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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 15 mai 2025, n° 24/02316

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

M. W

Défendeur :

HILTON WORLDWIDE MANAGE LIMITED (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mme Pruvost, Mme Lebée

Conseiller :

Mme Distinguin

Avoués :

Me De Maria de la SELARL PELLERIN-DE MARIA-GUERRE Me Teytaud de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, Me Lallement de la SELARL BDL AVOCATS

Avocats :

Me Pardo, Me Fresse de Monval, Me Simonnet, Me Mghazli, Me De Hauteclocque

CA Paris n° 24/02316

14 mai 2025

Dans le cadre d'une procédure arbitrale entre la société Hilton Worldwide Manage Limited (la société Hilton), société à responsabilité limitée de droit anglais, et M. [K], deux sentences arbitrales définitives ont été rendues par la Cour d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale de Londres et ont condamné ce dernier à payer la somme principale de 18 626 936,14 dollars américains au profit de de la société Hilton.

Celle-ci a, par la suite, obtenu l'exequatur des deux sentences arbitrales par ordonnances du 12 janvier 2023 du président du tribunal judiciaire de Paris, signifiées à M. [K], dans un premier temps par acte du 31 janvier 2023, puis une seconde fois, par un acte rectificatif le 8 février 2023.

En exécution de ces sentences, la société Hilton a fait procéder, par procès-verbal d'immobilisation en date du 21 avril 2023, à la saisie dans le parking de la société Hôtel du [8] de [Localité 9], d'un véhicule automobile de marque Mercédès AMG SLSA immatriculé [Immatriculation 5] (le véhicule).

M. [K], par assignation en date du 24 mai 2023, a saisi le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris d'une demande tendant à voir annuler cette saisie, en ordonner la mainlevée et obtenir des dommages-intérêts.

Par jugement en date du 18 janvier 2024, le juge de l'exécution a débouté M. [K] de ses demandes tendant à l'annulation et à la mainlevée de la saisie du véhicule automobile ainsi que de l'ensemble de ses demandes accessoires, l'a condamné au paiement d'une indemnité de procédure et a déclaré irrecevables les demandes de la société Hilton au paiement de dommages-intérêts et d'une amende civile.

M. [K] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 12 janvier 2024. La société Hôtel du [8] de [Localité 9] est intervenue volontairement à l'instance.

Les conclusions récapitulatives de M. [K] et de la société Hôtel [8] de [Localité 9], en date du 2 août 2024, tendent à voir la cour :

' in limine litis, surseoir à statuer jusqu'à ce que le juge d'appel statue sur la réformation du titre exécutoire (décision d'arbitrage) fondant les poursuites ;

' infirmer la décision de première instance ;

statuant à nouveau :

' prononcer la nullité de la saisie ;

' ordonner la mainlevée de la saisie ;

' rejeter l'ensemble des demandes de la société Hilton ;

' condamner celle-ci à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Les conclusions récapitulatives de la société Hilton, en date du 11 février 2025, tendent à voir la cour :

' déclarer irrecevable l'intervention volontaire de la société Hôtel [8] de [Localité 9] ;

' confirmer le jugement du 18 janvier 2024, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes tendant à l'allocation de la somme de 16 650 euros de dommages et intérêts et au prononcé d'une amende civile ;

Statuant à nouveau de ces chefs :

' condamner M. [K] au paiement de la somme de 29 475 euros à titre de dommages-intérêts et au paiement d'une amende civile d'un montant maximum de 10 000 euros ;

en tout état de cause :

- le condamner à lui payer la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Pour plus ample exposé du litige, des prétentions et des moyens, il est fait renvoi aux écritures visées.

Motifs

Discussion

#1 recevabilité de l intervention volontaire de la société

Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la société Hôtel [8] de [Localité 9] :

L'intimée soutient que cette intervention volontaire est irrecevable, faute pour l'intervenante de justifier d'un lien suffisant se rattachant aux prétentions des parties.

Cependant la saisie critiquée ayant eu lieu dans des locaux appartenant à la société Hôtel [8] de [Localité 9], celle-ci a intérêt à intervenir à la procédure.

Sur la demande de sursis à statuer :

Les appelants soutiennent qu'il y a lieu de surseoir à statuer, en premier lieu, parce que le juge de la rétractation a été saisi afin d'annuler l'ordonnance sur requête ayant autorisé le créancier à réaliser des actes de saisie contre le débiteur chez des tiers, en second lieu, parce que, par arrêt du 2 juillet 2024, la cour d'appel de Paris a déclaré l'appel contre la décision d'arbitrage recevable, ouvrant la voie à une réformation du titre exécutoire fondant la saisie.

