CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 3 décembre 2013, n° 11/20285
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
M. Prosper
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Acquaviva
Conseillers :
Mme Guihal, Mme Dallery
Avoués :
Me Olivier, Me Buchinger
Avocat :
Me Missistrano
Monsieur J. a été engagé par Monsieur Prosper A., expert comptable commissaire aux comptes dans le cadre d'un contrat initiative emploi dit contrat nouvelles embauches à durée indéterminée à compter du 12 février 2007 en qualité de collaborateur comptable non cadre relevant la Convention collective des Cabinets d'Experts comptables et de commissaires aux comptes.
Monsieur S. après une mise à pied à titre conservatoire à effet immédiat, a été convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement puis licencié pour cause réelle et sérieuse par Monsieur A. par lettre de licenciement reçue le 13 juillet 2010
Monsieur S. revendiquant le paiement de rappels de salaire, d'indemnités de congés payés et de préavis et contestant la légitimité de la mesure de licenciement prise à son encontre a saisi, la juridiction prud'homale par acte du 11 octobre 2010.
Parallèlement, les parties ont saisi conjointement la Chambre arbitrale rabbinique de Paris d'une demande d'arbitrage.
Par une sentence rendue à Paris le 24 novembre 2010, la Chambre arbitrale rabbinique a :
- dit que le licenciement était justifié,
- condamné Monsieur A. à verser à Monsieur S. la somme de 6.500 euros au titre du préjudice subi,
- dit qu'ainsi Monsieur A. serait quitte des autres demandes de Monsieur S. concernant les reliquats de salaires, les indemnités, les frais de santé, et les congés payés,
- dit que Monsieur S. pouvait continuer à travailler encore trois mois chez son employeur Monsieur A. contre la rémunération habituelle de 1.600 euros.
Par ordonnance rendue le 23 septembre 2011, le président du tribunal de grande instance de Paris a prononcé l'exequatur de cette sentence.
Par déclaration en date du 14 novembre 2011, Monsieur J. a formé un recours en annulation contre cette sentence.
Par jugement en date du 4 décembre 2012, le conseil des prud'hommes de Bobigny a rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par Monsieur A. tirée de l'existence d'une sentence arbitrale et a décidé de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel de Paris sur le recours en annulation.
Vu les conclusions de Monsieur S. signifiées par RPVA le 20 février 2013 aux termes desquelles il demande à la cour de prononcer la nullité de la sentence entreprise et de l'ordonnance l'ayant rendue exécutoire et de condamner le Cabinet A. au paiement de la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions de Monsieur Prosper A. signifiées par acte d'huissier le 28 février 2013 tendant à constater la validité de la sentence entreprise et à condamner Monsieur S. au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI,
Considérant que contrairement à ce qu'indique Monsieur S. dans ses écritures, il n'a pas saisi la cour d'un recours en annulation de l'ordonnance ayant rendu exécutoire la sentence arbitrale rendue par la Chambre Arbitrale Rabbinique le 24 novembre 2011 mais d'un recours en annulation de cette même sentence rendue exécutoire ainsi qu'il résulte expressément de sa déclaration de recours, ledit recours emportant de plein droit, dans les limites de la saisine de la cour, recours contre l'ordonnance du juge ayant statué sur l'exequatur, ce conformément aux dispositions de l'article 1499 du Code de procédure civile ;
- Sur le moyen d'annulation tiré du non respect de sa mission par le tribunal arbitral (article 1592 3° du code de procédure civile).
Monsieur S. soutient que dès lors que les arbitres n'auraient pas analysé les chefs de demandes prévus dans la convention d'arbitrage et se seraient bornés, par une décision succincte et non motivée, à fixer un montant d'indemnité lié au préjudice subi, ils n'auraient pas remplis la mission qui leur était confiée.
