CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 5 mars 2024, n° 22/05167
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
SOA (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Filliol
Conseillers :
Mme Gaffinel, Mme Lambling
Avocats :
Me Guizard de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, Me Duclercq, Me Zuber, Me Meynard de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MARIE, Me Nicolle
SIGASECURITE est une société de droit ivoirien spécialisée dans le recrutement, la formation et le placement d'agents de sécurité. Elle était détenue jusqu'au 27 octobre 2016 à 49% par Mme [Z], et à 51% par Mme [E].
SOA est une société par action simplifiée de droit ivoirien, détenue à 100% par la société OVERSEAS SARL, filiale du Groupe SERIS, groupe français de sécurité et de sûreté professionnelle.
Par contrat de cession de parts sociales du 27 octobre 2016, Mmes [Z] et [E] ont cédé 80% du capital social de SIGASECURITE à M. [H] [X], investisseur ivoirien, et à la société de droit luxembourgeois OVERSEAS SARL. Au terme de cette opération de cession, le capital social de SIGASECURITE était détenu par OVERSEAS SARL à hauteur de 49%, par Mme [E] à hauteur de 20%, et le solde par l'investisseur ivoirien.
Ce contrat de cession prévoyait notamment d'une part, en son article 3.2 les modalités de distribution des dividendes à compter de sa signature, et d'autre part, en son article 10.8 une clause compromissoire permettant de soumettre tout litige auquel le contrat pouvait donner lieu, conformément au Règlement de Médiation et d'Arbitrage du CMAP (Centre de Médiation et d'Arbitrage de Paris), à un tribunal arbitral composé d'un arbitre unique, siégeant à Paris.
Concomitamment à la signature du contrat de cession, un pacte d'associés a été signé afin de régir les conditions de cession des titres ainsi que les modalités de gouvernance de la Société. Il comprenait également une clause compromissoire donnant compétence à un tribunal arbitral en cas de litige.
Le 16 octobre 2017, la société SOA, d'une part, et la société OVERSEAS et Mmes [Z] et [E] d'autre part, ont conclu un acte d'adhésion aux termes duquel la société SOA s'est engagée à respecter, exécuter et être liée par toutes les clauses du pacte d'associés et du contrat de cession signés le 27 octobre 2016. Cet acte d'adhésion comprenait également aux termes de son article e) une clause compromissoire.
La société SOA a, par acte du 27 octobre 2017, procédé à l'acquisition des titres de SIGASECURITE détenus par l'investisseur ivoirien, puis par acte du 16 mai 2018, à l'acquisition des titres détenus par OVERSEAS SARL de sorte qu'au 16 mai 2018, le capital de SIGASECURITE était donc détenu par SOA à hauteur de 80% du capital, et par Mme [E] à hauteur de 20%
Un litige est apparu à la suite de demandes formées par Mme [Z] et Mme [E] afin d'obtenir le paiement de dividendes qu'elles affirment leur être dus pour l'exercice 2015, soit l'exercice antérieur au contrat de cession.
Mme [Z] a ainsi assigné à cette fin SIGASECURITE devant le tribunal de Commerce d'Abidjan. La société SOA est intervenue volontairement à la procédure et a soulevé l'incompétence de la juridiction étatique en invoquant la clause compromissoire figurant au contrat de cession. Les juridictions étatiques ivoiriennes, n'ont aux termes de plusieurs décisions, pas décliné leur compétence, la procédure étant toujours en cours au fond.
Le 15 décembre 2022, le tribunal de commerce d'Abidjan, saisi par Mme [Z] dans le cadre d'une action distincte, s'est déclaré incompétent au profit du CMAP pour se prononcer sur la validité des clauses compromissoires figurant au contrat de cession, pacte d'associé et pacte d'adhésion.
Dans ce contexte, la société SOA a, le 5 janvier 2021, initié une procédure arbitrale soumise au Règlement CMAP à l'encontre de Mmes [Z] et [E].
