CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 15 septembre 2015, n° 15/04996
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
MONTE CARLO AVIATION CORPORATION (Sté)
Défendeur :
DASSAULT AVIATION (S.A)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
ACQUAVIVA
Conseillers :
GUIHAL, MICHEL AMSELLEM
Avocats :
DE MARIA, BETTAN, TOMASI
Par un contrat en date du 7 mars 2005, la société de droit des Iles Vierges Britanniques MONTE CARLO AVIATION a acquis auprès de la société anonyme de droit français DASSAULT AVIATION un appareil Falcon 7X moyennant le prix de 36.150.000 USD, la livraison devant intervenir le 1er novembre 2010.
Au mois de novembre 2010, la société MONTE CARLO a refusé la livraison de l'avion présenté prétextant des défauts de conformité. En application de l'article 20 du contrat qui stipulait qu'en cas de refus par la société MONTE CARLO de prendre livraison de l'avion lorsque celui ci sera présenté à la livraison, la société DASSAULT serait en droit de prononcer la résolution immédiate du contrat et de retenir les sommes versées par la société MONTE CARLO, et ce, à hauteur de 10% du prix de l'avion, la société DASSAULT a prononcé la résolution du contrat et conservé la somme de 4.436.944 USD au titre de la clause pénale.
Le 26 janvier 2011, en vertu de la clause compromissaire contenue dans le contrat, la société MONTE CARLO a déposé une demande d'arbitrage à l'encontre de la société DASSAULT auprès de la Chambre de commerce internationale, et a nommé M. Eric S. en qualité de co arbitre.
Le 22 février 2011, la CCI a notifié la demande d'arbitrage à la société DASSAULT qui a désigné M. Jeffrey Hertzfeld en qualité de co arbitre.
Le 29 mars 2011, la CCI a adressé aux parties la déclaration d'acceptation, de disponibilité et d'indépendance de M. Hertzfeld, ainsi que son curriculum vitae.
Le 16 juin 2011, le Secrétaire général de la CCI a confirmé la désignation de M. Julien Lew en qualité de Président du Tribunal arbitral sur proposition conjointe des co arbitres désignés par les parties.
Par une sentence arbitrale rendue le 17 octobre 2013 à Paris, le Tribunal arbitral composé de
Messieurs Julian Lew, président, Eric S. et Jeffrey Hertzfeld, co arbitres, a débouté la société MONTE CARLO de ses demandes au motif que le refus par MONTE CARLO de prendre livraison de l'aéronef en novembre constituait une faute grave, autorisant DASSAULT à résilier le contrat, que cette résiliation légitime et conforme à l'article 20 du contrat autorisait DASSAULT à conserver les sommes déjà retenues par elle en vertu de cette stipulation contractuelle, a condamné MONTE CARLO à payer à DASSAULT la somme de 1 385 800 USD partie constitutive des dommages forfaitaires à laquelle DASSAULT pouvait prétendre mais qu'elle n'avait pas retenue, a débouté DASSAULT de sa demande de dommages intérêts pour abus de procédure et a condamné MONTE CARLO à payer à DASSAULT la somme de 506 831,16 euros au titre des frais d'avocats en dépenses externes ainsi que la somme de 240 000 USD au titre de la provision pour frais payée à la CCI, le tout portant intérêt simple à un taux équivalent à EURIBOR à 3 mois plus 1 % .
Faisant grief à cette sentence, la société MONTE CARLO a, par acte du 19 novembre 2013, engagé un recours en annulation sur le fondement de l'article 1520 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 19 février 2015, l'affaire a été, sur demande conjointe des parties, retirée du rôle puis rétablie le 4 mars 2015.