#2 procédures civiles d exécution

Cependant, de première part, comme le rappelle l'intimée, par jugement en date du 4 juillet 2024, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris a débouté les appelants de leur demande aux fins de rétractation de l'ordonnance rendue le 12 avril 2023, de seconde part, aux termes de l'article R.121-1 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites ni en suspendre l'exécution, de sorte que la recevabilité de la procédure d'appel contre la décision d'arbitrage exécutoire qui fonde les poursuites est sans incidence sur son exécution forcée.

Sur les demandes de nullité du procès-verbal de saisie :

#3 nullité du procès verbal de saisie

Sur la demande de nullité en raison de l'absence de mention de la présence ou l'absence du débiteur :

L'appelant soutient que la mention de la présence ou de l'absence du débiteur saisi est prévue par l'article R. 223-8 du code des procédures civiles d'exécution à peine de nullité du procès-verbal de saisie et que son absence lui a causé un grief en l'empêchant de savoir si la saisie a été pratiquée conformément aux dispositions dudit code.

Cependant, comme l'a relevé le premier juge, l'absence de M. [K] se déduit a contrario de la liste des personnes présentes de sorte que la nullité alléguée n'est pas encourue.

#4 nullité du procès verbal

Sur la demande de nullité pour absence de précision sur le moyen d'immobilisation du véhicule :

M. [K], invoquant les articles L.223-2 et R.223-6 du code des procédures civiles d'exécution, reproche l'absence sur le procès-verbal de saisie des informations liées au moyen d'immobilisation du véhicule.

Cependant, ainsi que l'a relevé le premier juge, outre que l'appelant ne démontre pas l'existence d'un grief, ces dispositions ne sont pas sanctionnées par la nullité du procès-verbal.

Sur la demande de nullité pour irrespect de l'article R. 223-9 du code des procédures civiles d'exécution :

L'intimée produit la lettre simple adressée à l'appelant dont ce texte prévoit l'envoi et le défaut de celui-ci n'est pas sanctionné par la nullité de la saisie.

Sur la nullité tirée de l'absence de mention de l'assiette des intérêts :

L'appelant soutient que le procès-verbal mentionne des intérêts échus pour la somme de 821 204,71 euros sans que soit mentionnée l'assiette de leur calcul, contrairement aux dispositions de l'article R.221-1 du code de procédure civile, prescrites à peine de nullité, ce qui lui cause nécessairement un grief.

Cependant, comme l'a relevé le premier juge et comme le soutient l'intimée, le procès-verbal reprend le détail de la créance réclamée en indiquant les sommes dues en principal, les intérêts échus ainsi que les frais, avant de terminer par l'indication des taux d'intérêt, ce qui correspond aux mentions requises par l'article R.221-1 précité.

Sur la nullité tirée de l'absence de titre exécutoire :

L'appelant soutient que les sentences ne constituent pas des titres exécutoires en ce que la signification des ordonnances d'exequatur effectuée le 31 janvier 2023 vise l'article 1499 du code de procédure civile qui s'applique à l'arbitrage interne au lieu de viser l'article 1525 du code de procédure civile qui s'applique à l'arbitrage international et aux sentences rendues à l'étranger, que cette signification erronée lui cause un grief dès lors qu'elle lui indique à tort qu'il ne dispose d'aucun recours, que la signification rectificative en date du 8 février 2024 n'a pu régulariser cette nullité, la seconde notification régulière n'ayant pas expressément précisé qu'elle se substituait à la première et n'ayant donc pu garantir l'effectivité de la voie de recours, telle que prévue par l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la mention « sur et aux fins d'un précédent exploit » étant insuffisante à cet égard.

Il ajoute qu'il a interjeté appel des ordonnances d'exequatur.

Cet appel a effectivement été déclaré recevable par arrêt du 2 juillet 2024.

Cependant, il est admis par les parties que les sentences arbitrales sont, en elles-mêmes, définitives, de sorte que l'appel des ordonnances d'exequatur de ces décisions n'étant pas suspensif selon l'article 1526 du code de procédure civile, la société Hilton disposait bien de titres exécutoires.

Sur la saisissabilité du véhicule :

#5 procédures civiles d exécution

M. [K] soutient que le véhicule saisi est son instrument de travail, adapté à son statut d'homme d'affaires, qu'il l'utilise pour aller de son domicile à son lieu de travail, situé à [Localité 7], et que le véhicule est donc insaisissable en application de l'article R. 112-2, 16e, du code des procédures civiles d'exécution.

Cependant, M. [K], qui se domicilie et travaille à [Localité 7] ne démontre pas que le véhicule saisi, stationné à [Localité 9], est un instrument de travail nécessaires à l'exercice personnel de son activité professionnelle au sens de l'article R. 112-2, 16°.

Par ailleurs, comme l'appelant le souligne lui-même dans ses écritures, l'article R. 221-49 du code des procédures civiles d'exécution dispose que les demandes relatives à la propriété ou à la saisissabilité ne font pas obstacle à la saisie, mais suspendent la procédure pour les biens saisis qui en sont l'objet.

#6 effets de la saisie

À supposer même que le véhicule saisi, stationné à [Localité 9], soit l'instrument de travail de M. [K] qui se domicilie dans ses écritures à [Localité 7] et indique y travailler, la conséquence de son insaisissabilité serait, non pas la nullité de la saisie, seule demande formée tant dans les motifs qu'au dispositif des écritures de l'appelant, mais la suspension des effets de la saisie, de sorte qu'elle ne peut fonder la nullité de celle-ci.

#7 propriétaire du véhicule

Sur la demande de nullité fondée sur l'article R. 221-50 du code des procédures civiles d'exécution :

L'appelant soutient que la saisie est nulle sur le fondement de cet article puisqu'il n'est pas propriétaire du véhicule.

Il expose avoir souscrit, le 8 janvier 2016, un crédit-bail d'une durée de 60 mois pour acquérir le véhicule saisi, que le contrat de crédit accessoire à la vente comporte une clause de réserve de propriété, le transfert de propriété du bien financé étant différé jusqu'à son complet paiement. Il ajoute que la banque ayant remis directement les fonds au vendeur, sans qu'ils aient transité par son compte, la subrogation était valable.

Cependant, comme le soulève à bon droit l'intimée, n'est pas l'auteur du paiement le prêteur qui se borne à verser au vendeur les fonds empruntés par son client afin de financer l'acquisition d'un véhicule, ce client étant devenu, dès la conclusion du contrat de crédit, propriétaire des fonds ainsi libérés entre les mains du vendeur. (Com., 14 juin 2023, pourvoi n° 21-24.815).

En l'espèce, le contrat de crédit d'une durée de 60 mois, souscrit le 8 janvier 2016 auprès de la société BNP Paribas Personal Finance, lequel ne précise pas que le véhicule est destiné à un usage professionnel, est soumis au code de la consommation, dans sa rédaction alors applicable, et contient, page 1, rubrique « Sûretés exigées », de l'exemplaire emprunteur versé aux débats, une clause de réserve de propriété.

Ainsi que l'a relevé le premier juge, est inopérante la subrogation consentie par le vendeur au prêteur dans la réserve de propriété du véhicule, dès lors que c'est bien, en l'espèce, le prêteur qui a versé directement au vendeur les fonds empruntés pour l'achat par M. [K] et que celui-ci était propriétaire de celui-ci à la date de la saisie. En outre, l'appelant n'allègue pas même l'existence d'un impayé, alors que la saisie est intervenue plus de deux ans après la dernière échéance du prêt.

Sur les dommages-intérêts :

La société Hilton sollicite la somme de 29 475 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, cette somme correspondant aux frais de gardiennage du véhicule saisi.

Le droit d'exercer une action en justice ou une voie de recours ne dégénère en abus que s'il révèle de la part de son auteur une intention maligne, une erreur grossière ou une légèreté blâmable dans l'appréciation de ses droits. Tel n'apparaît pas le cas en l'espèce, un tel abus de la part de M. [K] ne pouvant se déduire de l'échec de son action.

En outre, la société Hilton ne rapporte pas la preuve d'un préjudice distinct de celui résultant de l'obligation de défendre à la procédure, étant rappelé, comme l'a fait le premier juge, que les frais de gardiennage constituent des frais d'exécution qui sont de plein droit à la charge du débiteur saisi.

La demande de dommages-intérêts n'est par conséquent pas justifiée. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Le jugement entrepris sera confirmé sur l'indemnité de procédure allouée.

L'appelant qui succombe doit être condamné aux dépens, débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné à payer à l'intimée la somme précisée au dispositif.

Sur l'amende civile :

La cour adopte les motifs du premier juge qui a relevé que la demande formée par la société Hilton au titre d'une amende civile était irrecevable.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

Déclare recevable l'intervention volontaire de la société Hôtel [8] de [Localité 9] ;

Confirme le jugement ;

Y ajoutant,

Déboute la société Hilton Worldwide Manage Limited de sa demande de dommages-intérêts ;

Déclare irrecevable la demande tendant au prononcé d'une amende civile ;

Condamne M. [K] à payer à la société Hilton Worldwide Manage Limited la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

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