CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 10 janvier 2017, n° 15/13466
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
M. Pietro
Défendeur :
POM'ALLIANCE (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guihal
Conseillers :
Mme Salvary, Mme Aymes Belladina
Avocats :
Me Roth de la Seleurl Rothpartners, Me Maupas Oudinot
Exposé des faits
Par une sentence rendue le 27 janvier 2014, le Comité français des Règles et Usages du Commerce Intereuropéen des Pommes de Terre (RUCIP), statuant en qualité de Commission d'arbitrage de premier degré, a condamné M. Pietro F., agriculteur domicilié et exerçant en Italie, à payer à la société de droit français POM'ALLIANCE la somme de 68.469,25 euros au titre de factures impayées sur un contrat de livraison de pommes de terre conclu le 21 mars 2011 par l'intermédiaire de la société de courtage Jacques Albert, outre 10.000 euros de dommages intérêts pour résistance abusive, 5.000 euros de frais d'avocat et 5.730 euros de remboursement de la provision versée pour frais d'arbitrage. Cette sentence a été revêtue de l'exequatur par ordonnance du délégué du président du tribunal de grande instance de Paris en date du 1er octobre 2014.
Par déclaration du 1er juillet 2015, M. F. a formé un recours en annulation de la sentence.
Par une ordonnance du 22 septembre 2016, le conseiller de la mise en état a rejeté la fin de non recevoir opposée par POM'ALLIANCE.
Par des conclusions notifiées le 30 novembre 2015 M. F. demande à la cour :
- in limine litis, de déclarer nulle la signification de la sentence arbitrale et de l'ordonnance d'exequatur,
- de déclarer son recours recevable, d'annuler la sentence arbitrale en cause, et partant l'ordonnance d'exequatur, et de condamner POM'ALLIANCE à lui payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il invoque l'incompétence du tribunal arbitral, l'irrégularité de sa composition, la méconnaissance du principe de la contradiction et la violation de l'ordre public international.
Par des conclusions notifiées le 20 octobre 2016, POM'ALLIANCE demande à la cour de rejeter les demandes, de dire valable la sentence et de condamner M. F. à lui payer 3.000 euros de dommages intérêts pour procédure abusive et 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Motifs
SUR QUOI :
1 arbitrage
Sur le premier moyen d'annulation tiré de l'incompétence du tribunal arbitral (article 1520, 1° du code de procédure civile) :
M. F. expose, en premier lieu, que les documents intitulés 'confirmation' considérés par le tribunal arbitral comme matérialisant les contrats entre les parties ne sont pas signés par lui, de sorte qu'il n'y a pas de consentement démontré à l'arbitrage et encore moins à un arbitrage par un comité national RUCIP qui n'est pas celui du domicile du défendeur.
2 ordre public international
Considérant qu'en vertu d'une règle matérielle du droit international de l'arbitrage, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient directement ou par référence et son existence et son efficacité s'apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l'ordre public international, d'après la commune volonté des parties, sans qu'il soit nécessaire de se référer à une loi étatique;
Considérant que le litige opposant les parties porte sur un contrat de livraison de 100 tonnes de pommes de terre de diverses variétés, dont POM'ALLIANCE soutient qu'il a été conclu le 21 mars 2011 avec M. F. par l'intermédiaire de la société de courtage international Jacques Albert, et qui a donné lieu à l'émission de neuf factures du 2 avril au 10 juin 2011 pour un montant total de 68.469,25 euros, qui sont demeurées impayées;
3 parties contractantes
Considérant que si M. F., qui n'a pas comparu à l'instance arbitrale, soutient devant le juge de l'annulation qu'il n'a pas signé de contrat, ni reçu les factures litigieuses, il résulte de ses échanges avec le secrétariat du comité RUCIP qu'il n'a à aucun moment contesté l'existence même du contrat, se bornant à soutenir qu'il n'avait pas reçu livraison des pommes de terre, et ajoutant, dans un courrier postérieur à la sentence au premier degré, qu'il n'avait pas davantage reçu les factures, qu'il n'avait pas signé de lettre de voiture et que la demande était prescrite au regard du droit italien; que la contestation de M. F. porte donc, en réalité, sur l'inexécution du contrat et non sur la réalité de la relation contractuelle; que l'existence de l'accord de volonté, qui n'est soumise à aucune condition de forme, se trouve ainsi démontrée; qu'au demeurant, l'article 3 des RUCIP (édition 2006) prévoit que les affaires peuvent être conclues verbalement et par intermédiaire et que si une affaire conclue verbalement doit être confirmée par écrit au moins par une des parties contractantes, la confirmation établie par un intermédiaire est valable lorsqu'aucune des parties ne confirme elle même;
4 volonté des parties
