CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 12 février 2009, n° 07/22164
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
J&P AVAX (SA)
Défendeur :
TECNIMONT (SPA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
PERIE
Avoués :
MAROUSSI-ATHENES-GRECE, SCP DUBOSCQ - PELLERIN, SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY
Avocats :
PINSOLLE, MATILLA-SERRANO, DELANOY
La société TECNIMONT S.p.A. (ci-après TECNIMONT), société de droit italien, a conclu avec la société J&P AVAX (ci-après AVAX), société de droit grec, un contrat de sous-traitance de construction d'une usine de propylène de 130 000 tonnes par an à Thessalonique. Un différend étant intervenu entre elles, TECNIMONT mettant en oeuvre la clause compromissoire insérée dans le contrat à l'article 27.2 prévoyant le recours à un arbitrage CCI à Paris, a désigné comme arbitre, Mme D.. AVAX a désigné M.VERVENIOTIS, remplacé à la suite de son décès le 13 août 2003 par M.KAISSIS, et les deux arbitres ont nommé en qualité de président du tribunal arbitral M.JARVIN, le secrétaire général de la Cour Internationale d'Arbitrage de la CCI le confirmant le 12 novembre 2002.
Suivant sentence partielle rendue à Paris le 10 décembre 2007, le tribunal arbitral a statué sur le principe de responsabilité dans les termes auxquels la cour renvoie.
AVAX a formé un recours en annulation de la sentence sur le fondement de l'article 1502 2° du code de procédure civile pour manquement de M.JARVIN à son obligation de révélation et à son devoir d'indépendance objective en raison de la nature des liens existant entre le cabinet d'avocats dans lequel il exerce et TECNIMONT.
AVAX sollicite la condamnation de TECNIMONT à lui payer la somme de 70.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
TECNIMONT conclut à l'irrecevabilité du recours et subsidiairement au débouté de AVAX, et demande qu'elle soit condamnée à lui payer la somme de 80 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
TECNIMONT soulève l'irrecevabilité du recours au motif que la demande de récusation à l'encontre de M.JARVIN déposée le 14 septembre 2007 auprès de la CCI a été déclarée irrecevable comme forclose. A titre subsidiaire, TECNIMONT soutient que le recours doit être rejeté car M.JARVIN n'a manqué ni à son obligation de révélation ni à son devoir d'indépendance.
Sur ce, la Cour
Sur le moyen unique d'annulation : le tribunal arbitral a été irrégulièrement composé (article 1502 2 du code de procédure civile )
AVAX expose que la sentence doit être annulée pour composition irrégulière du tribunal arbitral, aux motifs que M.JARVIN, président du tribunal arbitral, a manqué à son obligation de révéler aux parties une circonstance de nature à affecter son indépendance et que l'indépendance objective de M.JARVIN a fait défaut compte tenu des liens existant entre le cabinet d'avocats JONES DAY dans lequel il travaille, et TECNIMONT.
Elle articule que M.JARVIN a failli à son obligation de révélation dans sa déclaration d'indépendance du 30 octobre 2002 en omettant d'indiquer que le cabinet d'avocat avait conseillé la maison mère de TECNIMONT, EDISON, jusqu'en 2002 et l'a conservée comme client jusqu'en 2005, de sorte que lorsque M.JARVIN a été nommé président du tribunal arbitral, la société EDISON comptait parmi les clients de JONES DAY. Elle ajoute que M.JARVIN était tenu de révéler spontanément les liens existant entre son cabinet et TECNIMONT ainsi que ses sociétés mères et filiales, que le bureau parisien du cabinet d'avocats représente SOFREGAZ, filiale à 100% de TECNIMONT, depuis février 2004 jusqu'à ce jour dans un contentieux devant les tribunaux français, l'a conseillée dans une affaire fiscale, qu'en décembre 2004 un avocat du cabinet JONES DAY a été nommé arbitre unique dans un arbitrage dont SOFREGAZ est une partie, que de juillet 2005 à avril 2007 ce cabinet d'avocats a conseillé TECNIMONT ainsi qu'un consortium composé de SOFREGAZ et TECNIMONT pour le projet Fujian en Chine, et que JONES DAY a conseillé EDF devenue société mère de TECNIMONT en mai 2005.
Elle articule enfin que M.JARVIN a manqué d'indépendance en raison de ces liens nombreux et renouvelés entretenus au cours des cinq dernières années entre le cabinet d'avocats et TECNIMONT, ses sociétés mères et filiale.
