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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 21 janvier 2010, n° 08/19673

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

INVERSIONES ERRAZURIZ LIMATADA (SA)

Défendeur :

KREDISTANSTALT FUR WIEDERAUFBAU (Sté de droit allemand)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M.Matet

Conseillers :

Mme Bozzi, Mme Guihal

Avoués :

SCP Duboscq - Pellerin, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Me Grandjean, Me Clément

CA Paris n° 08/19673

20 janvier 2010

Exposé des faits

La société INVERSIONES ERRAZURIZ LIMITADA (INVERRAZ) est une société de droit chilien, holding d'un groupe actif dans le secteur minier, dans la filière du bois et du papier, dans l'industrie agro-alimentaire, dans l'immobilier et la distribution. La société KREDITANSALT FÜR WIEDERAUFBAU (KfW) est une banque publique allemande qui a notamment pour objet l'octroi de crédits à l'exportation.

Le 17 août 1995, les parties ont conclu un contrat de base pour l octroi de prêts individuels F 2565" pour un montant maximum de 50.000.000 DM et un contrat de prêt F 2566" pour un montant maximum de 5.000.000 DM. Dans ce cadre, KfW a financé entre mars 1997 et avril 2000 sept contrats d'acquisition de biens d'équipements par INVERRAZ auprès de fournisseurs allemands. KfW a également octroyé directement des prêts à une filiale d'INVERRAZ, UNIMARC.

Des défauts de paiement ont conduit KfW à se prévaloir, le 10 janvier 2002, de la déchéance du terme. Il s'en est suivi diverses actions judiciaires ainsi que des négociations sur la restructuration des dettes.

Le 21 décembre 2005, KfW a présenté à la Chambre de commerce international une demande d'arbitrage en application des clauses compromissoires stipulées par les deux conventions de 1995. Le tribunal, composé MM. H. et O., arbitres, ainsi que de M. CREMADES, Président, a rendu sa sentence à Paris le 1er octobre 2007. Conformément aux clauses compromissoires, le droit applicable au fond du litige était le droit de la République fédérale d'Allemagne. La sentence a octroyé à KfW 48.869.555,87 USD au titre du principal non remboursé dans le cadre des deux contrats de 1995, liquidé les intérêts jusqu'au 13 juillet 2004, déterminé le taux des intérêts dus au delà de cette date et mis la totalité des frais à la charge de la défenderesse.

Le 17 octobre 2008, INVERRAZ a formé un recours contre cette sentence.

Par des conclusions du 15 octobre 2009, elle prie la Cour d'en prononcer l'annulation et de condamner KfW à lui payer la somme de 100.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que les arbitres ont statué sans convention d'arbitrage ou sur convention nulle ou expirée (article 1502 1° du code de procédure civile) et qu'ils ont outrepassé leur mission (article 1502 3° du code de procédure civile).

Par des conclusions du 5 novembre 2009, KfW demande à la Cour, in limine litis, de déclarer irrecevables les griefs d'INVERRAZ qui n'ont pas été invoqués devant le tribunal arbitral, subsidiairement, de débouter INVERRAZ de son recours et de la condamner au paiement des sommes de 150.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 100.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Motifs

Sur quoi :

Sur l'irrecevabilité opposée par la société KfW :

Considérant que la société KfW soutient que les griefs qu'INVERRAZ présente devant cette Cour doivent être déclarés irrecevables pour n'avoir pas été soulevés devant les arbitres ;

Considérant qu'en réponse à la demande d'arbitrage formée par KfW auprès de la Chambre de commerce international en décembre 2005, INVERRAZ a formulé des objections relatives à l'existence d'une convention d'arbitrage ; qu'en application de l'article 6 (2) du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce international, la Cour internationale d'arbitrage a décidé que l'arbitrage aurait néanmoins lieu et que les arbitres se prononceraient sur leur compétence ; qu'INVERRAZ a alors fait connaître sa décision de ne pas participer à la procédure ; que l'acte de mission a été arrêté et le tribunal constitué, conformément aux dispositions du règlement d'arbitrage, en dépit de l'abstention d'INVERRAZ ;

Considérant qu'INVERRAZ n'ayant à aucun moment participé à la procédure d'arbitrage, il ne peut lui être fait grief de n'avoir pas soulevé devant les arbitres les moyens qu'elle présente devant la Cour ;

Sur le premier moyen d'annulation : les arbitres ont statué sans convention d'arbitrage ou sur convention nulle ou expirée (articles 1502 1° et 1504 du code de procédure civile) :

INVERRAZ soutient, d'une part, que KfW a renoncé, tacitement mais de manière non équivoque, au bénéfice de la convention d'arbitrage. Elle déduit cette renonciation, en premier lieu, de l'introduction par KfW devant les juridictions chiliennes d'actions tendant à sa mise en liquidation judiciaire ainsi qu'à celle de la société UNIMARC et d'une action en reconnaissance de signature et de dette pour un billet à ordre souscrit en exécution des contrats de prêt, en deuxième lieu, de la conclusion en 2002 d'un Protocole d accord , qui comporte une clause attributive de compétence aux juridictions allemandes, et d'un Accord transactionnel , qui stipule la renonciation des parties à toute action en cours ou à venir, enfin, du comportement procédural postérieur à ces accords de KfW qui, sur une action engagée par INVERRAZ devant les juridictions chiliennes aux fins de rééchelonnement d'un billet à ordre, a opposé une exception tirée de la compétence du tribunal de son siège social, en Allemagne, sans invoquer la clause compromissoire.