Considérant que doivent, dès lors, être regardées comme l'expression de la commune volonté des parties, peu important qu'elles ne soient pas revêtues de la signature de M. F., les confirmations de livraisons, émises par la société Jacques Albert, qui stipulent : 'Toute contestation découlant du présent contrat et survenant soit entre le vendeur et l'acheteur, soit entre l'une des parties et nous mêmes, sera soumise à l'arbitrage de la commission d'arbitrage RUCIP de Paris qui sera seule compétente au premier et au second degré';
5 convention contraire entre les parties
Considérant que les RUCIP 2006 prévoient à l'article 1.3 que : 'La commission d'arbitrage compétente au Premier Degré est celle du pays du défendeur et au Second Degré celle d'un pays tiers, sauf au cas de litige entre contractants ayant leur siège dans le même pays et/ou sauf convention contraire entre les parties';
6 domicile du défendeur
Considérant que les parties ayant entendu déroger à la compétence du comité RUCIP du domicile du défendeur, le comité français, désigné par la clause compromissoire, était compétent pour trancher le différend;
Que le premier moyen sera donc écarté;
7 arbitrage
Sur le deuxième moyen d'annulation tiré de l'irrégularité de la composition du tribunal arbitral (article 1520, 2° du code de procédure civile) :
M. F. fait valoir qu'il n'a pas désigné son arbitre dans la mesure où il était dans l'attente du règlement d'arbitrage dont il avait demandé communication au secrétariat du comité RUCIP, que la sentence n'indique pas de quelle manière la commission d'arbitrage a été composée ni ne précise la profession des arbitres, de sorte qu'aucun contrôle ne pouvait être exercé sur la régularité des nominations au regard du règlement d'arbitrage et sur la qualification des membres de la commission d'arbitrage.
#8 arbitre
Considérant qu'aux termes des articles 3.3 et 3.4 du règlement d'arbitrage RUCIP (édition 2006) : '3.3 Après encaissement du dépôt de provision, le Secrétariat avise immédiatement le défendeur de la demande d'arbitrage en lui faisant connaître la teneur de la demande introduite contre lui et en joignant la liste des arbitres agréés, afin qu'il puisse désigner un arbitre.
3.4 Si, dans les quinze jours de la réception de cette liste, le défendeur n'a pas fait connaître au Secrétariat le nom de l'arbitre choisi par lui, l'arbitre est désigné d'office par le Délégué national';
9 lettre recommandée
Considérant que par lettre recommandée du 30 juillet 2013, le secrétariat du comité français RUCIP a communiqué à M. F. la demande d'arbitrage ainsi qu'une liste d'arbitres en rappelant les stipulations ci dessus; que par lettre recommandée du 13 août 2013, M. F. a demandé la transmission d'une copie intégrale du règlement RUCIP pour les pommes de terre de consommation fraîches et pour les pommes de terre à usage zootechnique, ainsi qu'une liste complète des arbitres et non pas seulement des arbitres italiens; que cette liste ainsi que le RUCIP 2012 (version italienne) lui ont été envoyés par un courriel du 5 septembre 2013, auquel il a répondu, par un courriel du 11 septembre 2013, en accusant réception et en demandant la transmission des règles du comité européen RUCIP de 1986 avec les modifications ultérieures de 1993, 2000 et 2006; qu'aucune suite n'a été donnée à cet échange de part ni d'autre et que le 28 octobre 2013 une lettre recommandée a informé M. F. que l'audience aurait lieu le 14 janvier 2014 à 14h30, 43-45 rue de Naples à Paris 8ème, et que la commission d'arbitrage serait composée de M. Michel R., président et de MM. Laurent M. et Guy V. B., arbitres;
Considérant que la sentence mentionne que M. a été désigné par le demandeur et que M. V. B. a été désigné d'office par le délégué national;
Considérant, en premier lieu, que les parties ayant contracté conformément aux règles et usages en vigueur dans le domaine du commerce de la pomme de terre, elles sont présumées en connaître la teneur; que M. F. ne peut tirer argument de ce qu'il attendait pour désigner son arbitre que lui soient envoyées par le secrétariat du comité d'arbitrage toutes les versions successives du RUCIP depuis 1986;
10 arbitre
Considérant, en deuxième lieu, que les modalités de désignation du co arbitre, lorsque le défendeur s'abstient de faire connaître son choix dans le délai imparti, résultent des stipulations du règlement d'arbitrage rappelées par le secrétariat dans sa lettre recommandée du 30 juillet 2013; que M. F., qui n'a désigné d'arbitre ni dans les quinze jours de cette lettre, ni dans les quinze jours qui ont suivi l'envoi d'une liste comportant l'ensemble des arbitres et non pas seulement les noms des arbitres italiens, ne peut se plaindre de ce que les règles de désignation supplétives dont il avait connaissance n'aient pas été encore rappelées dans la sentence;
11 qualification professionnelle
Considérant, en troisième lieu, que la qualification professionnelle des arbitres résulte des conditions mêmes de l'établissement des listes par chaque Comité national, et qu'il n'est loisible aux parties de récuser un arbitre que pour les motifs et dans les délais prévus aux articles 3.5 et 3.6, ce que M.
