ou son mandataire veille à ce que dossier technique prévu soit disponible, qu'il établit la déclaration CE de conformité et veille à ce que celle-ci soit jointe à la machine, que l'annexe 1 prévoit que les informations ou les avertissements sur la machine doivent être apposés dans une langue comprise par les opérateurs déterminée par le pays concerné, soit en français en l'espèce ce qui n'est pas le cas pour ces deux machines, que la non-conformité est démontrée. Elle ajoute qu'elle a été contrainte récemment de faire remplacer la carte mère de la cisaille pour un coût total de 5 795,76 € en raison de dysfonctionnements électroniques et que la société qui est intervenue lui a signalé que le numéro de série et le type de la carte mère inscrite sur le boîtier de la commande numérique ne correspondaient pas au modèle monté sur le boîtier.
Elle fait valoir que la non-conformité des machines lui permet au visa des articles 1610, 1217 et 1224 du code civil de solliciter la résolution du contrat conclu avec la société MDD et la caducité du contrat de crédit-bail conclu avec la société Starlease et qu'ainsi elle restituera la somme de 106 828,07 € correspondant aux frais, intérêts et aux loyers payés, la société EMTC restituant à la société Starlease la somme de 3 672,27 € à parfaire, correspondant au solde du crédit restant dû, outre la somme de 1 138 € au titre des frais de remboursement anticipé du crédit-bail, à charge pour la société MDD de venir enlever les deux machines sur le site, à ses frais, sous astreinte de 500 € par machine et par jour de retard à compter de la décision.
Elle sollicite en outre au visa des articles 1602 et 1112-1 du code civil une somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts faisant valoir que la société MDD a manqué à son devoir d'information, qu'elle n'aurait jamais consenti à une opération de crédit- bail sur des machines défectueuses, et que la société MDD spécialisée dans la vente de machines n'a pas vérifié l'état de ces dernières, qu'elle n'a jamais proposé de réparer les problèmes d'étanchéité ni de conformité.
Elle sollicite également sur le fondement de l'article 1240 du code civil la somme totale de 259 055,70 HT au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis au titre de frais engendrés par les dysfonctionnements, soit les sommes de 849, 29 € frais de sous-traitance, 4 829,80 €, frais engendrés par le dysfonctionnement de la cisaille, 33 153,21 € frais de sous-traitance, 7 900 € frais engendrés par la perte de temps de travail, 210 305 € pour frais engendrés par perte de productivité, la somme de
1 138,40 € au titre du coût financier lié au financement, et celle de 880 € coût d'intervention de la société Dekra. Elle fait valoir que la faute est constituée par le manquement à l'obligation de délivrance et au devoir d'information et que face à l'inertie de la SARL MDD, elle a été obligée de délivrer une assignation pour obtenir réparation de l'ensemble de ses préjudices.
La société MDD réplique que la preuve de la délivrance non conforme pèse sur l'acheteur du fait de la présomption de conformité tenant à la réception sans réserve de la chose par l'acheteur, que le défaut de conformité doit être établi à la date de la livraison, que s'agissant de la sanction de la délivrance non conforme en application de l'article 1 226 du code civil, le créancier peut à ses risques et périls résoudre le contrat par voie de notification sauf urgence, mais doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
Elle souligne qu'il ressort du rapport d'expertise que la plieuse et la cisaille fonctionnent parfaitement, preuve en est l'utilisation intensive qu'en a faite la société EMTC telle que relevée sur les compteurs des machines, que les problèmes mécaniques et/ou d'étanchéité sont entièrement imputables à un défaut de maintenance relevant de la responsabilité de la demanderesse. Elle précise s'agissant de l'identification des organes de services en français, qu'il s'agit là d'une simple préconisation de Dekra mais que la directive 2006 42 CE n'impose aucunement que les commandes soient accessibles en langue française, que les logiciels Cybelec de pilotage et Cybtouch sont bien en français que seule l'aide en ligne Windows est en anglais, que le fait que l'aide en ligne soit en anglais n'empêche en rien l'utilisation de la machine dont l'intégralité des commandes reste en langue française, qu'aucun texte n'impose que les consignes de sécurité soient en français, qu'en l'espèce, ces dernières sont en anglais, langue officielle de la communauté européenne, qu'elle a en outre proposé dès la phase d'expertise de fournir à la société EMTC une signalétique traduite en français à deux reprises mais que la société EMTC n'a pas donné suite, qu'en réalité la mise en place des consignes de sécurité relève de la responsabilité de l'employeur.