Vu les conclusions récapitulatives de la société MONTE CARLO signifiées le 29 avril 2015 par RPVA aux termes desquelles elle demande à la Cour de :
- annuler la sentence arbitrale CCI n° 18074 du 17 octobre 2013 ;
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de la société DASSAULT ;
- condamner la société DASSAULT à lui payer la somme de 70.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société DASSAULT aux entiers dépens ;
Vu les conclusions de la société DASSAULT signifiées le 22 mai 2015 aux termes desquelles elle demande à la Cour de rejeter l'ensemble des demandes formulées par la société MONTE CARLO et condamner cette dernière à lui payer la somme de 150.000 euros à titre de dommage intérêts pour procédure abusive ainsi que la somme de 70.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
SUR QUOI,
- Sur le moyen unique d'annulation tiré de la constitution irrégulière du tribunal arbitral (article 1520 2° du code de procédure civile) :
MONTE CARLO soutient avoir découvert, après la reddition de la sentence, que M. Jeffrey Hertzfeld, arbitre désigné par la société DASSAULT, travaillait au sein du même cabinet que Monsieur Aurélien Chardeau, avocat chargé d'assister Monsieur Louis R., dirigeant de la Société MONTE CARLO, ainsi que d'autres membres de sa famille et diverses sociétés du groupe Plaza dans le cadre de deux procédures pénales dont les éléments qui ont été produits aux débats constituent, selon la recourante, le c'ur du différend soumis aux arbitres, que Monsieur Hertzfeld ou ses collaborateurs ont pu ainsi avoir potentiellement accès, directement ou indirectement, à des informations relatives à ce volet pénal et échanger au sein du même cabinet avec Monsieur Chardeau ou les collaborateurs de ce dernier et que ces faits non révélés sont de nature à provoquer un doute sur l'indépendance et l'impartialité du tribunal arbitral.
Considérant qu'il est de principe que l'arbitre doit révéler aux parties toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités
d'impartialité et d'indépendance qui sont l'essence même de la fonction arbitrale;
Que l'obligation d'information qui pèse sur l'arbitre doit s'apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée, de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l'arbitre;
Considérant que le curriculum vitae de Monsieur Jeffrey Hertzfeld signé le 23 mars 2011 mentionne sa qualité d'avocat honoraire, associé retraité du cabinet SALANS depuis le 31 décembre 2005, que ce document a été porté à la connaissance des parties le 29 mars 2011 par le Secrétariat de la CCI sans qu'ensuite de sa communication, MONTE CARLO sollicite des précisions ou éclaircissements complémentaires quant à la situation de l'arbitre ;
Considérant que Monsieur Chardeau qui associé au sein du cabinet GIDE était en charge de la défense des intérêts de différents membres de la famille R. et de différentes sociétés détenues ou dirigées par ces derniers au travers notamment d'une société holding PLAZA, a quitté ce cabinet au mois de mai 2012 ;
que les consorts R. qui en ont été informés par le cabinet GIDE par message électronique du 4 mai 2012, ont choisi de conserver Monsieur Chardeau comme conseil;
que MONTE CARLO, société contrôlée par Monsieur Louis R. ne pouvait ignorer s'agissant de son propre avocat que celui ci avait, à son départ du cabinet GIDE, rejoint le cabinet SALANS en mai 2012, en sorte qu'en n'émettant au cours la procédure arbitrale aucune réserve sur l'indépendance et l'impartialité de Monsieur Hertzfeld, avocat associé retraité de ce même cabinet depuis le 31 décembre 2005, celle ci qui invoque, de manière inopérante, en ce qu'elle est postérieure pour être intervenue en mai 2013 la fusion du cabinet SALANS au sein du cabinet DENTONS, est mal fondée à se prévaloir de tels faits, étant observé que les informations relatives à l'association successive de Monsieur Chardeau au sein de ces deux cabinets étaient librement accessibles par simple consultation de leur site internet ;
Qu'en conséquence, le moyen pris de l'irrégularité de la constitution du tribunal arbitral doit être écarté ;
- Sur la demande de dommages intérêts pour procédure abusive.
Considérant que la société DASSAULT ne démontre pas en quoi MONTE CARLO a fait dégénérer en abus l'exercice du droit de recours qui lui est ouvert par la loi, la preuve d'un tel abus ne pouvant résulter de la seule faiblesse des moyens invoqués à l'appui de celui ci ;
Qu'ainsi la demande de dommages intérêts formulée par la société DASSAULT doir être rejetée ;
Considérant que la société MONTE CARLO qui succombe doit supporter les dépens, sans pouvoir prétendre à une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile et doit être condamnée sur ce fondement au paiement d'une somme de 70.000 euros.
PAR CES MOTIFS,
Déboute la société de droit des Iles Vierges Britanniques MONTE CARLO AVIATION de son recours en annulation à l'encontre de la sentence arbitrale rendue le 17 octobre 2013 à Paris dans l'instance l'opposant à la société DASSAULT AVIATION;
Déboute la société DASSAULT AVIATION SA de sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive ;
Condamne la société MONTE CARLO au paiement de la somme de 70.000 euros au titre de l'article
700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du même code.
Rejette toutes autres demandes.