Considérant que le moyen tiré de l'absence de motivation s'analyse en réalité en un moyen d'annulation tiré non du manquement du tribunal arbitral à sa mission mais de la violation des dispositions des articles 1482 et 1483 du Code de procédure civile ;
Considérant en effet qu'en application de ces textes, en matière d'arbitrage interne, la sentence qui n'est pas motivée doit être annulée, même en l'absence de grief ;
Considérant que si le contenu de la motivation de la sentence échappe au juge de l'annulation, il incombe à celui ci de vérifier que les arbitres ont mis les parties en mesure de connaître les éléments de fait et de droit sur lesquels ils se sont déterminés ;
Considérant qu'en l'espèce, les parties ont, en signant le compromis par lequel elles ont choisi de soumettre leur différend à la chambre arbitrale rabbinique, conféré expressément au tribunal arbitral mission de statuer en amiables compositeurs;
Considérant que la sentence se borne à énoncer sous forme de dispositif qu' après que les parties aient formellement accepté sur elles l autorité du Tribunal, après les procédures habituelles et avoir entendu les parties, le Tribunal a décidé ce qui suit :
a. Le Tribunal récuse la version selon laquelle Mr J. a été licencié sans raison. Le tribunal estime, au contraire, que le licenciement est justifié;
b. Le Tribunal condamne Mr A. à verser à Mr J. la somme de 6500 euros au titre du préjudice subi ;
c. Avec le paiement du montant de cette indemnité, Mr Prosper A. sera quitte de toutes les autres demandes formulées par Mr J. et son avocate, à savoir reliquats de salaires, indemnités, frais de santé, congés payés et autres litiges.
d. En outre, si Monsieur J. le souhaite, il peut continuer à travailler chez son employeur, Monsieur A., tout à fait normalement, pendant encore trois mois et dans cette hypothèse, l'employeur devra rémunérer son employé comme d'habitude, à savoir 1600 euros mensuels' ;
Que cette décision qui ne comporte aucun énoncé des éléments de fait et de droit sur lesquels le tribunal arbitral s'est déterminé et qui ne fait pas davantage référence à des motifs tirés de l'équité retenus par celui ci pour fonder sa décision, ne répond pas à l'exigence de motivation imposée par les textes précités ;
Considérant que la sentence du 24 novembre 2010 doit, dès lors, être annulée, sans qu'il y ait lieu d'examiner la pertinence des autres moyens d'annulation invoqués ;
Considérant que lorsqu'elle annule la sentence arbitrale, la juridiction statue sur le fond, dans la limite de la mission de l'arbitre, sauf volonté contraire des parties.
Considérant qu'aux termes de la lettre de mission signée le 24 novembre 2010, les parties ont adhéré au Règlement édicté par la chambre arbitrale rabbinique qu'ils ont déclaré connaître et accepter ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 8 c) dudit Règlement que la désignation de la Chambre pour juger et trancher un litige implique que les parties renoncent à ce que la juridiction d'appel de droit commun, saisie d'un recours en annulation, statue sur le fond si la sentence émise par la Chambre Arbitrale Rabbinique en cause est annulée' ;
Considérant qu'au regard de la volonté exprimée par les parties, il n'y a pas lieu, dès lors, de statuer sur le fond ;
Considérant que l'annulation de la sentence arbitrale du 24 novembre 2010 emporte infirmation de l'ordonnance 23 septembre 2011 qui a conféré l'exequatur à cette sentence, Monsieur A. devant être débouté de sa demande de ce chef ;
Considérant que rien ne justifie qu'il soit fait application au profit de l'une ou l'autre des parties, des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Annule la sentence rendue à Paris le 23 septembre 2011 par le tribunal arbitral rabbinique composé de Monsieur M., de Monsieur S. et de Monsieur Shimon S., arbitres ;
Dit n'y avoir lieu à statuer sur le fond ;
Infirme l'ordonnance 23 septembre 2011 qui a conféré l'exequatur à la sentence du 23 septembre 2011;
Et statuant à nouveau de ce chef,
Déboute Monsieur Monsieur Prosper A. de sa demande d'exequatur ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Condamne Monsieur A. aux dépens qui seront recouvrés selon les modalités prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.