Elle ajoute que les deux machines portent le marquage CE et sont donc bien conformes aux dispositions législatives européennes et nationales, que l'intégralité des recommandations de la société DEKRA sur les déclarations de conformité a été prise en compte. Elle souligne que ni l'expert ni la société Dekra n'ont indiqué que les machines pouvaient représenter un danger pour les utilisateurs, que cette dernière en qualité d'organisme vérificateur adresse un certain nombre de préconisations qui sont de simples correctifs ou des opérations relevant de la maintenance, que l'employeur a la responsabilité de traduire les consignes de sécurité, aucune réglementation n'imposant de vendre de machines intégralement en langue française, qu'elle a proposé à plusieurs reprises d'intervenir sur le sujet électrique sans qu'aucune réponse ne lui soit apportée. S'agissant de la carte mère, elle déclare qu'aucun problème n'a été détecté, que la nouvelle intervention a été réalisée de manière non contradictoire et que rien ne prouve qu'il s'agisse de la carte mère d'origine, qu'il est normal que des machines qui ont maintenant plus de 5 ans aient besoin de certaines réparations.
Elle indique enfin que la résolution des contrats ne peut être demandée alors que les machines ne sont nullement dangereuses, que la société EMTC ne l'a jamais mise en demeure d'effectuer les travaux préconisés par Dekra alors qu'à l'inverse, elle a proposé plusieurs fois son intervention, que la société EMTC continue à utiliser les deux machines, qu'il n'est pas justifié d'inexécution ou de non conformités d'une importance telle que la résolution du contrat puisse être prononcée.
La société MDD conclut au débouté s'agissant des dommages et intérêts sollicités au titre d'un défaut d'information faisant valoir que la cisaille et la plieuse fonctionnent parfaitement ce qu'a constaté l'expert, qu'il est malhonnête d'affirmer qu'elle lui aurait volontairement vendu des machines défectueuses, qu'elle a plusieurs fois proposé d'intervenir à titre commercial et n'a eu de cesse de trouver une solution amiable.
Elle s'oppose à toutes les demandes d'indemnisation présentées au motif que ces dernières ne sont pas fondées alors que les machines fonctionnent quotidiennement depuis plus de trois ans, qu'aucune perte de temps ou de productivité ne peut être invoquée, l'expert ayant souligné que la perte de productivité n'était pas démontrée.
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La présente action est fondée sur les articles 1603 et 1604 du code civil qui mettent à la charge du vendeur une obligation de délivrance.
L'obligation de délivrance s'entend de la délivrance d'une chose conforme aux prévisions contractuelles, la chose doit être identique à celle spécifiée au contrat et être conforme aux normes administratives dont elle relève. La non-conformité s'entend d'une différence de la chose livrée par rapport aux caractéristiques convenues sachant que lorsque la chose est soumise à des normes légales, à des spécificités techniques, le respect de ces dispositions entre dans le champ contractuel.
En application de l'article 1615 du code précité, l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui est destiné à son usage perpétuel.
Les pièces produites établissent que la société EMTC a conclu un contrat de crédit-bail avec la société StarLease en vue de l'acquisition d'une plieuse et d'une cisaille toutes deux de marque Baikal fournies par la société MDD, la cisaille pour un montant hors taxe de 27 800 €, la plieuse pour un montant hors taxe de 55 000 €. Il était indiqué que le fournisseur certifiait que « ledit matériel est conforme aux normes et législations françaises notamment aux règles d'hygiène et de sécurité du travail » et que « le locataire et le fournisseur reconnaissent que tout recours éventuel en garantie et /ou mise en conformité aux règlements du travail sera exercé directement par le locataire contre le fournisseur ». Le prix de vente comprenait le transport, l'installation et la formation.
