CA Paris, 1re ch. - B, 10 juillet 1992, n° XP100792X
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
M. X
Défendeur :
International Contractors Group (Sté)
Exposé des faits
Me X..., avocat inscrit aux barreaux de Beyrouth et de Paris, a été chargé, le 28 nov. 1985, par la Sté International Contractors Group (dite ci-après ICG), société de droit koweitien, d'assurer la défense de celle-ci dans une procédure d'arbitrage mise en oeuvre devant la Chambre de commerce internationale (CCI) dans un litige l'opposant à la Sté française Campenon Bernard ; en rémunération de ses interventions, Me X... devait recevoir l'équivalent de 5 % de la valeur de la sentence, avec une avance immédiate de 10 000 dollars US. Puis, sur recommandation de la Sté ICG, Me X... a été, à nouveau, désigné comme avocat, le 22 avr. 1986, par la Société de droit italien Impresa Castelli, ayant son siège à Milan, dans un litige arbitral devant la CCI opposant cette société au ministère des travaux publics de l'Etat du Koweit, dans une affaire dite Entertainment city of kuwait ; par une sentence arbitrale rendue le 24 juill. 1987, le ministère des travaux publics du Koweit a été condamné à verser à la Sté Impresa Castelli l'équivalent d'environ 123 millions de francs avec intérêts ; par lettre du 14 mai 1986, la Sté ICG avait fixé les honoraires professionnels de Me X... à 2 % des règlements en cas de solution amiable intervenue en cours de procédure et à 4 % du montant de la sentence en cas contraire, un acompte de 20 000 dollars US étant aussitôt remis à Me X... ; puis en référence à ce litige, le 24 nov. 1986, la banque Alahli bank of kuwait avait écrit à Me X... pour lui faire connaître qu'elle s'engageait à lui payer 5 % de tout montant crédité en ses comptes au profit de Impresa Castelli en vertu de la sentence arbitrale à intervenir. Me X... a reçu les deux acomptes ainsi qu'une somme correspondant aux 5 % mentionnés à la lettre du 24 novembre 1986 ; cependant les deux parties ont saisi le Bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris, pour l'un, obtenir le remboursement d'une partie des sommes versées (ICG) et, pour l'autre, obtenir paiement des sommes correspondant : aux 4 % fixés dans la lettre du 14 mai 1986, à 5 % du montant de la transaction dans l'affaire Campenon Bernard.
Motifs
Le Bâtonnier du barreau de Paris a rendu, le 3 janv. 1991, une décision par laquelle : sur l'affaire Entertainment city, il a rejeté la demande de Me X... et ordonné la restitution du trop-perçu, soit la différence entre 5 % et 4 % du montant de la sentence ; sur l'affaire Campenon Bernard, il a fixé les honoraires de Me X... à 1 000 000 F, en ayant au préalable déclaré inapplicable la convention de 1985.
Sur recours des deux parties, le Tribunal de grande instance de Paris a rendu, le 19 sept. 1991, le jugement dont appel [ V. le texte de ce jugement supra, p. 43].
[...]