Une sentence a été rendue le 28 janvier 2022, aux termes de laquelle l'arbitre unique a :
'' Déclaré qu'il est compétent pour statuer sur le présent litige ;
'' Décidé que Mmes [Z] et [E] ne sont pas fondées à solliciter le paiement de dividendes au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015 de la société SIGASECURITE ;
'' Décidé que Mme [Z] a engagé sa responsabilité contractuelle en méconnaissant la clause compromissoire prévue à l'article 10.8 du Contrat de cession du 27 octobre 2016 et à l'article (e) de l'Acte d'adhésion du 16 octobre 2017 ;
'' Décidé que Mme [E] a engagé sa responsabilité contractuelle en méconnaissant les clauses compromissoires prévues à l'article 10.8 du Contrat de cession du 27 octobre 2016, à l'article 25 du Pacte d'associés du 27 octobre 2016 et, enfin, à l'article (e) de l'Acte d'adhésion du 16 octobre 2017 ;
'' Décidé que Mme [E] a en outre manqué à ses obligations en qualité de mandataire social de la société SIGASECURITE et d'associé en agissant à l'encontre de l'intérêt social de cette dernière ;
'' Condamné Mme [Z] et Mme [E] à verser in solidum à SOA 40.258.171 FCFA ou leur contrevaleur en euros au titre des frais judiciaires exposés par SOA en Côte d'Ivoire ;
'' Condamné Mme [Z] et Mme [E] à payer in solidum à la société SOA, la somme totale de 16.600 euros HT au titre des frais de l'arbitrage et 56.160,91 euros au titre des frais d'avocats engagés dans le cadre du présent arbitrage ;
'' Rejeté toutes les autres demandes ».
Les demanderesses ont formé un recours en annulation de la sentence le 28 février 2022.
Par ordonnance du 17 mai 2023, le premier président de la cour d'appel de Paris les a notamment déboutées de leur demande de suspension de l'exécution provisoire.
Par conclusions signifiées par la voie électronique le 16 octobre 2023, elles demandent à la cour de :
- A titre principal annuler la sentence rendue le 28 janvier 2022 par l'arbitre unique, [F] [D], en ce qu'elle viole les dispositions de l'article 1492 1° du code de procédure civile, l'arbitre unique s'étant déclarée à tort compétente en raison de la nullité des conventions d'arbitrage, et à titre subsidiaire, d'annuler celle-ci en ce qu'elle viole les dispositions de l'article 1520 1° du code de procédure civile, l'arbitre unique s'étant déclarée à tort compétente en raison de l'inapplicabilité des conventions d'arbitrage au litige ;
- A titre principal, annuler la Sentence rendue le 28 janvier 2022 par l'arbitre unique, [F] [D], en ce qu'elle viole les dispositions de l'article 1492 5° du CPC, la Sentence étant contraire à l'ordre public interne en ce qu'il y avait une fraude dans l'arbitrage et à titre subsidiaire, de l'annuler en ce qu'elle viole les dispositions de l'article 1520 5° du code de procédure civile, la Sentence étant contraire à l'ordre public international en ce qu'il y avait une fraude dans l'arbitrage ;
- Condamner la société SOA à leur payer la somme de 60.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions signifiées le 24 novembre 2023, la société SOA demande à la cour de rejeter la demande de nullité de la sentence arbitrale rendue le 28 janvier 2022, de débouter purement et simplement Mmes [Z] et [E] de toutes leurs demandes, fins et conclusions et de les condamner solidairement au paiement de la somme de 50 000 euros (à parfaire) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2023.
MOTIFS
Sur la qualification de la sentence
Moyens des parties
Les demanderesses soutiennent qu'un arbitrage ne peut être qualifié d'international que si le litige soumis aux arbitres ne se dénoue pas dans un seul État et fait jouer les intérêts du commerce international. Elles font valoir qu'en l'espèce, le litige ne porte sur aucun transfert de fonds, de biens ou de personnes à travers les frontières, mais uniquement sur la distribution de dividendes qui devait être effectuée, sur les fondements des statuts, par la société ivoirienne SIGASECURITE au profit de Mme [Z] et de Mme [E], domiciliées en Côte d'Ivoire, aucun transfert international de dividendes par-delà la frontière ivoirienne n'étant donc en cause. Elles précisent que les dividendes, objets du présent litige, proviennent de bénéfices réalisés par SIGASECURITE, société ivoirienne, pour des activités uniquement ivoiriennes et ne résultent aucunement d'apport de fonds étrangers qui seraient par la suite distribués sous forme de dividendes.
La société SOA fait valoir que le litige soumis au tribunal arbitral résulte de la lecture divergente par les parties du contrat de cession. Elle soutient que ce dernier a été conclu entre la société luxembourgeoise OVERSEAS SARL et les demanderesses et impliquait, par définition, un transfert de capitaux entre le Luxembourg et la Côte d'Ivoire. Elle ajoute que l'objet du litige n'est pas la distribution de dividendes pour l'exercice 2015, antérieur au contrat de cession, mais la prétention qui a été soumise par SOA au tribunal arbitral, consistant à juger que l'article 3.2 de l'acte de cession du 27 octobre 2016, relatif à la distribution des dividendes, ne réserve aucun droit à un quelconque dividende au profit des demanderesses au titre des bénéfices réalisés par SIGASECURITE jusqu'au 31 décembre 2015.
Règles applicables
Aux termes de l'article 1504 du code de procédure civile, est international l'arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international.
Le caractère international de l'arbitrage doit être déterminé en fonction de la réalité économique du processus à l'occasion duquel il est mis en 'uvre. A cet égard, il suffit que l'opération ne se dénoue pas économiquement dans un seul Etat mais réalise un transfert de biens, de services ou de fonds à travers les frontières, la nationalité des parties en cause, la loi applicable au contrat ou à l'arbitrage, ainsi que le lieu de l'arbitrage étant, en revanche, inopérants. De même, la qualification, interne ou internationale, d'un arbitrage, déterminée en fonction de la nature des relations économiques à l'origine du litige, ne dépend pas de la volonté des parties.
L'arbitrage est ainsi international en fonction du litige qui en est l'objet.
Réponse de la cour
Si Mmes [Z] et [E] sollicitent le versement par SIGASECURITE, au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015, de dividendes, l'objet du litige ne se limite pas à la question des dividendes devant être distribués sur le « fondement » des statuts.
En effet, la distribution de dividendes n'est d'une part, de manière générale, pas automatique et exige une décision en ce sens de l'Assemblée Générale de la société. D'autre part, au cas particulier, une opération de cession des parts des associées dans la société SIGASECURITE est intervenue, ce qui a nécessairement une incidence sur la répartition des dividendes, étant précisé qu'il n'est pas allégué ni démontré que les statuts de SIGASECURITE disposaient de dispositions contractuelles spécifiques sur ce point, et que l'article 3.2 du contrat de cession dispose qu'« à compter de la signature du [contrat de cession], tout dividende ou tout autre produit revenant aux Parts Sociales Vendues qui sera mis en distribution, quelle que soit l'origine des répartitions, bénéficiera exclusivement et totalement aux Acquéreurs. Le droit à distribution sera rétroactif et bénéficiera exclusivement aux Acquéreurs à compter du 1 er janvier 2016. Les Cédantes attestent par les présentes qu'aucune distribution de dividende n'a été effectuée au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015 ».
Dès lors, et comme le relève justement la société SOA, l'objet du litige entre les parties est directement lié à l'interprétation qui doit être donnée à l'article susvisé du contrat de cession de parts sociales conclu le 27 octobre 2016 entre les appelantes, OVERSEAS SARL et M. [H] [X], et aux conditions duquel SOA a adhéré le 16 octobre 2017, préalablement à l'acquisition par celle-ci des parts détenues par M. [H] [X] et OVERSEAS SARL au sein de SIGASECURITE.
L'opération en cause, qui portait sur la cession, par des associées de nationalité française et ivoirienne, des parts sociales qu'elles détenaient au sein d'une société ivoirienne de sécurité à une SARL de droit luxembourgeois, emportait nécessairement un transfert de fonds transfrontalier, de sorte que la procédure d'arbitrage mise en 'uvre afin de régler le litige présente un caractère international.
Sur l'incompétence alléguée du tribunal arbitral en raison de la nullité des clauses compromissoires
Moyens des parties
Les demanderesses exposent que l'arbitrage est interne, que les conventions d'arbitrage ne prévoient pas expressément la loi applicable à l'arbitrage, et que le siège de l'arbitrage est à [Localité 2], de sorte que la loi française est applicable. Elles soutiennent qu'en conséquence, et conformément à la jurisprudence française, le litige étant en l'espèce exclusivement situé en Côte d'Ivoire, et les parties ayant expressément prévu que la loi applicable à l'opération économique était la loi ivoirienne, la validité des clauses compromissoires ayant fondé la compétence du tribunal doit être examinée au regard de la loi de ce pays, étant précisé que l'Acte Uniforme relatif à l'Arbitrage (AUA) n'est pas applicable, le siège de l'arbitrage se situant hors espace OHADA. Les demanderesses en déduisent que les clauses compromissoires sont nulles dès lors que la loi ivoirienne n°93-671 du 9 août 1993 subordonne leur validité à la condition qu'elles aient été stipulées entre commerçants, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, les demanderesses au recours n'ayant pas cette qualité.
La société SOA répond que l'arbitrage étant international, et les parties n'ayant pas défini de loi applicable à l'arbitrage, la loi française est applicable. Elle précise qu'en application du droit français de l'arbitrage international, la jurisprudence de la Cour de cassation retient un principe de validité de la convention dès lors que la convention d'arbitrage a fait l'objet d'un consentement des parties, et qu'elle est conforme à l'ordre public international, ce qui n'est pas, selon elle, contesté en l'espèce.
Règles applicables
L'article 1520 1° du code de procédure civile dispose que le recours en annulation n'est ouvert que si le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.
Le principe de validité de la convention d'arbitrage international et celui selon lequel il appartient à l'arbitre de statuer sur sa propre compétence sont des règles matérielles du droit français de l'arbitrage international, qui consacrent, d'une part, la licéité de la clause d'arbitrage indépendamment de toute référence à une loi étatique, et, d'autre part, l'efficacité de l'arbitrage en permettant à l'arbitre, saisi d'une contestation de son pouvoir juridictionnel, de la trancher par priorité.
Il appartient au juge saisi d'apprécier l'existence et la validité de la convention d'arbitrage sous réserve des règles impératives du droit français et de l'ordre public international, d'après la commune volonté des parties, sans qu'il soit besoin de se référer à une loi étatique.
Réponse de la cour
L'article 10.8 (ii) du contrat de cession signé prévoit qu'« à défaut de règlement amiable, les litiges auxquels pourraient donner lieu le Contrat ou qui pourront en être la suite ou la conséquence seront soumis, dans la mesure permise par la loi, à la médiation ou à l'arbitrage conformément au Règlement de Médiation et d'Arbitrage du CMAP (Centre de Médiation et d'Arbitrage de [Localité 2]) auquel les Parties confirment adhérer. Le tribunal arbitral sera composé d'un arbitre unique, il siègera à Paris en langue française »
L'article 25 du pacte d'associés signé le 27 octobre 2015 entre OVERSEAS SARL, M. [H] [X], et Mme [E], en présence de Mme [Z], dispose que « Le Pacte est régi par et sera interprété conformément à la loi applicable en Côte d'Ivoire. Avant toute action en justice, les parties disposeront, sauf procédure d'urgence, d'une période de trente (30) jours pour régler à l'amiable tout différend ou litige qui serait survenu quant à la validité l'interprétation ou l'exécution des présentes. A défaut d'accord amiable, à l'issue de la période précitée, ledit différent ou litige sera soumis, dans la mesure permise par la loi, à la médiation ou à l'arbitrage conformément au Règlement de Médiation et d'Arbitrage du CMAP (Centre de Médiation et d'Arbitrage de [Localité 2]) auquel les Parties confirment adhérer. Le tribunal arbitral sera composé d'un arbitre unique, il siègera à Paris en langue française »
Enfin les articles (d) et (e) de l'Acte d'adhésion conclu le 16 octobre 2017 entre SOA et Mmes [E], [Z] et [Y] SARL prévoient que « (d) Le présent contrat d'adhésion sera régi par le droit ivoirien et interprété conformément à celui-ci. (e) Avant toute action en justice, les parties disposeront, sauf procédure d'urgence, d'une période de trente (30) jours pour régler à l'amiable tout différend ou litige qui serait survenu quant à la validité l'interprétation ou l'exécution des présentes. A défaut d'accord amiable, à l'issue de la période précitée, ledit différend ou litige sera soumis, dans la mesure permise par la loi, à la médiation ou à l'arbitrage conformément au Règlement de Médiation et d'Arbitrage du CMAP (Centre de Médiation et d'Arbitrage de [Localité 2]) auquel les Parties confirment adhérer. Le tribunal arbitral sera composé d'un arbitre unique, il siègera à [Localité 2] en langue française »
En l'espèce, les parties ont entendu soumettre leur litige à un arbitre unique, siégeant à [Localité 2], et statuant en français, conformément au Règlement de Médiation et d'Arbitrage du Centre de Médiation et d'Arbitrage de [Localité 2]. L'arbitrage étant international, il est soumis à la règle matérielle du droit français de l'arbitrage qui consacre un principe de licéité de la clause d'arbitrage. L'argumentation des demanderesses, relative à l'application de la loi ivoirienne à la validité des clauses compromissoire, est en conséquence inopérante.
Il n'est pas allégué que les conventions d'arbitrage n'ont pas été consenties par les parties, et leur conformité à l'ordre public international n'est pas plus discutée.
En conséquence, le moyen tendant à voir annuler la sentence pour incompétence du tribunal arbitral en raison de l'invalidité des clauses compromissoires ne peut être accueilli.
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 1520, 1° du code de procédure civile
Moyens des parties
Les demanderesses soutiennent que l'arbitre unique s'est déclarée à tort compétente, dès lors que les conventions d'arbitrage sur lesquelles elle a fondé sa compétence ne sont pas applicables au litige. Elles rappellent que le contrôle du juge de l'annulation est limité à l'appréciation de l'existence et de la portée de la convention d'arbitrage et qu'il ne peut apprécier le bien-fondé de la décision du tribunal arbitral. Elles indiquent que l'arbitre unique s'est déclarée compétente rationae materiae et rationae personae considérant que le litige soumis par la société SOA entrait dans le champ d'application des clauses compromissoires figurant dans le contrat de cession, le pacte d'associés et de l'acte d'adhésion et que ces trois clauses liaient les parties à l'arbitrage, c'est-à-dire la société SOA et Mmes [Z] et [E], alors même d'une part que Mme [Z] n'était pas partie au pacte d'associés, et d'autre part que la distribution des dividendes pour l'exercice 2015 relevait exclusivement des statuts et non du contrat de cession, ou encore du pacte d'associés ou de l'acte d'adhésion, qui ne courent qu'à compter du 1er janvier 2016, comme l'ont au demeurant retenu les juridictions ivoiriennes. Elles précisent que la clause d'arbitrage figurant dans le pacte d'associés était relative uniquement à « tout différend ou litige qui serait survenu quant à la validité, l'interprétation ou l'exécution du pacte », qui ne contient aucune disposition relative aux dividendes pour l'exercice 2015 et à leur distribution. Elles soutiennent enfin que la clause d'arbitrage figurant dans l'acte d'adhésion ne trouve pas plus à s'appliquer en l'espèce, dès lors que ce dernier ne portait que sur la reprise par la société SOA des droits et obligations de la société OVERSEAS au titre des deux précédents contrats visés ci-dessus, si bien que les dividendes de 2015 n'entraient pas davantage dans le champ d'application de sa convention d'arbitrage. Elle souligne qu'alors que SOA n'invoquait que la clause d'arbitrage du contrat de cession, l'arbitre a fait référence aux trois clauses figurant dans le pacte et l'acte d'adhésion.
La société SOA répond que les demanderesses ne sauraient affirmer détenir une créance au titre des « dividendes arrêtés au 31 décembre 2015 » sur le fondement des statuts, alors même que les droits dont bénéficient les associés, en ce compris le droit de percevoir un dividende s'il est voté par l'assemblée générale, disparaissent avec la cession de leurs titres, de sorte qu'une partie qui soutient pouvoir bénéficier de dividendes postérieurement à la cession de ses titres ne peut fonder sa prétention que sur une stipulation contractuelle particulière, qui aurait été convenue avec le cessionnaire. Elle ajoute que les prétentions des demanderesses ont toujours été fondées sur les stipulations du contrat de cession.
Réponse de la cour
L'article 1520, 1°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.
Pour l'application de ce texte, il appartient au juge de l'annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage.
En vertu d'une règle matérielle du droit de l'arbitrage international, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient, directement ou par référence. Son existence et son efficacité s'apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l'ordre public international, d'après la commune volonté des parties, qui investit l'arbitre de son pouvoir juridictionnel, sans qu'il soit nécessaire de se référer à une loi étatique.
Le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l'annulation n'ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bienfondé.
S'il ressort en l'espèce de la sentence (page 27,§ 146 et suivants) que la société SOA a fondé la compétence de l'arbitre sur l'article 10.8 du contrat de cession, il apparait également qu'elle a saisi l'arbitre non seulement du différend lié au versement des dividendes, qui était bien relatif, comme indiqué plus haut, à l'interprétation du contrat de cession, mais aussi des fautes contractuelles reprochées à Mme [Z] sur le fondement du contrat de cession, et à Mme [E] sur le fondement du contrat de cession et du pacte d'associés (Page 19, § 99 à 101) de la sentence. Ces trois actes comportaient, tous, des clauses compromissoires rédigées en des termes identiques. Il en résulte que l'arbitre, qui a déduit de l'existence de ces trois clauses la volonté manifeste des parties de régler tous leurs différends se rapportant à la cession de SIGASECURITE en recourant à l'arbitrage, n'a, en retenant sa compétence sur le fondement des clauses compromissoires prévues tant à l'acte de cession qu'au pacte d'associé et à l'acte d'adhésion, ni statué ultra petita, ni méconnu sa compétence rationae materiae. La cour relève en outre, s'agissant de la compétence rationae personae que le pacte d'associés a été signé en présence de Mme [Z], laquelle avait connaissance de l'existence de la clause d'arbitrage y figurant et ne s'y est pas opposée, de sorte que c'est à juste titre que l'arbitre a retenu que la clause celle-ci lui était opposable
Le moyen n'est en conséquence pas fondé et doit être rejeté.
Sur la contrariété alléguée de la sentence arbitrale à l'ordre public
Moyens des parties
Les demanderesses soutiennent que la société SOA a commis une fraude en initiant la procédure arbitrale dans l'unique but de s'enrichir à leur détriment. Elles affirment que la procédure arbitrale a été instrumentalisée par la société SOA, qui n'a pas hésité à détourner et s'approprier un litige qui ne la concernait pas pour obtenir une décision arbitrale qui permettrait à la société qu'elle détient majoritairement aujourd'hui de ne pas verser les dividendes dus aux anciennes associées et par conséquent de bénéficier des fruits des bénéfices pour une période à laquelle elle n'était pas associée de cette société.
La société SOA répond que les fondements juridiques soulevés par les demanderesses sont artificiels, et que la fraude qu'elles allèguent suppose que toutes les parties à l'arbitrage aient apporté leur concours, avec pour dessein commun de réaliser une opération frauduleuse.
Règles applicables
L'article 1520, 5°, du code de procédure civile dispose que le recours en annulation n'est ouvert que si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international.
Une sentence, obtenue par fraude, est insusceptible de reconnaissance en France, car contraire à l'ordre public international
Selon l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, l'annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l'ordre public international.
L'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge s'entend de la conception qu'en a l'ordre juridique français, c'est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.
Ce contrôle s'attache seulement à examiner si l'exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.
La fraude procédurale commise dans le cadre d'un arbitrage peut être sanctionnée au regard de l'ordre public international de procédure. Elle suppose que des faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision prise par ceux-ci a été surprise.
Réponse de la cour
La cour relève que l'existence d'un conflit porté devant les juridictions ivoiriennes n'a pas été dissimulé à l'arbitre, qui en a été informé tant par les demanderesses (p° 28 §149 de la sentence), que par la société SOA (p°12à 14 de la sentence) de sorte qu'aucun détournement de procédure ne saurait être invoqué. Si les allégations des demanderesses relatives au but poursuivi par SOA peuvent venir éclairer leur argumentation juridique dans le cadre du litige, elles ne caractérisent pas une fraude dans le cadre de la procédure arbitrale, susceptible d'entraîner l'annulation de la sentence sur le fondement de l'article susvisé, aucun élément probant n'établissant que la décision du tribunal aurait été surprise par la fraude.
Le moyen est rejeté.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Mmes [Z] et [E], qui succombent, sont condamnées in solidum à verser à SOA la somme de 20 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elles sont également condamnées in solidum aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Rejette le recours en annulation formée par Mmes [P] [Z] et [T] [E] contre la sentence arbitrale en date du 28 janvier 2022 rendue par l'arbitre unique Mme [F] [D] ;
Condamne Mmes [P] [Z] et [T] [E] in solidum à verser à la société SOA la somme de 20 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mmes [P] [Z] et [T] [E] in solidum aux dépens.