Les machines ont été réceptionnées le 19 mars 2019.
Divers incidents sont survenus dès le mois d'avril 2019, nécessitant l'intervention de la société MDD en avril 2019, en septembre 2019, blocages, fuites, puis plusieurs fois en 2020, une des machines ne comportait pas de mention CE, des plaques de conformité CE ont été adressées à la société EMTC en septembre 2019. La société MDD a adressé en septembre 2019 à la société EMTC à la demande de cette dernière, une déclaration de conformité CE pour chacune des machines qui atteste que la machine est conforme aux dispositions législatives et européennes. La société Dekra intervenue sur les lieux a constaté que ces déclarations n'étaient pas régulières, ultérieurement la société MDD a adressé deux autres déclarations de conformité CE établies par elle.
La société Dekra aux termes de ses constatations opérées en juin 2020 sur chacune des machines a préconisé de mettre les commandes en français et conseillé l'établissement d'un bilan de conformité. Procédant le 10 juin 2021 à un examen de la plieuse, la société Dekra a conseillé une mise à l'arrêt de la machine observant d'une part que lors de la remontée du tablier de pliage, un décalage était présent entre les deux vérins, un vérin remontant avant l'autre ce qui entrainait un décalage du tablier, d'autre part, l'absence de notice claire et précise et d'accompagnateur formé idéalement. Il a été constaté que suite à l'ouverture des protecteurs droite et gauche en mode manuel et semi auto, le système Akas (laser) se trouvait inhibé ainsi que les portes elles-mêmes, dès lors aucune sécurité n'était en fonction, et qu'il fallait y remédier.
La société DEKRA a établi un bilan de conformité des machines au regard de la directive réglementaire 2006 642 CE sur la plieuse en octobre 2021, et a relevé des non-conformités, qu'elle évalue à 37 parmi lesquelles dans les rubriques exigences essentielles de sécurité et de santé, « plusieurs conducteurs de protection sont raccordés sur la même borne ajoutant, nous vous rappelons que conformément aux prescriptions de la norme en 30, les conducteurs de protection doivent être raccordés unitairement », « le conducteur neutre n'est pas coupé par l'interrupteur sectionneur de l'armoire nous vous rappelons que selon l'EN 360204 61, tous les conducteurs actifs doivent être coupés par le dispositif de consignation », « sur arrêt d'urgence, le groupe hydraulique n'est pas coupé, nous vous rappelons que sur arrêt d'urgence, l'alimentation en énergie doit être supprimée », la présence de fils électriques non repérés, la nécessité d'installation du groupe hydraulique dans un bac de rétention après observation qu'en cas de fuite du groupe hydraulique l'huile se répandrait au sol pouvant générer des risques de chute d'un opérateur, la nécessité d'informations présentes sur la machine en langue française, la communication de notices d'instruction partiellement seulement en langue française certains éléments étant qualifiés d'incompréhensibles du fait de la présence de phrases tronquées et de traductions approximatives, l'absence de schémas électriques dans la notice d'instructions. S'agissant de la cisaille hydraulique, elle a présenté le même type d'observations, faisant état de 40 non conformités.
L'expert judiciaire a eu pour mission s'agissant de la cisaille, d'examiner si elle disposait des certifications nécessaires (marquage et documentaire) et était aux normes et en état de fonctionnement, d'examiner si elle présentait un problème mécanique et notamment une fuite sur un vérin de cisaille, d'examiner si elle présentait un problème d'affichage et si la société EMTC avait procédé à la maintenance conformément au manuel de maintenance et aux règles de l'art, en cas de défaut sur son fonctionnement d'identifier la cause et l'origine, d'examiner le lien de causalité entre l'éventuel défaut relevé et l'éventuel défaut d'entretien de la cisaille et dire si les défaut relevés préexistaient à la vente. S'agissant de la plieuse, il lui a été demandé si cette dernière présentait un problème mécanique et notamment un décalage de tablier, si elle présentait un problème d'affichage, si la société EMTC avait procédé à la maintenance conformément au manuel de maintenance et aux règles de l'art, en cas de défaut d'en identifier la cause et l'origine, d'examiner le lien de causalité entre l'éventuel défaut relevé et l'éventuel défaut d'entretien de la plieuse et de dire si les défauts relevés sur la plieuse préexistaient à la vente.