F. s'est abstenu de faire; que les arbitres désignés en l'espèce figurant effectivement sur la liste, le recourant ne peut se faire un grief de ce que leur profession n'est pas mentionnée;
12 composition du tribunal arbitral
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'irrégularité de la composition du tribunal arbitral ne peut qu'être écarté;
13 tribunal arbitral
Sur le troisième moyen d'annulation tiré de la violation du principe de la contradiction (article 1520, 4° du code de procédure civile) :
M. F. fait valoir, en premier lieu, que, contrairement à ce que prévoit le règlement RUCIP en cas de désaccord des parties sur la langue de l'arbitrage, le tribunal arbitral ne s'est pas prononcé sur la langue de la procédure, en deuxième lieu, que la sentence est fondée sur des pièces qui n'étaient pas jointes à la requête d'arbitrage initiale et dont le tribunal arbitral ne s'est pas assuré qu'elles avaient été communiquées, en troisième lieu, qu'aucun mémoire écrit de la partie adverse ne lui a été envoyé alors qu'il avait indiqué qu'il ne pourrait être présent à l'audience, enfin que le projet de sentence de la commission d'arbitrage au premier degré a été déclaré définitif sans qu'il soit tenu compte de l'opposition qu'il avait exprimée.
14 cas
Considérant, en premier lieu, que suivant l'article 2.1 du règlement d'arbitrage : 'La langue de procédure est proposée par le demandeur. En cas de désaccord entre les parties, ou entre les parties et l'instance arbitrale, le président de cette instance décide de la langue à employer en considérant les circonstances particulières à chaque cas et l'intérêt bien compris des parties. La langue doit être dans ce cas obligatoirement le français, l'allemand, l'anglais, l'espagnol ou l'italien';
15 arbitrage
Considérant que contrairement à ce que soutient M. F. la seule circonstance qu'il ait répondu en italien au secrétariat ne démontre pas un désaccord sur la langue d'arbitrage et qu'au demeurant, si tel avait été le cas, il aurait été loisible au président du tribunal arbitral de choisir le français;
Considérant, en deuxième lieu, que POM'ALLIANCE soutient que l'ensemble des pièces a été communiqué à M. F. le 28 octobre 2013;
16 arbitrage
Considérant qu'il résulte de la lettre recommandée que ce dernier a envoyée le 25 février 2014 au président de la commission d'arbitrage qu'il était effectivement en possession des lettres de voiture dont il critique dans ce courrier la valeur probante; qu'ainsi, contrairement à ce qu'il prétend devant la cour, il n'a pas reçu seulement les pièces jointes à la requête d'arbitrage mais l'ensemble des documents produits dans l'instance arbitrale;
17 arbitrage
Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'article 5 du règlement d'arbitrage que la procédure est orale et que la production de mémoires écrits est une simple faculté pour les parties; que M. F., qui avait reçu la requête de POM'ALLIANCE et qui, sans alléguer d'impossibilité de comparution, a envoyé le 10 décembre 2013 au secrétariat du comité RUCIP une lettre par laquelle il indiquait qu'il ne se présenterait pas à l'audience au motif que le règlement RUCIP qui lui avait été communiqué n'était pas celui en vigueur, que les documents produits relativement au contrat litigieux n'avaient pas de valeur et que la principale difficulté était la non livraison de la marchandise, ne peut se faire un grief de ce que, conformément au règlement d'arbitrage, les moyens du demandeur aient été présentés oralement devant les arbitres;
18 lettre recommandée avec demande d avis de réception
Considérant, en quatrième lieu, que suivant l'article 6 du règlement d'arbitrage : '6.1.La demande d'examen au Second Degré doit être adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou télécommunication écrite au Délégué européen afin d'être portée devant une Commission d'arbitrage au Second Degré dans un délai de 30 jours à compter de la réception par lettre recommandée avec demande d'avis de réception de la sentence au Premier Degré, sous peine de forclusion.
6.2 La demande doit être sommairement motivée et contenir l'indication de la sentence contre laquelle la procédure au Second Degré est engagée (le lieu et la date où elle a été rendue et la date de réception de la notification).
La demande doit également indiquer la nationalité désirée de l'un des Arbitres, si les parties sont de nationalité différente.';
19 lettre recommandée avec demande d avis de réception
Considérant que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée le 25 février 2014 au président de la commission d'arbitrage, avec pour objet : 'opposition au projet de sentence dossier n° 13-237N affaire SA POM'ALLIANCE c/ M. Pietro F.', ce dernier expose les motifs pour lesquels il conteste la décision et conclut : 'Nous espérons que Monsieur Michel R., Président de la Commission RUCIP, après réexamen de la procédure, veuille bien clarifier la question et par conséquent annuler votre décision injuste';
20 lettre recommandée avec demande d avis de réception
Considérant que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 10 mars 2014 le secrétariat du comité RUCIP a demandé à M. F. de clarifier les termes de son courrier, l'a invité à confirmer s'il entendait faire appel de la sentence au 1er degré et lui a rappelé que, si tel était le cas, il devrait verser une provision dans le délai qui lui serait fixé, faute de quoi la demande d'appel serait considérée comme retirée;
Considérant que faute de réponse de M. F. à cette dernière lettre, une attestation de sentence définitive a été délivrée le 28 mai 2014 par le secrétariat du comité RUCIP;
21 arbitrage
Considérant que, contrairement à ce que soutient M. F., son courrier du 25 février 2014 qui était adressé, non pas au délégué européen comme le prévoit le règlement mais au président du tribunal arbitral, et qui ne précisait pas la nationalité désirée de l'un des arbitres, se présentait comme une demande de réexamen de la cause par le même tribunal plutôt que comme un appel; qu'il était suffisamment ambigu pour que le secrétariat de l'institution d'arbitrage demande à l'intéressé, sans préjudicier à ses droits, de clarifier ses intentions; que M. F. qui n'a pas donné suite à cette demande et s'est soustrait à l'obligation de verser une provision, n'est pas fondé à prétendre que son droit de former appel selon le règlement d'arbitrage a été méconnu;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le troisième moyen doit être écarté;
22 contrariété à l ordre public international
Sur le quatrième moyen tiré de la contrariété à l'ordre public international (article 1520, 5° du code de procédure civile) :
M. F. fait valoir que serait contraire à l'ordre public international la reconnaissance ou l'exécution en France d'une sentence rendue sans convention d'arbitrage, par un tribunal arbitral qui, contrairement aux prévisions du RUCIP, ne siégeait pas en Italie, dont aucun des membres n'avait été choisi par lui et dont les modalités de désignation n'étaient pas précisées, et devant lequel la procédure, qui s'était déroulée dans la langue de la partie adverse qu'il ne maîtrisait pas, avait été marquée par des violations du principe de la contradiction, de l'égalité des droits et des droits de la défense, allant jusqu'à le priver de son droit de recours contre la sentence.
Mais considérant qu'ainsi qu'il a été dit, aucun de ces griefs n'est fondé; que le quatrième moyen doit être écarté;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté;
23 ordonnance d exequatur
Sur la demande d'annulation de l'acte de signification de la sentence et de l'ordonnance d'exequatur :
Considérant que le recours en annulation ayant été déclaré recevable par le conseiller de la mise en état, il n'incombe pas à la cour saisie en application de l'article 1520 du code de procédure civile de se prononcer sur la régularité de la signification de la sentence et de l'ordonnance d'exequatur;
Sur la demande de dommages intérêts pour recours abusif :
24 exercice des voies de recours
Considérant qu'il n'est pas démontré d'abus dans l'exercice des voies de recours; que cette demande sera rejetée;
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Considérant que M. F., qui succombe, ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sera condamné sur ce fondement à payer à POM'ALLIANCE la somme de 5.000 euros;
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
Rejette le recours en annulation de la sentence rendue entre les parties le 27 janvier 2014.
Condamne M. F. aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et au paiement à la société POM'ALLIANCE de la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Rejette toute autre demande.