INVERRAZ fait valoir, d'autre part, que KfW, en plaidant pendant trois ans devant les juridictions chiliennes la compétence des tribunaux allemands sur l'action aux fins de rééchelonnement d'un billet à ordre, puis en mettant en oeuvre l'arbitrage, par un revirement de sa position procédurale antérieure, lui a causé un dommage consistant dans les intérêts courus de 2003 à 2005 ; que cette violation de la règle de l'estoppel rendait KfW irrecevable à saisir le tribunal arbitral.

INVERRAZ invoque, enfin l'effet novatoire attaché à la transaction. Elle soutient que l Accord transactionnel' intervenu en 2002, en stipulant une renonciation générale des parties à exercer toute action en contrepartie de concessions réciproques sur leurs droits, a éteint les obligations résultant des contrats de 1995 pour leur substituer de nouvelles obligations qui sont soustraites aux clauses compromissoires originaires devenues caduques; que l Accord transactionnel ne comportant pas lui-même de clause compromissoire, aucune convention d'arbitrage ne lie les parties.

En ce qui concerne les instances introduites devant les juridictions chiliennes :

Considérant que la renonciation au bénéfice de la clause compromissoire, si elle peut être tacite, doit résulter d'une manifestation de volonté dépourvue de toute équivoque ;

Considérant, en premier lieu, que les parties ont conclu le 17 août 1995 un contrat de base et un contrat de prêt permettant l octroi de crédits individuels à INVERRAZ pour l acquisition de biens d'équipement auprès d'entreprises allemandes, dans la limite de plafonds fixés respectivement à 50 millions et 5 millions de marks. Que ces deux conventions stipulaient le recours à l'arbitrage sous l'égide de la Chambre de commerce international pour le règlement de tous différends découlant de ces contrats et des contrats de prêts individuels consentis dans le cadre du contrat de base ; que des avenants ont augmenté les plafonds d'emprunt et prévu des garanties supplémentaires; que les avenants n° 2 au contrat de base et au contrat de prêt ont imposé à l'emprunteur l'obligation de souscrire des billets à ordre par-devant un notaire chilien chaque fois qu'une partie du prêt était mise à disposition en exécution des contrats individuels ; qu'il était stipulé que la souscription de ces billets n'affectait pas les droits et obligations des parties résultant des contrats individuels ;

Considérant, d'une part, que l'action engagée le 27 juin 2002 par KfW devant une juridiction chilienne afin d'obtenir la reconnaissance de signature d'un représentant d'INVERRAZ sur un billet à ordre dont la validité était contestée est une action spécifique à la mise en oeuvre de cet engagement autonome, qui ne saurait faire présumer la renonciation de KfW à recourir à l'arbitrage pour statuer sur les droits et obligations résultant des conventions de 1995 ; qu'aucune autre instance n'a été introduite par KfW contre INVERRAZ devant les juridictions chiliennes ;

Considérant, d'autre part, que si KfW a engagé une action aux fins de mise en liquidation judiciaire d'UNIMARC, filiale d'INVERRAZ, débitrice de KfW en vertu de contrats distincts, une telle action, relevant de la compétence exclusive des juridictions étatiques, ne peut être tenue pour révélatrice de l'intention de KfW de renoncer à l'arbitrage dans ses relations avec INVERRAZ ;

Considérant, en second lieu, qu'à la suite de la déchéance du terme prononcée par KfW le 10 janvier 2002, les parties ont engagé des pourparlers en vue de la restructuration des dettes d'INVERRAZ ; qu'un Accord transactionnel a été conclu le 23 octobre 2002 ; que le 27 janvier 2003 INVERRAZ a engagé une action devant le tribunal civil de Santiago afin d'obtenir le rééchelonnement d'un billet à ordre de 10.000.000 USD souscrit en exécution de cet accord ; qu'INVERRAZ fait grief à KfW de ne s'être pas prévalue de la clause compromissoire devant la juridiction chilienne ;

Mais considérant qu'en raison de l'autonomie de l'action relative aux conditions d'exécution d'un billet à ordre, la circonstance que KfW ait excipé devant les juridictions chiliennes, sans conclure au fond, de l'incompétence du tribunal saisi au profit des juridictions allemandes ne saurait faire présumer la renonciation aux clauses d'arbitrages ; qu'INVERRAZ oppose en vain la règle de l'estoppel à KfW qui a mis en oeuvre la procédure d'arbitrage sans avoir invoqué la clause compromissoire dans cette instance qui n'était pas comprise dans le périmètre de l'arbitrage ;

En ce qui concerne le processus transactionnel :

Considérant, en premier lieu, qu'a été signé le 22 août 2002 entre KfW, UNIMARC et INVERRAZ un Protocole d accord qui fixe les modalités du rééchelonnement de la dette d UNIMARC ; que le protocole indique, en ce qui concerne INVERRAZ, que, faute d'information sur sa situation financière, KfW n'est pas en mesure de proposer une restructuration de ses prêts, qu'elle est, toutefois, disposée, en principe, à envisager une telle restructuration sous réserve de la fourniture des pièces énumérées ;

Considérant que ce protocole n'ayant fait naître aucune obligation dans les relations entre KfW et INVERRAZ, la stipulation suivant laquelle le présent Protocole d Accord est régi par le droit allemand et soumis à la compétence exclusive des tribunaux allemands' ne concerne que les rapports entre KfW et UNIMARC et ne saurait s'entendre comme une renonciation aux clauses compromissoires insérées dans le contrat de base et le contrat de prêt conclus avec INVERRAZ ;

Considérant qu'à la suite du Protocole d Accord a été conclu entre les mêmes parties le 23 octobre 2002, devant un notaire chilien, un Accord transactionnel qui ne comporte ni clause d élection de for, ni clause compromissoire ;

Considérant que les stipulations de l Accord transactionnel doivent être interprétées les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier; que si la clause 3 prévoit que les parties se libèrent de la façon la plus complète et renoncent à leur droit d entamer ou d engager des poursuites l'une contre l'autre', cette stipulation doit, selon la première phrase de ce même article, s'entendre au regard des clauses précédentes ; que la clause 1 restreint le champ de l'accord, en ce qui concerne les rapports entre KfW et INVERRAZ, à la procédure engagée le 27 juin 2002 par KfW en reconnaissance de signature sur un billet à ordre et à la plainte pénale déposée par INVERRAZ ; que la clause 2 énonce l'intention des parties de renégocier les contrats de prêt et prévoit la substitution d'un billet à ordre de 10.000.000 USD, comportant des échéances échelonnées, à deux billets à ordre non valides de 2.361.327,90 USD et 13.393.357,03 USD; que ces stipulations ne sauraient s'entendre ni comme un abandon par KfW du surplus de sa créance, évaluée dans la lettre de résiliation à 64.547.509,47 USD, ni comme une renonciation au bénéfice des clauses compromissoires stipulées dans les contrats de 1995 ; qu'à défaut de volonté expresse des parties, cet accord n'a pas de portée novatoire, étant observé, au demeurant, qu'une transaction, même si elle emporte novation des obligations, n'a pas pour effet de priver d'efficacité la clause compromissoire insérée au contrat

Considérant qu'à défaut de renonciation des parties au bénéfice de la clause compromissoire et d'extinction de cette clause par la transaction, le moyen pris de ce que les arbitres auraient statué sans convention d'arbitrage ne peut qu'être écarté ;

Sur le second moyen d'annulation : les arbitres ne se sont pas conformés à la mission qui leur avait été conférée (article 1502 3° et 1504 du code de procédure civile) :

INVERRAZ soutient que les arbitres ont méconnu leur mission, d'une part, en faisant application des clauses compromissoires stipulées par les conventions de 1995 en dépit de la novation opérée par l Accord transactionnel , d autre part en faisant application de cet accord alors qu il ne comportait pas de clause compromissoire et que sa connaissance relevait, ainsi que l'a jugé la Cour suprême du Chili de la compétence des juridictions allemandes.

Considérant, d'une part, qu'ainsi qu'il a été dit, la transaction ne prive pas d'efficacité la clause compromissoire, d'autre part, que l Accord transactionnel trouve son origine dans l inobservation du contrat de base et du contrat de prêt, dont il est le complément, de sorte qu'il entre dans le champ des clauses d'arbitrages stipulées par ceux-ci ; que, dès lors, le grief ne peut être accueilli ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le recours en annulation doit être rejeté ;

Considérant qu'il n'est pas démontré de circonstance particulière ayant fait dégénérer le droit d'agir en abus; qu'il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande de dommages-intérêts présentée par KfW ;

Considérant qu'INVERRAZ, qui succombe, devra payer à KfW la somme de 100.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Rejette le recours en annulation.

Rejette la demande de dommages-intérêts formée par KfW.

Condamne INVERRAZ à payer à KfW la somme de 100.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne INVERRAZ aux dépens et admet la SCP FISSELIER, CHILOUX, BOULAY, avoués au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

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