L'expert précise qu'il s'est rendu sur les lieux le 16 février 2021 et a constaté que le galet de guidage de la cisaille était anormalement oblique par rapport à son axe. Le 26 mai 2021, il a constaté sur la cisaille, outre un galet qui n'est plus dans la bonne direction par rapport à son axe, que la lame ne se maintenait pas horizontalement au repos et s'agissant de la plieuse, que la sécurité faisait défaut ainsi qu'un défaut d'horizontalité du tablier. La société MDD a fait valoir à l'expert que les dysfonctionnements trouvaient leur origine dans l'absence de maintenance des deux machines par la société EMTC laquelle a reconnu que les opérations de maintenance n'avaient pas été réalisées en raison du contentieux. L'expert indique que dans un souci d'apaisement, les parties étaient convenues d'un rendez-vous technique hors la présence de l'expert au cours duquel la société MDD devait procéder à des opérations de maintenance et de vérification de l'étanchéité hydraulique, ainsi que la reprise de l'un des galets de cisaille mais que les parties n'ont finalement pas concrétisé leur projet d'intervention.
Il souligne que les rapports établis par la société Dekra lui ont été communiqués. Il déclare avoir constaté des anomalies relatives à la sécurité des travailleurs indiquant page 13 avoir constaté que la sécurité du personnel en poste sur ces deux machines n'était pas totalement assurée et indique « nous avons conclu à l'issue de la réunion du 12 juillet 2022 que l'utilisation de la cisaille et de la plieuse dans l'atelier de la société EMTC présentait un danger pour le personnel de l'atelier » suivies de photographies en précisant que les instructions d'utilisation n'étaient pas en langue française, de même que les consignes de sécurité (pages 13, 14, 17), que la console de commande à double pédale ne comportait pas d'indication pour la pédale d'ouverture ou la pédale de fermeture de la presse plieuse (page 14), que plusieurs câbles électriques étaient raccordés sur la même borne et que des câbles électriques n'étaient pas repérés (page 15 et 16 et 17).
S'agissant de la formation du personnel, le conseil de la société EMTC, dans un dire adressé à l'expert, a indiqué après lui avoir rappelé que les machines étaient fabriquées en Turquie et que les affichages et documentations techniques étaient rédigés en langue turque et que la société MDD avait une obligation de formation, que la seule formation qui avait été dispensée aux salariés de la société EMTC l'avait été par un intervenant turc en langue anglaise traduite par un salarié d'MDD la durée de cette formation étant de 3 heures. Cette durée de formation de 3 heures n'a pas été remise en cause par la société MDD lors des opérations d'expertise, l'expert l'a jugée « très insuffisante » pour assimiler toutes les informations destinées à régler, programmer, et faire fonctionner les machines (page 22).
L'expert a indiqué (page 22) que l'absence de maintenance avait été à l'origine des dysfonctionnements déclarés par la société EMTC sur les deux machines, observant après un dire déposé qu'en fonction des compteurs de chaque machine relevé le 12 juillet 2022, l'huile de la cisaille aurait déjà dûe être remplacée 10 fois, cette de la plieuse, remplacée deux fois.
Il a souligné qu'il avait observé une certaine inadéquation de ces machines, conçues pour des grandes et moyennes séries, aux travaux à façon et petites séries réalisés par la société EMTC, travaux nécessitant des paramétrages fréquents qui ne rentabilisent pas systématiquement le temps de mise au point passé par les opérateurs.
Il a noté que les machines étaient en fonctionnement tout au long des opérations d'expertise et à chaque fois qu'il s'était rendu sur les lieux ; que le 26 mai 2021, le compteur horaire de la cisaille affichait 3 206 heures, celui de la plieuse 804 heures.