Considérant que l'arbitre doit révéler aux parties toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d'impartialité et d'indépendance, qui sont l'essence même de la fonction arbitrale ;
Considérant que TECNIMONT soulève l'irrecevabilité du recours au motif que d'une part la demande de récusation à l'encontre de M.JARVIN déposée le 14 septembre 2007 auprès de la CCI a été déclarée irrecevable à raison des faits connus d'AVAX plus de trente jours avant sa demande de récusation - délais prévus par l'article 11 du règlement de la CCI- et que, d'autre part, AVAX s'est abstenue de déposer une nouvelle demande de récusation à raison des faits venus à sa connaissance postérieurement au rejet de sa demande de récusation ;
Considérant que dans sa déclaration d'indépendance du 30 octobre 2002, M.JARVIN choisissant d'accepter sa désignation a déclaré l année dernière, les bureaux de Washington et de Milan de JONES DAY ont assisté la société mère de TECNIMONT dans une affaire qui est aujourd'hui terminée. Je n'ai jamais travaillé pour ce client' ;
Considérant que AVAX explique qu'ayant conçu des doutes sur l'existence de liens non dévoilés entre M.JARVIN et TECNIMONT après avoir eu connaissance fortuitement du programme d'une conférence internationale tenue à Londres en mai 2007, elle a sollicité des information de l'arbitre le 16 juillet 2007, lequel lui a répondu les 17 et 21 juillet ; que AVAX a déposé une demande de récusation doublée d'une autre de remplacement de M.JARVIN le 14 septembre 2007 que la CCI a rejetées selon décision du 26 octobre 2007 dont les motifs n'ont pas été portés à la connaissance des parties ; que, le 31 octobre 2007, AVAX a déclaré réserver ses droits, a poursuivi l'arbitrage en protestant, puis a interpellé à nouveau le président du tribunal arbitral sur ses liens avec TECNIMONT par courriers des 20 novembre 2007, 22 janvier 2008 et 25 janvier 2008 auxquels M.JARVIN a répondu les 18 octobre, 21 décembre 2007, 22, 29 janvier et 20 mars 2008 en distillant progressivement des révélations sur la nature précise des activités de JONES DAY auprès de TECNIMONT et de ses sociétés mère et filiale ; que dès lors que la situation critiquée n'était pas connue de la recourante avant la reddition de la sentence partielle, AVAX n'ayant pas renoncé à contester l'indépendance de M.JARVIN, le moyen d'annulation pris de la composition irrégulière du tribunal arbitral est recevable ;
Considérant que, dans sa déclaration d'indépendance, M.JARVIN a révélé des informations attenantes à un éventuel conflit d'intérêts entre TECNIMONT et le cabinet d'avocats qui la compte parmi ses clients, cabinet auquel M.JARVIN est structurellement lié en sa qualité de conseil dans le bureau parisien de JONES DAY ;
Que cependant sa révélation du rôle de JONES DAY auprès de la société mère de TECNIMONT n'a pas été exhaustive puisqu'en effet ce cabinet d'avocats intervenait encore pour EDISON, en avril 2002, six mois avant la déclaration d'indépendance de l'arbitre et n'a fermé le compte client d'EDISON qu'en 2005 ; que JONES DAY a conseillé le consortium SOFREGAZ TECNIMONT sur le projet Fujian en Chine, trois mois durant l'année 2005, dont le compte a été clôturé dans les livres de JONES DAY le 16 avril 2007 ; que, par ailleurs, ce cabinet d'avocats représente depuis 2004 SOFREGAZ, filiale à 100% de TECNIMONT, dans un contentieux judiciaire toujours en cours , comme l'écrit M.JARVIN dans son courrier du 26 septembre 2007, consistant à représenter le client dans une expertise judiciaire et devant les juridictions françaises en considération des dommages subis par deux turbines dans une centrale de cogénération édifiée par un consortium dont SOFREGAZ est l'un des membres' ; qu'en outre JONES DAY a également conseillé SOFREGAZ dans une affaire fiscale relative à une convention fiscale franco-grecque en février 2004 ;
Considérant que le lien de confiance entre l'arbitre et les parties devant être préservé continûment, celles-ci doivent être informées pendant toute la durée de l'arbitrage des relations qui pourraient avoir à leurs yeux une incidence sur le jugement de l'arbitre et qui seraient de nature à affecter son indépendance, sans que TECNIMONT qui pouvait connaître les affaires dans lesquelles elle-même, une de ses filiales ou sa société mère avaient fait appel à JONES DAY puisse opposer la taille mondiale du cabinet d'avocats, 2200 avocats, étant observé qu'un service y est chargé de la vérification des conflits et que les informations fournies par M.JARVIN aux parties à l'arbitrage lui ont été communiquées par son cabinet ;
Considérant que ces activités, prises dans leur ensemble, de conseil d'une filiale de TECNIMONT durant l'arbitrage, d'assistance de sa société mère quelques mois encore avant l'acceptation par le président du tribunal arbitral de sa nomination, ainsi que de représentation d'une filiale de TECNIMONT, par le bureau parisien de JONES DAY -où de surcroît travaille M.JARVIN- durant l'arbitrage et encore après la reddition de la sentence partielle, le montant des honoraires versés à JONES DAY au titre de conseil et de représentant de TECNIMONT et SOFREGAZ, 116 057 US dollars, établissent l'existence d'un conflit d'intérêts entre le président du tribunal arbitral et l'une des parties à l'arbitrage ; qu'au demeurant M. J. en proposant sa démission qui a été acceptée a observé je n exclus pas qu une partie puisse voir dans cette situation une incompatibilité avec l'exigence d'indépendance' ;
Que, par suite, en raison du défaut d'indépendance de l'arbitre, le tribunal arbitral a été irrégulièrement composé ; que le moyen unique d'annulation étant accueilli, il convient d'annuler la sentence partielle du 10 décembre 2007 ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Considérant que TECNIMONT qui succombe est condamnée aux dépens et qu'il convient de la condamner à payer à AVAX la somme de 70 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par ces motifs
Annule la sentence partielle rendue le 10 décembre 2007,
Condamne la société TECNIMONT S.p.A à payer à la société J&P AVAX la somme de 70 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société TECNIMONT S.p.A aux dépens et admet la SCP DUBOSCQ & PELLERIN Avoués, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.