LA COUR : - Se référant pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties à la décision du Bâtonnier, au jugement déféré et aux conclusions des parties ; - Considérant qu'il y a lieu d'ordonner la jonction des deux instances qui sont connexes ; - Considérant, sur la recevabilité de la demande de Me X... relative au paiement d'honoraires de 5 % sur le montant qui aurait pu être obtenu devant les arbitres dans l'affaire Campenon Bernard, que la Sté ICG soutient qu'il s'agit d'une demande nouvelle, non admissible en cause d'appel pour la première fois ; - Mais considérant qu'aux termes de l'art. 566 NCPC, « les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément », ce qui est précisément le cas en l'espèce ; que le moyen d'irrecevabilité doit donc être rejeté ;
1 arbitrage
Considérant qu'« est international l'arbitrage qui met en cause les intérêts du commerce international » (art. 1492 NCPC) ; que le caractère international de l'arbitrage doit être déterminé en fonction de la réalité économique du processus à l'occasion duquel il est mis en oeuvre ; qu'à cet égard, il suffit que l'opération économique réalise un transfert de biens, de services ou de fonds à travers les frontières, la nationalité des parties, la loi applicable au contrat ou à l'arbitrage ainsi que le lieu d'exécution de certaines prestations étant, en revanche, inopérants ;
2 arbitrage international
Considérant qu'en l'espèce, le caractère international de l'arbitrage opposant la Sté de droit français Campenon Bernard à la Sté de droit koweitien ICG, qui met en cause une opération du commerce international, est établi et n'a jamais été contesté par les parties ; qu'en revanche, la Sté ICG soutient à tort que l'arbitrage opposant la Sté Impresa Castelli à l'Etat du Koweit serait un arbitrage de droit interne koweitien au motif qu'elle serait la partie réellement en cause, la Sté Impresa Castelli n'étant qu'une société de façade par interposition de personne rendue nécessaire par le droit de l'Etat du Koweit ; - Mais considérant que, même si les relations entre la Sté ICG et la Sté Impresa Castelli constituent une convention de prête-nom, ce qui ne saurait être illicite ou frauduleux par principe, force est de constater que le contrat de travaux publics a été passé avec la société italienne, que la contrepartie financière pour son exécution ne pouvait se réaliser que par des transferts de fonds internationaux, qu'il a été passé des conventions particulières pour la cession des produits financiers et pour la rémunération de l'intervention de cette société italienne, ce qui correspondait à une intervention effective et nécessaire ; que cette convention a été complétée par un avenant du 23 mai 1988, par lequel la rémunération de la Sté Impresa Castelli était augmentée par une somme représentant 1,5 % du montant de la sentence arbitrale ; qu'il s'ensuit que, même si l'exécution matérielle du contrat pouvait relever d'une opération de droit interne koweitien, l'internationalisation de l'opération économique était rendue nécessaire par la situation de fait et de droit ; que nonobstant la nationalité des parties et le lieu d'exécution du contrat, l'arbitrage relatif au marché Entertainment city est un arbitrage international au sens de l'art. 1492 NCPC ;
Considérant que pour le litige opposant la Sté ICG à la Sté Campenon Bernard, le 28 nov. 1985, la Sté ICG a adressé à Me X... la lettre suivante telle que traduite : « Ceci est pour confirmer notre accord selon lequel vous agirez pour nous dans toute matière se rapportant à la procédure d'arbitrage dans le litige ci-dessus avec Campenon Bernard, y compris la présentation et la réception de tout document provenant de la part de la Chambre de commerce ou destiné à celle-ci. A titre de rémunération pour vos services juridiques dans le litige ci-dessus indiqué, nous vous paierons l'équivalent de 5 % (cinq pour cent) de la valeur de la sentence dans le délai d'un mois de notre réception du montant » ; que pour le litige entre la Sté Impresa Castelli et l'Etat du Koveit, le 14 mai 1986, la Sté ICG lui a envoyé la correspondance ci-après traduite : « En confirmation de nos discussions au Koweit pendant les quelques semaines passées et du récent accord avec notre directeur général M. Maher Farah à Paris, nous confirmons par la présente votre désignation pour agir en tant que notre conseil dans le litige concernant le Kuwait entertainment city avec le ministère des travaux publics, durant le cours du litige et jusqu'à la sentence arbitrale, selon les termes et conditions suivantes : 1) en cas de règlement à l'amiable intervenu entre les parties durant le litige et avant la sentence, vos honoraires professionnels seront de 2 % (deux pour cent seulement) du montant du règlement qui seront payables dans un mois à partir de la date de recouvrement du ministère des travaux publics ; 2) au cas où l'arbitrage se poursuit jusqu'à son stade final par le rendu d'une sentence sur le litige, vos honoraires professionnels seront de 4 % (quatre pour cent seulement) du montant de la sentence, payables dans un délai d'un mois à partir du recouvrement du ministère » ;
3 convention d honoraires
Considérant que ces lettres, qui se réfèrent à des discussions antérieures et qui fixent les modalités de la rémunération de l'avocat par son client, consacrent une convention d'honoraires ; - Considérant que, comme l'ont très pertinemment relevé les premiers juges, ces conventions dont l'exécution est poursuivie se rattachent directement et expressément à des arbitrages internationaux dont le siège a été fixé à Paris et qui ont pour objet de faire trancher un contentieux né entre l'Etat du Koweit, d'une part, et une société française ainsi qu'une société italienne, d'autre part, à propos de la réalisation d'un important marché de travaux publics à la suite d'un appel d'offres international ; qu'en conséquence, chacune de ces deux conventions est un contrat international, par lequel le montant des honoraires dus à Me X... a été fixé à l'avance et en proportion du seul résultat pouvant être obtenu indépendamment des diligences accomplies ; que ces conventions sont des pactes « de quotalitis », que les parties n'ont pas soumis à une loi déterminée ;
Considérant qu'en droit interne français, un tel pacte serait contraire à l'art. 10, al. 2, de la loi du 31 déc. 1971 et à l'art. 10, al. 3, de la loi du 10 juill. 1991 actuellement en vigueur mais inapplicable à l'espèce qui interdisent toute fixation d'honoraires à l'avance au seul vu du résultat judiciaire ; - Mais considérant que ces conventions d'honoraires s'insèrent dans le cadre spécifique de la résolution d'un litige non par une voie judiciaire mais par la voie d'un arbitrage international voulu par les parties ; - Considérant que cette forme de rétribution d'un avocat par son client est reconnue par les usages du commerce international ; qu'elle est, en outre, admise par de nombreux pays aux systèmes juridiques différents ;
4 conception française de l ordre public international
Considérant que le fait pour les parties d'avoir localisé l'exécution de la mission d'assistance et de représentation de Me X... au seul établissement de celui-ci à Paris n'est pas de nature à affecter cette spécificité ; - Considérant que si Me X..., avocat inscrit auprès d'un barreau français, demeure soumis au statut de l'avocat tel que défini par la réglementation française, la dérogation aux dispositions de l'art. 10, al. 2, de la loi du 31 déc. 1971, telle que convenue par les parties pour la fixation de la rémunération de Me X..., n'est pas, sur ce point, contraire à la conception française de l'ordre public international, dès lors qu'elle n'a pas pour effet d'imposer une rémunération manifestement abusive, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; qu'en conséquence, les conventions d'honoraires souscrites au profit de Me X... ne sont pas nulles ; qu'elles doivent être exécutées conformément à la commune volonté des parties ;
Considérant, sur l'affaire Entertainment city, que le tribunal, par des motifs pertinents que la cour fait siens, a considéré que les deux engagements successifs se sont substitués l'un à l'autre afin de porter à 5 % au lieu de 4 % la rémunération de Me X... ; qu'il y a donc lieu de fixer à 5 % du montant de la sentence arbitrale la rémunération de Me X... pour cette affaire et de condamner, en tant que de besoin, la Sté ICG à lui payer cette somme en deniers ou quittances, étant précisé que la provision reçue doit être déduite dudit montant devant être payé ;
Considérant, sur l'affaire Campenon Bernard, que Me X... est mal fondé à soutenir que la transaction intervenue après la première sentence déterminant les responsabilités a été convenue en fraude de ses droits alors qu'il n'en apporte aucune preuve et que les parties à un litige sont seules maîtres de leurs droits et peuvent décider de mettre fin à leur différend sans attendre une décision judiciaire ou arbitrale ; qu'à juste titre, le tribunal a estimé que la convention d'honoraires n'était pas applicable pour n'avoir pas prévu cette solution, ce qui n'a pas été le cas dans l'autre affaire ; qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré et d'inviter les parties à conclure pour permettre à la cour de déterminer les sommes dues à Me X... au vu de ses diligences, ce qu'elles n'ont toujours pas fait ; - Considérant qu'il y a lieu de rejeter comme non fondées toutes les autres demandes, fins et conclusions des parties, tant principales que subsidiaires ; - Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'art. 700 NCPC ;
Par ces motifs, ordonne la jonction des procédures [...] ; rejette le moyen d'irrecevabilité formé par la Sté ICG ; fixe la rémunération due à Me X... par la Sté ICG pour l'affaire Entertainment city à la somme correspondant à 5 % du montant de la sentence arbitrale et, en tant que de besoin, la condamne à lui payer cette somme en deniers ou quittances, provision déduite ; confirme le jugement déféré pour le surplus ; rejette toutes les autres demandes ; invite les parties à conclure pour permettre à la cour de déterminer les sommes dues à Me X... au vu de ses diligences dans l'affaire Campenon Bernard ; dit n'y avoir lieu à application de l'art. 700 NCPC ; laisse à chaque partie la charge de ses dépens tant de première instance que d'appel.