Au terme de son rapport, l'expert judiciaire déclare, s'agissant de la cisaille, qu'elle ne dispose pas en l'état d'un dossier documentaire complet relatif au marquage CE, qu'elle présente des problèmes mécaniques et d'étanchéité du circuit hydraulique en raison de l'instabilité de l'outil au repos ainsi que des non conformités de nature à mettre en défaut la sécurité des opérateurs de l'atelier, que le problème d'affichage consiste en des inscriptions d'informations qui ne sont pas en langue française mais aussi que le personnel de la société EMTC n'est pas suffisamment formé pour exploiter le système d'affichage et de programmation des opérations de découpe. Il ajoute que la société EMTC n'a pas procédé à la maintenance requise, que les défauts de fonctionnement la concernant, galet, fuite d'huile du circuit hydraulique, peuvent provenir d'un défaut de maintenance (qualité de l'huile du circuit hydraulique, joints défectueux par usure). Il a précisé que les défauts relatifs aux organes de sécurité préexistaient à la vente de cette machine. S'agissant de la plieuse, il a souligné qu'elle ne possédait pas en l'état d'un dossier documentaire complet relatif au marquage CE, que cette dernière présentait des problèmes hydrauliques ne permettant pas de stabiliser le tablier en période de non utilisation, que l'affichage consistait en des inscriptions d'informations qui ne sont pas en langue française mais aussi que le personnel de la société EMTC n'était pas suffisamment formé pour exploiter le système d'affichage et de programmation de pliage. Il a ajouté que la société ETMC n'avait pas procédé à la maintenance requise, que ses défauts de fonctionnement, qualité de l'huile du circuit hydraulique, joints défectueux par usure et que les défauts relatifs aux organes de sécurité préexistaient à la vente de cette machine.
L'ensemble de ces éléments établit que la société MDD a manqué à son obligation de délivrance. En effet tant la plieuse que la cisaille présentent des non-conformités aux normes réglementaires européennes dont certaines de nature à mettre en défaut la sécurité des opérateurs, et nonobstant les certificats de conformité CE délivrés par la société MDD (à deux reprises en y apportant des modifications), les dossiers documentaires complets relatifs au marquage CE n'ont pas été fournis, il en est de même des notices d'instruction peu exploitables car non traduites ou traduites imparfaitement, il a été noté que les défauts relatifs aux organes de sécurité préexistaient à la vente. Il a été relevé en outre alors que le contrat comprenait outre la fourniture des machines, une formation des opérateurs, que celle-ci avait été tout à fait insuffisante.
Cependant si ces manquements à l'obligation de délivrance sont avérés, ils ne justifient pas la résolution du contrat telle que demandée, les machines fonctionnement et peuvent faire l'objet de travaux de mise en conformité, mais en application de l'article 1228 du code civil, des dommages et intérêts doivent être accordés à la SARL EMTC, et fixés au vu des devis qui ont été communiqués pour les réparations et vérifications de l'étanchéité hydraulique et travaux modificatifs de travaux d'électricité pour mise en sécurité à la somme de 21 270 € (6 531€ + 7 131€ + 2 325,60€ +5 282,40€ ) à laquelle il convient d'ajouter celle de 5 000 € à titre d'indemnisation des frais engendrés par la perte de temps passée à remédier aux interventions nécessaires et aux rendez- vous fixés soit une somme totale de
26 270€, à l'exclusion de toute autre somme.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
La SARL MDD succombant principalement en ses prétentions, sera condamnée à payer à la société EMTC la somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement en ce qu'il a débouté la société EMTC de sa demande de dommages et intérêts.
Statuant à nouveau
Dit que la SARL Marketing Diffusion et Développement a manqué à son obligation de délivrance envers la SARL EMTC.
Condamne la SARL Marketing Diffusion et Développement à payer à la SARL EMTC la somme de 26 270 € à titre de dommages et intérêts.
Condamne la SARL Marketing Diffusion et Développement à payer à la SARL EMTC la somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la SARL Marketing Diffusion et Développement aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire.